Organisation des soins : quels sont les apports de l'assurance?



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Transcription:

Atelier 17 Organisation des soins : quels sont les apports de l'assurance? Président : Patrick WARIN, membre du directoire de CNP Assurances Intervenants : Laurent ALEXANDRE, président de Medcost, Michel CHARTON, directeur des opérations gestion-conseil Carrés bleus, Jacques CINQUALBRE, directeur général adjoint de La Strasbourgeoise-Groupe Azur, Marcel GARNIER, directeur santé d'axa-uap. Introduction de Patrick WARIN Dans cet atelier, j'ai l'honneur d'être particulièrement bien entouré. Notre profession se dote des meilleures compétences, car, plus que jamais, elle souhaite se montrer active dans le secteur de la santé. Lorsque M. Laurent Alexandre nous aura rejoints, je serai entouré par quatre docteurs en médecine. Ces derniers contribuent éminemment à nos réflexions, à nos initiatives et à nos actions dans le domaine de la santé. M. Jacques Cinqualbre est chirurgien. Il est professeur dans une faculté de médecine spécialisée dans les greffes d'organes. M. Jacques Cinqualbre a étudié la chirurgie vasculaire et les techniques de transplantation aux Etats-Unis. Il a occupé des fonctions administratives en tant que conseiller technique de plusieurs ministres de la Santé et des Affaires sociales. Après s'être consacré à une longue mission d'étude sur le système de santé nord-américain, M. Jacques Cinqualbre a rejoint La Strasbourgeoise en tant qu'administrateur et directeur général adjoint. La Strasbourgeoise appartient au Groupe Azur depuis 1996. M. Marcel Garnier est directeur santé du groupe Axa. Il a acquis une compétence en anesthésie-réanimation et en hémodialyse rénale. Il possède des compétences spécifiques dans la réparation juridique des dommages corporels. M. Marcel Garnier a été associé à la création du Samu des Hauts-de-Seine au début des années 70. Il a ensuite rejoint UAP Assistance en tant que directeur médical. En 1989, M. Marcel Garnier est devenu directeur général adjoint d'uap Assistance. M. Michel Charton est spécialisé en réanimation médicale. Il a occupé la fonction de chef de service au sein de l'unité de réanimation polyvalente du Centre médicochirugical de la porte de Choisy, établissement pilote de la région parisienne. M. Michel 1

Charton s'est fortement impliqué dans le programme médicalisé de système d'information (PMSI), système destiné à exploiter l'information médicale. Depuis 1996, il est responsable des opérations d'une filiale de la CNP spécialisée dans la maîtrise des frais médicaux. Auparavant, il a assumé la fonction de consultant en systèmes de santé chez Bossard. M. Laurent Alexandre est le président de Medcost (société de consulting spécialisée dans le domaine de l'économie de la santé). Il est docteur en médecine. Il s'est spécialisé en pharmacologie, a obtenu un MBA à HEC et figure parmi les anciens élèves de l'ena. Il est certainement l'un des rares énarques à avoir des compétences en pharmacologie et à assumer la fonction d'attaché auprès des hôpitaux de Paris. Vous remarquerez que les assureurs ont réuni, dans votre intérêt, des personnalités éminentes. Celles-ci contribuent largement aux réflexions sur les apports de l'assurance dans le domaine de l'organisation des soins. Je vais maintenant décrire l'état d'esprit dans lequel nous interviendrons. Les conséquences de la réforme Juppé Par tradition, l'assurance complémentaire, qui complète l'assurance maladie prodiguée par la Sécurité sociale, joue un rôle peu actif dans le système de santé français. Pendant de nombreuses années, les assureurs se sont contentés de compenser le désengagement de la Sécurité sociale en offrant aux assurés des garanties de plus en plus élevées. Par conséquent, les augmentations de cotisations étaient bien acceptées par nos clients. Nous étions alors dans un contexte de croissance économique. La réforme Juppé de 1995 a considérablement modifié les règles du jeu. Désormais, les assureurs s'interrogent de manière approfondie sur leur rôle dans le domaine de l'organisation des soins. La réforme Juppé n'assigne pas de mission particulière à l'assurance complémentaire. Son objectif est plutôt macro-économique dans la mesure où elle prévoit une limitation des dépenses. Elle a mis en place un système d'incitation/sanction pour encourager les professions médicales à respecter les objectifs de dépenses de santé. Elle prévoit également un mécanisme de filière dont l'articulation centrale est le médecin généraliste référent. Sachant qu'il n'a pas été prévu que l'assurance complémentaire joue un rôle spécifique, il est indispensable que les acteurs de cette dernière s'interrogent. La part de l'assurance complémentaire (mutuelles et sociétés d'assurances) dans le financement global des dépenses de santé est minoritaire : elle ne dépasse pas 10 %. Cependant, sur certains postes de dépenses tels que les soins dentaires, l'optique ou les examens complémentaires, notre profession joue un rôle important. Ces postes de dépenses sont d'ailleurs essentiels eu égard aux objectifs de santé publique. Les stratégies offertes aux assureurs Aujourd'hui, nous menons des réflexions. En outre, un certain nombre de sociétés d'assurances ont déjà formulé des propositions. Diverses stratégies s'offrent à nous. Une stratégie de participation Le fait que les assureurs soient représentés à la Cnam leur permet d'être associés au choix des expérimentations prévues par le plan Juppé. Ces expérimentations seront 2

examinées par la commission Soubie, qui a déjà reçu des dossiers. Les assureurs pourraient donc opter pour une stratégie de participation aux efforts engagés. Ils conserveraient alors un rôle mineur dans le secteur de l'assurance maladie. Une stratégie d'accompagnement actif Les mesures conventionnelles permettent aux assureurs d'accompagner activement les dispositions prises par le gouvernement. La Mutualité française a récemment décidé d'accompagner l'option conventionnelle qui permet, grâce au système du tiers payant, la prise en charge par l'assurance complémentaire du ticket modérateur. La stratégie d'accompagnement actif a donc pour objet de proposer une offre complémentaire à celle de la Cnam. Une stratégie visant à mettre en concurrence les gestionnaires de risques Cette stratégie, plus autonome, aurait pour effet d'instaurer une compétition entre la Cnam et les assureurs. Le projet Axa revendique une telle mise en concurrence. Il a bénéficié d'une bonne image de marque grâce à un certain nombre de déclarations et à une couverture médiatique efficace. Nous ferons le point sur ce projet ultérieurement. Quelques précisions sur la nature des interventions Les intervenants feront le bilan des initiatives. M. Laurent Alexandre nous donnera son point de vue sur les atouts des assureurs en tant que gestionnaires du risque santé. Il s'inspirera d'expériences françaises ou étrangères et nous expliquera pourquoi il est légitime que les assureurs clarifient leur position au moment où le système français d'assurance maladie est amené à connaître des changements importants. Jusqu'à présent, les assureurs ne prenaient pas assez en compte la dimension de santé publique qui différencie le marché de la santé des autres secteurs économiques. Désormais, le processus de régulation repose sur des principes très clairs. Ceux-ci ont pour vocation de faire converger la volonté d'accroître la transparence de la gestion de l'assurance maladie et les objectifs de santé publique. Dans leurs discours, les intervenants devront rappeler que les assureurs doivent assumer les impératifs de santé publique s'ils souhaitent participer à la recomposition du système de santé. Ces impératifs ne concernent pas seulement le financement ou la qualité des prestations. Ils impliquent en outre une coordination entre les différents acteurs du système de santé. Intervention de Laurent ALEXANDRE La première partie de mon intervention sera consacrée à l'apport de l'assureur santé dans les systèmes de santé occidentaux actuels. Dans un premier temps, j'étudierai la situation française. En effet, le monde de l'assurance santé en France connaît des problèmes particuliers. Dans un deuxième temps, je présenterai les principaux axes d'évolution du métier d'assureur santé en me basant sur quelques comparaisons internationales. 3

La réforme hospitalière n'a pas encore abouti. Nous sommes confrontés à des incertitudes quant à l'évolution des systèmes d'information médicaux. Pourtant, ceux-ci revêtent un caractère essentiel, que ce soit pour la Sécurité sociale ou pour les assureurs complémentaires. Le processus d'informatisation des cabinets médicaux est de nouveau dans une impasse. Le système Sésame vital et le réseau Santé social sont dans une phase difficile sur le plan politique mais également sur le plan technique. Les logiques expérimentales mises en place dans le cadre des réseaux et des filières Soubie ne sont pas encore développées à grande échelle. Les responsabilités respectives de l'etat, du Parlement et de l'assurance maladie ne sont pas encore clairement établies. D'ailleurs, des phénomènes de blocage récents ont montré que le mode de fonctionnement actuel n'est pas satisfaisant. Les quatre grandes tendances L'étude du fonctionnement de l'assurance santé chez les principaux partenaires de la France fait ressortir quatre tendances fondamentales. La décentralisation des systèmes et des stratégies de soins De plus en plus, nous observons que la santé est un univers très complexe, qui peut difficilement être régi par des directives nationales et des stratégies thérapeutiques élaborées dans des bureaux. Le développement d'une stratégie optimale visant à organiser la coordination des soins en milieu rural ne saurait trouver son origine dans un bureau parisien. Ce type de stratégie permet, par exemple, d'éviter d'hospitaliser inutilement des personnes âgées. Il est nécessairement le fruit d'une collaboration entre un assureur fort et des professionnels de santé responsables au niveau local. La décentralisation des systèmes et des stratégies de soins paraît fondamentale. Malheureusement, la France n'a pas décidé de suivre cette tendance. En revanche, ses principaux partenaires internationaux ont fait le choix de la décentralisation afin d'améliorer la coordination et la prise en charge. La réforme du National Health Service (NHS) a décentralisé le système de santé britannique en créant des groupes de soins primaires. Elle a instauré une responsabilité budgétaire et technique, ce qui prouve que la prise en charge des patients se fait désormais au niveau local. Les systèmes de santé centralisés ne tiennent pas compte des spécificités, des particularités et des besoins locaux de l'offre de soins. La collaboration entre les professionnels de santé et les assureurs Les professionnels de santé participent de plus en plus à la gestion des systèmes de soins. Un assureur compétent fournit aux médecins un support technique, juridique et logistique, ce qui permet d'optimiser les stratégies de soins mises en œuvre par le personnel médical. L'explosion du savoir médical est telle qu'un médecin isolé ne peut pas prendre en charge un patient d'une manière optimale s'il ne bénéficie pas des supports techniques et logistiques adaptés. Aujourd'hui, les médecins doivent assimiler des données excessivement complexes. Les médecins doivent fortement s'impliquer. Quant aux assureurs, ils doivent être capables de fournir un support logistique performant afin d'optimiser les prises en charge. Aux Etats-Unis, les Preferred Provider Organizations (PPO) prennent de plus en 4

plus d'importance. La fusion récente des deux principales PPO a conduit à la création d'une entité qui regroupe 5 % des praticiens américains, ce qui correspond à la couverture de plusieurs millions de patients. Cette nouvelle PPO comprend également une unité de gestion pharmaceutique. Patrick WARIN : Monsieur Alexandre, pouvez-vous nous expliquer ce que sont les PPO? Laurent ALEXANDRE : Les PPO sont des organisations professionnelles de médecins qui prennent en charge une sous-population, par exemple les salariés d'une même entreprise. Elles élaborent leur propre programme d'assurance santé. Le développement de l'évaluation des stratégies d'optimisation des soins Dans le cadre du programme européen Eudranet, les agences gouvernementales de santé travaillent sur la normalisation de l'évaluation des médicaments, sur le renforcement des stratégies de pharmacovigilance et sur la dématérialisation accrue des relations entre les laboratoires pharmaceutiques et les agences. Quel est le rapport avec le monde de l'assurance? Pour que l'assureur puisse aider les professionnels de santé à optimiser les stratégies thérapeutiques et les prescriptions médicamenteuses pour une pathologie donnée, il est nécessaire de mettre en œuvre une stratégie d'évaluation et un mécanisme de normalisation compréhensibles par tous. S'il ne dispose pas d'un processus d'évaluation normalisé, l'assureur ne sera pas en mesure d'aider le professionnel de santé à choisir les médicaments les plus adaptés. Il sera alors confronté à une multitude de stratégies thérapeutiques sans pouvoir les évaluer. La normalisation des procédures d'évaluation est fondamentale dans la perspective du développement de l'assurance santé. La mise en place de programmes européens tels qu'eudranet clarifie le marché de la santé. Ces programmes, qui connaissent d'ailleurs un équivalent aux Etats-Unis, permettent à l'assureur santé de jouer son rôle d'organisateur et de coordinateur des filières de soins. Un degré d'intégration plus poussé entre la production de soins et l'assurance Désormais, les assureurs ne financeront plus aveuglément les producteurs de soins. Parallèlement, ces derniers ne pourront plus travailler sans être contrôlés par leur source de financement. Les stratégies adoptées pour organiser la production des soins et l'assurance santé varient selon les pays. Plusieurs types de stratégies peuvent être identifiés en comparant le niveau d'intervention de l'etat et le degré d'intégration verticale dans le domaine de la production des soins. Aux Etats-Unis, l'intervention de l'etat est faible alors que l'intégration verticale est très forte, notamment dans les Health Maintenance Organizations (HMO). Aux Pays-Bas et en Allemagne, la situation est intermédiaire pour chacun des deux paramètres. Au Royaume-Uni, l'intervention de l'etat et l'intégration verticale sont toutes deux très fortes. La situation de la France est quelque peu particulière : l'intervention de l'etat est forte elle a même tendance à se renforcer et l'intégration verticale est très faible. 5

L'absence d'intégration verticale, c'est-à-dire l'absence d'interface cohérente entre l'assureur et le producteur de soins, se traduit par un certain nombre d'effets secondaires que j'aborderai ultérieurement. Le système américain Ce système, souvent perçu comme un contre-modèle, comporte deux caractéristiques essentielles. En premier lieu, il optimise le coût de la production de soins. Dans les HMO, le fort degré d'intégration permet de réaliser d'importantes économies d'échelle. En second lieu, il se caractérise par un accès aux soins inéquitable. Les assurés sont donc relativement insatisfaits. Il semble que les Américains n'aient pas suffisamment cherché à concilier efficacité et solidarité. La culture française s'opposerait farouchement au développement de stratégies de soins basées sur le modèle nordaméricain. Ce modèle se distingue par une absence de solidarité macro-économique entre les différentes classes sociales et par une efficacité certaine sur le plan micro-économique. Aux Etats-Unis, les interfaces entre l'assureur et le producteur de soins sont très développées. L'expérience américaine ne signifie pas pour autant qu'il soit impossible de concilier l'efficacité et la solidarité. Quels pourraient être les principaux apports d'un assureur santé en France? Un assureur santé fort peut améliorer le fonctionnement du système de santé français selon trois axes. Une meilleure gestion du risque à un niveau décentralisé Comme le système public d'assurance santé s'organise autour de filières centralisées, il n'est pas capable de gérer le risque à un niveau décentralisé. Pourtant, les besoins et les producteurs de soins sont locaux. En outre, les caractéristiques épidémiologiques et sanitaires varient considérablement d'une région à l'autre. La réduction du nomadisme médical Les patients français ne sont pas suivis selon une filière de soins normalisée. La prise en charge est à la fois chaotique et segmentaire. Les patients reçoivent une prescription médicamenteuse à chaque fois qu'ils consultent un médecin, ce qui conduit à des interactions médicamenteuses peu souhaitables. Récemment, nous avons constaté qu'un même patient avait consulté 11 médecins en une seule après-midi. La réduction des délestages réciproques entre la médecine de ville et l'hôpital La coordination entre la médecine de ville et l'hôpital est très mauvaise en France car les enveloppes budgétaires de ces deux producteurs de soins sont totalement séparées. Nous observons un phénomène généralisé de délestage réciproque des responsabilités entre la médecine de ville et l'hôpital. L'hôpital a tout intérêt à transférer la production de soins vers la médecine de ville. Quant à cette dernière, elle se décharge des patients souffrant d'une pathologie lourde. 6

Les enveloppes budgétaires de la médecine de ville et de l'hôpital ne sont pas consolidées. De plus, les financements transversaux sont inexistants. Cela engendre des taux d'hospitalisation excessifs pour un certain nombre de pathologies. Les acteurs de la médecine ambulatoire ne sont absolument pas incités financièrement à traiter les patients difficiles. La réforme Juppé les encourage plutôt à transférer ces patients vers le secteur hospitalier. Pour une même pathologie, le taux d'hospitalisation est beaucoup plus élevé en France que dans les autres pays. La prise en charge dans notre pays est par conséquent peu efficace. Environ 50 % des personnes âgées sont définitivement incontinentes lorsqu'elles ont effectué un séjour de plus de dix jours dans un hôpital. Il faut lutter contre le transfert des responsabilités de la médecine de ville vers l'hôpital. Si les incitations économiques étaient adaptées, un certain nombre de patients hospitalisés pourraient être pris en charge par la médecine de ville. L'information circule relativement mal entre les patients et les producteurs de soins. Les malades ont des difficultés à identifier les pathologies dont ils sont atteints. Lorsqu'ils ne disposent pas d'un système performant de contrôle de gestion, les assureurs ont de grandes difficultés à comprendre l'action des praticiens. Une comparaison internationale En France, les enveloppes budgétaires des différents centres de soins sont très segmentées. Les délestages de responsabilités entre les acteurs du monde médical sont monnaie courante. En revanche, les synergies entre l'assureur santé et les producteurs de soins sont faibles. Dans les autres pays de l'ocde, on observe une collaboration plus étroite entre ces deux acteurs. Cette collaboration est favorable à la prise en charge des patients. En effet, la coordination des soins est une condition nécessaire à la mise en place d'un système de santé efficace. Patrick WARIN : Nous allons maintenant nous pencher sur les problèmes posés par l'absence de consolidation des enveloppes budgétaires accordées aux producteurs de soins. Si ce problème n'était pas résolu, la Sécurité sociale et surtout les assureurs complémentaires seraient victimes de transferts de charges. MM. Jacques Cinqualbre et Marcel Garnier présenteront la stratégie qui consiste à revendiquer la gestion de l'intégralité du financement des dépenses de santé : la gestion au premier franc. Ils estiment que cette stratégie permettrait d'assurer convenablement la coordination de l'ensemble de la chaîne médicale. M. Michel Charton présentera une autre stratégie, qui vise à constituer une structure chargée d'optimiser la gestion de l'assurance complémentaire. Cette seconde stratégie présente l'inconvénient de ne pas prendre en considération les questions de coordination. Le mode de gestion des dépenses de santé des populations frontalières est intéressant. En l'analysant, il est possible de concevoir des solutions originales. Comme en témoignera M. Jacques Cinqualbre, il est pertinent d'étudier les populations frontalières dont les dépenses de santé sont gérées par un assureur au premier franc. 7

Intervention de Jacques CINQUALBRE Une présentation de La Strasbourgeoise La Strasbourgeoise est une société dont l'activité concerne exclusivement le domaine de la santé. Dans ce cadre, elle possède une expertise en matière d'assurance au premier franc. Il ne s'agit pas, comme pour les mutuelles de la fonction publique avec le régime général, ou, à l'inverse, pour la Mutualité sociale agricole avec Groupama, d'une délégation de gestion, mais d'une authentique gestion globale du risque santé. La population concernée est représentée par des citoyens français, vivant en France, exerçant leur profession en Suisse et ne bénéficiant pas du régime obligatoire de la Sécurité sociale française. Plus de 20 000 d'entre eux sont réunis dans le Groupement des frontaliers, association dont la moitié des membres environ ont souscrit un contrat groupe auprès de La Strasbourgeoise. Nous offrons ainsi une transaction unique pour les remboursements de frais de soins et d'incapacité et prenons la responsabilité financière du poste santé pour les assurés et leur famille. Le contrat est géré paritairement avec le Groupement et nous sommes évidemment tenus à un équilibre technique. Celui-ci a été respecté sans faille depuis trente-deux ans, à la faveur d'ajustements des cotisations qui se situent à un niveau significativement inférieur à ce que serait, en termes de prestations, la somme d'un régime obligatoire et d'une complémentarité équivalente. Nous ne procédons à aucune forme de sélection au sein du Groupement et nous ne fournissons aucune indication ou recommandation vers tel ou tel prestataire ou centre de soins. D'ailleurs, nombre de nos assurés se font suivre et traiter indifféremment en France ou en Suisse. Nous avons passé une convention, entre autres, avec l'hôpital cantonal de Genève, dont on connaît l'excellente réputation. Nous prenons en charge toutes les pathologies lourdes, telles que celles nécessitant, par exemple, une greffe de moelle. Certaines peuvent, de façon non exceptionnelle, dépasser le million de francs français. Pourquoi et comment ça marche? Même si un recul de plusieurs décennies, avec une évolution jugée satisfaisante par les deux protagonistes Groupement et Strasbourgeoise permet de se forger une conviction, il convient de rester modeste et mesuré dans l'analyse de ce succès. Il serait stupide de nier l'existence d'une forme d'autosélection, non par l'assureur, mais au sein du Groupement lui-même. On y trouve une homogénéité sociologique de personnes motivées pour conserver leur emploi, raisonnables et responsables dans leur comportement. Pour preuve, l'exercice précédent s'est soldé par un excédent qui logiquement aurait dû nous conduire à une baisse des cotisations. A l'initiative du Groupement, il a été décidé de l'affecter à une opération de prévention totalement inédite : pour pallier l'absence de médecine du travail, nous avons adressé à l'ensemble des membres du Groupement un «carnet de route» visualisant, par tranche d'âge, les risques santé et les actions possibles. Nous avons offert à une catégorie définie ensemble de se rendre chez le médecin français de son choix (rémunéré par La Strasbourgeoise sur la base de deux fois le tarif conventionnel) pour une consultation d'un type nouveau, puisque non 8

motivée par un symptôme quelconque, mais avec l'objectif de s'entretenir avec un praticien de préoccupations mises en lumière par le carnet de santé, ou pour toute autre raison. Nous n'ignorons pas le risque délibérément pris de détériorer nos résultats par une augmentation consécutive de la consommation médicale (examens complémentaires). Mais nous sommes convaincus des bénéfices de l'opération, et ce non pas tant pour la détection précoce de pathologies que pour démarche pédagogique visant à rapprocher sans contrainte un individu, patient potentiel, et un médecin. Cet exemple démontre la maturité de nos interlocuteurs, dont on peut dire, sans en tirer une quelconque autosatisfaction, qu'elle est le fait d'une confiance mutuelle «construite» au fil des ans. Et, de ce point de vue, l'exception socioculturelle de ce Groupement de frontaliers est parfaitement transposable à l'intérieur de l'hexagone. Question de temps et de travail commun. Patrick WARIN : Pouvez-vous détailler le rôle de l'assureur dans la coordination des soins? Avez-vous développé des outils permettant de coordonner le recours aux diverses spécialités médicales, ce qui permettrait d'accompagner vos assurés dans leur démarche santé? Jacques CINQUALBRE : Non, nous n'avons pas conçu un tel outil, à ce jour. Nous ne pesons même pas sur le choix du lieu de consultation ou de traitement, France ou Suisse. Et pourtant, si les prix unitaires des prestations en francs sont équivalents, la parité franc français/franc suisse n'est pas neutre En revanche, l'idée d'accompagner l'assuré sur le chemin de la distribution des soins nous paraît intéressante. Plus qu'intéressante, légitime, tant pour offrir à l'assuré un meilleur service en optimisant son parcours, habituellement mal balisé, entre les différents offreurs de soins que pour en attendre une éventuelle diminution des coûts. Patrick WARIN : Le projet Axa a pour ambition de gérer l'ensemble des dépenses médicales tout en respectant les objectifs de santé publique. M. Marcel Garnier nous donnera des détails sur ce projet qui bénéficie, déjà, d'une notoriété importante. Ce projet a vu le jour grâce à l'affirmation du droit à l'expérimentation. Aujourd'hui, les pouvoirs publics semblent opposés au fait qu'un assureur puisse prendre en charge les dépenses de santé au premier franc. Les propos tenus sont quelque peu contradictoires. Un jour, nous entendons qu'axa a l'intention de retirer son projet. Le lendemain, M. Denis Kessler, directeur général d'axa, revendique le droit à la concurrence dans le domaine de l'assurance santé. Aussi semble-t-il intéressant de faire le point. En laissant de côté les discours polémiques, nous tâcherons d'étudier de manière objective les principes sur lesquels repose le projet d'axa. 9

Intervention de Marcel GARNIER Le système français d'assurance santé n'est plus adapté Je ferai le point sur le projet d'axa sans divulguer trop de détails. Ce projet, qui a été critiqué, n'a pas encore été présenté à la commission Soubie. Cela sera fait prochainement. Une nouvelle approche de la gestion des dépenses de santé a vu le jour. Nous sommes confrontés à des contraintes économiques telles que la montée du chômage, l'augmentation des dépenses de santé et du ticket modérateur. Mais nous sommes également soumis à des contraintes démographiques telles que l'allongement de l'espérance de vie. Enfin, les développements informatiques modifient profondément le métier des professionnels de santé et des assureurs. Aujourd'hui, les assureurs complémentaires remboursent des frais d'une manière que je qualifierais d'aveugle : nous ne connaissons pas les professionnels de santé ; nous ne procédons à aucune évaluation ; nous ne disposons pas des données médicales ou techniques gérées par les professionnels de santé. Ces données sont actuellement inaccessibles en raison de l'éthique médicale et pour des motifs déontologiques. Certaines données sont également protégées par la Cnil. Lorsque l'on souhaite élaborer un réseau de soins, il est indispensable de mettre en place un système d'information adapté. Or, les professionnels de santé semblent très réticents à communiquer des informations aux assureurs. Pour élaborer un réseau de soins, il sera nécessaire de limiter la liberté dont jouissent actuellement les patients. Bien que peu fréquent, le nomadisme médical a un coût important. Les patients bénéficient d'une liberté totale. D'ailleurs, le carnet de santé est rarement rempli. Il est nécessaire de coordonner la liberté d'accès aux soins et de développer l'accès à l'information. Les patients ne sont pas traités de la même manière selon le niveau d'information dont ils disposent. Le principe d'égalité des soins est inscrit dans la Constitution. Cependant, il n'est pas totalement appliqué dans la mesure où tous les résidents ne bénéficient pas de la même information sur les structures hospitalières ou sur la qualité des soins prodigués. Aujourd'hui, le système de santé français est totalement anarchique. Le développement d'un réseau de soins permettrait de coordonner l'action médicale et de mettre en place des procédures de qualification et d'évaluation. Actuellement, le risque santé n'est pas pris en charge. Notre collaboration avec les caisses primaires d'assurance maladie nous montre que la gestion du risque santé est fragmentée. Si un patient est successivement transféré de la médecine ambulatoire privée à l'hospitalisation privée, puis à l'hospitalisation publique, nous sommes incapables de chiffrer le coût total du traitement de ce patient. Les médecins comme les patients sont peu responsabilisés. Le projet d'axa Nous avons procédé à des expérimentations en Ile-de-France, en vertu des ordonnances promulguées en 1996 par le gouvernement Juppé. Nous respectons pleinement le cahier des charges défini par la Cnam. L'objectif du projet d'axa est double : il s'agit, d'une 10

part, d'améliorer la qualité des soins en coordonnant les prestations et, d'autre part, d'infléchir l'évolution des dépenses de santé. Celles-ci continuent à progresser en raison du développement de nouvelles technologies et des progrès thérapeutiques. L'expérimentation menée par Axa en Ile-de-France s'inscrit nécessairement dans le cadre d'un partenariat avec les caisses d'assurance maladie. Elle est soumise à l'autorisation et au contrôle permanent de la Sécurité sociale. Si le projet Axa reçoit l'aval de la commission Soubie, la Sécurité sociale conservera la possibilité d'y mettre fin à tout moment. Le projet Axa repose sur une gestion commune des dépenses entre l'assureur et les caisses primaires d'assurance maladie. Le financement des dépenses est assuré dans le cadre d'une enveloppe commune au régime complémentaire et au régime obligatoire. Le projet Axa respecte le principe de solidarité, car il n'instaure pas de discrimination en fonction de l'âge ou d'autres critères. Nous souhaitons gérer directement le risque santé. En d'autres termes, il est nécessaire que nous puissions orienter nos patients vers des professionnels de santé qualifiés et évalués. Comment les assureurs peuvent-ils qualifier les professionnels de santé alors qu'ils connaissent relativement mal le monde médical? Nous avons élaboré un cahier des charges avec des professionnels de santé appartenant à toutes les branches médicales. Ce cahier des charges met en exergue des normes permettant d'évaluer «la bonne pratique professionnelle». Nous avons travaillé afin d'améliorer la qualité des soins et de renforcer la coordination des actes médicaux. Pour améliorer la coordination des soins, il faut prendre un certain nombre de mesures, par exemple éviter les examens redondants, rétablir la continuité entre la médecine ambulatoire et la médecine hospitalière. Les médecins de ville reçoivent très peu d'informations sur le traitement de leurs patients en milieu hospitalier. Par conséquent, il est nécessaire de déployer des efforts en matière de communication. L'expérimentation prévoit que le risque financier soit assumé par la mutuelle Axa Santé. Pendant cinq ans, Axa prendra en charge la totalité du risque santé sur l'enveloppe que lui allouera la caisse primaire d'assurance maladie. L'expérimentation touchera environ 60 000 personnes dans les deux années à venir. Trois entités de régulation contrôlent le réseau de soins mis en œuvre par Axa : un conseil médical hospitalo-universitaire, un comité d'éthique, ayant pour objet de protéger l'éthique des professionnels de santé et des patients, et un comité des professionnels de santé du réseau. L'évaluation des pratiques professionnelles et de l'activité du réseau sera effectuée par un organisme extérieur. Quant aux professionnels de santé, ils pourront procéder à une autoévaluation du réseau. Rappelons qu'il est impossible de constituer un réseau de soins sans travailler étroitement avec les professionnels de santé. Ces derniers doivent s'organiser à l'intérieur du réseau afin de l'animer. A terme, il sera possible d'évaluer le traitement des pathologies en se fondant sur une population témoin. 11

Une nouvelle approche de l'assurance complémentaire L'intérêt d'un réseau de soins pour les assurés Nous souhaitons améliorer le degré de satisfaction des clients titulaires d'un contrat d'assurance complémentaire. Nous avons observé que nos clients étaient satisfaits de la meilleure prise en charge des dépenses de chirurgie dentaire. Or, il semble que la constitution d'un réseau de soins dans ce domaine permettrait de contrôler les coûts tout en maintenant la qualité des prestations. Nous comptons recentrer nos garanties sur le remboursement des dépenses de santé. En ce qui concerne les dépenses d'optique, nous avons constaté que les montures étaient de mieux en mieux remboursées et les verres de moins en moins bien. Nous envisageons une offre de base avec un choix limité de montures et une offre «plus» qui permettrait aux assurés de choisir des montures plus coûteuses. Il sera nécessaire de mettre en place un système d'information si l'on souhaite bâtir un réseau de soins. Axa a l'intention de réduire ses charges dans le domaine de l'assurance complémentaire tout en conquérant des parts de marché supplémentaires. Le secteur de l'assurance santé va beaucoup évoluer dans les années à venir. La valeur ajoutée dégagée par l'assureur santé sera remise en question s'il ne prend pas l'initiative d'établir des contrats avec des professionnels de santé. La constitution d'un réseau de soins médico-social Nous souhaitons orienter les assurés vers un réseau de soins médico-social. Actuellement, les médecins traitent les maux dont souffrent les patients, mais ils n'ont pas toujours accès aux informations qui leur permettraient de les orienter vers des centres de soins adaptés. Je pense notamment aux patients souffrant de dépendance ou aux personnes atteintes de la maladie d'alzheimer. Un centre d'orientation médico-social permettrait de coordonner les soins et de renforcer les actions de médecine préventive. Des mesures de prévention existent dans tous les domaines. Cependant, il est nécessaire de cibler ces mesures et de mieux informer les patients souffrant de pathologies chroniques. Des patients plus responsables et plus actifs Les professionnels de santé évalueront la formation, les systèmes d'information ainsi que les mesures prises pour assurer la sécurité des patients. La responsabilité des médecins est de plus en plus souvent mise en cause lorsqu'une intervention médicale ou chirurgicale échoue. Cette évolution me paraît tout à fait normale. Les particuliers doivent avoir accès à un certain niveau d'information. Nous devons être en mesure de qualifier et de sécuriser les informations médicales. La dispense de l'avance de frais le tiers payant est importante aux yeux des consommateurs. Toutefois, il est nécessaire d'inciter le patient à limiter ses dépenses si nous voulons éviter une forte progression des frais médicaux. En définitive, nous souhaitons que le patient bénéficie de soins au bon moment, au bon endroit et qu'il soit traité par un médecin compétent. Nous visons à limiter notre rôle d'assureur maladie pour mettre l'accent sur l'aspect préventif. Il est nécessaire pour cela de coordonner l'action de tous les acteurs du monde 12

médico-social. Le rôle de conseil des pharmaciens devra être souligné. Des informations médicales sur le réseau Internet pourront se révéler très utiles, à condition qu'elles soient fiables. En conclusion, je ferai référence à l'ouvrage de Mme Martine Aubry intitulé Il est grand temps. Elle y observe en premier lieu que tous les Français ne peuvent pas accéder aux soins. En second lieu, elle souligne que la qualité des prestations varie d'un établissement médical à l'autre. Ces constatations montrent que le système de santé français n'est pas égalitaire. Selon leur niveau d'accès à l'information, les Français sont plus ou moins bien soignés. Patrick WARIN : Cette référence à l'ouvrage de Mme Martine Aubry met l'accent sur un problème crucial. Nous estimons que les assureurs peuvent légitimement revendiquer la conduite d'expérimentations semblables à celle qui est actuellement menée par Axa. Sous couvert de beaux discours, certains responsables justifient hypocritement des gaspillages. Une meilleure transparence dans la gestion des dépenses de santé permettrait certainement de lutter contre ce type de comportement. M. Marcel Garnier a particulièrement insisté sur l'importance de l'accès à l'information. Il ne serait pas acceptable que les assureurs complémentaires et, s'ils voient le jour, les assureurs au premier franc n'aient pas accès à l'information médicale. La connaissance de certaines données est vitale pour notre profession. La confidentialité des informations devra bien évidemment faire l'objet d'un cahier des charges afin que l'information soit protégée. Quoi qu'il en soit, les assureurs doivent pouvoir accéder aux informations médicales s'ils veulent satisfaire au mieux leurs clients. Patrick WARIN : M. Michel Charton vous exposera une stratégie relativement différente de celles qui ont été présentées par les intervenants précédents. Son discours portera sur une expérience limitée à l'assurance complémentaire. Par conséquent, M. Michel Charton ne revendique pas la gestion au premier franc d'une enveloppe de dépenses. Il proposera un certain nombre d'améliorations en matière de conseil, de transparence et d'orientation. Il montrera quels axes de progrès peuvent être mis en œuvre dans le cadre des négociations avec les professionnels de santé. Intervention de Michel CHARTON Aux Etats-Unis, nous entendons le refrain suivant : «The battle is for information.» Nous vivons actuellement une étape cruciale de l'évolution de notre système de santé. Dans le cadre du système Carrés bleus, nous avons choisi de recueillir l'information à la source, c'est-à-dire chez l'adhérent, ce qui a pour effet de court-circuiter les professionnels de santé. 13

Les principes du système Carrés bleus Nous sommes très attachés à la liberté de choix. Dans l'expérimentation actuelle, il n'est pas question de proposer un système basé sur un réseau ou une filière de soins. Chaque adhérent choisit le praticien de son choix. Il peut échanger des informations avec l'assureur, qui dispose d'une base de données propre à fournir les renseignements demandés par l'assuré. L'échange d'informations se fait au moyen d'un devis. Nous avons mis en place un système de garanties innovantes sur les postes dentaire et optique. L'objectif était de nous démarquer des principes de tarification de la Sécurité sociale sur ces deux postes de dépenses, car ils nous paraissent obsolètes et soumis à des dérives potentielles. Nous respectons la confidentialité médicale ainsi que la vie privée des personnes. Les informations médicales nominatives sont traitées par des personnes d'une société de services habilitées à gérer ce type d'informations. Nous pensons que l'offre d'échange d'informations assurera le caractère bénéficiaire du système Carrés bleus. Afin de promouvoir ce système, nous avons décidé de redistribuer par avance aux adhérents une partie des bénéfices escomptés. Concrètement, les adhérents bénéficient, sur le plan individuel ou collectif, d'une amélioration des garanties pour un montant de cotisation inchangé. Le fonctionnement du système Carrés bleus Le devis est établi par des experts professionnels de gestion-conseil participant à l'opération Carrés bleus. Il s'adresse aux professionnels des domaines dentaire et optique. A l'heure actuelle, le devis ne fonctionne que sur ces deux postes de dépenses. Nous offrons des garanties innovantes qui ne reposent pas sur le système de tarification de la Sécurité sociale. Nous souhaitons renforcer le caractère éthique de la couverture sociale. Il faut savoir qu'une personne faiblement myope qui ne souffre pas d'astigmatisme peut être corrigée par des verres dont le prix s'élève à environ 300 francs. En revanche, un presbyte ne pourra pas être corrigé pour un prix inférieur à 1 200 francs. Pour renforcer le caractère éthique de la couverture sociale, nous souhaitons limiter les remboursements dont bénéficient les myopes et améliorer les garanties destinées aux presbytes. Le plafond de remboursement, qui représente un certain pourcentage du plafond mensuel de la Sécurité sociale encourage des comportements abusifs chez les opticiens. Ces professionnels ont tendance à «gonfler» le prix des verres peu onéreux. En revanche, ils ne font aucune remise sur les verres les plus chers. Nous disposons d'une plate-forme d'information téléphonique afin de traiter les questions des adhérents. Cette plate-forme gère les devis qui nous parviennent au moyen d'«enveloppes T». Les devis sont analysés par des assistants santé qui peuvent faire appel à nos experts dans les domaines dentaire et optique. Les devis doivent être conçus comme un moyen d'échange d'informations entre l'assureur et l'assuré. Ils ne correspondent en aucun cas à des ententes préalables. Les assurés peuvent nous interroger au moyen de la plate-forme téléphonique. Nos opticiens-conseil et nos dentistes-conseil traitent les cas difficiles. Ils contactent le 14

praticien de l'assuré, avec l'accord de celui-ci s'ils constatent que le devis s'éloigne trop des prix habituellement pratiqués. Le fonctionnement de Carrés bleus repose sur une base de données gérée par trois comités scientifiques : un comité scientifique dentaire, un comité médecine de ville/hôpital et un comité technique optique. Les sources de cette base de données sont multiples : organismes scientifiques, publications médicales et légales, enquêtes. Elles nous ont permis de définir une liste des prix «raisonnables» pour chaque prestation. Les enseignements de l'expérience Carrés bleus Nous expérimentons le système Carrés bleus depuis le 2 janvier 1997. Nous observons un bon taux d'acceptabilité. Nous avons réussi à convaincre des sociétés de se lancer dans une telle expérimentation. Pourtant, il était relativement difficile de présenter ce système aux commissions de prévoyance et aux comités d'entreprise. La moitié des salariés des entreprises adhérentes de Carrés bleus ont choisi de bénéficier du système. Les enquêtes de satisfaction sur la plate-forme téléphonique sont très encourageantes : selon différents critères de satisfaction, 90 % des adhérents sont satisfaits, voire très satisfaits. Nos adhérents sont très fidèles. Ils utilisent la plate-forme téléphonique. Certains ont contacté 50 fois les assistants santé en onze mois. Jusqu'à présent, les professionnels de santé se sont montrés relativement discrets. Dans l'ensemble, ils ne nous ont pas reproché de nuire à leur profession. En revanche, ils nous ont demandé si Carrés bleus avait l'intention de bâtir un réseau. Si tel était le cas, ils aimeraient pouvoir y participer. Environ 90 % des appels émis par les professionnels de santé portent sur ce souhait de participation. Les autres appels émanent de producteurs de soins reprochant à Carrés bleus d'étouffer leur profession. Un système complexe et coûteux La mise en place d'un système tel que Carrés bleus est très complexe sur le plan technique. Il faut gérer des appels et des devis dans des délais très courts. Le traitement des devis optiques est effectué en vingt-quatre heures pendant la semaine et en une heure le samedi. Nous disposons d'un savoir-faire et d'équipements téléphoniques et informatiques pour gérer la complexité technique du système. La mise en place de Carrés bleus, filiale à 100 % de la CNP, a représenté un coût élevé pour cette dernière. L'expérience n'est pas encore rentable. Avant de lancer Carrés bleus, nous avons dû former des salariés, acquérir du matériel et développer des logiciels. Pour que le système devienne rentable, il sera nécessaire d'industrialiser le processus en dépassant les 10 000 adhérents actuels. Le taux de devis s'élève à environ 2,9 % par famille et par mois (précisons qu'une famille est composée de deux personnes en moyenne). Ce pourcentage est tout à fait cohérent avec les consommations nationales de prothèses dentaires et optiques. Un nombre très limité d'adhérents n'a pas respecté la marche à suivre que nous recommandons. 15

La rentabilité économique Le système Carrés bleus ayant moins d'un an, il est un peu prématuré de dresser un bilan actuariel. Nous avons rencontré de nombreux cas semblables à celui que je vais vous présenter. Un adhérent reçoit un premier devis de son opticien. Il appelle la plate-forme. L'assistant santé de Carrés bleus lui signale que le devis ne correspond pas aux prix du marché. En fait, l'opticien préconise une qualité de verre sans utilité pour notre adhérent. Celui-ci rappelle son opticien en lui indiquant le prix et le modèle de verre suggérés par Carrés bleus. Cette opération a permis d'économiser 2 400 francs, au profit de l'assureur et de l'assuré. Dans certains cas, l'économie ne bénéficie qu'à l'assureur. Dans d'autres cas, elle ne présente un intérêt que pour l'assuré. Nous n'avons pas encore de preuves actuarielles confirmant une diminution nette du montant des sinistres remboursés. Certains de nos partenaires, et notamment les courtiers, estiment toutefois que le rapport sinistres à primes est en baisse. L'avenir de Carrés bleus Un système tel que Carrés bleus a une influence minime sur l'organisation des soins. Sa mise en place relève d'une stratégie d'apprentissage. A terme, nous avons l'intention de déployer une offre réseau. Nos acquis sont les suivants : Nous avons réussi à atteindre un bon taux d'acceptabilité ; Nous avons développé des outils de pilotage ; Nous disposons de références scientifiques ; Nous commençons à élaborer des critères de référencement dans la perspective de bâtir un réseau de soins. Lorsque nous disposerons d'un tel réseau, il sera nécessaire de prévoir des contrats individuels ou collectifs. La gestion-conseil Carrés bleus nous permet de mettre en œuvre un savoir-faire et d'accéder à l'information. Pour proposer une offre réseau, nous devrons développer des compétences dans le domaine de la contractualisation. Patrick WARIN : Pour l'instant, Carrés bleus s'intéresse uniquement aux remboursements effectués par les assurances privées en complément des remboursements de la Sécurité sociale. Toutefois, cette filiale de la CNP met en œuvre une stratégie d'apprentissage qui pourra conduire à une intégration des soins. La possibilité d'une contractualisation entre l'assureur et les professionnels de santé est un point crucial. Pour approfondir la réflexion, je redonne la parole à M. Jacques Cinqualbre. Celui-ci nous présentera les données qui vont bouleverser la gestion du système de santé en France. 16

Intervention de Jacques CINQUALBRE L'évolution du système de santé en France Diverses approches s'offrent à nous, comme celles exposées par MM. Marcel Garnier et Michel Charton. Quelle est la meilleure, la plus réaliste? Difficile à dire. Mon sentiment personnel est qu'il faudra faire preuve d'éclectisme et être imaginatif. Je doute qu'un seul et même modèle s'applique à toutes les situations. Par-delà les débats idéologiques, et en respectant le principe de solidarité qui fonde notre protection sociale, il faut faire porter les efforts sur l'aspect organisationnel. C'est moins le système de santé qu'il faut réformer, tâche ambitieuse et probablement irréaliste, que la distribution des soins, dont l'absence de coordination touche à la caricature. Quoi qu'il en soit, le paysage sanitaire français va considérablement évoluer dans un proche avenir. Cela concernera l'assuré, l'assureur et l'offreur de soins. Des assurés aujourd'hui plus exigeants et demain plus responsables Aujourd'hui, on ne désire pas seulement guérir d'une maladie déclarée. On veut l'éviter et, plus encore, se sentir en forme, bien dans sa peau. Insensiblement, grâce à une médecine devenue de plus en plus performante, on se rapproche de la définition de la santé de l'organisation mondiale de la santé : état de plénitude physique, psychologique Or la contribution de la médecine est nécessaire mais pas toujours suffisante pour atteindre cet objectif. Et le coût croît de façon exponentielle avec la technologie, pour atteindre des niveaux astronomiques. Pour les financeurs et donc pour l'individu l'heure des choix a sonné. Car, au transfert de la notion de maladie vers celle de santé s'ajoute le concept de prévoyance. L'individu attend aujourd'hui davantage qu'une prestation «thérapeutique». Il veut un service qui inclue du conseil, de l'assistance. Dans le même temps, il doit financer d'autres postes de «prévoyance», la retraite, l'éducation Les assureurs ne veulent plus financer aveuglément les producteurs de soins Les assureurs demandent aux producteurs de soins de s'organiser. En tant qu'ancien praticien, je reconnais que cette demande est difficile à satisfaire. Le monde de l'offre de soins est quelque peu manichéen. D'une part, se dresse la forteresse hospitalière, dont les cloisons internes et externes sont particulièrement difficiles à franchir. D'autre part, la médecine libérale est très peu structurée. Dans le cadre des démarches fonctionnelles ou organiques, nous pouvons envisager la constitution de réseaux de soins. Des regroupements auront lieu dans certains secteurs. Dans d'autres, nous constaterons au contraire un morcellement des activités. L'objectif est que l'exercice de la médecine libérale ne relève plus d'un processus solitaire. Le médecin pourra se reposer sur des outils techniques. Pendant longtemps, il a été jugé sur la qualité de son savoir et sur les services qu'il rendait. Aujourd'hui, nous attachons la plus grande importance aux outils technologiques dont il dispose. 17

La nécessaire coordination des financeurs et des producteurs de soins Jusqu'à présent les financeurs de soins sont restés relativement passifs. Quant aux producteurs de soins, ils revendiquent leur indépendance. Les producteurs de soins sont tout d'abord réticents face à des démarches d'achat sélectives. Cependant, le rôle de l'assureur est naturellement amené à se renforcer. Le financeur fera comprendre au producteur de soins qu'il est très compétent dans l'exercice de sa fonction mais qu'il est préférable de déléguer l'organisation des prestations. Une telle logique permettra de mettre en place un système de référent unique. Comme l'a indiqué M. Laurent Alexandre, nous ne copierons pas le modèle américain, mais nous devons concevoir une gestion coordonnée du risque. Face aux conflits d'intérêts entre le financeur et le producteur de soins, il m'a paru utile d'analyser plus finement ces fonctions. Les différents acteurs peuvent être identifiés de la manière suivante. L'individu ou l'entreprise joue le rôle du payeur. La Sécurité sociale joue le rôle du collecteur. Les transactions s'effectuent par le biais des régimes obligatoires et complémentaires. Le producteur de soins doit en quelque sorte assumer une fonction d'organisateur. Lorsqu'il traite avec son patient, le médecin gère le risque santé en établissant un climat de confiance. Nous savons que notre démarche fera surgir certaines craintes mais nous voulons demander aux médecins et aux financeurs de cogérer le risque financier. Ces deux acteurs travailleront alors dans un intérêt commun, ce qui permettra de mettre en place des schémas d'organisation. Patrick WARIN : La notion de cogestion me paraît fondamentale. M. Jacques Cinqualbre et M. Michel Charton ont insisté sur l'importance de l'interface entre le producteur de soins et le financeur. Les assureurs sont persuadés que les prochaines années vont donner naissance à un nouveau type d'opérateur dans le domaine de la santé. Celui-ci mettra en place les systèmes d'optimisation suivants : systèmes d'information, d'accréditation, de mise en contact et de contractualisation. Par conséquent, un nouveau métier va prochainement émerger, très différent de celui de l'assureur, qui se préoccupe avant tout des ratios sinistres à primes. Cependant, il est probable que les sociétés d'assurances voudront, notamment par l'intermédiaire de filiales, récolter les fruits de la création d'une nouvelle valeur ajoutée dans le domaine de l'assurance santé. Les assureurs ayant entrepris jusqu'ici peu d'actions concrètes en matière de santé, le thème de l'apprentissage a été souvent traité dans les interventions précédentes. M. Laurent Alexandre a pour mission de conclure ces interventions en nous offrant des perspectives très encourageantes. 18

Intervention de Laurent ALEXANDRE L'évolution du rôle de l'assureur sur le marché de la santé L'assureur deviendra l'avocat du patient Il est important de souligner l'apparition d'une nouvelle valeur ajoutée dans le secteur de la santé, celle de la coordination. A l'avenir, le rôle de l'assureur sera double : il devra assurer l'égalité de l'accès à l'information pour les patients et mettre en place une coordination des soins. L'assureur santé sera en quelque sorte l'avocat du patient puisqu'il aura pour mission de garantir la formation et l'information du patient. Il sera également chargé de donner un label aux producteurs de soins. La qualification des professionnels de santé est problématique dans notre pays. Personne n'a été en mesure d'empêcher deux chirurgiens schizophrènes d'exercer. Cela ne se serait pas produit si un assureur santé avait pu contrôler les producteurs de soins. Les assureurs santé peuvent donc apporter une réelle valeur ajoutée en matière de qualité. Ils peuvent aussi limiter la prescription d'actes inutiles ou redondants. Les assureurs santé devraient avoir la possibilité d'assurer une meilleure coordination des soins, ce qui leur permettrait de vérifier que les patients sont traités dans des conditions optimales. En France, plus de 15 000 personnes âgées sont internées dans des services de psychiatrie, alors qu'elles devraient être traitées dans des établissements de long séjour. Ce dysfonctionnement est dû au fait qu'il n'y a pas de ticket modérateur en psychiatrie. L'absence d'un assureur fort et d'incitations micro-économiques conduit à des traitements inadaptés : les personnes âgées mentionnées ci-dessus sont traitées au mauvais endroit et au mauvais moment. L'existence d'un assureur fort est nécessaire pour mieux contrôler, au sens noble du terme, les producteurs de soins. Deux assureurs faibles un assureur obligatoire qui ne remplit pas son rôle de gestionnaire de risques et un assureur complémentaire qui n'aurait pas les moyens d'assurer la coordination des soins ne deviendront jamais ni un acheteur vigilants ni un avocat des patients. Les assureurs sont le moteur de la réforme du système de santé français Les assureurs joueront un rôle fondamental dans l'évolution de l'assurance santé. Les programmes expérimentaux permettent d'établir un dialogue constructif entre les assureurs et les producteurs de soins. Ils donnent à ces deux acteurs la possibilité de réfléchir à la coordination des soins. Celle-ci constituera le cœur de la valeur ajoutée du métier de l'assurance santé. Les assureurs participeront au débat sur la conduite des réformes, ce qui permettra d'éviter que la réforme Juppé ne s'enlise dans une démarche bureaucratique. Au contraire, cette réforme devra favoriser la coordination, notamment en matière financière. Seuls des financements transversaux permettront de lutter contre une décharge générale des responsabilités entre les différents producteurs de soins. Les assureurs auront pour mission de renforcer les relations avec les organisations représentatives afin de redynamiser le dialogue conventionnel entre le monde de l'assurance et celui des professionnels de santé. Si ces derniers ne savent pas s'impliquer 19

dans la réorganisation de la production de soins, un système de santé bureaucratisé apparaîtra, qui s'opposera à l'émergence d'une médecine moderne et coordonnée. L'information médicale L'accès des assureurs à l'information médicale est un préalable nécessaire au développement de la coordination des soins. Aucun médecin ne possède l'intégralité de la connaissance médicale puisque celle-ci double tous les sept ans. Sans disposer d'un système d'information efficace et sans avoir accès aux technologies de type Internet/Intranet, il ne sera pas possible de coordonner efficacement les soins. Les assureurs complémentaires français doivent par conséquent participer au développement de l'information médico-économique. Bien que ce soit un sujet encore tabou, l'assureur santé devra réfléchir aux conséquences du développement de la connaissance du génome humain dans le domaine de l'assurance santé. Les progrès fantastiques effectués auront des conséquences sur l'organisation de l'assurance santé et permettront de mieux cibler le suivi médical. Nous devrons mener une réflexion sur ce sujet très sensible. Les techniques liées au génome feront évoluer le métier d'assureur car elles modifieront la notion de risque. La problématique de la sélection devra être revue. Le monde français de l'assurance santé vit actuellement une étape stratégique. Les assureurs peuvent se cantonner à un rôle de payeur en s'impliquant relativement peu dans la coordination des soins. Cela signifierait qu'ils renoncent à la valeur ajoutée médicale évoquée par M. Patrick Warin. Ils peuvent aussi devenir des payeurs vigilants, tout en se limitant à offrir des prestations d'assurance complémentaire. Il n'est pas certain que cette solution soit réaliste, sauf si l'assureur complémentaire conclut des accords avec l'assureur au premier franc. Enfin, les assureurs peuvent devenir des opérateurs médicaux à part entière tout en respectant les principes de solidarité. D'autres métiers émergeront certainement au fur et à mesure du développement des techniques liées au génome et des techniques informatiques. De nouveaux métiers peuvent naître dans le domaine de l'assurance sans que nous en ayons conscience aujourd'hui. Il y a trois ans, personne n'imaginait que la technologie Internet prendrait une telle ampleur. Patrick WARIN : L'intervention de M. Laurent Alexandre a souligné l'importance de la coordination. Seule celle-ci permettra d'adopter une démarche constructive. Les nouvelles technologies sont encore relativement peu utilisées par le monde médical. Débat De la salle : Je suis conseiller-maître à la Cour des comptes et administrateur de la Cnam. J'aimerais savoir si M. Jacques Cinqualbre a conscience d'assurer une population privilégiée en matière de risque maladie. La Strasbourgeoise assure en effet des personnes qui travaillent, c'est-à-dire des personnes en bonne santé. Ensuite, j'aimerais connaître l'opinion de M. Michel Charton sur la question suivante : si la 20