Freshwater Contamination (Proceedings of Rabat Symposium S4, April-May 1997). IAHS Publ. no. 243, 1997 333 Simulation de la pollution diffuse dans des bassins versants agricoles ADILSON PINHEIRO Universidade Regional de Blumenau, rua Antonio da Veiga, 140, Caixa Postal 1507, 89010-971, Blumenau, Santa Catarina, Brésil BERNARD CAUSSADE INPT, ENSEEIHT, Institut de Mécanique des Fluides de Toulouse, UMR CNRS-INPT-UPS 5502, avenue du Professeur Camille Soula, F-31400, Toulouse, France Résumé Nous présentons, dans ce travail, des simulations de la pollution diffuse agricole réalisées à l'aide du modèle POLA. C'est un modèle de simulation à l'échelle du bassin versant, déterministe, conceptuel et distribué, de la production et du transfert de polluants. Il est organisé sur la base d'un modèle hydrologique conceptuel distribué, auquel sont couplés les sous-modèles de l'érosion des sols, du transfert et des transformations des nutriments (nitrates et phosphore) et des produits phytosanitaires (pesticides). Les simulations ont été faites sur des bassins versants agricoles de caractéristiques différentes, situés dans le sud-ouest de la France. Le modèle fournit l'évolution des concentrations et/ou des flux journaliers en différents points du bassin ainsi que les bilans annuels et les distributions spatiotemporelles des produits dans le sol. INTRODUCTION L'impact néfaste de la pollution d'origine agricole sur la qualité des eaux n'est plus à démontrer. C'est une réalité qu'il faut aujourd'hui tenter de comprendre, en vue de mieux la maîtriser. Parmi les polluants agricoles, on trouve les matières en suspension dans le cours d'eau, issues de l'érosion de particules du sol et du transfert de l'eau, ainsi que les nutriments, surtout les produits azotés et phosphatés, et les produits phytosanitaires. La compréhension de l'évolution des milieux concernés, en vue d'aider à une meilleure gestion de la qualité des eaux, s'appuie largement aujourd'hui sur la modélisation mathématique. Elle est basée sur l'écriture des équations de transfert et de transformations des substances chimiques dans le sol. Dans ce travail, nous présentons des simulations de la pollution diffuse au moyen d'un modèle conceptuel distribué POLA (Pinheiro, 1995) à l'échelle du bassin versant à dominante agricole. STRUCTURE DU MODELE Le modèle POLA est composé de trois modules: le premier module concerne la simulation du cycle de l'eau dans le bassin versant. Ce module est basé sur le modèle hydrologique conceptuel distribué CEQUEAU (Morin & Paquet, 1995). Le deuxième module calcule la production des sédiments issus de l'érosion des
334 Adilson Pinheiro & Bernard Caussade particules de sol. Enfin, le troisième module porte sur les processus des transformations biochimiques et du transfert des substances chimiques concernées sous forme dissoute et/ou particulaire. Au plan conceptuel, l'organisation du modèle est hiérarchique; ainsi, le modèle hydrologique génère les variables de forçage pour le modèle d'érosion et ces deux modules génèrent de façon simultanée les variables de forçage pour le module chimie: nitrates, phosphore et produits phytosanitaires. Du point de vue hydrologique, le bassin versant est découpé en carreaux entiers et partiels (Fig. 1(a)). Ce découpage est imposé par le modèle hydrologique. La prise en compte des pratiques agricoles est faite par la discrétisation du carreau partiel en fonction des différentes cultures présentes, ce qui permet de tenir compte de l'activité agricole de type polyculture (Fig. 1(b)). En ce qui concerne le profil du sol, il est représenté par quatre couches: la couche de surface, la couche racinaire, la couche de la zone non saturée et la couche de la nappe. Le modèle assure la liaison des flux générés par le modèle hydrologique et par le modèle d'érosion avec le modèle de transfert des molécules concernées. Dans le carreau partiel, on considère que le comportement hydrologique pour chaque culture est similaire à celui du carreau entier. Ce carreau partiel est partagé en ne (nombre de cultures) segments parallèles dont les surfaces sont proportionnelles aux types de cultures. De plus, on considère que le carreau partiel est bien drainé et que les eaux ne se mélangent qu'à l'exutoire du carreau partiel (Caussade & Prat, 1990). Dans ce cas, le flux de molécules est calculé, pour chaque type de culture indexé j, par la relation suivante: ^(É^kla+frefrlrô*)-^- (1) V,=i / >cp Le flux total relatif à chaque carreau partiel <f> cp est obtenu par sommation de la relation précédente suivant le nombre de cultures: m où 0j est le flux journalier issu de la culture y, (f> cp est le flux journalier produit par le carreau partiel cp, [cj est la concentration de molécules dans la phase liquide pour la YYY wsmmmmsm Limite du bassin versant - - Culture î» '" Rivières Ligne de subdivision des sous bassins > Sens de l'écoulement 1 Station météorologique Station hydrométrique Fig. 1 Découpage du bassin versant en carreaux entiers et carreaux partiels (a) et sous-découpage en types de cultures (b).
Simulation de la pollution diffuse dans des bassins versants agricoles 335 couche de sol i, [s,] est la concentration de molécules dans la phase solide pour la couche de sol i, Q t est l'écoulement d'eau relatif à la couche i, Qs est la production des sédiments à la surface du sol, y est la densité du sol, 5, est la surface occupée par la culture j, S cp est la surface du carreau partiel cp et fr; et fre sont des paramètres de l'équation de transport dont il faut assurer le calage. LE MODELE D'EROSION Le phénomène d'érosion hydrique des sols agricoles est la conséquence de deux mécanismes essentiels et simultanés. Il se produit, d'une part, par l'arrachement de particules du sol par l'énergie cinétique des gouttes de pluie et, d'autre part, par le rabotage de la surface du sol par le ruissellement; le cisaillement interfacial ainsi produit favorise le détachement des particules et leur transport. Les particules détachées par les gouttes de pluie sont disponibles pour être entraînées par le ruissellement. Tous ces sédiments sont entraînés vers le système hydrographique qui assure leur exportation vers l'aval. Le modèle d'érosion représente donc ces mécanismes en prenant en compte les paramètres qui sont responsables de la production ou de l'atténuation du phénomène. Pour cela, on s'appuie sur une approche du type à réservoirs fictifs proposée par Negev (1967), semblable à celle utilisée par les modèles hydrologiques conceptuels. On considère que le sol est constitué de deux réservoirs: le sol lui-même qui est le siège des deux mécanismes d'érosion, et le réservoir de sédiments qui est alimenté uniquement avec les particules de sol arrachées par la pluie. Ainsi, le ruissellement peut, de façon indépendante, participer au transport des particules contenues dans les deux réservoirs. A ces principes de base, on associe une série de relations traduisant la physique du phénomène (Pinheiro et al., 1995). LE MODELE DE TRANSFORMATIONS ET DE TRANSFERT DE NUTRIMENTS Les substances chimiques comme l'azote et le phosphore (principaux nutriments pour les végétaux) sont présentes dans le sol sous des formes inorganique et organique. Les cycles biochimiques de ces substances sont constitués des différentes transformations d'une forme vers une autre. Dans la modélisation, on cherche à bien représenter ces transformations ainsi que le transfert de masse dans le sol produit par le transfert d'eau et le transfert des particules de sol érodées. Les schémas représentant les cycles biochimiques de l'azote et du phosphore sont classiques (Pinheiro, 1995) et les cinétiques de transformations biochimiques sont décrites par des lois de vitesse du premier ordre, du type -dc/ât = k r c, où c est la concentration du soluté et k r est la constante de vitesse de référence pour la température de 35 C C et la teneur en eau égale à la capacité au champ. De ce fait, on fait la correction de la constante de vitesse en fonction de la température et de l'humidité du sol (Prat, 1982). En ce qui concerne l'absorption par les plantes des ions en solution, elle a lieu dans la couche racinaire et est décrite par une équation du type Michaëlis-Menten.
336 Adilson Pinheiro & Bernard Caussade Dans ce cas le taux d'absorption maximal pour la concentration optimale du soluté est donné en fonction de la fraction de la période de croissance de la plante considérée (Watts & Hanks, 1978). Pour le phosphore les transferts se font sous forme dissoute et particulaire, dans la couche de surface. Par contre, pour les nitrates, les transferts ont lieu sur tout le profil sous la forme dissoute. LE MODELE DE TRANSFERT DES PESTICIDES Les principaux facteurs influençant le transfert des molécules pesticides dans le sol sont: la solubilité dans l'eau, la capacité d'adsorption sur les différents constituants du sol, la stabilité chimique de la molécule, les caractéristiques du milieu poreux comme le régime hydrodynamique, les caractéristiques physico-chimiques du sol, la perméabilité et la stabilité structurale du sol. Ainsi, le modèle de transfert de pesticides, à l'échelle du bassin versant, est bâti en prenant en compte l'équation de transport des solutés dans le sol, les phénomènes d'adsorption-désorption et de dégradation des molécules pesticides. L'équation de conservation de masse permet de calculer la concentration dans la phase liquide par: c, +1 = c, exp 'At (3) Fig. 2 Localisation des sites.
Simulation de la pollution diffuse dans des bassins versants agricoles 337 800 01/01/1992 01/04/1992 01/07/1992 Temps (j) 30/09/1992 31/12/1992 01/01/86 02/04/86 02/07/86 Temps (j) 01/10/86 01/01/87 01/11/91 01/01/92 02/03/92 02/05/92 02/07/92 01/09/92 01/11/92 01/01/93 Temps (j) 01/01/1994 02/04/1994 02/07/1994 Temps (j) 01/10/1994 31/12/1994 Fig. 3 Concentrations journalières mesurées (points) et simulées (traits) sur les différents sites. avec (j)=0 e + 0 s (4) (5)
338 Adilson Pinheiro & Bernard Caussade où 0 e est le transfert de masse par l'eau, 0 S est le terme source ou puits produit par les transformations biochimiques, k p est le coefficient de partage entre la concentration de la phase liquide (c) et la phase solide (s) donné par une isotherme d'équilibre instantanée du type linéaire donnée par s = k p c, w est la teneur en eau, e s est l'épaisseur de la couche du sol, ^est la densité du sol et rj est la porosité du sol. Le modèle tient compte de la formation des metabolites à partir de la transformation des molécules mères atrazine et simazine (Pinheiro et al. 1996). La dégradation biotique de l'atrazine entraîne la formation de DE A et de DIA. La simazine se dégrade par la voie biotique seulement en dé-éthyl simazine (DES) qui est la même molécule que DIA. De la même manière, l'atrazine et la simazine se dégradent par hydrolyse chimique vers les dérivés hydroxy lés. Il en est de même pour les dérivés de la dégradation biotique, DE A et DIA. RESULTATS ET DISCUSSIONS Les applications du modèle ont été faites sur des bassins versants agricoles, de caractéristiques différentes, comme la taille, la géomorphologie et les pratiques agricoles, situés dans le sud-ouest de la France (Fig. 2). Ce sont le champ expérimental de Poucharramet (quatre parcelles drainées d'environ 1.1 ha chacune), le bassin représentatif et expérimental du Ruiné (547 ha) et d'auradé (328 ha) et les bassins versants de la Save (1130 km 2 ) et de la Charente (4140 km 2, partie en amont d ' Angoulême/Fleurac). Le modèle fournit plusieurs types de résultats, de l'échelle de temps journalière à l'échelle de temps de plusieurs années, en termes de concentrations ou de flux. On c 41 S E en *^ fe JU o 0-25- 15-10- 5- mmi 0- BVREdu Ruiné (547 ha) 1991 1992 Années r I 1993. 4 Flux annuels mesurés (noirs) et simulés (blancs) sur les différents sites
Simulation de la pollution diffuse dans des bassins versants agricoles 339 1 II M tu X S S 1.0 Simulé à Lombez D Simulé à Oenade BV de la Save (1 130 km2) 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 Années Fig. 5 Flux annuels simulés sur le bassin de la Save à Lombez (440 km 2 ) et à Grenade (1130 km 2 ). obtient également des informations sur la distribution spatio-temporelle des concentrations des éléments polluants dans le sol. Sur les figures 3 à 5 sont présentés les résultats issus des applications sur ces différents sites. Ces résultats montrent que le modèle parvient à reproduire de façon très acceptable la tendance des valeurs observées, aussi bien pour l'échelle journalière que pour les flux annuels. Ainsi, on constate que le modèle POLA peut contribuer à la solution de certains problèmes posés aux gestionnaires de la qualité de l'eau, comme la prévision des flux annuels et l'évaluation de scénarios. En outre, les résultats montrent que sur les grands bassins, où la fréquence de mesure est faible, le modèle parvient à bien suivre la tendance des valeurs observées. Ceci pourrait laisser supposer que le modèle serait "capable" de générer des séries chronologiques; mais, l'analyse des valeurs des paramètres met en évidence la difficulté de "transportabilité" du modèle d'un bassin à un autre, ou d'un sous-bassin à son bassin principal. CONCLUSIONS Dans ce travail, nous avons présenté un outil d'aide à la gestion de la pollution par les produits phytosanitaires, appelé modèle POLA. L'application de ce modèle a été faite sur des bassins de caractéristiques différentes, comme la taille qui varie entre 4.6 ha et 4140 km 2. A l'échelle de temps journalière, le modèle fournit des informations acceptables sur les tendances, par contre à l'échelle de temps annuelle, les flux sont bien simulés. A l'heure actuelle, le modèle n'est pas capable de répondre à tous les problèmes posés aux gestionnaires de la qualité de l'eau. Toutefois, il peut fournir des éléments de réponse à certains problèmes, comme la prévision de flux annuels et l'évaluation de scénarios de gestion. Remerciements Nous remercions le Conseil Régional Midi-Pyrénées pour son soutien financier; l'institut National de Recherche Scientifique de l'université du Québec (INRS-Eau) pour l'autorisation d'utiliser le Modèle CEQUEAU; l'agence de l'eau Adour-Garonne pour certaines bases de données.
340 Adilson Pinheiro & Bernard Caussade REFERENCES Caussade, B. & Prat, M. (1990) Transport modelling in watersheds. Ecol. Modelling. 52, 135-179. Morin, G. & Paquet, P. (1995) Le modèle de simulation de quantité et de qualité CEQUEAU, guide de l'utilisateur, version 1.0(3 windows. INRS-Eau, Rapport de recherche no. 435, Québec. Negev, M. A. (1967) Sediment model on a digital computer. Tech. Report no. 76, Dept Civil Engineering, Stanford Univ., Stanford, California, USA. Pinheiro, A. (1995) Un outil d'aide à la gestion de la pollution agricole: le modèle POLA. Thèse de doctorat de l'institut National Polytechnique de Toulouse, 344 p. Pinheiro, A., Caussade, B. & Ayphassorho, H. (1995) Simulation of soil erosion by water at the watershed level. In: Water Pollution III: Modelling, Measuring and Prediction (ed. by L. C. Wrobel & P. Latinopoulos), 373-379. Computational Mechanics Publications, Southampton. Pinheiro, A., Koreta, R., Caussade, B. & Dubernet, J. F. (1996) Mise au point d'un outil d'aide à la gestion de la pollution par les produits phytosanitaires: exemple du modèle POLA, in. Proc. Processus de transfert des produits phytosanitaires et modélisation dans les bassins versants, Cemagref, Nancy, France (in presse). Prat, M. (1982) Simulation numérique du transport de produits réactifs dans les sols: cas de l'azote dans les relations bassin-versant rivière. Thèse de docteur-ingénieur de l'institut National de Polytechnique de Toulouse, 330 p. Watts, D. G. & Kanks, R. J. (1978) A soil water nitrogen model for irrigate corn on sandy soil. Soil Sci. Soc. Am. J. 42, 492-499.