Décembre 2013 Consultation publique de la Commission européenne sur l «économie de l expérience» comme industrie émergente Réponse des autorités françaises I. Eléments de contexte 1) Consultation de la Commission européenne La Communication de la Commission européenne «Promouvoir les secteurs de la culture et de la création pour favoriser la croissance et l emploi dans l Union européenne» du 29 septembre 2012 a souligné l importance du renforcement des interactions entre secteurs d activité pour faciliter l entreprenariat et la croissance économique. Elle a également annoncé le lancement d une consultation des parties intéressées sur l économie de l expérience. Selon la Commission, les industries émergentes sont guidées par un processus transformatif intervenant à la frontière entre différents secteurs d activité. Ce processus implique des liens entre secteurs d activité et leurs sous-secteurs. Dès lors qu elle est perçue comme une industrie émergente, l économie de l expérience ne devrait pas être considérée comme un moyen de tirer profit des expériences fournies au client, par exemple en mettant à leur disposition des services qui augmentent leurs perceptions et stimulent leurs sens et leurs émotions. La question porte plutôt sur le point de savoir si les dynamiques liées aux industries émergentes sont également en jeu pour l économie de l expérience. A travers cette consultation, la Commission souhaite recenser les opinions des parties prenantes sur les points suivants : - Quel est le degré d interaction entre les secteurs d activité concernés, en particulier les industries culturelles et créatives, les sports, les loisirs, le tourisme, les divertissements et les éco-industries? - Quels acteurs contribuent au développement de l économie de l expérience? - Qu est-ce qui peut faciliter ou entraver son développement et le processus de transformation dans divers secteurs d activité? Les liens étroits et chevauchements qui existent entre secteurs rendent difficiles la définition de l économie de l expérience et l identification des intermédiaires qui interviennent dans ses chaînes de valeur. La consultation publique a donc pour objet de mieux comprendre la pertinence de la mise en place d initiatives politiques spécifiques en lien avec l économie de l expérience, et de soutenir au mieux le développement de nouvelles chaînes de valeur industrielles pour stimuler le potentiel de créativité en conformité avec la stratégie Europe 2020. Par conséquent, cette consultation vise principalement à déterminer si l économie de l expérience peut être 1
identifiée comme une industrie émergente et les tendances qui façonnent ses chaînes de valeur, ses modèles commerciaux et les opportunités de marché qu elle représente. Les résultats de cette consultation publique seront utilisés pour préparer de futures actions visant à promouvoir l émergence de nouvelles chaînes de valeur industrielles dans le cadre du prochain programme-cadre pour la recherche et l innovation Horizon 2020, ou pour des actions plus spécifiques dans le cadre du programme pour la compétitivité des entreprises et des PME (COSME). 2) Définition de l économie de l expérience Le terme d «économie de l expérience» est apparu pour la première fois en 1998 dans un article intitulé «Welcome to the Experience Economy» de B. Joseph Pine II et James H. Gilmore, cofondateurs de Strategic Horizons, un cabinet visant à aider les entreprises à ajouter de la valeur à leur offre de services ou produits. L économie de l expérience y est décrite comme la prochaine étape après l économie agraire, l économie industrielle et celle des services. Elle se caractérise par le fait que les clients payent une expérience, un évènement mémorable, de manière autonome ou associée, et non plus seulement un produit ou un service. Par ce biais, les entreprises peuvent se différencier des marques ou produits concurrents. Dans ce cadre, il devient primordial pour les entreprises de s appuyer sur des compétences dans les domaines de la culture et de la création, dans la mesure où les gains de productivité obtenus durant la phase de production ne parviennent plus à maintenir un avantage concurrentiel. Afin d appréhender la complexité du concept d économie de l expérience, les autorités françaises jugent utile de développer la réflexion au-delà du format du questionnaire proposé par la Commission, et de répondre par la présente note. Deux catégories d activités pourraient être identifiées : celle qui regroupe les activités qui sont intrinsèquement pourvoyeuses d expérience, que celle-ci soit réelle ou virtuelle, et celle qui recouvre les activités de production et de services, dont la valorisation passe de plus en plus par la prise en compte de l expérience. Si les secteurs d activité essentiellement liés à l expérience méritent une attention particulière, compte tenu de leur contribution à l économie européenne, d autres secteurs d activité gagneraient à intégrer l expérience dans les produits et services en vue de leur valorisation et de leur différenciation sur le marché mondial. II. Soutenir les secteurs d activité essentiellement liés à l expérience 1) Faire évoluer les secteurs d activité traditionnellement pourvoyeurs d expérience réelle L économie de l expérience est déjà une réalité, nombre de projets commerciaux étant fondés sur la complémentarité entre diverses activités afin d offrir sur un même lieu une expérience aux clients (par exemple, complexes commerciaux combinant magasins, restaurants, cinémas, musées et attractions). Ils permettent ainsi de créer un véritable parcours où le client peut allier plaisir et acte d achat. Il n en demeure pas moins que certains secteurs d activité traditionnellement pourvoyeurs d expérience réelle, comme par exemple le tourisme, la mode, le design, les sites 2
patrimoniaux ou plus généralement la culture, peuvent encore trouver un potentiel de développement à travers l économie de l expérience. L économie de l expérience trouve une traduction pertinente pour le luxe expérientiel, notamment l hôtellerie et le tourisme de luxe, avec de nombreux concepts novateurs développés récemment. En point de vente ou en boutique, la valorisation de produits issus de l artisanat ou l offre de prestations originales participent également de ce concept d économie de l expérience. Des projets visant à l'organisation de parcours de luxe, où tourisme, découverte des monuments, musées, sites patrimoniaux, des manufactures françaises d'exception pourraient être combinés et proposés aux touristes, sont ainsi à l étude au niveau national. Ce type de projets, exploitant notamment les synergies potentielles entre le tourisme et les industries créatives haut-de-gamme, est également encouragé par COSME. Il pourrait être envisagé de développer des parcours fondés sur une expérience moins «haut de gamme» et plus culturelle du tourisme, alliant au spectacle vivant ou aux arts plastiques la participation à des festivals (en spectacle vivant), grandes expositions, foires et salons (arts plastiques). 2) Accompagner le développement de l interaction entre expérience virtuelle et expérience réelle, à travers les TIC Aujourd hui, les TIC offrent de nouvelles opportunités à l essor de l économie de l expérience, que ce soit dans le domaine de l internet, des jeux vidéos ou encore des objets connectés. L'économie de l'expérience trouve une traduction dans l industrie des services et des contenus numériques, notamment par l'ajout d'une dimension sociale et participative (c est-à-dire. interactive) aux médias traditionnels, l'introduction de la notion de trace et d'historique personnel, la contextualisation de l expérience (position géographique ou profil de l utilisateur) et un renouveau des interfaces homme-machines et des mécanismes de distribution. Forts de ces évolutions et des convergences croissantes, les médias tendent à se réinventer et proposer de nouvelles expériences ubiquitaires, personnelles, multi-supports, cross-médias, abolissant les frontières entre réel et virtuel. Le digital est particulièrement un atout pour les marques de luxe, permettant au luxe expérientiel de se vivre également à distance. Un site de marque ou un blog spécialisé peuvent permettre de magnifier les valeurs de la marque à travers du storytelling, du brand content, de l expérience utilisateur. Les nouvelles technologies internet, et notamment la réalité augmentée, permettent de s approcher de l expérience vécue en point de vente. Ainsi, certaines marques de meubles peuvent désormais proposer aux internautes de tester des meubles à leur domicile, en situation, grâce à un logiciel de réalité augmentée. Il existe également des services de conciergerie en ligne permettant d améliorer le parcours d achat de l internaute. Les TIC offrent en outre de nouvelles opportunités dans le domaine des éco-industries. Ainsi, pour les dossiers soumis en France à autorisation au titre de la législation des Installations Classées pour la Protection de l Environnement (ICPE) ou soumis à une évaluation environnementale, il doit systématiquement être fait une étude d impact préalable, destinée à la consultation publique. Les montages photos, plans, dessins ou visualisations 3D sont alors utilisés pour communiquer au mieux avec le public, qui peut profiter de cette expérience pour mieux imaginer ce que sera son environnement futur. 3
A titre d exemples supplémentaires, d autres propositions, mâtures ou exploratoires, apparaissent aujourd hui comme témoins du développement de l expérience virtuelle : - développement du mobilier urbain intelligent ; - parcours interactifs et ludiques dans les musées, personnalisation de sa visite en amont, audio-guides multimédia permettant de garder une trace de son parcours et de revisiter les œuvres sonores ou visuelles après la visite ; - technologies permettant, pour certains spectacles de spectacle vivant (ou multiformes à la croisée des secteurs du spectacle vivant, des arts plastiques et des technologies numériques) de préparer en amont la représentation et d'en garder des traces (captations du public participant-arts de la rue, danses participatives, mises en lumière par déplacement des spectateurs, etc) ; - interventions du public à la formation et l'évolution d œuvres d'art plastique, évolution d œuvres faisant l'objet d'un suivi ou d'une mémoire ; - bandes dessinées animées, web documentaires, presse mêlant audiovisuel, infographies, bandes dessinées et écrits ; - télévision connectée avec contenu additionnel personnalisable ; - publication de livres aux contenus personnalisés ; - applications de e-learning et de jeux vidéo dont le contenu et la difficulté s adaptent au profil des joueurs ; - dispositifs de réalité augmentée dans le tourisme (télescopes, lunettes, ). III. Intégrer l expérience dans le processus de valorisation des produits et services 1) Favoriser la complémentarité entre secteurs d activité Afin de favoriser la complémentarité entre les différents secteurs d activité, il est tout d abord nécessaire d identifier les domaines où les interactions entre différents secteurs d activité peuvent apporter une valeur ajoutée aux produits et services. Par exemple, de nombreux liens existent entre le secteur en développement des éco-industries (notamment dans le domaine de l eau) et les secteurs des loisirs et du tourisme. Une fois les secteurs clés identifiés, il convient d encourager la création de réseaux, de partenariats ou de pôles (clusters). Le développement de contenus et services contextualisés, immersifs, personnalisables, à dimension sociale, innovants, doit permettre une plus grande mise en réseau des secteurs partageant les enjeux de l économie de l expérience. Ainsi, toujours dans le domaine des éco-industries, dans le cas d une usine de traitement des déchets, la contrainte réglementaire et l obligation d enquête publique (de part les exigences du public en termes de développement durable, de respect de l environnement et de bien-être) permet de mettre en lien les architectes, les constructeurs d installations ou encore les cabinets de conseil en environnement, avec les fournisseurs de logiciels ou les prestataires en matière de modélisation 3D. Cette identification des complémentarités à trouver entre secteurs peut s avérer d autant plus pertinente qu elle peut présenter une utilité non seulement commerciale mais également sociale. A titre d exemple, le phénomène NIMBY (Not In My BackYard) implique que, même pour les éco-industries a priori les «plus nobles» (tri, valorisation des déchets, recyclage ), les habitants tendent à refuser l installation d établissements de traitement des déchets à proximité de leurs lieux d habitation. Il existe donc un enjeu à limiter au maximum les nuisances induites par ces installations, à les insérer dans le paysage, en recourant à des végétaux par exemple ou à d autres éléments permettant d améliorer l expérience vécue. Une 4
autre illustration peut être trouvée dans les biens et services permettant d assurer deux fonctions différentes : par exemple, le traitement de l eau par les plantes et zones humides, qui permet simultanément la constitution d une zone favorisant la biodiversité et/ou d un jardin botanique ouvert au public. Il est également nécessaire de mieux anticiper les différentes difficultés pouvant entraver le développement de complémentarités entre secteurs d activités. Ainsi, le recours aux TIC, le développement de contenus transmédia et transplateformes, ou encore des dispositifs tirant de la valeur ajoutée du passage de l expérience virtuelle à l expérience réelle et vice-versa (voire simultanément réelle et virtuelle dans le cas de la réalité augmentée), représentent la plupart du temps des coûts conséquents. En outre, la réglementation peut encore parfois être relativement conservatrice s agissant de l utilisation d outils multimédia ou de réalité virtuelle (permettant de mieux interagir avec le public), d où une certaine nécessité, pour favoriser l essor de l économie de l expérience, de reconnaître que ce type d outil est équivalent à un support papier. Dans ce domaine, le moniteur de l entreprenariat digital, qui sera mis en œuvre par COSME, doit permettre d identifier les futures opportunités commerciales pour les PME en analysant les tendances clés sur le marché du digital, que ce soit en termes de nouvelles technologies, que de besoins des consommateurs. Le croisement des cultures implique, enfin, une exigence de transversalité et d interdisciplinarité : la formation des architectes, des métiers entourant la diffusion du spectacle vivant et des arts plastiques (management, programmation, services de médiation et d'éducation, etc),des constructeurs, des cabinets de conseil, des prestataires de produits touristiques, ou encore des personnes travaillant dans le secteur du design, des métiers d art, du luxe à l utilisation des nouvelles technologies représente un enjeu fondamental. Renforcer les compétences dans le sens d une meilleure synergie entre activités créatives et entrepreneuriales (par une mobilisation notamment du programme COSME pour promouvoir la culture entrepreneuriale auprès des professionnels de la création et de la culture) constitue également une piste à suivre. Enfin, il conviendrait de réfléchir à des méthodes permettant de qualifier et de mesurer la qualité de l expérience, et de favoriser, pour une évaluation a posteriori, la mise en place de démonstrateurs et de dispositifs permettant la remontée des avis des utilisateurs. 2) Assurer des financements stables pour l innovation technologique et non technologique Dans ce cadre, il apparaît pertinent de : - mobiliser les programmes européens, et notamment : Horizon 2020 : par une prise en compte, dans l assiette éligible des projets soutenus, des dépenses permettant aux entreprises de positionner leurs produits, non plus uniquement comme les meilleurs technologiquement, mais surtout comme les meilleurs sur le marché, en termes de réponse aux besoins et de valeur ajoutée : prototypage, test, démonstration, pilotage, validation de produits à large échelle, design et première application commerciale couvrant le développement de nouveaux modèles commerciaux et le marketing stratégique ; COSME : par une mobilisation des instruments financiers (garantie de prêts, capital-risque) au service des PME, notamment dans les phases de création et de développement ; 5
les fonds de la politique de cohésion : par une mobilisation des fonds structurels en faveur de l innovation au plus près du marché et de la montée en gamme des produits, en particulier au profit des PME ; - moderniser les règles encadrant les aides d Etat en permettant le financement de l innovation non-technologique et notamment du design, de la normalisation, de la création et usage des TIC, de la production et diffusion de contenus culturels dans le monde numérique et le financement du capital humain pour des entreprises de différentes tailles (PME, ETI et grandes entreprises). 3) Renforcer l image de marque des produits et services européens La promotion des «marques pays», applications concrètes du concept d économie de l expérience, doit permettre d œuvrer à la différenciation des produits et services européens au service de la compétitivité des économies européennes. Les stratégies de «marque pays», inaugurées par certains des voisins de la France, peuvent être des outils fédérateurs au service de la compétitivité des entreprises. L image d un pays est à la fois un actif et un passif, matériel et immatériel, qui se rattache à une nation et affecte la perception que l on a de sa population, de ses territoires, de ses produits, de ses savoirs et de ses savoir-faire. Elle agit ainsi sur les comportements de consommation, d investissement, de production, de localisation ou encore d innovation. Le 30 janvier 2013, les Ministères français du Commerce extérieur, du Redressement productif, de l Artisanat, du Commerce et du Tourisme ainsi que le Ministère délégué chargé des PME, de l Innovation et de l Economie numérique ont lancé une mission de réflexion et de concertation, annoncée dans le cadre du Pacte national pour la compétitivité, la croissance et l emploi, et destinée à mettre en lumière les enjeux et les moyens de mise en œuvre d une marque France. La «marque France» participe déjà d un univers culturel attractif à l étranger mais, jusqu à présent, elle n est pas pensée ni promue en tant que telle. La mission lancée en 2013 vise à en tirer un meilleur bénéfice en travaillant sur ses marqueurs identitaires, son image, ses atouts et en améliorant la notoriété de l industrie, de l innovation, des produits et des services français. Au niveau européen, il est également nécessaire d accroître la portée internationale des produits et services, par un accompagnement adapté des entreprises européennes sur les marchés des pays tiers. 4) Améliorer la protection de la propriété intellectuelle Ceci passe essentiellement par la mise en place d un outil de valorisation des brevets au niveau européen. 6