58 Table ronde : La localisation des sportifs inscrits dans les groupes cibles Ont participé à cette table ronde : Monsieur Olivier NIGGLI, Directeur juridique de l AMA Monsieur Boris SANSON, membre de la Commission des athlètes de haut niveau du CNOSF Monsieur Bruno GENEVOIS, Président de l Agence française de lutte contre le dopage Intervention de monsieur Olivier NIGGLI Stratégie de l Agence mondiale antidopage La question de la localisation a fait couler beaucoup d encre. Pourtant, les contrôles sans préavis et hors compétition sont un des meilleurs moyens de détecter et dissuader le dopage. De plus, ils permettent de repérer des substances qui ne sont détectables que dans un temps limité. Sont soumis aux exigences de localisation un nombre limité de sportifs de très haut niveau ainsi que des groupes de sportifs sélectionnés par les fédérations internationales et par les organismes nationaux antidopage. L AMA n intervient pas dans la composition de ces derniers. Dans la première version du Code, un certain nombre de manques ont été constatés, notamment le peu de reconnaissance mutuelle des contrôles manqués et le manque d harmonisation des sanctions. Un sentiment d injustice en a résulté. La deuxième version du Code a donc été rédigée dans le sens d une plus grande harmonisation. Les sportifs doivent désormais indiquer un créneau d une heure par jour entre 6 heures et 23 heures au cours duquel ils peuvent être localisés. Les parties prenantes sont arrivées à ce consensus alors que certains acteurs demandaient des régimes très durs (localisation 7 jours sur 7) et d autres des régimes beaucoup plus souples. La définition de la violation des règles et les sanctions potentielles ont par ailleurs été harmonisées. A ce jour, la grande majorité des organismes antidopage soutiennent le principe de localisation et ont mis en place des règlements avec succès. Ils estiment que l outil proposé permet des contrôles hors compétition efficaces, que le système est raisonnable et proportionné.
59 Qu il est aussi moins contraignant que le système précédent dans lequel certains organismes antidopage demandaient une localisation 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Une décision du Conseil d Etat du 24 février 2011 a d ailleurs reconnu que le système de localisation constituait une atteinte à la liberté individuelle nécessaire et proportionnée. Dans le futur, ce principe ne sera pas remis en cause. Il faudra néanmoins rediscuter de ses modalités pratiques au cours de la révision du Code. Intervention de monsieur Boris SANSON Difficultés pratiques de la localisation pour le sportif J interviens devant vous en tant que sportif de haut niveau et aussi en tant que membre de la Commission des athlètes de haut niveau. J ai personnellement subi des contrôles antidopage. Comme tous les athlètes, j aspire à un sport propre. Cependant, nous identifions un décalage entre les modalités de contrôle que les instances proposent et la réalité vécue par les sportifs. Devoir indiquer sa localisation pour un trimestre est très contraignant car nos plannings sportifs et professionnels changent sans cesse. J ai moi-même manqué deux contrôles, une fois où j étais blessé et une fois où j étais en cours de formation dans le cadre de mes études de kinésithérapie. Ces absences ne sont pas liées à un manque de volonté de ma part. L éthique, les valeurs sportives et l hygiène de vie sont fermement ancrées dans mon esprit. J ai demandé à un certain nombre d athlètes de me faire part des difficultés rencontrées. Tous témoignent de la difficulté de se projeter sur une longue période et du manque de flexibilité du système. Ils indiquent également que le fonctionnement du site Internet est trop compliqué. Certains sportifs estiment ensuite que les contrôles à domicile constituent une atteinte à la vie privée et que la confidentialité n est pas suffisamment respectée par les instances juridiques. D autres s interrogent sur les modalités d harmonisation des sanctions entre les fédérations. Ils regrettent enfin le manque de formation des pharmaciens et des athlètes eux-mêmes sur les produits interdits. Pour améliorer les modalités du contrôle, les sportifs font un certain nombre de propositions. Ils proposent par exemple la création d une application pour Smartphone permettant aux athlètes d indiquer le lieu où ils se trouvent. Ils proposent également de porter sur eux ou dans leur téléphone une puce permettant aux contrôleurs de les géolocaliser automatiquement. Un outil type i-calendrier ou agenda sur Google faciliterait également la gestion des emplois du temps.
60 Intervention de monsieur Bruno GENEVOIS La politique de l AFLD en matière de localisation Le cadre juridique des contrôles hors compétition est fixé par des textes nationaux qui reprennent les directives de l AMA, en particulier l article 2-4 du Code mondial antidopage. Le premier point repris par le règlement français concerne l entrée des sportifs dans le groupe cible. Tous les sportifs ne sont pas ciblés mais seulement les sportifs professionnels, les sportifs de haut niveau ou qui ont été sanctionnés pour méconnaissance de la législation antidopage. Le choix des sportifs ciblés est effectué par le directeur du département des contrôles de l Agence. Les sportifs peuvent faire valoir des raisons de droit ou de fait qui pourraient s opposer à leur inscription sur la liste. A l origine, l inscription n était pas limitée dans sa durée. Elle demeurait valable aussi longtemps qu il n en était pas disposé autrement la radiation du groupe cible se produisait cependant si le sportif abandonnait la compétition de haut niveau. Depuis le 14 avril 2010, l inscription est limitée à un an. Cette évolution oblige les services de l Agence à s interroger chaque année sur la situation des sportifs avant de renouveler leur inscription. Quelles sont les obligations qui découlent de cette inscription? Les sportifs doivent indiquer quinze jours avant le début de chaque trimestre leur emploi du temps quotidien détaillé couvrant une plage horaire comprise entre 6 heures et 21 heures. Ils doivent mentionner une durée de soixante minutes au cours de laquelle ils pourront faire l objet d un contrôle inopiné. Les sportifs peuvent se localiser via le logiciel ADAMS. Des changements sont bien sûr possibles. Ils peuvent être signalés sur le logiciel jusqu à la veille à 17 heures. En cas de circonstances exceptionnelles, les sportifs peuvent informer d un changement de dernière heure avant l ouverture du créneau de soixante minutes. Une difficulté est de veiller à ce que les contrôles puissent avoir lieu si le sportif se trouve à l étranger. En termes de sanctions et de voies de recours, l Agence est soucieuse d éviter une automaticité aveugle. A leur inscription sur la liste, les sportifs disposent d un délai de deux mois avant d entrer dans le système ADAMS. En cas d absence de renseignements ou d indications trop imprécises, le sportif est rappelé à ses obligations. Aucun avertissement n est donné s il régularise la situation dans les trois jours d un rappel à la loi. Par la suite, s il manque à ses obligations, un avertissement lui est adressé. Le sportif peut néanmoins faire valoir des circonstances particulières. Si trois manquements sont constatés au cours d une période de 18 mois consécutifs, le dossier est transmis à la fédération concernée en vue de l engagement d une procédure disciplinaire et d éventuelles sanctions.
61 En cas de sanction, le sportif peut déposer un recours devant le tribunal administratif ou le Conseil d Etat. Un arrêt du Conseil d Etat du 24 février 2011 a jugé sur un plan général que le mécanisme de localisation repose sur un juste équilibre entre les contraintes de la lutte contre le dopage et les libertés individuelles. De même, un arrêt du Conseil d Etat du 8 février 2012 a confirmé une décision de l Agence conduisant à la suspension d un judoka pour une durée de neuf mois. En application du Code du sport, 33 300 sportifs environ font potentiellement partie du groupe cible. En période non olympique, 500 sportifs sont effectivement inscrits dans le groupe cible de l AFLD. En année olympique, 800 sportifs supplémentaires y figurent. Dans les sports collectifs, dans les débuts du mécanisme, le capitaine de chaque équipe était inscrit sur la liste car il devait montrer l exemple. Un tirage au sort est désormais effectué pour désigner le joueur qui sera inscrit. Dans les sports individuels, l AFLD consulte les fédérations. L objectif est d éviter qu un sportif ne soit à la fois inscrit sur le groupe cible d une fédération internationale et sur celui de l AFLD. L AMA a formulé des remarques au sujet du manque de rigueur de la réglementation française sur un point particulier. Nous demandons en effet aux sportifs de fixer leur emploi du temps pour une période comprise entre 6 heures et 21 heures et non entre 6 heures et 23 heures comme le prévoit le standard international des contrôles. Or, en vertu du code du sport, aucun contrôle n est possible entre 21 heures et 6 heures, conformément au principe d inviolabilité du domicile qui est constitutionnellement garanti. L AMA nous reproche aussi le faible niveau des sanctions par rapport à la Belgique par exemple et au Tribunal Arbitral du Sport. Je comprends les reproches des sportifs dont Boris Sanson s est fait le porte-parole. Conscients du caractère rigoureux du système, nous avons cherché à éviter qu il fonctionne comme un couperet aveugle. S agissant de porter une appréciation sur le degré de contrainte du mécanisme, il ne faut pas perdre de vue que c est le sportif qui choisit le créneau qui gêne le moins sa vie familiale. Malgré ces difficultés, nous avons le sentiment que les sportifs ont intériorisé le mécanisme de localisation. Sur 500 sportifs, 100 font l objet d un premier manquement, 25 d un deuxième manquement et seulement 5 d un troisième manquement. Questions-réponses avec l amphithéâtre Jean-Jacques BACHELOT, Président du CDOS 27 Je suis attristé que nous devions employer de telles méthodes pour avoir confiance en nos athlètes. Je ne crois pas en une société qui «flique» ses sportifs. Je crois en d autres relations humaines.
62 Boris SANSON Je comprends votre sentiment mais la réalité est qu une minorité d athlètes se dopent. Nous devons comprendre que les autorités en charge de la lutte contre le dopage soient obligées de mettre en place des contrôles avec les modalités les plus efficaces possible. Patrick MAGALOFF Chaque athlète veut que son collègue et/ou adversaire soit aussi propre que lui. Jean-Pierre BOURELY Nous n attraperons pas les sportifs dopés avec des mesures minimales. Face à des protocoles antidopage de plus en plus élaborés, nous avons besoin de systèmes de contrôle au moins aussi performants et ciblés. Docteur Alain CALMAT En tant que sportif, je ne sais pas si j aurais suivi tout ce système. Cependant, la sophistication du dopage rend les possibilités de contrôles inopinés indispensables. Les athlètes sont bien conscients de cette nécessité et font, comme l a expliqué Boris Sanson, des propositions pour faciliter le système. Tout sportif de haut niveau vit des contraintes mais aussi de grandes joies. Il faut trouver un équilibre entre ces deux dimensions. Olivier NIGGLI L éducation et les valeurs sont très importantes mais, dans la réalité, elles ne suffisent pas à lutter contre le dopage. Docteur Abosede olugboyinwa AJAYI, coordinateur du réseau EADIn de Londres Reconnu coupable de dopage, Dwain Chambers a été sanctionné par une suspension de deux ans par le CIO et par une suspension à vie par le Comité olympique britannique. Que pensez-vous de cette situation? Olivier NIGGLI Je ne peux me prononcer sur une affaire en cours. La question est de savoir si les règles de sélection d un organisateur d événements tel que le CIO ou d un sélectionneur national constituent une sanction supplémentaire non compatible avec le Code mondial antidopage.