De la réponse à la crise à la reprise, aux emplois et à la croissance durable



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Transcription:

Bureau international du Travail Cabinet du Directeur général DISCOURS 2009 De la réponse à la crise à la reprise, aux emplois et à la croissance durable Déclaration de Juan Somavia Directeur général du Bureau international du Travail au Comité monétaire et financier international et au Comité du développement Istanbul, Turquie 4-5 octobre 2009 Persistance des risques pour l emploi, l économie mondiale et la stabilité sociale 1. Les indicateurs de la morosité qui règne sur le marché mondial du travail sont en hausse et vont probablement le rester jusque dans le courant de l année 2010, même si les données relatives à la chute de la production témoignent d une légère amélioration et laissent espérer un retour aux chiffres positifs. L OIT prévoit que la détérioration continue de la situation du marché du travail, phénomène observé dans le monde entier en 2009, va provoquer une hausse sensible du chômage entre 39 et 61 millions de chômeurs de plus qu en 2007, selon les estimations de l Organisation et porter le nombre des chômeurs dans le monde à un chiffre situé entre 219 et 241 millions, soit le niveau le plus élevé jamais enregistré. 1 Au demeurant, ces chiffres ne rendent pas compte de l augmentation sensible du nombre de travailleurs démotivés, des personnes travaillant involontairement à temps partiel ou celles forcées de passer au secteur informel. La crise de l emploi est donc bel et bien là, en dépit des mesures en matière d emploi et de protection adoptées par les pays du G20 depuis l éclatement de la crise et qui leur auront permis de créer ou de sauvegarder entre 7 et 11 millions d emplois dans le courant de l année. 2 2. Les effets de la crise se font encore durement ressentir sur le marché du travail. Un abandon ou un retrait trop rapide des mesures spéciales qui ont été adoptées risquerait d aggraver encore sensiblement la crise de l emploi. Bien que certains pays d Asie et d Amérique latine soient parvenus à maintenir la croissance de leur économie, quoiqu à un rythme moins soutenu, on constate un ralentissement de la création d emplois et une progression des pertes d emplois un peu partout dans le monde. Pour les hommes et les femmes du monde entier, et en particulier pour les groupes les plus vulnérables et les plus désavantagés, seuls deux éléments attesteront que la crise est en train de relâcher son emprise: l obtention d un emploi décent et la mise en place d'un socle de protection sociale. 1 Key Indicators in the Labour Market, 6 e édition, 2009. 2 Protéger les personnes, promouvoir l emploi: de la réponse à la crise à la reprise et à la croissance durable: Communication du Directeur général du BIT aux dirigeants des pays du G20, Sommet de Pittsburgh, 24-25 septembre 2009. http://www.ilo.org/public/libdoc/jobcrisis/download/protecting_people_promoting_jobs_summary.pdf Page 1

3. Je souscris à la déclaration du Directeur général, selon laquelle «il se pourrait que la reprise de la croissance ne s accompagne pas immédiatement d un redressement de l emploi. Le chômage risque de poursuivre sa progression l an prochain, même si l économie repart. Pour ceux qui ont perdu leur emploi, la crise n'est pas terminée. Dans beaucoup de pays, en particulier ceux qui ne disposent pas de dispositifs de sécurité sociale adéquats, la pauvreté va persister, avec le risque que cela comporte pour la stabilité sociale». 3 Sans créations d emplois, la reprise ne sera viable ni économiquement, ni socialement, ni politiquement. 4. Quelque 45 millions de personnes pour l essentiel des jeunes des pays en développement entrant sur le marché du travail viennent chaque année grossir les rangs de la population mondiale économiquement active. Nous sommes de ce fait mis au défi de réduire le chômage et d absorber cette croissance de la main-d œuvre; pour cela, il faut impérativement faire en sorte que la reprise de la production s accompagne d un redressement vigoureux de l emploi. 5. A long terme, le grave danger auquel nous sommes confrontés est celui de voir le chômage et le sous-emploi, par les cicatrices qu ils laissent, compromettre durablement les perspectives d emploi et la productivité de la jeune population active. Le Pacte mondial pour l emploi de l OIT 6. L objectif fondamental du Pacte mondial pour l emploi de l OIT adopté en juin 2009 par la Conférence internationale du Travail 4 est, sur une base concertée au niveau international aux fins de l élaboration des politiques, d associer étroitement la reprise économique à la promotion du travail décent. Le pacte est un appel à agir d urgence, à l échelle nationale, à l échelle régionale et à l échelle internationale. Des chefs d Etat et de gouvernement, des vice-présidents, des ministres du Travail et des dirigeants d organisations d employeurs et de travailleurs de toutes les régions du monde ont apporté un soutien politique très fort au Pacte mondial pour l emploi à l occasion du Sommet de l OIT sur la crise mondiale de l emploi, qui s est tenu du 15 au 17 juin 2009. Le Secrétaire général de l Organisation des Nations Unies, Ban Ki-moon, y a souscrit avec force dans son message aux participants au Sommet. 7. Le pacte est une réponse forte formulée par les représentants des gouvernements et du monde des entreprises et du travail les acteurs de l économie réelle face à une montée sans précédent du chômage, du sous-emploi et du travail informel au niveau mondial, facteur d aggravation des problèmes qui préexistaient sur le marché du travail. Le pacte propose un ensemble équilibré et réaliste de mesures que les pays, avec l appui d institutions régionales ou multilatérales, peuvent adopter afin d accroître les efforts continus qu ils déploient pour surmonter la crise, tout en s inscrivant dans une optique de viabilité économique, sociale et environnementale. Le pacte présente un éventail cohérent de politiques éprouvées, qui met l emploi et la protection sociale au cœur des réponses à la crise. Ces politiques doivent être adaptées en fonction des situations nationales ou locales et certaines d entre elles sont déjà mises en œuvre par de nombreux pays. 8. Le pacte propose des mesures et des politiques pour: 3 Observations de Dominique Strauss-Kahn, Directeur général du Fonds monétaire international à l occasion du Sommet mondial sur la créativité et les décideurs, New York, 23 septembre 2009. 4 «Surmonter la crise: un Pacte mondial pour l emploi». Résolution adoptée par la Conférence internationale du Travail à sa 98 e session, Genève, juin 2009. http://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/---ed_norm/---relconf/documents/meetingdocument/wcsm_108456.pdf Page 2

maintenir les femmes et les hommes dans leur emploi dans toute la mesure possible, et soutenir les entreprises, notamment les petites et moyennes entreprises, ainsi que les micro-entreprises; promouvoir les investissements dans des secteurs à forte intensité d emplois, y compris les emplois verts, et soutenir la création d emplois dans tous les secteurs de l économie, en soulignant le rôle capital de l agriculture pour l emploi et le développement économique des pays en développement; faciliter un retour plus rapide à l emploi et remédier à la déflation salariale; protéger les personnes et les familles touchées par la crise, en particulier les plus vulnérables, et celles de l économie informelle en renforçant les systèmes de protection sociale de façon à leur garantir une aide au revenu, des moyens d existence durables ainsi qu une pension de retraite; accélérer le rétablissement de l emploi et élargir les perspectives d emploi en agissant simultanément sur la demande et l offre de main-d œuvre; et doter les travailleurs des compétences dont ils auront besoin aujourd hui et demain. 9. Le Pacte mondial pour l emploi est fondé sur l Agenda du travail décent et rappelle que le respect des principes et droits fondamentaux au travail, la promotion de l égalité entre hommes et femmes ainsi que la libre expression, la participation et le dialogue social sont aussi des éléments indispensables pour la reprise et le développement. Adoptées sous une forme intégrée et coordonnée, ces politiques peuvent alléger les tensions sociales, atténuer les effets négatifs de la crise sur la population, stimuler la demande globale et renforcer à la fois une économie de marché compétitive et une dynamique de croissance véritablement profitable à tous. 10. Le Pacte mondial pour l emploi, et c est là un aspect important, préconise une action coordonnée au niveau mondial en vue d en optimiser les effets positifs sur l emploi et les entreprises durables à l échelle de la planète. Il accorde une attention particulière à la situation des pays en développement, et surtout des pays les moins avancés, ainsi que des pays disposant d une faible marge de manœuvre budgétaire et politique pour faire face à la crise. 11. Le pacte lance un appel aux pays donateurs et aux organismes multilatéraux afin qu ils examinent la possibilité de financer, y compris au moyen de ressources consacrées à la lutte contre la crise, la mise en œuvre des recommandations et des mesures proposées. Il peut contribuer à une coordination plus étroite et donc plus efficace des politiques et de leur application au sein de l ensemble des organisations internationales concernées, y compris l Organisation des Nations Unies, les institutions de Bretton Woods, ainsi que les organisations et les banques de développement régionales. En outre, le pacte reflète l engagement pris par l OIT de donner effet aux décisions du Conseil des chefs de secrétariat des organismes des Nations Unies (CCS) dans le cadre de l initiative anticrise prise à l échelle du système et de contribuer aux travaux du G20 et d autres processus gouvernementaux. Placer les emplois de qualité au cœur de la relance 12. Les participants au Sommet du G20 à Pittsburgh ont déclaré: «Nous convenons de l importance de construire un cadre pour la croissance économique future qui soit orienté vers l emploi. Dans ce contexte, nous réaffirmons l importance de la Conférence sur Page 3

l emploi de Londres et du Sommet social de Rome. Nous saluons également la résolution récemment adoptée par l OIT intitulée «Surmonter la crise: un Pacte mondial pour l emploi» et nous engageons nos nations à adopter les éléments clés de son cadre général afin de faire avancer la dimension sociale de la mondialisation. Les institutions internationales devraient prendre en compte les normes de l OIT et les objectifs du Pacte pour l emploi dans leur analyse de la crise et de l après-crise et dans l élaboration de leurs politiques.» 5 13. Dans leurs prévisions récentes, le FMI, la Banque mondiale et l'organisation des Nations Unies ont tous attiré l'attention sur le fait que les premiers signes de reprise sont relativement ténus et qu'il faut donc poursuivre les efforts coordonnés qui sont déployés pour redresser une économie mondiale au bord d'une grave récession. Les marchés financiers ne fonctionnent toujours pas normalement, et parmi les travailleurs et les travailleuses comme dans le monde de l'entreprise, la confiance en l'avenir reste fragile. Il s'ensuit que dans de nombreux pays, le niveau de la consommation, principal moteur de la croissance, est aussi faible que celui de l'investissement. Comme je l'ai déclaré en avril dernier à l'occasion des réunions du CMFI et du Comité du développement, «les déséquilibres des marchés financiers sont liés à des déséquilibres plus larges dans la société et dans le processus de mondialisation». 14. Mettre en place le cadre pour une croissance mondiale forte, durable et équilibrée qui crée les emplois de qualité dont les gens ont besoin ainsi que les dirigeants des pays du G20 s'y sont engagés à Pittsburgh suppose une nouvelle conception du développement mondial tendant à remédier aux déséquilibres qui sont à l'origine même de la crise actuelle. Dans de nombreux pays, les entreprises durables et le travail décent dans l'économie réelle ont été sous-estimés par rapport au secteur financier, dont l'expansion récente a créé une bulle qui a maintenant éclaté. La priorité accordée aux dimensions sociale et environnementale du développement durable n'a pas été la même que celle accordée à sa dimension économique. Dans le cadre des politiques relatives au marché du travail, la flexibilité a primé sur le besoin de stabilité, pourtant tout aussi important. La volonté de libéraliser à tout prix a trop souvent prévalu sur l'importance d'une réglementation intelligente des marchés. 15. Dans la plupart des régions du monde, ces déséquilibres ont notamment eu pour conséquence d'entraîner une contraction progressive de la part du travail dans le revenu national au cours des deux ou trois dernières décennies de mondialisation. L'ouverture des marchés financiers et les crises dans ce secteur ont eu des répercussions particulièrement préjudiciables sur le revenu du travail. 6 Une diminution de la rémunération du travail au profit de celle du capital a été un facteur d'aggravation des inégalités. Le recul de la part du travail dans le revenu national est une conséquence de la lente progression des salaires et de la faible intensité d'emploi qui ont caractérisé la croissance de la production au cours de la période précédant la crise. Ces changements d'orientation expliquent aussi en partie la dépendance de certains pays vis-à-vis des exportations pour soutenir leur croissance ainsi que, dans d'autres pays, l'incitation au surendettement des salariés pour financer l'achat de biens immobiliers ou de consommation. Se tourner vers l'avenir 16. La stagnation, voire le repli, des salaires réels ainsi qu'une croissance médiocre de l'emploi sont autant de facteurs susceptibles de compromettre une croissance forte et 5 Déclaration des dirigeants des pays du G20 au Sommet de Pittsburg, les 24 et 25 septembre 2009 (paragraphe 46). http://www.pittsburghsummit.gov/mediacenter/129639.htm 6 Malte Lübker: Labour Shares, Département de l intégration des politiques et statistiques, BIT, note technique n 1 http://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/---dgreports/---integration/documents/publication/wcms_086237.pdf Page 4

durable. Dans l'avenir, une croissance mondiale forte, durable et équilibrée devra être soutenue par une augmentation de la part des salaires dans le revenu national. Dans un marché déprimé, les réductions de salaire peuvent avoir un effet aussi dévastateur que la protection des échanges commerciaux, en provoquant la chute toujours plus rapide de la demande. Au cours de la crise actuelle, certains pays qui disposent de stabilisateurs automatiques efficaces grâce à leur système de protection sociale et qui ont mené une politique favorable à l'emploi ont été moins touchés que ceux dont le marché du travail est davantage déréglementé. Faire de la seule recherche de la flexibilité la principale politique en faveur de la croissance de l'emploi ne contribuera pas à la reprise économique. Ce dont nous avons besoin, ce sont des marchés du travail qui n'excluent personne et qui englobent des institutions ayant fait leurs preuves depuis longtemps et à même de concourir à la sécurité et à l'adaptabilité des travailleurs et des entreprises. 17. Durant ces années de «bulle», la part du total des bénéfices des entreprises attribuée aux services d'intermédiation financière a augmenté dans un certain nombre de pays, au détriment de l'investissement dans les entreprises productives et donc dans la croissance durable. La croissance de demain impose de se recentrer sur le rendement des investissements productifs à moyen et long terme, en particulier pour les petites et moyennes entreprises. 18. La récession mondiale nous a montré qu'il nous faut d'urgence engager une réflexion sur la façon de renforcer et de généraliser les «stabilisateurs automatiques» de la protection sociale. L'élargissement des régimes de protection sociale dans tous les pays peut jouer un rôle important dans cette transition vers une croissance plus équilibrée. La mise en place d'un socle de protection sociale devrait notamment consister à prévoir un accès aux soins de santé, une garantie de revenu pour les personnes âgées et les handicapés, l octroi de prestations pour enfants à charge et une garantie de revenu pour les chômeurs et les travailleurs pauvres combinée à des programmes publics de garantie de l emploi. Cela devra être fait compte tenu des réalités au niveau local et sur une base budgétaire durable. Il y a lieu de faire bénéficier les pays les moins avancés d'une aide au développement afin de les accompagner dans cet effort. Il s'agit là d'un aspect essentiel de la coopération renforcée entre le FMI, la Banque mondiale, les Nations Unies et l'oit. 19. Le cadre politique pour une croissance forte, durable et équilibrée doit créer les conditions propices à l'existence de nouveaux moteurs de croissance: investissement productif, création de possibilités de travail décent et essor de la demande tirée par les revenus. 20. Dans le cadre des efforts coordonnés pour assurer une reprise forte et donner corps à une mondialisation plus inclusive, il faut prendre des mesures en vue d'aider les pays dont les moyens d'action sont limités en raison de problèmes structurels sous-jacents. En effet, plusieurs pays émergents et pays en développement ne sont pas à même de recourir aux mesures de relance budgétaire ou monétaire appliquées par les pays riches pour faire obstacle à la récession. Toutefois, si ces pays sont contraints à l'austérité pour s'adapter à la situation, cela assombrirait les perspectives d'une reprise mondiale et mettrait à rude épreuve un tissu social souvent fragile. C'est pourquoi une aide internationale à court et moyen terme, assortie de conditions très libérales, est une nécessité pour les pays dont les moyens d'action sont restreints afin de ménager la marge de manœuvre et le temps dont ils ont besoin pour appliquer des stratégies d'ajustement fondées sur la croissance. On ne peut que se féliciter de l'augmentation des prêts concessionnels accordés par le FMI aux pays les moins avancés. 21. La crise est encore bien loin d'être terminée pour les travailleuses et les travailleurs. Les signes évocateurs de la fin de la récession sont fortement influencés par les mesures de Page 5

relance prises par de nombreux pays l'année passée. Or, la montée continue du chômage et la contraction des salaires entravent la reprise. Dans la plupart des pays, la contribution du secteur privé à la croissance reste également timide, freinée à la fois par des flux de crédit limités et par la confiance nettement ébranlée des entreprises et des ménages. Il peut être judicieux de réfléchir aux stratégies de désengagement qu'il sera nécessaire d'appliquer à terme pour mettre fin aux dispositifs de relance. Par exemple, compte tenu d'une possible baisse de la demande de main-d'œuvre, des mesures favorables au maintien de l'emploi et à la protection sociale vont vraisemblablement être essentielles. Toute action prématurée visant à abandonner les plans de relance risque de couper la reprise économique dans son élan à un moment où elle ne repose pas encore sur des bases solides. 22. Le Sommet du G20 de Pittsburgh a permis de réaliser des avancées importantes vers la définition d'une double stratégie de relance et de réforme. Le FMI, la Banque mondiale et l'oit ainsi que d'autres institutions internationales ont un rôle important à jouer dans l'élaboration d'une nouvelle stratégie favorable à une croissance forte, durable et équilibrée. Le Conseil économique et social et le Conseil des chefs de secrétariat des organismes des Nations Unies, dans le cadre de leurs initiatives conjointes pour faire face à la crise, contribuent grandement à la réalisation de ce même objectif. L'OIT se félicite particulièrement de ce que les participants au Sommet de Pittsburgh soient convenus «de l importance de construire un cadre pour la croissance économique future» et aient estimé que les «institutions internationales devraient prendre en compte les normes de l OIT et les objectifs du Pacte pour l emploi dans leur analyse de la crise et de l après-crise et dans l élaboration de leurs politiques.» Elle attend avec intérêt de collaborer étroitement avec le FMI et la Banque mondiale pour donner suite à l'engagement qu'ils ont pris de «travailler ensemble pour effectuer cette transition vers un modèle plus équilibré de croissance mondiale». 23. Afin d'éviter que les marchés du travail ne fonctionnent au ralenti sur une période prolongée, les décideurs au niveau international doivent mettre l'accent sur des mesures propres à améliorer sensiblement l'intensité d'emploi de la croissance au cours de la reprise. Le Pacte mondial pour l'emploi de l'oit crée une dynamique importante qui sous-tend cet effort. Une meilleure cohérence entre, d'une part, les politiques de l'emploi et les mesures de protection sociale et, d'autre part, les politiques financière, commerciale et environnementale est indispensable pour que le monde puisse se remettre au travail. Il faut faire preuve de la même capacité d'adopter des mesures fortes et innovantes dans le domaine de l'emploi et de la protection sociale que celle qui a été mise en œuvre pour assurer le sauvetage des institutions financières. 24. L'OIT attend avec tout autant d'intérêt de collaborer avec les Etats Membres et le système des Nations Unies à la concrétisation des nouveaux engagements qui seront pris au sujet du changement climatique à Copenhague. Le cadre politique pour une croissance forte, durable et équilibrée doit englober une stratégie mondiale d'écologisation de l'économie. La transition vers une économie à faible émission de CO2 va se produire dans les entreprises et sur les lieux de travail dans le monde entier et créer des possibilités d'emplois verts grâce à cette nouvelle orientation des modèles de consommation, de production et d'emploi. Concrétiser ces possibilités et planifier la suppression progressive d'activités non pérennes supposent de recourir largement à l'outil emblématique de l'oit, à savoir le dialogue social avec l'industrie et les syndicats. * * * Page 6