Contexte énergétique au Japon, et situation après le tsunami (23 000) morts et l accident de Fukushima



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GR21 Groupe de Réflexion sur l Énergie Et l Environnement au 21 ème siècle Paris, le 4 mars 2013 Contexte énergétique au Japon, et situation après le tsunami (23 000) morts et l accident de Fukushima A : Situation énergétique du Japon et état du nucléaire a) Le Contexte Il y a deux ans un séisme et un tsunami exceptionnels frappaient 300 km de la côte est du Japon, faisant 23000 morts. Le tsunami provoquait un accident majeur (classé au plus haut niveau) dans 4 réacteurs du site de Fukushima Daïchi, la contamination d un large territoire et l évacuation de 150 000 habitants environ. Cependant les difficultés actuelles de l industrie nucléaire au Japon ne doivent pas faire perdre de vue que la production nucléaire a joué un rôle important dans l approvisionnement énergétique du pays. La France et le Japon ont peu de ressources énergétiques fossiles, et des enjeux communs : politique énergétique, place du nucléaire et exigences de sûreté, opinion et débat public. La question est maintenant de savoir si la remise en cause complète de la politique énergétique du pays va laisser une place au nucléaire et, dans ce cas, quelle place, et avec quel cycle du combustible. Mais ce futur ne pourra être réellement être clarifié qu une fois la situation de crise actuelle maîtrisée. Les informations présentées ressortent d échanges de vue dans le contexte post Fukushima avec des rencontres d économistes, de responsables du METI 1 et du ministère de l Environnement, d électriciens (FEPC 2, Tepco, Tohoku, Chubu), d hommes politiques et de journalistes, et de visites. b) Le réseau Japonais 1. Les deux réseaux 50 Hz et 60 Hz Les perturbations dans la fourniture d électricité provoquées par la catastrophe de Fukushima ont été amplifiées par le fait que le réseau électrique japonais est dédoublé. En effet, au début des années 1880 (ère Meiji, période de modernisation pour le Japon), le gouvernement japonais a envoyé des missions d étude afin d observer les modèles politiques et industriels. Des délégations régionales se rendirent plus spécialement en Allemagne et aux Etats-Unis ou sont signés des accords avec Westinghouse (60 Hz) pour la production d électricité à Kyoto, et AEG pour la région de Tokyo (50 Hz). Aujourd hui les 60 Hz de Westinghouse sont devenus le standard de l Amérique du nord, et les 50 Hz la norme européenne. Au Japon, en revanche, les deux fréquences coexistent : 60 Hz autour de Kyoto, et 50 Hz au nord de Tokyo. Ironie de l Histoire, Toshiba a racheté Westinghouse en 2006. Trois transformateurs permettent de faire communiquer les deux réseaux (50 Hz et 60 Hz), mais de façon très limitée et qui limite drastiquement (à 1 GW) les capacités d échange entre l est et l ouest du Japon. 2. De fortes spécificités caractérisent ce réseau : - un parc en surcapacité (pointe de 180 GW pour une capacité de 280 GW), des prix très élevés de l électricité (200 /MWh pour le résidentiel), et une organisation régionale avec 10 monopoles régionaux, les EPCos 3 (200 GW), des producteurs indépendants (20 GW) et des industriels auto producteurs (60 GW): 1 Ministère de l Industrie 2 Federation of Electric Power Companies 3 Electricity Production Companies

- Tepco (Tokyo) couvre 1/3 de la production nationale, suivi par Kansai (Kobe, Osaka, Kyoto) et Chubu (Nagoya) - La part du nucléaire est plus importante pour certains électriciens : Kansai (32%), Tepco (28%), Shikoku (29%), Hokkaido (28%), Kyushu (26%) 3. Les mesures restrictives de consommation d électricité La décision, avant sa démission le 25 août 2011, du premier ministre Naoto Kan (connu pour ses positions contre le Nucléaire) d arrêter les tranches encore en fonctionnement en fin de cycle, a eu de lourdes conséquences sur une hypothétique reprise. Dans un discours, le représentant du FEPC (Fédération of Electric Power Compagnies) déclarait : «il a détruit le système actuel et ajouté des barrières pour son redémarrage» A l été 2011, après l accident, 12 réacteurs sur 54 sont encore en fonctionnement. Pour le passage de la pointe de consommation, des mesures drastiques ont été imposées à l industrie et la population, et le nucléaire a été remplaçé par du GNL puis du fuel en redémarrant de vieilles installations et en entrainant un surcoût de l ordre de 30 mds /an, (premier déficit de la balance commerciale du Japon). Un programme de réduction de la demande, de 8 % (en énergie) au niveau national et jusqu à 14 % sur la région de Tepco, est imposé. Participation de plus de 600 entreprises consommant plus de 5 MW à un plan de réduction de la consommation de 15% (transfert de la production des usines la nuit et le WE, ) Pour les entreprises consommant moins de 5 MW, adoption de mesures restrictives sur une base de volontariat. Pour le tertiaire et les ménages, adoption et communication sur un plan de réduction de la consommation : limitation de l éclairage, de la climatisation. Autant de mesures acceptées par la population. Nous sommes au Japon! Lors de l hiver 2011/2012 52 réacteurs sur 54 sont à l arrêt, mais le pic hivernal est plus faible au Japon que le pic estival. Les mesures de rationnement ont été prolongées, mais dans une moindre mesure : estimation d une baisse de 4 % de la demande nationale (mais 10 % d économies pour la région de Kansai,un des électriciens le plus exposé à l arrêt prolongé du nucléaire). L été 2012 a présenté de nombreux risques sur l équilibre offre/demande dans l hypothèse où une seule centrale

supplémentaire redémarrerait, ou même aucune : déficit de puissance de 9%, majoré à 10,4 % dans la zone Nord (50Hz). Par chance l été n a pas été très chaud. Début 2013 : 52 réacteurs nucléaires sont aujourd hui à l arrêt et 2 ont été autorisés à redémarrer. Les autorisations de redémarrage sollicitées pour d autres tranches restent pour la plupart à instruire par la nouvelle Autorité de sûreté (NISA), puis à valider par le gouvernement, puis le gouverneur (élu) de la préfecture (importance du pouvoir régional au Japon). Selon les sources, sur le long terme, le redémarrage de 8 à 12 réacteurs (FEPC) ou 9 réacteurs (METI) permettrait de sécuriser le passage des étés. De nouveaux standards de Sureté nucléaire pour le redémarrage de centrales ont été officiellement endossés Les trois critères imposés Critère N 1: Prévention du risque de situation grave liée à une perte d alimentation électrique o Durcir les sources électriques du site o Durcir le circuit de réfrigération et d injection d eau dans le cœur o Prévenir la dégradation de l enceinte de confinement o Garantir l instrumentation de contrôle et management de l installation nucléaire Critère N 2 : Le gouvernement central s engage à ce que le combustible ne soit pas endommagé par un évènement à l échelle de celui de Fukushima Daiichi Critère N 3 : Les opérateurs de centrales mettront en œuvre un programme d amélioration continue en matière de sûreté et présenteront leurs plans en la matière. Le Premier ministre, M. Noda et ses 3 ministres ont déclaré qu ils assumeront la responsabilité en cas de nouvel accident (6 avril 2012) c) Conséquences sur la santé des entreprises L équilibre offre/demande a été assuré jusqu à présent, mais les restrictions de consommation et les perspectives de hausse des tarifs affectent la compétitivité des entreprises japonaises Avec le redémarrage de 2 des réacteurs d Ohi (2 x 1180 MW), les prévisions de pénuries de capacité initialement prévues pour la zone de Kansai EPCO pour l été 2012 sont passées de -14,9 à -9,2%. Les ventes d électricité ont chuté de 6,3% en volume en juillet 2012 par rapport à juillet 2011 (-12,4% pour les ménages, -1,8% pour les gros industriels, -10,6% dans le Kansaï). Cela est dû aux températures plus clémentes ainsi qu aux plans de réduction de consommation. D après KEPCO, la province du Kansaï souffrira de coupures cet hiver (pic de consommation à 25,4 GW pour une capacité de 26,4 GW y compris les 2 réacteurs d Ohi et les achats d énergie 4,6 GW). Sans Ohi, la capacité tomberait à 22 GW (effet des STEP). La santé financière des établissements publics, les EPCos, est très difficile en raison de l arrêt prolongé des centrales nucléaires, de la baisse des ventes, du coût de l énergie fossile et de l absence de hausse suffisante des tarifs (hausse de 8,46% au 1/9/12 autorisée pour Tepco). Kepco cherche à obtenir une hausse de 12% pour le résidentiel et a annoncé une hausse de 19% en avril 2013 pour les entreprises. Kyushu et Shikoku souhaitent augmenter leurs tarifs de 8,5% et 12% à la même date. La situation n est pas tenable financièrement, et les prix devront monter, même avec des redémarrages. L impact des réductions imposées est jugé «majeur» ou «sévère» par les entreprises qui l acceptent plus

difficilement qu en 2011. Le manque de visibilité freine les investissements. d) Conséquences politiques Les élections de décembre 2012 ont ramené au pouvoir le LDP (parti libéral) après la parenthèse DPJ (parti démocrate) de 3 ans. Tant que ce succès ne sera pas confirmé par une victoire aux élections sénatoriales de l été 2013, l assise du LDP reste fragile (coalition avec le New Komeito, petit parti anti-nucléaire). Shinzo Abe, le Premier ministre avait déclaré en tant que candidat que l objectif zéro-nucléaire était irresponsable. Les réacteurs qui respecteront les nouveaux critères de sûreté pourraient être redémarrés après réception d un feu vert de la NRA, mais également après accord du gouverneur de la région. Le Premier ministre souhaite réduire la dépendance du Japon au nucléaire sur le moyen-long terme, mais il vise à d abord assurer une fourniture d électricité suffisante et stable au service de l objectif principal de restauration de la puissance économique japonaise. L objectif de la politique énergétique pour 2040 sera revu sous 10 ans. Le PM est ouvert à la construction de nouvelles centrales. Le gouvernement présenté comme un gouvernement de sortie de crise, a annoncé une réforme drastique du secteur de l électricité, avec une séparation de la production et du transport et une privatisation complète de la commercialisation. e) Politique nucléaire, confiance: réorganisation et réévaluation de la sûreté Depuis le redémarrage des réacteurs Ohi 3 et 4 annoncé le 16 juin 2012, les décisions éventuelles de redémarrage doivent être prises par la nouvelle commission de régulation nucléaire (NRA), inaugurée en septembre. L objectif premier de la NRA 4, bénéficiant d une indépendance totale vis-à-vis du gouvernement et de l industrie, est de restaurer la confiance du grand public. La NRA, qui a commencé un travail d élaboration des nouveaux critères de sûreté japonais, affirme son autorité dans diverses déclarations. Le chef de la NRA a notamment indiqué qu un délai de 3 ans pour contrôler et redémarrer les centrales serait probablement insuffisant. Les premières déclarations du nouveau gouvernement se sont faites dans le respect du principe d indépendance de l autorité de sûreté, notamment concernant le redémarrage des réacteurs après le feu vert de la NRA. Les axes de la politique nucléaire définis par le précédent gouvernement (arrêt des tranches à 40 ans, pas de construction de nouvelles centrales sauf projets déjà décidés) seront réévalués dans le cadre de la définition d une nouvelle politique de l énergie. En ce qui concerne l industrie : La «Federation of Electric Power Companies» (FEPC: 123 organisations) japonaise a créé le Japan Nuclear Safety Institute (Jansi). Il doit contribuer à accroitre la sécurité des centrales nucléaires japonaises en permettant un échange entre les exploitants des expériences d exploitation et des connaissances en matière de sécurité. Il va conseiller et soutenir les électriciens dans le cadre de la mise en œuvre de leurs prescriptions de sécurité, les problèmes de sécurité des différentes centrales devant être abordés et traités en tant que problèmes communs à toute l industrie 5. Les exploitants japonais ont mis en place une organisation transverse entre Electric Power Companies (EPCos) prenant appui sur certains principes de l INPO (Institute of Nuclear Power Operations/USA). En l absence d ingénierie, ils restent actuellement très dépendants des industriels intervenant sur leur site tels que Toshiba. Ils doivent d une part faire face à l accompagnement que nécessitent l incertitude sur le futur et la perte de confiance de leur personnel. D autre part la situation des compagnies électriques japonaises est délicate notamment pour Tepco (prise de contrôle temporaire par le gouvernement) en raison des coûts liés à l accident et à l arrêt du parc nucléaire, et de l absence de visibilité sur les redémarrages. f) Nouvelles analyses des failles sismiques et des risques de tsunamis à proximité des sites nucléaires. De nombreux séismes et tsunami de référence sont révisés : Le réacteur n 2 de la centrale de Tsuruga (JAP, 1160 MW, 1987) construit sur une faille sismique jugée active pourrait être contrainte de fermer définitivement, Rokashomura pourraient être aussi concerné. Les conclusions sur le site d Ohi sont pour le moment ajournées, en raison de divergences de vues entre 4 Mike Weightman du Britain s Office for Nuclear Regulation (ONR), Richard Meserve, former chairman of the U.S. Nuclear Regulatory Commission et André-Claude Lacoste ont été auditionnés par la NRA. 5 La FEPC a demandé officiellement à EDF de siéger à son comité international ainsi que de fournir un ingénieur de liaison.

experts, tandis que la faille d Higashidori a été jugée «probablement active». Des examens doivent aussi être pratiqués sur les terrains de deux autres centrales (Shiga et Mihama) ainsi que près du surrégénérateur expérimental de Monju (annonce fin 2012). A titre d exemple l examen des situations de deux centrales montre l engagement des exploitants japonais: La centrale de Hamaoka s est engagée dans des travaux considérables (1,34 mds ) pour renforcer ses lignes de défense vis-à-vis d un tsunami dont l ampleur a été porté de 4 à 18 m: mur anti tsunami de 22 m sur 1,6 km, renforcement des protections anti-inondations des diésels et pompes sur la plateforme (portes blindées et rehausse des murs). L exploitant reste cependant inquiet et redoute un non redémarrage. La centrale d Onogawa, bien que soumise à un tsunami de 13m, bénéficiait de dispositions prises par l exploitant, à son initiative, antérieurement au tsunami. Elle a bien résisté au tsunami et au séisme de magnitude 9 (le niveau du sol du site a baissé d environ 1m), sans dégradation notable du bâtiment réacteur. La centrale a ainsi pu héberger et nourrir pendant plusieurs jours environ 300 réfugiés d un village voisin, s assurant ainsi des contacts locaux confiants. Elle a engagé de nombreux travaux de confortement. Ville d ONAGAWA avant et après le tsunami : la ville est pratiquement rasée

2 2 Fukushima a) Le planning des prochaines années est le suivant : La tranche 1 est désormais confinée dans une structure étanche résistante au séisme. La tranche 3, dont le hall a également été détruit par une explosion, sera recouverte par une enceinte étanche en 2015. La tranche 4, endommagée par l explosion du hall de la tranche 3, et qui contient une piscine de stockage de combustibles usés, a été renforcée et une structure permettant le transfert de combustibles irradiés est en cours de construction. Couverture réacteur 1 (2012) Couverture réacteur 3 (2015) Préparation de la structure de support pour la manutention des combustibles de la piscine 4 (en cours)

b) Effluents radioactifs : Les capacités de stockage actuelles des sont de 271 000 m3 (38 000 m3 encore disponibles). Elles seront portées à 700 000 m3 d'ici 3 ans. Les eaux souterraines amont vont être déviées pour contourner le site et une paroi étanche est en construction pour éliminer tout risque de fuite vers l océan (objectif mars 2013). c) Bilan de la dosimétrie reçue par les employés des entreprises prestataires (25 000 fin nov. 2012) : 100 Max msv 10 Average 1 4 6 8 10 12 Mont h Dosimétrie des travailleurs Evolution la première année Le gouvernement avait décidé de porter la limite annuelle à 250 msv/an dès le 14 mars 2011. Cette mesure a été suspendue le 16 décembre 2011. Les doses limites (externes + internes) pour les intervenants sont depuis décembre 2011 les doses légales japonaises, soit 50 msv/an et 100 msv sur 5 ans. Elles ont été en diminution constante et, au dernier semestre 2012, sur environ 5500 individus (dont 83% de sous-traitants de TEPCO), les doses mensuelles mesurées ont été toutes inférieures à 20 msv/mois (0,26% entre 10 et 20-2,6% entre 5 et 10 25% entre 1 et 5 72% inférieures à 1). d) Dosimétrie des populations6 : Une première estimation de l exposition externe des populations, portant sur 14.000 habitants résidant dans la préfecture de Fukushima, a été publiée en juin 2012. Elle indique qu au cours de quatre premiers mois suivant l accident : 0,7 % des résidents auraient été exposés à des doses supérieures à 10 msv par exposition externe ; 99,3 % auraient été exposés à des doses comprises entre 1 et 10 msv. 6 L OMS vient de publier : «Rapport mondial sur les risques pour la santé de l'accident nucléaire de Fukushima»

Doses cumulées : February 20, 2012, http://wwwcms.pref.fukushima.jp/) Les doses sont globalement inférieures d un facteur 5 à 10 à celles qui avaient été estimées initialement par calcul en fonction de la cartographie aérienne de la contamination (estimation pessimiste de l impact du confinement) et de mesures locales. On peut relever l impact positif d une bonne discipline de la population. Ces résultats ne tiennent pas compte de l exposition interne aux radionucléides, qui est encore inconnue mais probablement faible car les aliments contaminés ont été retirés efficacement du marché. Du 26 au 30 mars 2011, environ 1100 mesures de la thyroïde ont été effectués chez des nourrissons et des enfants jusqu à 15 ans, avant que l iode ne disparaisse par décroissance radioactive : aucun n avait reçu de dose à la thyroïde supérieure à 100 msv (dose à partir de laquelle la prise d iode est recommandée) 7. e) Zones évacuées et prévisions de retour Entre le soir du 11 mars et le 14, les zones de 2, 3, 10, puis 20 km autour de la centrale accidentée ont été évacuées par les autorités. Ces évacuations successives pourraient être à l origine d une mort prématurée de plusieurs dizaines de personnes âgées et hospitalisées. Le 15 mars, il a été conseillé aux personnes habitant entre 20 et 30 km de se confiner dans les bâtiments. Le 25 mars, l'évacuation leur a été conseillée, mais pas imposée. On sait que les vents ont tourné le 15 mars, ce qui a entraîné la contamination du "couloir d'itate" sur une cinquantaine de kilomètres de profondeur, mais l'évacuation dans cette zone, au delà des 30 km, n'a été réalisée que fin avril. Les populations évacuées ont été logées temporairement dans des villages temporaires de préfabriqués. Les indemnisations des 170 000 personnes concernées sont évaluées à 6 milliards d euros Md. 7 La dose absorbée moyenne était d environ 10 mgy et la dose maximale de 35 mgy. La prise de comprimés d iode est recommandée au-delà de 100 mgy pour les enfants. La recommandation de prise de comprimés d iode du 16 mars 2011, par précaution afin de saturer les thyroïdes d iode non radioactif, n a pas été réellement appliquée car postérieure à l essentiel des évacuations.

Depuis le 1er avril 2012, le zonage défini par le gouvernement japonais est le suivant : Zones où la levée de l évacuation est en cours de préparation (area 1, en vert) : la dose externe susceptible d être reçue est inférieure à 20 msv/an. Les personnes sont donc autorisées, dans un premier temps, à rester temporairement sur place (séjour d une journée maximum) et à reprendre certaines activités industrielles et agricoles; Zones où le retour des populations est envisagé à plus long terme (area 2, en jaune) : la dose externe susceptible d être reçue est supérieure à 20 msv/an. Seuls des retours ponctuels des populations sont autorisés. Zone où le retour des populations n est pas encore envisagé, même à long terme (area 3, en rouge) : la dose externe susceptible d être reçue est supérieure à 50 msv/an. Dans les zones vertes, le retour des populations pourrait être imminente, mais le délai de reconstruction des infrastructures, détruites par le tsunami ou le séisme, pourrait retarder les opérations de retour. Sur les 515 km2 de terres où la contamination occasionnerait une dose supérieure à 20 msv/an, seulement 10 km2 étaient habités, 88 km2 sont des terres agricoles et 408 km2 sont occupés par des forêts, difficiles à décontaminer mais peu peuplées. Il est important de souligner l'effort considérable de décontamination qui a commencé dès novembre 2011 avec l'objectif de redescendre à terme partout en dessous de 1 msv/an. Les déchets résultants sont entreposés temporairement après nettoyage des sols. Ce programme de restauration est une première au monde. Les recommandations récentes de la CIPR (103, 109 et 111) ont guidé les décisions du gouvernement japonais.

Elimination des sols et déchets décontaminé, entreposage en attente de décontamination Et de stockage définitif Des points d'étape à plus court terme, très ambitieux, ont été définis par le gouvernement: Pour les zones comprises entre 20 et 50 msv/an, descendre en dessous de 20mSv/an avant mars 2014; Pour les zones inférieures à 20 msv/an, diviser la dose par 2 en août 2013 et atteindre 1 msv/an en septembre 2016. Un sondage parmi les habitants de FUTABA a montré que 4 % étaient prêts à revenir dès que possible, 16 % attendront la restauration des infrastructures, 21% attendront la fin de la décontamination et 26 % que les autres soient revenus. Enfin 25 % refuseraient de revenir. Le rôle de l opinion publique est systématiquement cité comme étant un facteur clé du redémarrage des centrales à l arrêt mais aussi de l acceptation du nucléaire dans le mix énergétique futur du Japon et des impacts des choix énergétiques sur l économie. La confiance de la population tant dans les exploitants que dans les autorités gouvernementales s est considérablement affaiblie depuis l accident de Fukushima. Les campagnes de mesure pluraliste et les réseaux sociaux jouent un très grand rôle. La gestion des denrées alimentaires et l organisation de surveillance sanitaire sont les prochains challenges. Le fait que, dans la religion Shintoïste, le rapport à la nature est essentiel, explique l ambition affichée des programmes de décontamination, le Japon acceptant cependant le monde moderne et son développement Il faudra du temps! Mais les japonais avancent avec Beaucoup de détermination et de courage! 8 8 Edf et AREVA sont engagés dans des programmes de soutien aux exploitants nucléaires japonais.