DOULEUR CHRONIQUE Traiter le mal à la racine Nous sommes tous confrontés un jour à la douleur. Pour beaucoup, elle disparaît heureusement aussi vite qu elle survient. Mais pour certains, elle devient une compagne de vie Biologiquement parlant, la douleur est un signal qui nous avertit que "quelque chose ne va pas" dans notre corps. Il est donc normal que nous soyons tous un jour confrontés à la douleur souvent passagère. Une douleur aiguë disparaît normalement dès que l on traite l origine du mal. Quand la douleur liée à une maladie ou une lésion se prolonge au-delà de la période normale de rétablissement, elle peut dégénérer en douleur chronique. Une douleur devient chronique quand elle persiste au moins trois mois; elle peut aussi durer des années, voire Une douleur chronique est une douleur qui persiste plus de trois mois, voire toute la vie NOTRE ENQUÊTE L expérience de la douleur Nous avons voulu évaluer par une enquête la façon dont les différentes dimensions de la douleur sont ressenties. Nous avons interrogé les répondants sur la prévention, la gravité et la nature de leur douleur, ses origines, son diagnostic, les traitements suivis, leur degré de satisfaction, l impact de la douleur sur leur vie et leur bien-être. Nous avons reçu 809 questionnaires complétés dont les résultats sont représentatifs de la population belge adulte en ce qui concerne l âge, le sexe, la situation géographique et le niveau de formation. 27
DOULEUR CHRONIQUE toute la vie au grand désespoir du patient. Expérience subjective Le monde médical définit la douleur comme une sensation désagréable et une expérience émotionnelle en réponse à une atteinte tissulaire réelle ou potentielle. La douleur va donc au-delà de la sensation physique pour revêtir un aspect subjectif. Personne ne ressent donc la douleur de façon identique. C est précisément parce que la douleur est un concept très vaste qu elle est difficile à cerner et qu il est donc malaisé, pour le patient, d obtenir un diagnostic et un traitement adéquat. Aiguë ou chronique, la douleur influence la vie de millions de gens. Selon une enquête, 20 % des Européens la ressentent au quotidien. La douleur chronique est plus fréquente chez les personnes âgées, les femmes, les personnes peu qualifiées et les personnes à faible revenu. Notre enquête révèle aussi des chiffres qui ne sont pas à prendre à la légère. La douleur est régulièrement ressentie par 40 % des répondants, constante pour 14 % et qualifiée de chronique pour 38 %. Une majorité d entre eux (42 %) déclare vivre avec la douleur depuis plus de dix ans. Or, une douleur persistante pèse lourdement sur le quotidien. Les patients douloureux chroniques se sentent limités dans leurs activités de tous les jours. Pour un quart des répondants, la douleur affecte leur humeur, leur capacité de travail et leur sommeil. Elle a aussi un impact psychologique : les patients douloureux chroniques sont plus exposés au risque de dépression. Une approche multidisciplinaire C est justement parce que la douleur influence largement presque tous les aspects de notre vie qu il est très important de la traiter efficacement et à temps, avant qu elle ne devienne chronique. Le traitement sera fonction de la nature des symptômes. Outre les traitements classiques (médicaments, % DE PATIENTS DONT LA DOULEUR A INFLUENCÉ LE QUOTIDIEN LA DERNIÈRE ANNÉE Selon les patients, la douleur chronique pèse sur presque tous les aspects de leur vie quotidienne. Plus d 1 Belge sur 10 souffre d une douleur constante 18 % mobilité 15 % vie sociale 26 % activités en général 24 % humeur 23 % travail 23 % sommeil 21 % joie de vivre chirurgie ), les médecins optent aussi, la plupart du temps, pour un traitement annexe comme la kinésithérapie. La douleur chronique exige souvent une approche multidisciplinaire où le patient doit être considéré dans sa globalité et où le médecin ne se limite pas à l origine physique de la douleur. Près de deux répondants sur trois La douleur et ses principaux remèdes ORIGINE DE LA DOULEUR Le Belge souffre surtout de l appareil locomoteur : près de la moitié des plaintes portent sur le squelette, les articulations et/ou les muscles. 6 % voies respiratoires 10 % système digestif 11 % divers, non spécifique 12 % autres 13 % système neurologique 48 % appareil locomoteur TRAITEMENTS LES PLUS APPLIQUÉS En fonction de sa gravité, la douleur chronique peut faire l objet d un traitement médicamenteux ou nécessiter une opération, mais les patients douloureux ont souvent recours à la kinésithérapie. 32 % 27 % médication sur prescription 25 % modification du style de vie 24 % 21 % médication sans prescription 21 % kinésithérapie activité physique/sport compresses chaudes/froides 28
Interview Dr. Sarah Van Laer Une anamnèse de qualité est le meilleur traitement Le docteur Sarah Van Laer est la seule Belge d Open Minds, groupe de travail européen composé de généralistes. Son objectif : mieux traiter les patients douloureux chroniques. Quand posez-vous le diagnostic de "douleur chronique"? Objectivement, la douleur doit être présente depuis au moins trois mois. Mais c est un concept subjectif et non mesurable, impossible à évaluer par une simple radio. Ce syndrome a des conséquences physiques, mais aussi psychologiques. La douleur ne se lit pas toujours sur le visage du patient : il faut donc être attentif à ses manifestations concrètes, par ex. les comportements d évitement ou les troubles du sommeil. Comment choisissez-vous le traitement? Essentiellement en écoutant le patient. Meilleure est l anamnèse, meilleur sera le traitement. Je ne me contente pas de localiser la douleur, je dois aussi l identifier : sourde ou aiguë, constante ou en dents de scie, irradiante ou non Le traitement est appliqué d emblée à moments fixes pas seulement pendant les "pics". Une première évaluation a lieu 2 à 3 jours plus tard. Nous travaillons par paliers : nous ne passons à la phase suivante que si la précédente ne donne pas satisfaction. Les patients se plaignent du diagnostic tardif et des traitements mal adaptés. A quoi cela est-il dû? A deux choses. D abord, les généralistes ne sont pas suffisamment formés à traiter les douleurs aiguës et chroniques. Ensuite, les médecins ne prescrivent généralement pas de traitement avant d avoir un diagnostic. C est justement à cause de cette attente de diagnostic qu un patient passe rapidement de l état de douleur aiguë à celui de douleur chronique. Après trois mois, une douleur non traitée modifie la structure de l organisme; le corps s adapte. Le patient devient plus sensible et risque de sombrer plus rapidement dans la dépression. Nous devons l éviter en traitant sans tarder la douleur aiguë. Comment réagir? Nous avons des directives et des normes pour toutes sortes de troubles, mais pas encore pour la douleur. En Belgique, il n existe pas de programme en "Traiter la douleur aiguë est le meilleur moyen de prévenir la douleur chronique" Sarah Van Laer, spécialiste du traitement de la douleur. néerlandais. Nous en avons un en français, mais il date de 1985. Une mise à jour s impose donc d urgence. Chez Open Minds, nous nous efforçons de standardiser le traitement de la douleur en Europe. Ce qui ne peut se faire sans uniformiser la législation pour que, par ex. la morphine soit disponible partout, aux mêmes conditions, pour les médecins. De plus en plus de personnes se plaignent de douleurs chroniques. Comment l expliquezvous? Il s agit selon moi d un phénomène à mettre sur le compte du stress, de plus en plus présent dans nos vies. La tension et les émotions négatives favorisent la douleur chronique. Ensuite, je pense que les médecins s en réfèrent un peu trop à la technologie pour déceler les problèmes et ne sont pas assez à l écoute du patient. On pourrait presque dire que le progrès technologique entrave le progrès dans le traitement de la douleur. 29
DOULEUR CHRONIQUE ont décrit leur douleur chronique comme une douleur sourde omniprésente, avec des "pics d intensité" occasionnels. Les douleurs dorsales (bas du dos), musculaires et articulaires sont les plus citées. 36 % des répondants ont recours à des médicaments, prescrits ou non. Viennent ensuite les traitements axés sur la revalidation et la décontraction, comme la kinésithérapie. Rien n est gratuit Soigner la douleur a un prix. En Belgique, un patient douloureux Le traitement coûte en moyenne 93 /mois au patient chronique débourse, de sa poche, en moyenne 93 /mois pour ses traitements. Sans parler du coût sociétal, à savoir les frais liés aux soins de santé et l impossibilité de travailler pour un grand nombre de ces patients. Ces coûts élevés sont aussi source de frustration pour les patients. Interrogés sur leur traitement principal, ces derniers sont surtout mécontents des frais liés aux visites chez le médecin et aux médicaments. Un tiers des patients se plaint aussi de la brève efficacité des résultats. Fait assez étonnant : ce sont les traitements alternatifs qui engendrent le plus de satisfaction. Il apparaît que des thérapies comme l acupuncture et la chiropraxie soulagent véritablement certaines douleurs. Clinique de la douleur Peu de patients douloureux chroniques se débarrassent définitivement de leur douleur. Selon les initiés, les généralistes et même les spécialistes ne sont pas assez formés à la problématique de la douleur et de ses remèdes, et Témoignage Kim V. Je suis heureuse de vivre à nouveau Kim V. avait presque 40 ans quand sa vie a basculé à cause d une douleur au dos. "J étais puéricultrice dans une crèche et j adorais mon travail. Jouer avec les enfants, les prendre dans mes bras, les suivre toute la journée... Mais un an ou deux avant mon 40e anniversaire, tout est devenu plus difficile. Mon dos me donnait du fil à retordre. J avais mal quand je me penchais. J ai dû faire appel à ma collègue pour soulever les enfants les plus lourds. Les jours où j avais moins mal, j étais tellement contente que je "forçais". Et je le payais le lendemain. J espérais que le paracétamol viendrait à bout du problème. Presque un an plus tard, la douleur était insupportable. J ai pris rendez-vous chez le médecin, qui a pensé que mon dos était soumis à de trop fortes sollicitations. Les antidouleurs étaient un emplâtre sur une jambe de bois, la douleur n a fait qu empirer. Du jour au lendemain, je me suis retrouvée coincée dans un fauteuil la journée. La nuit, la douleur me tenait éveillée. Une connaissance m a conseillé de consulter un spécialiste. Le diagnostic est tombé : je souffrais d arthrose. Je croyais que c était une maladie de vieux! J avais fait du sport de façon assez intensive dans mon enfance et mon adolescence; le problème venait sans doute de là. Il n y a pas vraiment de solution, mais la kinésithérapie et des antidouleurs bien choisis me permettent aujourd hui d accomplir certaines tâches. Je sors de chez moi, je ne dois plus refuser les invitations à cause de la douleur. Même si je fais chaque jour mes exercices et si je sens que ma mobilité s améliore, il est pour l instant hors de question de retourner à la crèche. Dommage, mais je suis déjà tellement heureuse de vivre de nouveau." 30
EN SAVOIR PLUS SUR LA DOULEUR Ligue Belge de la fibromyalgie, infos : ibfpf@hotmail.com Ligue belge contre les céphalées, tél. 065 31 29 78 Institut Belge de la Douleur www.belgianpainsociety.org Ou encore : www.madouleur.be AU-DELÀ DES MÉDICAMENTS ET DE LA CHIRURGIE CONSIDÉRER LE PATIENT DANS SA GLOBALITÉ La douleur chronique est particulièrement difficile à traiter et il est rare qu un seul remède suffise à soulager le patient. Les traitements médicaux comme les médicaments, sur prescription ou non sont donc souvent associés à d autres techniques. Certaines techniques, comme la kinésithérapie, se focalisent sur le corps dans son ensemble. Cette approche peut soulager le patient, car elle détend et renforce les muscles. Cette décontraction contribue souvent à diminuer la sensation de douleur et offre une valeur ajoutée par rapport aux traitements médicaux. C est précisément pour cette raison qu une approche multidisciplinaire est à privilégier dans le traitement de la douleur. seuls certains patients ont accès à une clinique de la douleur et à son équipe interdisciplinaire. Ces cliniques sont pourtant spécialement conçues pour soulager autant que possible la douleur chronique et améliorer la qualité de vie des patients; les conditions d accès sont toutefois très strictes. Les patients doivent être envoyés par leur médecin, et seulement lorsque leur douleur chronique a fait l objet d un traitement d au La kinésithérapie peut apporter un réel soulagement, surtout pour les douleurs musculaires. Comment soulager la douleur? EFFICACITÉ L ostéopathie et l homéopathie obtiennent le meilleur indice de satisfaction auprès des patients chroniques. 73 ostéopathie 73 homéopathie 70 chiropraxie 69 acupuncture 68 relaxation et méditation 67 phytothérapie 66 médication sans prescription 66 activité physique/sport COÛT Coût mensuel payé par le patient, de sa poche, pour son traitement. médication sans prescription 20 sport 40 médication sur prescription 49 kinésithérapie 71 thérapies non conventionnelles 71 modifier le style de vie 81 On ne prend pas rendezvous comme on veut dans une clinique de la douleur moins six mois. De plus, un patient bénéficiant d un tel suivi ne pourra plus par la suite, pendant deux ans, prétendre à un nouveau diagnostic ou à un nouveau traitement dans ce genre de centre. Il serait donc plus qu utile que les médecins soient mieux formés à la problématique de la douleur pour pouvoir traiter, à un stade plus précoce, les douleurs aiguës chez un public plus large, avant que ces douleurs ne deviennent chroniques et ne nécessitent une approche spécialisée. En attendant, beaucoup n ont d autre solution que d apprendre à vivre avec leur douleur. Peter Kupers et Daisy Van Lissum 31