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Transcription:

Compte rendu Ouvrage recensé : Jacques T. GODBOUT, Le don, la dette et l identité. Homo donator vs homo oeconomicus, Montréal, Boréal, 2000, 190 p. par Sylvie Lacombe Recherches sociographiques, vol. 44, n 1, 2003, p. 189-192. Pour citer ce compte rendu, utiliser l'adresse suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/007201ar DOI: 10.7202/007201ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'uri https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'université de Montréal, l'université Laval et l'université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'érudit : info@erudit.org Document téléchargé le 21 November 2015 02:13

COMPTES RENDUS 189 naux comme Le Devoir et L Action catholique de Québec, nés précisément pour faire contrepoids à la presse libérale dont l épiscopat craint l influence pernicieuse auprès des masses. En outre, l influence américaine se fait sentir de façon beaucoup plus marquée dans la classe ouvrière francophone grâce aux journaux cités plus haut et notamment grâce à l expansion des syndicats internationaux qui comptent environ 55 000 membres au Québec en 1921, dont les trois quarts sont francophones. Leurs leaders ont un discours qui «afflue au niveau de la conscience et de l aveu», préconisant un programme réformiste de nature social-démocrate, inspiré du travaillisme britannique. Tout en apportant leur soutien aux institutions démocratiques, ils prônent un élargissement du rôle de l État (nationalisation, programmes sociaux) et, en particulier, une réforme de l éducation. Leur pensée est diffusée par leurs nombreuses instances au Québec et notamment par leur journal, Le Monde Ouvrier, fondé en 1916. C est une variante du libéralisme que Lamonde ne devrait pas ignorer dans le prochain tome de son histoire intellectuelle du Québec. Enfin, il est une dernière considération qui vise à marquer les limites de l histoire intellectuelle. Au Québec, ce courant a connu une expansion formidable chez les historiens depuis les années 1970, ayant donné lieu à un nombre considérable de mémoires, de thèses et de volumes sur les idéologies. Mais les analyses de journaux, de revues et d intellectuels ont porté largement sur le courant conservateur (on ne compte plus les travaux sur Le Devoir ou Lionel Groulx), laissant dans l ombre la presse libérale et la pensée qui anime les politiciens. En conséquence, la mémoire collective a toujours du mal à sortir du prisme de la «grande noirceur» jusqu à la Révolution tranquille. Par ailleurs, il ne faut pas surestimer l influence de ceux qui s expriment par écrit sur l évolution de la société franco-québécoise (un travers qui frappe souvent les intellectuels que nous sommes). Les intellectuels ne sont pas les seuls à façonner son héritage et son identité. Hier comme aujourd hui, d autres milieux portés vers l action plutôt que la réflexion influencent singulièrement son parcours. Je pense au milieu des affaires qu on connaît encore bien mal et aux hommes politiques dont l étude est victime du repli de l histoire politique. L historiographie québécoise souffre du mal du discours et de l imaginaire et d un éloignement de l action et du réel. Département d histoire, Université de Montréal. Jacques ROUILLARD Jacques T. GODBOUT, Le don, la dette et l identité. Homo donator vs homo œconomicus, Montréal, Boréal, 2000, 190 p. Compte tenu des nombreux ouvrages et articles dont il est l auteur, seul ou avec d autres, Godbout est à juste titre reconnu comme le grand penseur du don moderne et l on pouvait craindre, avec cet énième livre sur le même thème, des

COMPTES RENDUS 190 redites ou, pire, un essoufflement de sa pensée. Or, il n en est rien : chaque chapitre confirme l originalité de la réflexion et l intérêt du lecteur va croissant jusqu à la fin. Partant du constat que la société moderne, tout en privilégiant d un côté l échange marchand et de l autre la redistribution étatique, n évacue jamais complètement le don, l auteur propose audacieusement d aborder la réalité mouvante et multiforme du «tiers secteur» à cette aune en apparence résiduelle. Le plan focal est ainsi anecdotique, voire anodin, mais à partir de lui seront extraits des principes permettant de jeter un nouvel éclairage sur d autres phénomènes, débusquant chaque fois la pensée convenue. Une première partie expose les principales formes du don dans la parenté et dans les cercles d amis, car c est dans ce champ des liens primaires que le don s exprime prioritairement et qu il prédomine aussi sur toutes les autres formes d échange. L auteur décortique ensuite, dans la deuxième partie, le secteur dit communautaire à la lumière du modèle qu il vient de dégager. Dans la parenté, le don emprunte trois avenues : l échange de cadeaux, d hospitalité et de services. Dans ces circuits, les règles du marché sont jugées irrecevables, et la notion de justice prédominante dans la sphère étatique est admise, mais restreinte à l équité entre plusieurs donateurs à l égard d un même donataire (par exemple, les enfants qui prennent soin d un parent malade), ou entre plusieurs donataires vis-à-vis du même donateur (par exemple, les cadeaux aux petits-enfants offerts par l un de leurs grands-parents). Une différence sépare la circulation intergénérationnelle, véritable pivot de la parenté, où le don est plus volontiers unilatéral, allant des grands-parents aux enfants aux petits-enfants, de la circulation au sein d une même génération (les germains et leurs alliés, y compris les amis) où la tendance est plutôt à la réciprocité, sans exclure les possibles dérives agonistiques. Dans tous les cas, le don sert à personnaliser le lien qui unit les proches entre eux. Le sens du geste posé tel que le livrent les personnes concernées fournit les principes du don. La liberté du donateur est le véritable critère pour juger de la valeur d un don. Chez le donataire, la distinction entre devoir et dette s impose, car le premier trahit le sentiment d obligation à rendre (et contredit de ce fait la valeur don), tandis que le seconde exprime la reconnaissance d avoir reçu. Enfin, la notion de «dette mutuelle positive» désigne l état idéal qui aiguille toute relation marquée par le don le vrai, et signifie la conscience de ne jamais pouvoir rendre autant qu on a reçu, tout en cherchant à donner le plus possible. Pour introduire le «tiers secteur», qui n est officiellement visible qu en période de crise, Godbout expose une série d anecdotes survenues en 1998, lors de la crise du verglas dans la région montréalaise. L exercice illustre les faiblesses du marché et de l État face à la société proprement dite : la sanction populaire a empêché des commerçants d augmenter le prix de certains articles dont l usage était devenu indispensable ; les autorités publiques, débordées, ont dû s en remettre aux associations volontaires et aux bénévoles pour faire face à la demande d aide. Ces cas révèlent ainsi la force et la prégnance du don, les liens souterrains qui le rattachent à la société élargie. Dans ce monde communautaire (ou tiers secteur), le don se fait à l égard d étrangers plutôt qu entre proches comme dans la sphère des

COMPTES RENDUS 191 liens primaires. Ce qui y circule, ce sont des services et beaucoup plus souvent qu au sein de la parenté, de l argent. De plus, celui qui donne aux étrangers le fait anonymement ; n engageant pas sa personne, il ne nourrit pas non plus de liens sociaux concrets. Ce type de don implique en fait l intervention d une série d intermédiaires qui sont totalement absents dans la parenté. Enfin, la réciprocité en est totalement exclue et l échange unilatéral y règne en maître incontesté. Pour intégrer en un seul modèle théorique les trois sphères de l échange, Godbout propose ensuite un continuum où l un des pôles ne distingue pas le donataire du donateur tandis que l autre stipule au contraire une nette distinction entre producteur et consommateur (usager ou client). Les groupes d entraide se situent au plus près du premier pôle, alors que les logiques marchande et étatique se tiennent à l autre bout. Entre ces deux balises opposées, nous trouvons toute la gamme des associations communautaires, fondées principalement, mais pas uniquement, sur le bénévolat et l entraide. L aspect continu du modèle indique un trait majeur du tiers secteur : aucun principe net ne s impose au détriment des autres et les logiques propres à chaque institution (intérêt marchand, justice distributive, don) s y entremêlent au contraire. L auteur définit les relations qui prévalent au sein du secteur communautaire comme un rapport entre étrangers (semblable en cela au marché et à l État), fondé sur le don (ce qui le rapproche de la parenté), mais doté d un degré de liberté plus important qu au sein des liens primaires. Cet entremêlement peut évidemment avoir des effets pervers (l approche marketing dans l aide humanitaire en est un exemple), mais il peut aussi guider la nécessaire évaluation étatique du secteur associatif (la position de l organisme sur le continuum déterminera le type d évaluation requis - a posteriori, avec garantie marchande ou démocratique). Bien que le don soit au cœur de toute vie sociale, il existe, nous dit Godbout, d excellentes raisons de ne pas donner. Le don d organes devient alors l allégorie pour comprendre de telles situations, tandis que la réflexion se tourne vers l identité. Car recevoir un organe, en plus de poser le problème de la dette incommensurable interdisant toute forme de réciprocité, représente une menace pour le receveur. Menace à son «identité physiologique», figurée par le risque du rejet, et contournée médicalement par la neutralisation de son système immunitaire. Mais menace aussi à son identité proprement dite, du fait de l incorporation d un organe étranger. Le jeu du don consistera alors à neutraliser en quelque sorte l échange, à le dépersonnaliser. À l attention du receveur, les intermédiaires réduisent en effet l organe à un objet mécanique (le cœur n est qu une pompe, le foie qu un filtre, etc.), alors que le receveur réduit au maximum les contacts avec la famille du donneur, préférant s imaginer un lien purement symbolique (non concret, ni réel) avec le disparu. À ces conditions, le sentiment de la dette positive, qui ouvre à une identité non individualiste, pourra être atteint. Pour finir, Godbout en appelle à un modèle plus général que celui de l intérêt rationnel et celui de l intériorisation de normes pour expliquer toute action humaine. «L appât du don» essentiellement fondé sur la liberté individuelle sera ce nouveau paradigme universel. Le lecteur n a cependant pas à endosser ces

COMPTES RENDUS 192 conclusions théoriques pour saisir que l ouvrage innove véritablement et rafraîchit notre manière d aborder les divers phénomènes regroupés dans la nouvelle économie sociale. Une remarque critique s impose néanmoins car une lacune du travail d édition, perceptible surtout dans les derniers chapitres, fait que certains auteurs cités n ont pas d entrée en bibliographie, comme SYLVIA (1997), SAINT-ARNAUD (1996), WAISSMAN (1996), LE GOFF et GARRIGUES (1994), ce qui complique le repérage de ces sources. Département de sociologie, Université Laval. Sylvie LACOMBE Denise GIRARD, Mariage et classes sociales. Les Montréalais francophones entre les deux guerres, Sainte-Foy, Les Presses de l Université Laval / Les Éditions de l IQRC, 2000, 280 p. (Culture et Société.) Avec ce livre de Denise Girard, qui se place dans le cadre du programme de l Institut interuniversitaire de recherches sur les populations (IREP), nous plongeons dans une partie de l histoire du Québec qui demeure peu explorée : celle des rituels des mariages urbains dans la société franco-canadienne des années 1920-1930. Maîtrisant un langage captivant, qui mêle la narration descriptive et l analyse académique, Denise Girard nous ouvre les portes d un monde encore proche pourtant déjà oublié, dans lequel nous entrons comme des voyeurs de l histoire. Si son but, celui de «dresser un tableau complet et approfondi des rituels du mariage pour en faire ressortir les différences de classes» (p. 18) n est pas toujours atteint, étant donné les limites propres à la méthode (enquête ethnologique auprès d un groupe restreint) limites reconnues, d ailleurs, par l auteure elle-même, cet ouvrage inaugure sans doute des voies inédites pour des études et des analyses plus approfondies sur le phénomène. Prenant comme sujets les Montréalais francophones mariés dans les décennies 1920 et 1930, l auteure se propose de montrer que la diversité de ces mariages urbains est «calquée sur l organisation sociale elle-même» (p. 16) et peut donc servir de repère culturel pour l analyse des différences entre les classes sociales. Pour ce faire, elle a procédé à des entretiens semi-directifs auprès des couples ou de l un des deux mariés, afin d appréhender les rituels entourant le mariage, divisés en rencontre initiale, fréquentations, fiançailles, mariage (préparation, cérémonie, noce), voyage et nuit de noces, puis réinsertion sociale du jeune couple. Les critères du choix du couple prévoyaient que les deux conjoints soient nés à Montréal ou y soient arrivés très tôt (y ayant passé leur jeunesse), soient tous les deux d ascendance franco-canadienne et que le mariage religieux ait eu lieu sur l île de Montréal. Ces critères servaient à garantir une certaine homogénéité du groupe de telle manière que les différences observées puissent être rapportées aux classes sociales définies comme «bourgeoisie», «classe moyenne» et «ouvriers».