Le Socrate de F. Roustang François Roustang, Le secret de Socrate pour changer la vie. Odile Jacob, 2009, 237p. Impossible Socrate Il est tellement décalé par rapport à nos usages, tellement étranger à notre société de la connaissance, à nos savoirs hypertrophiés. Dans une de nos lettres 1, nous évoquions Platon et sa recherche de l'absolu, de l'un, de la Vérité et les possibles dérives d'un savoir hypertrophié. Socrate, il n'a rien écrit, nous le percevons, imparfaitement, à travers Platon, au moins dans les premiers textes 2 ; à travers Xénophon qui a voulu en donner une image plus lisse, de professeur; un peu mieux à travers Aristote, plus exigeant, sévère ; à travers le témoignage d'alcibiade, dans le Banquet. Pour F. Roustang, c'est le témoignage le plus vrai car il exprime une sorte de rancœur : «il aurait plaisir à ne plus le voir dans ce monde» (11). Et il en donne la raison. Impossible de demeurer en présence de Socrate... sans être contraint de changer de vie, de changer ses habitudes de penser et d'agir (14). Socrate nous dit : «ne te réfugie pas dans tes petits ou grands savoirs tout faits, petites béquilles, dans tes 'mégabits' informationnels. Découvre plutôt ton non-savoir et sous celui-ci, la «vertu qui est en toi et qui est ton savoir fondamental». Le Socrate d'aristote Socrate posait des questions et ne faisait pas de réponse. Il confessait en effet ne rien savoir(23). Il se maintenait dans l'interrogation(24), dans l'absence ce certitude(24). Aristote affirme à plusieurs reprises son complet désaccord avec Socrate concernant l'identité de la science (episteme) et de la vertu (arete) 3. «Des vertus en effet, il faisait des sciences...toutes les vertus, il croyait qu'elles étaient des sciences, en sorte que connaître la justice, c'était en même temps pour lui, être juste». C'est là, aux yeux d'aristote, chose impossible. Socrate croyait en la droiture foncière de la volonté. Elle nous porte naturellement vers le bien ; si elle choisit le mal, cela ne peut être que par ignorance (35). Ces affirmations étranges ou excentriques de Socrate ne sont pas des thèses à défendre par des arguments logiques, ce sont des positions dans l'existence 4 (41). Vivre selon la justice La justice, c'est tout Socrate. C'est son vêtement ou même sa peau. C'est sa singularité(68). Qu'est-ce que la justice? Ou : «comment la justice?». Selon Polémarque 5, un interlocuteur, c'est : «rendre du bien aux amis et du mal aux ennemis»(45).il est enfermé dans des croyances qui lui viennent d'ailleurs, de son entourage 1 Voir notre lettre n 31. 2 Platon a progressivement dépouillé Socrate de son caractère propre (8). Il était inévitable que Platon, à tout le moins, prenne ses distances à l'égard de Socrate(9). 3 Pour nous, gens du XXI ème siècle, la science a bien des usages, bons et mauvais. La position de Socrate («la science est vertu») nous heurte aussi. 4 Aristote remarque encore ceci. Socrate ne sépare pas le sensible des idées, le savoir et la vertu, le pathos de l'éthos, l irrationnel et le rationnel(54). Il ne peut recourir à l'abstraction et au concept(64). 5 1er livre de «la République».
athénien (47). Et d'avouer : «je n'ai d'autres repères que ceux-là». Socrate n'est pas d'accord. «Estce le fait d'un homme juste que de nuire à quelque humain que ce soit?». Son argumentation?(49). L'humain doit remplir sa qualité propre, être ce qu'il est. En ce qui concerne la justice, elle n'a pas d'opposé, pas plus que le chien ou le cheval. Il n' y a pas d'injustice parce qu'il n' y a pas de «pas chien» et pas de «pas cheval». Il n' y a pas de «pas humain» c'est -à-dire pas d'injuste. L'injustice est une espèce qui n'existe pas (51). Trouvez-moi, dit Socrate, un non-chien et par-dessus le marché, un non-cheval. J'accepterai alors qu'il y ait de l'injustice (51). Là où un être humain est un être humain, il n' y a plus à choisir(57). Vous êtes des êtres humains, vous avez l'anthropeia arete, la qualité humaine, la vertu propre de l'homme(58). Tout est dit, il vous reste à en jouer. Il n'y a pas de justice comme un substantif, seulement, ce qui est juste, un attribut (64). A toute question dans l'existence, la réponse est donnée par avance. Il suffit de laisser s'exprimer cette qualité ou cette excellence, cette vertu propre cachée dans le fait d'être humain(65) 6. Vivre selon la sagesse? La question du Charmide. Pour Socrate, la question de la sagesse est pleine de pièges. Il faut s'en méfier, se demander si elle est solide(68). Mais venons-en à Charmide. Il souffre d'un mal de tête et Socrate connaît le remède. C'est, dit Socrate, une certaine plante à laquelle s'ajoute une incantation. L'incantation jointe au remède le rendait souverain mais sans elle, elle n'opérait pas» 7, 8 (69). L'interprétation? Les incantations, ce sont les discours qui contiennent de belles pensées ; ces discours font naître dans l' âme la sagesse (71). Quelle sagesse? Reconnaître son ignorance. «voici de quoi je m'émerveille : c'est que à ton sens, les gens qui ont de la sagesse puissent ignorer qu'ils ont de la sagesse(78). Les médecins ne savent pas nécessairement «quand un remède est utile et quand il ne l'est pas. «par conséquent, si je ne me trompe, quand il guérit son malade, il agit sagement et il est sage mais sans savoir qu'il l'est». La sagesse n'est donc pas un savoir qui serait distinct et viendrait ajouter aux savoirs particuliers mais seulement la force et l'intelligence de la justice. Pas un bien que l'on pourrait isoler et définir mais seulement la puissance du bien agir. Une constante chez Socrate, c'est le recours à un disque inusable (105), c'est à dire aux praticiens de l'art, médecins, architectes, musiciens qui combinent deux choses, l'ignorance de leur sagesse et l'efficacité de leur art. Socrate et les dieux. Y croit-il? C'est évidemment, une question importante. Car Socrate fait face, à la fin de sa vie à un procès d'impiété intenté par Meletos, «un sale petit cafard» (96). Plus généralement, quelle est la pensée de Socrate au sujet des dieux et de la piété. De quoi Socrate 6 «C'est injuste»! Dans mes termes à moi (pas seulement): je me souviens de G. Fourez, il y a longtemps, parlant d'enfants vivant sur une montagne de déchets : c'est injuste! Ce que je veux dire (comme Socrate?), c'est que le sentiment de l'injustice est «naturel», ne doit pas se «justifier» ni s'expliquer. Voilà, je peux seulement le constater, je n' y peux rien! Sentiment, conviction qui sont seulement un ressort, un cri de notre commune humanité. De P. Ricoeur. «Or,le sens de l'injustice n'est pas seulement plus poignant, mais plus perspicace que le sens de la justice...»(lectures 1, p.177) cité par O. Abel, Paul Ricoeur, La promesse et le règle, Micha1996,lp.79. 7 Suite à la réfutation, ou à l'incantation. L'une et l'autre sont apparentées et sont de la main de Socrate, de Socrate le sorcier qui récite l'incantation, de Socrate, la raie torpille qui engourdit l'interlocuteur. 8 Voir M.Singleton,lettre 33.Les médicaments ancestraux. Ils ne valent rien sans l'aval des ancêtres. «Ce sont eux qui donnent la force de guérir aux plantes».le médicament (dans le cas d'une agalaxie soignée par une poudre blanche, sève séchée d hévéa) apparaît comme le «sacrement» des ancêtres.il est signe efficace de leur présence et de leur action.
fait-il douter?(98). Les dieux? Curieusement, ils se querellent pour les mêmes raisons que les hommes. Plus encore ; le même fait d'injustice plaît à certains dieux et déplaît à d'autres(100). On ne peut se fier à eux pour savoir ce qui est juste et ce qui ne l'est pas (108). Définir la piété par «ce qui est cher aux dieux» n' a pas de sens. La piété existe indépendamment de l'amour que les dieux lui portent. Socrate croit-il aux dieux? Il ne dira jamais qu'il ne croit pas aux dieux mais il ne dira pas davantage qu'il y croit. Ce qui l'intéresse, ce n'est pas tant la piété que la justice: bien faire son métier d'homme (110). De l'impossibilité de ne pas agir justement (118). On apprend la justice comme l'architecte apprend l'architecture, le médecin la médecine, le musicien la musique (117). La justice est un art et pour cette raison, il est impossible de ne pas agir justement. Dans l'art, on est ce que l'on pratique : «l'homme de l'art est ce que la connaissance en fait»(119). L'art est important en ce qu'il réalise l'unité du savoir et de l'effectuation. Ce qui est connu est accompli. Il n' y a pas de différence entre le savoir et la vertu. Si l'on sait, si on est dans le monde de la justesse 9 (122), on est vertueux et on agit bien, on est au-delà de la morale, du bien et du mal. L'injustice, c'est ne pas avoir de lien avec la réalité, ne pas savoir ce que sont les choses(120). Ce que Socrate se contente de dire(126), c'est que pour diriger convenablement sa vie, il n'est pas nécessaire de faire appel à un bien qui serait supérieur ou distinct de son propre métier, qu'il suffit de le pratiquer selon les impératifs qu'il implique. Le sage n'a d' autre consistance que celle qui lui est dévolue par le potier (126). Il faut bien faire, il suffit de bien faire, son métier d'homme. Si on fait bien son métier d'homme, on est vertueux et la vertu ne s'enseigne pas! Métier d'homme que l'on a toujours pratiqué depuis la naissance et que l'on n' a pas à apprendre. La vertu ne s'enseigne pas. Dans le Protagoras, on rencontre un sophiste. Qu'est-ce qu'un sophiste? Habile à parler mais comme un négociant ou un boutiquier qui débite des denrées dont l'âme se nourrit mais dont on ne peut vérifier la qualité. Un peu comme la rhétorique dont on parlait dans le Gorgias et qui était comparée à des recettes de cuisine. Protagoras face à un jeune homme qui cherche sa voie détaille son objectif : «le bon conseil : comment administrer les affaires de sa maison à lui et pour celles de l État, comment avoir plus de puissance par l'action et la parole «(129). Mais Socrate d'objecter : «je ne croyais pas que cela puisse s'enseigner. En effet, elle ne relève pas d'un art, d'un métier» (129). On va consulter un architecte si on veut construire une maison, l'architecture, cela s apprend, s'enseigne. Mais s'il s'agit d'affaires qui intéressent l'administration de l État, tous peuvent se lever et donner un conseil, un charpentier, un forgeron,... un riche, un pauvre, un noble ou un manant. Socrate distingue ce qui peut s'enseigner (et relève d'un maître) et la vertu d'humanité (vertu du bon citoyen) qui est rencontre de hasard (130). On n' a pas d'effort à faire pour être humain. On l'est un point c'est tout (137). Ce n'est pas l'avis de Protagoras qui s'oppose au simplisme de Socrate. Si la vertu ne s'enseigne pas, pourquoi la nourrice, la mère, le précepteur, le père sont-ils infatigables pour expliquer au petit enfant à distinguer le juste et l'injuste? (133). Comment sortir de cette opposition entre deux maîtres en subtilité? Distinguer entre «devenir» et «être»? Devenir un homme bon est difficile et cela s'enseigne, nécessite un enseignant. Protagoras a raison! Mais pour Socrate : «j'avais toujours cru que ce n'était aucun effet humain qui rendait les hommes 9 Si l'on pratique son art correctement, on fait (on sait /on peut faire) de bonnes et belles choses. On est dans la justesse. Le métier d'homme, un art.
bons» (140). On est dans la bonté pour toujours! La conviction inébranlable de Socrate, l'unité de la vertu et du savoir. Qu'est-ce que la vertu? Le «Ménon» est un dialogue de nature assez hybride (2 parties), assez tardif dans l œuvre de Platon. La main de Platon y est visiblement à l œuvre, notamment dans la deuxième partie. Le sujet de la discussion reste le même : la vertu s'enseigne-t-elle (et s'exerce-t-elle) ou au contraire est-elle donnée à l'homme par la nature? (144). Socrate est net et même violent : «non seulement, je ne sais pas ce qu'est la vertu mais je crois ne jamais avoir rencontré personne qui le sût». Premier acte. «Ménon, par les dieux, dis-moi de toi-même ce qu'est la vertu. Parle, fais-moi ce plaisir!»(145). Dans la manière de penser socratique, tous les noms donnés aux vertus, justice, sagesse, tempérance, courage, magnanimité sont interchangeables (149). Pour Socrate, «nul ne peut souhaiter le mal». La vertu selon sa loi propre est le pouvoir de se procurer le bien(154). Acte deux. Ménon : «comment vas-tu t'y prendre, Socrate, pour chercher une chose dont tu ne sais absolument pas ce qu'elle est?». C'est ici que l'on sent la main de Platon. Il fait appel à la théorie de la réminiscence(159). L'âme mortelle ne peut manquer d'avoir tout appris, sur la vertu et sur tout le reste. Rien n'empêche d'essayer de se ressouvenir(160). Ou pour le dire autrement? «Tout mon savoir est gardé dans ma mémoire. Mais c'est un non-savoir qui me hante. Dans une vie antérieure, j'ai su. Aujourd'hui, j'ignore». Ce non-savoir imprègne à mon insu tout mon agir et toute ma vertu dans son action, dans sa sagesse pratique. A mon insu? Est-ce si vrai? Ce savoir enfoui, c'est moi, c'est comme un objet dans une boîte (162). Il est le moteur de mon «agir juste». On voit bien que pour Socrate, science et vertu sont interchangeables (163). Socrate, torpille ou sorcier? En revenir à Alcibiade qui parle à la fin du Banquet. Il dit l'exaspération, la haine que Socrate lui inspire.et ce faisant, il met à nu ce qui fait l'originalité de Socrate(154). Je résume : «Socrate, par tes incantations, tes drogues, tu m'as ensorcelé, j' ai la tête remplie de doutes... tu me parais ressembler... à ce large poisson de mer qui s'appelle torpille (narke). Celle-ci engourdit aussitôt quiconque s'approche et le touche... Tu m'as engourdi... Cent fois j'ai fait des discours sur la vertu... Je m'en suis fort bien tiré...mais aujourd'hui impossible absolument de dire même ce qu'elle est!... Dans une ville étrangère... tu ne serais pas long à être arrêté comme sorcier...». L'interlocuteur de Socrate s'installe dans une sorte de confusion mentale, dans une «aporia», une difficulté, un embarras, un doute... dans un «non-savoir» dont je fais l'expérience(151). Non une ignorance qui consisterait à être ignorant de quelque chose. C'est une ignorance d'un autre ordre que celle du savoir. Elle n'est donc pas du tout le contraire du savoir, à tel point qu'elle peut même être un autre savoir, un savoir plus puissant (156). L'engourdissement, un sommeil narcotique(une transe pour ne pas la nommer) est le passage dans le pays de l'excellence de l'humain. La vertu est la même chose que le non-savoir. L'embarras, le non-savoir, c'est le lieu de l'engourdissement et du renouvellement de la pensée. Socrate renonce au savoir établi. Son non-savoir, sa recherche, c'est une expérience(157). Son nonsavoir, c'est déjà une vertu, son savoir s'est perdu dans la pratique.
Socrate a 70 ans Il est accusé de ne pas croire aux dieux, d'introduire d'autres dieux et de corrompre la jeunesse (189). Mais Socrate n'enseigne pas!. Tout est fondé chez lui sur cette science ou sagesse humaine qu'il possède déjà et qui est un savoir nul(191). L' humain «le plus savant est celui qui sait qu'en fin de compte son savoir est nul». Il s'agit à partir de tout savoir de faire expérimenter le rien de tout savoir(194). C'est l'objet de la «réfutation», démasquer les faux savoirs(202). Mais pourtant Socrate : «je le reconnais donc Athéniens, je possède une science (sophia) ; et c'est ce qui m'a valu cette réputation. Quelle sorte de science? Celle qui est, je crois, la science propre à l'homme. Cette science-là, il se peut que je la possède ; tandis que ceux dont je viens de parler en ont une autre qui est sans doute plus qu'humaine ; sinon, je ne sais que dire..»(190). Mais (les sophistes) : «comment veut-il nous faire croire que l'être humain est déjà vertueux par le fait qu'il serait humain?»(204). Alcibiade encore : «tu fais de nous des possédés» (206). Alcibiade qui aime Socrate et le déteste, le hait à la fois. En amoureux éconduit? Cela nous permet de lever (en partie) le voile sur le secret de Socrate. Écoutons ces amabilités : «tu es un être insolent... tu es un violent». C'est la violence ressentie par ceux qui sont possédés: «tu fais de nous des possédés... Nous sommes frappés de stupeur et nous sommes possédés» (200, 206). Socrate est donc ce sorcier ou ce chaman qui introduit au divin (en d'autres mots, la transe) et on ne peut s'opposer à la force qu'il porte en lui. Il s'en distingue cependant par son usage exclusif de la parole. Mais il y a plus : cette possession est un pouvoir intrusif qui exige un changement(207). D'Alcibiade encore, cet autre événement. Au siège de Potidée Alcibiade et Socrate s'y trouvaient ensemble. Alcibiade souligne et reconnaît l'égalité de la réponse de Socrate aux circonstances : résistance à la fatigue, à la faim, au froid et à la chaleur. Toujours avec le même manteau, pieds nus sur la glace ; il savait boire mais personne ne l'a jamais vu ivre. Enfin, toujours du même Alcibiade. «Un jour, là-bas, en campagne...il était là dès l'aurore, tout concentré à chercher...midi, il était encore là...les hommes se disaient l'un à l'autre : 'depuis le petit jour, Socrate est là en train de méditer quelque chose!' Il resta planté là jusqu'à l'aurore et au lever du soleil. Ensuite, il s'en alla de là, après avoir fait au soleil sa prière(215). Le sens de tout cela? Se tenir à l'écart pour exercer le non-savoir, se mettre à l'écart pour retrouver le commencement. Être là simplement en tant qu'humain. On ne compare plus, on trouve seulement la vertu humaine, l'excellence humaine, ou la justice ou ce qui est juste avec la justesse, un joyau(217). Cette mise en retrait qu'est la possession ou la transe est la clef de l'intelligence de ce que l'on a pris pour la doctrine morale de Socrate (219-220). M.Ansay 15 juin 2015. P.S. Deux notes (plus bas): l'une tirée d'un entretien entre F. Roustang et F. Lenoir à France Culture (2014). l'autre d'un article de N.Duruz dans la revue Esprit (2013).
1. François Roustang a l'occasion de préciser sa pensée dans un entretien avec Frédéric Lenoir 10. Notamment du point de vue de la psychanalyse dont il est «un dissident». Il retrouve ainsi les vertus du dialogue socratique qui «est fait pour conduire l'homme à ne plus penser». Plus loin, il dit que «le premier obstacle à la guérison c'est le fait de penser, de réfléchir, de mettre de l'ordre dans ses pensées». «Socrate n'a pas voulu vaincre l'ignorance, il a voulu produire l'ignorance. C'est tout différent! Il a voulu produire le non-savoir, c'est ça l'originalité de Socrate». Frédéric Lenoir : «donc pour vous, Socrate a été essentiellement un thérapeute». François Roustang : «le premier temps d'une thérapie, c'est de créer un éta de confusion, c'est-àdire que je ne peux plus m'appuyer sur la connaissance». FL. : Et le but, c'est d'arriver à quoi? FR : C'est d'arriver simplement à être-comme un grand musicien,... FL : C'est arriver à dire oui à la vie comme elle se présente? FR : Exactement! FL : C'est une acceptation du réel? FR : Je suis la faim, je suis la soif, je suis le froid, et rien d'autre....fl : Cela ressemble un peu au bouddhisme aussi, ce que vous dites? FR : Cela ressemble beaucoup au bouddhisme, certainement, tout à fait! 2. Un article de Nicolas Duruz 11 Il s'inscrit contre une conception de Socrate, philosophe du bien penser, ennemi des sophistes, promoteur du «connais-toi toi-même». Le Socrate que F. Roustang est tout autre : un philosophe provocateur, voire un shaman, qui n'est plus en quête de la vérité des choses mais qui soumet ses interlocuteurs à une expérience de non-savoir, susceptible de transformer leur vie... «C'est le nonsavoir qui introduit l'être humain à ce qu'il est». Les réels changements dans la vie ont leur source dans une action et non dans la maîtrise d'un savoir acquis et correctement appliqué. Dans la pratique thérapeutique : «il faut se contenter d'être là en présence du patient, sans prendre appui sur une connaissance préalable, ni lui imposer une manière de changer en fonction d'un modèle de personnalité donné.le 'vrai ' changement, la modification dans l'existence, s'opéreront d'eux-mêmes parce que le patient aura trouvé sa juste place dans son environnement, grâce au geste juste du thérapeute». Michel Ansay 15 juin 2015 10 Les racines du ciel : Socrate chaman ou philosophe de Frédéric Lenoir, avec François Roustang, France culture,13.07.2014. 11 Revue Esprit, juillet 2013, pp 78-95. Au sujet de François Roustang,un thérapeute hors du commun.