La crise économique vue par les salariés français



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Transcription:

La crise économique vue par les salariés français Étude du lien entre la performance sociale et le contexte socioéconomique Baggio, S. et Sutter, P.-E. La présente étude s intéresse au lien entre cette crise et la manière dont les salariés pensent et vivent leur travail. En effet, depuis les débuts de la démarche d audit social instaurée par M@RS, le contexte socioéconomique s est nettement dégradé, le monde entier rencontrant une crise économique sans précédent. De fait, l ensemble des études menées dans dix-sept entreprises sur plus de 2500 salariés est susceptible de nous apprendre des choses intéressantes sur ce lien. On s est donc penché sur la question suivante, au regard des résultats d audits sociaux disponibles : dans quelle mesure ce contexte économique difficile affecte-t-il la performance sociale des entreprises? On tâchera d apporter des éléments de compréhension et de réponse à cette question. Méthodologie Dix-sept entreprises ayant fait l objet d un audit social entre octobre 2007 et décembre 2008, comptant 2589 salariés ont été sélectionnées pour cette étude. Plusieurs variables ont été considérées : le contexte socioéconomique (crise économique ou non) et son effet sur la performance sociale, mesurée au moyen de trois indicateurs. Mesure du contexte socioéconomique Le moment de passation de l enquête a été noté et permet de proposer une variable de contexte socio-économique, opposant les enquêtes qui se sont déroulées avant la crise économique actuelle, et celles qui se sont déroulées pendant. Les dates de passation étaient les suivantes : 1

Tableau 1 Fréquences brutes par dates de passation Date Nombre de salariés interrogés octobre 2007 556 novembre 2007 80 décembre 2007 181 janvier 2008 291 février 2008 414 mai 2008 201 juin 2008 425 juillet 2008 69 novembre 2008 238 décembre2008 134 Total général 2589 Les enquêtes dans les différentes entreprises se répartissent entre fin 2007 et fin 2008. Durant ce laps de temps, le contexte économique s est nettement dégradé. On peut regrouper ces dates de passation en plusieurs tranches que l on pourra ensuite rattacher au contexte socioéconomique du moment : Tableau 2 Fréquences brutes par années Année Nombre de salariés interrogés Fin 2007 817 Début 2008 705 Mi-2008 695 Fin 2008 372 Total général 2589 Remontons à présent dans l historique de la crise économique en France : Fin 2007, le gouvernement français prévoyait 3,5 % de croissance annuelle, afin de renforcer la confiance de tous et bien que de nombreuses voix aient jugé ces prévisions par trop optimistes. Début 2008, la crise des subprimes frappait les États-Unis, avec la crainte grandissante que cette crise ne touche également la France. Dès mars 2008, le gouvernement français revoyait d ailleurs à la baisse sa prévision de croissance. La crise financière s est étendue au monde entier durant l été 2008 et s est alors transformée en crise économique. On peut résumer les quatre moments retenus dans cette étude de la manière suivante : Tableau 3 Lien entre le moment de passation et le contexte socioéconomique Année Contexte socioéconomique Fin 2007 Contexte pré-crise Début 2008 Début de la crise économique 2

Mi-2008 Fin 2008 Contexte de crise économique Contexte de crise économique On s attend à ce que la performance sociale pâtisse de la conjoncture économique. La performance sociale a été mesurée au moyen de trois indicateurs : le climat social des entreprises, la valeur travail des salariés et leur implication. Commençons par cette dernière. Mesure de l implication des salariés L implication personnelle est entendue comme le lien entre un sujet, le salarié, et un objet, son travail (Rateau, 2004 ; Rouquette, 1997). Ce lien rend compte de la façon dont le salarié pense et vit son travail et dans quelle mesure il s implique dans ce dernier. Trois aspects permettent de mesurer l implication personnelle 1 : - l identification personnelle au travail (IP) L identification personnelle correspond à une relation de proximité du salarié à son travail, c est-à-dire le degré par lequel le premier est concerné par le second. - la valorisation de l objet travail (VO) La valorisation de l objet, ou importance de l enjeu, renvoie comme son nom l indique à l importance de l enjeu associé au travail pour le salarié. - la capacité perçue d action sur le travail (CPA) La capacité perçue d action, ou possibilité perçue d action, fait référence au contrôle que le salarié peut exercer sur son travail. Mesure du climat social des entreprises L étude du climat social retenu dans cette étude repose sur les travaux de Landier et Labbé (2005). Ces auteurs ont déterminé les principales sources de dysfonctionnement génératrices de tensions sociales, soit 32 facteurs qui constituent toutes sortes de petits problèmes, de sources d inquiétude ou de frustration qui viennent détériorer le climat social des entreprises. De manière opérationnelle, le climat social se mesure au moyen de 64 questions : deux questions pour chacun des facteurs. Les irritants sont regroupés en familles et se déclinent de la manière suivante : A Perception de la politique menée par la Direction : 1 Pour plus de précision sur le modèle de l implication personnelle, cf. l article disponible sur ce sujet sur le blog : http://blog.mars-lab.com/etudes/articlescientifiques/implictravdec08.pdf. 3

B Perception du comportement de l encadrement : C Composition sociologique de l établissement et représentation du personnel : D Perception des méthodes de management : E Perception de l avenir et des rapports de l'entreprise à son environnement : Mesure de la valeur travail des salariés Les salariés se sont vus demander la façon dont ils pensaient leur travail. Pour cela, on leur demande les quatre premiers mots leur venant à leur esprit quand ils évoquent leur travail au sein de leur entreprise. Ce procédé permet d accéder à la représentation sociale du travail des salariés 2. En outre, cette représentation permet de donner une indication sur la façon dont les salariés pensent la valeur travail. En effet, alors que certains salariés ont une représentation sociale du travail exclusivement positive (ils n emploient que des termes à connotation positive), tandis que d autres en ont une vision exclusivement négative (ils n emploient que des termes à connotation négative). Le tableau suivant donne quelques exemples de représentations sociales du travail valuées : Tableau 4 Exemples de représentations sociales du travail valuées Valence Terme 1 Terme 2 Terme 3 Terme 4 + investissement sérieux professionnalisme compétences + sérieux responsabilité honnêteté fidélité + fierté intéressant développement épanouissement + plaisir motivation engagement accomplissement démotivation insécurité de l emploi déception manque de reconnaissance contraintes morosité pression ennui difficulté manque de communication stress démotivation surcharge travail manque de reconnaissance lourdeur tâches répétitives La représentation sociale du travail permet donc dans une certaine mesure de valuer la valeur travail des salariés. Toutefois, afin de ne pas attribuer abusivement une valence positive ou négative, seuls 1170 salariés de l échantillon ont été considérés pour cette variable, les autres ayant indiqué des termes ambigus non catégorisables ou bien à la fois des termes positifs et négatifs. La répartition est la suivante : 2 Cf. article sur le blog à ce sujet : http://blog.mars-lab.com/etudes/articlescientifiques/la%20valeur%20travail.pdf. 4

Tableau 5 Fréquences brutes par valence de la valeur travail Valence Nombre de salariés Négative 335 Positive 835 Total général 1170 Hypothèses On s attend à ce que la performance sociale des entreprises soit affectée par la crise socioéconomique actuelle. Plus précisément, on pense que le contexte de crise produira une dégradation de la performance sociale des entreprises : l implication des salariés devrait chuter et la valeur travail perdre de l importance, tandis que le climat social sera dégradé, en particulier en ce qui concerne la famille E traitant de la perception de l avenir. Résultats On commencera par analyser l effet du moment de passation de l enquête sur le climat social, avant de voir son effet sur l implication personnelle des salariés et sur la valeur travail. Effet du contexte socioéconomique sur le climat social des entreprises Le graphique suivant résume l effet du contexte socioéconomique sur le climat social des entreprises : 5

Fig. 1 Effet du contexte socioéconomique sur le climat social des entreprises 3 On peut voir que contrairement aux résultats attendus, le climat social ne se dégrade pas au fil du temps, à mesure que la crise avance. Le climat social se maintient au même niveau jusqu à mi-2008, c est-à-dire dans un contexte pré-crise (fin 2007) et pendant que la crise se préparait aux États-Unis (début 2008). On peut assimiler ce phénomène à un effet de stupeur des salariés, au moment du déclenchement de la crise. On observe ensuite une forte chute mi- 2008, au moment où la crise était étendue en France. Jusque là, on pouvait s attendre à de tels résultats : on peut penser que les résultats obtenus suivent la conjoncture économique : en même temps que la crise économique se confirme et que les différentes autorités la reconnaissent comme telle et la nomment, la perception du climat social par les salariés se détériore. Il est en revanche plus surprenant de constater que le climat social des entreprises remonte fin 2008, alors que la crise économique est installée, avec déjà des conséquences importantes en terme d emploi, soit autant de sources d inquiétude pour les salariés. Il est plausible que les salariés se soient habitués à ce contexte de crise, ou qu alors ils se sentent un peu moins concernés par celle-ci du fait qu ils ont conservé leur travail et en sont donc au moins partiellement protégés. Il est également possible que d autres variables contextuelles interviennent pour faire fluctuer les résultats, notamment le fait qu il s agisse d entreprises différentes à chaque moment et non d une étude longitudinale sur les mêmes entreprises à différents moments. En effet, mi-2008, 3 Effet statistiquement significatif, F (3, 2585) = 12,65, p <.001. 6

seul moment où le climat social se dégrade nettement 4, une des entreprises avaient obtenu des résultats nettement moins favorables que ceux des autres entreprises, pour des raisons qui transcendaient le contexte socioéconomique du moment. Les résultats doivent donc être considérés avec prudence : au-delà des variables globales, comme le contexte économique du moment, les variables locales (par exemple, qualité du management de l entreprise) entrant en ligne de compte pour faire fluctuer les résultats d une entreprise à l autre. Les résultats présentent la même tendance quand on s intéresse à la famille E, qui traite de la perception de l avenir et des rapports de l entreprise avec son environnement : Fig. 2 Effet du contexte socioéconomique sur la famille E (perception de l avenir et des rapports de l entreprise avec son environnement) 5 Le résultat se révèle encore plus net sur la famille E : après une dégradation de leur perception de l avenir de l entreprise mi-2008, les salariés semblent reprendre confiance fin 2008. De manière prudente, car d autres facteurs peuvent entrer en compte pour expliquer ces résultats, on peut donc penser que les salariés ont eu une perception de l avenir détériorée au moment où la crise a éclatée franchement, puis que celle-ci s est améliorée du fait qu ils n aient pas été impactés directement par cette crise (en effet, les salariés interrogés fin 2008 avaient toujours 4 Comparaison effectuée avec un test de comparaison post-host (test HSD de Tukey). 5 Effet statistiquement significatif, F (3, 2585) = 17,30, p <.001. 7

un travail). S il est de nouveau possible que les faibles résultats d une des entreprises mi-2008 aient tiré le résultat de cette période vers le bas mi-2008, on remarque qu au-delà de cette particularité locale, le degré par lequel les salariés se sentent concernés par leur travail s améliore significativement fin 2008 : la perception de l avenir est non seulement meilleure fin 2008 par rapport à ce qu elle était mi-2008, mais également par rapport à ses niveaux de fin 2007 et de début 2008 6. Considérons à présent l effet de ce contexte socioéconomique sur l implication personnelle des salariés. Effet du contexte socioéconomique sur l implication personnelle des salariés Seule la composante d identification personnelle présente un effet statistiquement significatif, tandis que les deux autres composantes (importance du travail et contrôle perçu) ne sont pas affectée par le contexte socioéconomique : Fig. 3 Effet du contexte socioéconomique sur l identification personnelle des salariés 7 Pour rappel, l échelle varie de 1 (implication très faible) à 4 (implication très forte). On peut voir que le degré par lequel les salariés se sentaient concernés par leur travail s est étiolé avec 6 Après utilisation d un test de comparaison post-hoc (test HSD de Tukey). 7 Effet statistiquement significatif, F (3, 2585) = 4,26, p <.04. 8

la crise (mi-2008), puis remonte ensuite, alors que la crise perdure. Le seul moment où l implication est significativement moindre est en effet mi-2008 6. Les résultats sont donc similaires à ceux obtenus quant au climat social des entreprises : la performance sociale semble affectée lorsque la crise économique éclate franchement, avant de remonter ensuite, comme si les salariés reprenaient confiance de n avoir pas subi directement les effets de la crise en perdant leur travail. De nouveau, ces résultats doivent être considérés avec prudence, puisque mi-2008, une des entreprises présentait des résultats de performance sociale particulièrement faibles. Considérons à présent le dernier indicateur de la performance sociale considéré, la valeur travail des salariés. Effet du contexte socioéconomique sur la valeur travail des salariés Les deux variables étant de type qualitatif, leur lien a été étudié au moyen d un test de khi deux, qui se révèle statistiquement significatif : il existe un lien entre le contexte socioéconomique et la valence de la valeur travail des salariés 8. Le tableau suivant indique le sens de la relation entre les deux variables : Année Tableau 6 Lien entre la valence de la valeur travail et le contexte socioéconomique Tableau des écarts pondérés à l indépendance Valence de la valeur travail Négative Positive Fin 2007.21 -.09 Début 2008.00.00 Mi-2008.01.00 Fin 2008 -.64.26 Les résultats peuvent varier entre -1 et 1. Un chiffre positif indique une surreprésentation : autrement dit, le nombre de salariés de cette case est supérieur à ce qu il devrait être s il n existait pas de relation entre les deux variables. Plus ce chiffre s approche de 1, plus la surreprésentation est forte. Inversement, un chiffre négatif indique une sous-représentation : le nombre de salariés dans cette case est inférieur à ce qu il devrait être s il n existait pas de relation entre les deux variables. Plus le chiffre s approche de -1, plus la sous-représentation est forte. 8 Khi deux (ddl = 3) = 31,73, p <.001. 9

On peut ainsi voir dans le tableau 6 que la différence se situe entre le premier moment (fin 2007) et le dernier (fin 2008). Alors que les salariés ayant une valeur travail négative étaient surreprésentés fin 2007, ils sont sous-représentés fin 2008. Inversement, les salariés ayant une valeur travail positive sont sous-représentés fin 2007, mais sont surreprésentés fin 2008. Ce résultat est particulièrement intéressant, dans le sens où il est inverse aux résultats escomptés : il semble que la crise, au lieu de détourner les salariés du travail, fasse que ces derniers lui accordent une importance plus grande encore qu auparavant. Conclusion De manière générale, le contexte socioéconomique tel qu il a été considéré dans la présente étude (par le biais du moment de passation de l audit social) ne semble pas sans effet sur la performance sociale des entreprises, même son impact paraît secondaire par rapport aux variables locales liées aux entreprises sollicitées. Ainsi, au moment où la crise économique éclate franchement, mi-2008, la performance sociale des entreprises semble se dégrader : le climat social est moins bon et les salariés se sentent moins concernés par leur travail. Toutefois, on sait qu une des entreprises interrogées à ce moment présentait des résultats particulièrement faibles, pour des raisons liées en partie à des variables locales. En revanche, alors que la crise perdure, la performance sociale des entreprises se maintient au niveau antérieur, climat social et implication retrouvant leurs niveaux de performance initiaux. Le contexte socioéconomique de crise semble donc être une variable secondaire par rapport aux variables contextuelles locales : climat social et implication dépendent plus des spécificités locales de chaque entreprise que du contexte général dans lequel elles s inscrivent. Les résultats concernant la valeur travail se révèlent particulièrement intéressants : dans le contexte de crise, fin 2008, tout se passe comme si les salariés réaccordaient plus d importance au travail qu ils ne le faisaient fin 2007 : les salariés ayant une valeur travail positive sont plus nombreux fin 2008 qu ils ne l étaient fin 2007 et inversement pour les salariés ayant une valeur travail négative. On peut supposer que la crise économique a redonné du sens au travail : risquer de le perdre mène à lui accorde une place plus essentielle dans la vie et les pensées des salariés. Afin d améliorer cette étude, on pourrait envisager de répliquer l audit social dans l un des entreprises l ayant complété dans un contexte pré-crise. De cette manière, les variables locales 10

seront mieux contrôlées, même s il reste possible qu elles aient fluctué avec le temps, et on pourra comparer l effet du moment de passation «toutes choses égales par ailleurs», apportant ainsi une réponse plus probante à la question posée. Références citées Landier, H. et Labbé, D. (2005). Le management du risque social. Paris : Éditions d Organisation. Rateau, P. (2004). L approche structurale des représentations sociales : nouvelles perspectives intégratives. Habilitation à Diriger les Recherches, Université de Montpellier 3, 17 décembre 2004. Rouquette, M.-L. (1997). La chasse à l immigré. Violence, mémoire et représentations. Sprimont : Mardaga. 11