MUSÉE DE LA RÉSISTANCE DE L'ISÈRE



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Transcription:

MUSÉE DE LA RÉSISTANCE DE L'ISÈRE GRENOBLE Un musée de la Résistance : celui de l'isère Dans leur réseau, leur mouvement, leur maquis, leur prison ou leur camp, les acteurs de la Résistance ont eu longtemps beaucoup de difficultés à se reconnaître dans une seule et même histoire. Chacun analysa et jugea les faits à l'aune de sa propre expérience, ignorant tout ou presque de celle des autres. Divisées par ailleurs par de profonds clivages, notamment politiques, ces mémoires sont restées difficilement solubles dans une mémoire collective unique et nationale. Là est sans doute la raison qui conduit des anciens combattants, résistants et déportés à rassembler et produire eux-mêmes les preuves de ce qu'ils avaient vécu et créer leurs propres musées, plus cependant, pour "assurer la pérennité du souvenir de la Résistance" et livrer son message à la connaissance des jeunes générations, que pour réparer l'injustice d'une reconnaissance qui ne venait pas. La majeure partie des musées de la Résistance est née en France dans ces circonstances, à l'initiative d'associations auxquelles un pouvoir politique, celui d'une collectivité territoriale le plus souvent à répondu favorablement. Il existe en France une centaine de ces musées, situés surtout dans la moitié sud du pays, notamment dans les régions de maquis (cf Emmanuelle François, Les musées d'histoire de la seconde guerre mondiale. Rapport au ministère de la Culture, Direction des musées de France, 143 p.). Une quinzaine d'entre eux se trouvent dans la région Rhône-Alpes. Même si quelques uns font exception, tels ceux du Mont Mouchet ou de Joigny, créés en 1946, c'est à la faveur du vingtième anniversaire de la Libération, surtout, qu'une première vague apparaît. Deux autres suivront, l'une en 1984 et l'autre en 1994, liées aux anniversaires de la Libération. En 2004, toutefois, les créations furent plus rares. Toutes dates de création confondues, c'est après les années 1970 que la plupart de ces musées ont été créés, soit lorsque la solution qu'offre le musée, dès qu'il s'agit de soustraire une mémoire à l'oubli, de la conserver et de la mettre en valeur, paraît la meilleure. C'est à cette même époque que le patrimoine commence à devenir une préoccupation sociétale et que, selon les propres termes d'un inspecteur général de la culture, les musées "prolifèrent". Initié en 1963, le musée grenoblois appartient à cette première vague de musées de la Résistance et de la Déportation, voulus par d'anciens résistants et déportés, engagés eux-mêmes dans des associations orientées politiquement à gauche. Les fondateurs sont un directeur d'école primaire (Henri Guillard) et l'un de ses amis, inspecteur d'académie (Pierre Dubois) - tous deux partisans convaincus de la pédagogie Freinet -, un président d'association d'anciens combattants de la Résistance (l'anacr, le D r Charles Katz), un responsable d'association de déportés (la FNDIRP, Gustave Estadès) et le directeur des archives départementales (Robert Avezou), pour n'évoquer que les plus actifs. À citer aussi, les correspondants départementaux du Comité d'histoire de la deuxième guerre mondiale, Suzanne et Paul Silvestre, qui continueront longtemps de nourrir de leurs travaux les réalisations du musée. Même si tous ou presque furent des résistants, ce sont leurs compétences de pédagogues et d'archiviste qui vont orienter l'action du musée. D'où l'habitude qui va persister d'élire à la présidence de l'association du musée, un représentant de l'éducation nationale, pour éviter qu'une tendance domine l'autre mais surtout par souci d'y privilégier l'action pédagogique. Dans les années 1980, cependant, l'association fondatrice du musée prend conscience des limites de son action et recherche le relais de la collectivité. En 1990, le Conseil général de l'isère décide de lui répondre favorablement, réhabilite un immeuble ou prendra place le nouveau musée départemental et demande aux professionnels du Musée dauphinois d'en proposer le programme. Différentes mesures sont alors prises, consistant à : 1. créer un conseil scientifique, en relation avec l'association du Musée et son président (Jean Paquet), afin de discuter et d'approuver le futur programme muséographique, 73

2. entreprendre l'inventaire informatisé des collections, en vue d'obtenir le classement du futur musée au titre des "musées classés et contrôlés" (afin de bénéficier des subventions de l'état), et d'instruire le programme du futur musée, 3. mettre à l'étude un programme muséographique chronologique et périodisé, basé sur l'histoire et les spécificités iséroises des vécus de la seconde guerre mondiale, tout en accordant, selon les vœux de l'association du musée, une place à l'actualité des valeurs de la Résistance, 4. réaliser une exposition de préfiguration au Musée dauphinois (Les années noires - La répression à Grenoble durant l'occupation, avril 1993 à janvier 1994) dont les enseignements ont été très utiles. Ainsi avons-nous conduit la conception du programme de ce musée comme on le fait dans un musée de société avec les habitants d'un territoire donné, en privilégiant ce que les témoignages et les archives disent de l'isère de 1939 à 1945. La méthode consiste à créer les conditions d'une négociation tripartite associant des représentants d'un groupe social concerné et des experts scientifiques, aux médiateurs-muséographes que nous sommes. Appliquée au cas précis des résistants, des déportés et des historiens locaux de la seconde guerre mondiale, cette démarche eut pour effet de mettre en évidence un certain nombre de points de friction (cf Jean-Claude Duclos, Les résistants, les historiens et les muséographes : histoire d'une transaction et de ses enseignements. In Résistants et Résistance, sous la coordination de Jean-Yves Boursier, L'Harmattan, 1997). Nous savions cependant que la présentation demandée par le pouvoir politique, dans le cadre du cinquantenaire de la Libération, devait être consensuelle et résister à l'expertise scientifique des historiens. Ce constat nous a vite conduit à l'idée qu'elle devrait évoluer par la suite sous peine de se périmer. Dès lors, un dialogue nourri s'est développé entre une mémoire plurielle, probablement aussi divisée qu'elle le fut pendant la Résistance, et des historiens qui, parce que la recherche est loin encore d'avoir exploré tous les aspects de la période, ne pouvaient pas toujours donner toutes les réponses requises. Des recherches seraient encore nécessaires... Le 1 er juillet 1994, le musée départemental était inauguré par Alain Carignon, alors président du Conseil général de l'isère et ministre de l'environnement, dans le cadre du 5 e anniversaire de la Libération. Très favorablement accueillies, grâce aux leçons que nous avions tirées de l'exposition de préfiguration, ses présentations ne firent pas l'objet de critique. Certes, quelques voix s'élevèrent, ici et là, pour regretter que telle ou telle personnalité fût oubliée ou méritât plus de place, mais la majorité de nos partenaires convint qu'une galerie de portraits aurait compromis la mission pédagogique du musée. Ce débat permit de distinguer le rôle du musée, lieu de conservation, d'explication et de pédagogie, de celui du mémorial, lieu de recueillement et de commémoration et de confirmer la préférence du premier au second. De l'installation aux premières années d'ouverture, sensibilités de gauche et de droite ont coopéré sans accroc. L'important travail de négociation, autant que la volonté des associations partenaires de donner un image unitaire de la Résistance, avaient en effet permis de réunir l'unanimité autour du programme du musée, fondé lui-même sur : 1. l'approche chronologique, en raison de la priorité donnée par tous à la pédagogie, 2. l'histoire locale de la seconde guerre mondiale, ses spécificités iséroises, 3. et l'actualité des valeurs de la Résistance. Ces choix engageaient bien évidemment la politique pédagogique et culturelle du musée. Ainsi, à la question de savoir "Pourquoi le musée ne se contente-t-il pas de l'histoire et se mêle-t-il de l'actualité?" il suffit de rappeler la volonté des Résistants et des Déportés, exprimée dès la préparation du programme et résumée dans leur slogan : "Plus jamais ça!" Ainsi l'habitude fut prise, dans le cadre d'expositions temporaires, d'évoquer d'autres faits que ceux des années 1940, voire d'autres résistances. Ce fut le cas dès, avec "Dessine-moi la paix - La guerre, vue par tes enfants de l'ex-yougoslavie, exposition de l'unicef(17-02-95-15-04-95) : Halabja mon amour - Photographies du Kurdisfan irakien de Guy Martin-Ravel (23-05-96-27-10-96) et de bien d'autres encore, encouragées par le Conseil général de l'isère, lorsqu'il demande, fin 2001, de faire évoluer le Musée de la Résistance et de la Déportation vers une Maison des Droits de l'homme. 74

Un outil pédagogique Réparties sur trois niveaux et près de 700 m², les présentations du musée ont été conçues autour de cinq thèmes majeurs : l'entrée en Résistance, les maquis, la répression, la place des valeurs républicaines dans l'unité de la Résistance (à partir de janvier 1944) et l'actualité de ses valeurs. Le discours se veut clair, à la portée du plus grand nombre et particulièrement des jeunes ; les textes apparaissent en français, anglais et allemand. Entrecoupée de développements thématiques, la présentation chronologique des faits donne les points de repère indispensables à la compréhension du processus historique. Mais c'est toujours à partir de l'histoire locale, des personnes et des épisodes qui la composent, ici, en Isère, que peu à peu se dessinent, dans toute leur amplitude, les événements qui atteignent la France et le monde. Une large place est faite au témoignage, aux textes d'archives et de la presse locale, à l'image (photographies, affiches, vidéogrammes, phonogrammes) et, chaque fois que cela est possible, à l'objet, celui de la vie quotidienne ou de la lutte contre l'occupant. La reconstitution de lieux où d'ambiances composent un parcours varié où la réflexion et l'émotion sont sollicitées tour à tour en veillant partout à ce que cette dernière ne soit pas dominante. Un parcours en cinq étapes 1. La visite commence par la vision de la ville de Grenoble dans les années 1930. La cité et le département de l'isère connaissent alors un développement économique sans précédent, marquée notamment par le développement de l'hydroélectricité et l'arrivée massive de travailleurs immigrés. La montée du nazisme, les visées expansionnistes de l'allemagne d'adolf Hitler et la guerre vont mettre un coup d'arrêt brutal à la croissance et susciter tôt des réactions hostiles. Au-delà de cette première partie, consacrée, depuis l'isère, à la naissance et au déroulement du conflit mondial - la guerre, l'armistice, la défaite, la pénurie, les mesures successives du gouvernement de Vichy... -, le visiteur retrouve, en un spectaculaire audiovisuel associant le film vidéo à la projection en fondu enchaîné, les grandes étapes de la seconde guerre mondiale. Il est ensuite conduit dans six espaces successifs ceux dans lesquels s'exprima le refus, puis naquit, fragmentée et cloisonnée, la Résistance. Temps forts de la visite, cette présentation accorde une large place aux mises en scène. Sont ainsi suggérés une rue de Grenoble, lieu de manifestations des lycéens, étudiants et autres mouvements de jeunesse, criant : "Vive De Gaulle!", la salle à manger de Marie Reynoard (rue Fourrier) où François de Menthon et Henri Frenay se rencontrent pour fonder Combat, la table de travail du doyen René Gosse, révoqué dès l'été 1940 pour avoir écrit au maréchal Pétain qu'il aurait un jour des compte à régler à la France, le café de la Rotonde (derrière la gare de Grenoble) où les fondateurs de Franc-Tireur songent à l'organisation des premiers maquis, le bureau du commandant de Seguin de Reyniès (caserne de Bonne), depuis lequel le camouflage des armes se répartit, et l'atelier d'impression du journal clandestin Les Allobroges. Autant de lieux et d'ambiances visuelles et sonores, autant d'endroits où la Résistance s'organise et se développe en Isère. 2. Le fil du temps reprend, avec la présentation des deux grandes périodes de l'occupation à Grenoble, celle des Italiens, débonnaires et peu répressifs, et celle des Allemands avec ce qu'elle entraîne d'arrestations, de tortures et de déportations. Entre les deux, une large place est accordée à l'organisation de la Résistance et à l'intensité croissante de ses actions. Sur une vaste maquette de l'isère, apparaissent à la demande du visiteur, les maquis, les sabotages, les affrontements et les parachutages. Suit l'évocation des conditions de vie des juifs réfugiés en Isère, persécutés par les lois antisémites du gouvernement de Vichy, préservés un temps par l'occupant italien, puis impitoyablement pourchassés par les Allemands. Mention est faîte de la Résistance juive et de la création, à Grenoble, en avril 1943, du Centre de documentation juive contemporain (CDJC). C'est ensuite, après avoir évoqué la collaboration et l'action de la Milice, dans la partie du musée consacrée à la répression, qu'apparaissent, couvertes de noms et d'inscriptions, les portes des cellules aménagées par la Gestapo dans l'immeuble grenoblois du 28 cours Bernât, une présentation emplie de force et d'émotion, du fait du témoignage de ceux qui connurent ces cachots, avant de subir la déportation ou d'y succomber, comme le D r Valois, chef des Mouvements Unis de la Résistance (MUR). 75

3. Là, une cartographie en images de synthèse présente sur grand écran la chronologie du système concentrationnaire nazi, de 1933 à 1945. Ce moyen apparut susceptible de marquer la différence entre la déportation de ceux que les nazis voulaient supprimer (les juifs, les tsiganes, les homosexuels...), de celle de leurs opposants, les résistants notamment, sans gommer pour autant la globalité du système. La question de savoir comment présenter l'absolue singularité de la Shoah, sans la dissocier totalement du dispositif concentrationnaire nazi, revint souvent en effet dans les débats préparatoires. Autrement dit, comment échapper au risque d'évoquer la Shoah comme une histoire strictement juive - ce que tous nos partenaires voulaient éviter - et comment montrer l'horreur abyssale du génocide sans minorer l'atrocité du sort des déportés "politiques"? À cette question difficile, s'en ajoutait une autre toute aussi grave : que montrer de ces monstruosités sans choquer gravement les futurs visiteurs et notamment les jeunes? Comment préserver leur capacité d'analyse et de réflexion en évitant, par des images trop violentes, de les faire désespérer de l'humain? Ces questions, bien sûr, ne sont pas nouvelles, ce qui a changé depuis une quinzaine d'années, c'est l'état d'esprit dans lequel elles sont débattues. Même si chacun, au sein des associations partenaires, avait ses positions, les débats furent constructifs. À la carte animée que nous évoquions plus haut, s'est ajouté le choix de consacrer une partie nouvelle au cas des enfants arrêtés en Isère et déportés. Grâce à de récents travaux (Tal Bruttmann, 2005) nous savions que 80 filles et garçons de moins de 18 ans connurent ce sort et que des photographies permettent de connaître le visage de 28 d'entre eux. Le visage de ces enfants exterminés dit davantage de la singularité de la "solution finale" qu'une accumulation de chiffres ou de considérations sur l'antisémitisme et les accès paroxystiques qu'il connaît sous le régime nazi. Avant de voir leurs portraits, d'autres visages défilent sur deux écrans vidéo : quatre survivantes de la Shoah puis cinq résistants parlent de leur déportation. Ainsi les situations sont distinguées tout en étant rassemblées dans une présentation commune. Deux autres thèmes: les Justes et la mémoire de la Déportation, complètent cette présentation. 4. L'espoir renaît. L'évocation d'une réunion clandestine, nommée "Monaco", en janvier 1944, réunissant l'ensemble des mouvements de la Résistance, autour des valeurs républicaines et de la nécessité de préparer l'après guerre, dans le cadre du CDLN, fait ici l'objet d'une scénographie inspirée. Au terme de ce parcours et non sans avoir évoqué l'arrivée des Alliés à Grenoble, le 22 août 1944, et le titre de Compagnon de la Libération que le général de Gaulle décerne à la ville, parmi cinq lieux de France, et l'épuration, l'attention du visiteur est sollicitée par une évocation de l'actualité des valeurs de la Résistance. 5. Au centre, les valeurs de la République, symbolisées par son emblème, Marianne, et sa devise ; tout autour des écrans vidéos sur lesquels défilent des images d'actualité : la profanation d'un cimetière juif, la réunion d'une section du Ku Klux Klan, le défilé d'un groupe néonazi... soit autant de risques desquels le fonctionnement démocratique et républicain préserve mais pouvant nécessiter qu'une résistance renaisse et s'exprime... Cette partie, dont on regrette qu'elle ne fasse pas suffisamment apparaître les liens qui, au fil des générations d'isérois, unissent Résistance et militance, est actuellement repensée dans le cadre d'une nouvelle concertation. Une présentation en évolution permanente Les points du programme qui étaient restés en suspens, faute de consensus ou de connaissances historiques suffisantes, ont été traités par la suite, notamment dans le cadre d'expositions temporaires. Ce fut notamment le cas des maquis de l'isère dont nos interlocuteurs reconnaissaient qu'ils devaient occuper une place importante sans pouvoir s'entendre, tandis que le musée ouvrait, en 1994, sur une vision globale, qui réunisse à la fois l'accord des associations de maquisards et celui des historiens. Ponctuée de nombreux échanges, une recherche fut conduite de 1998 à 1999, aboutissant à la présentation d'une exposition temporaire, "Maquis de l'isère, dernières nouvelles", qui proposait une histoire plus détaillée et mieux structurée des maquis, probablement moins glorieuse que celle qui prévalait encore, mais acceptée des historiens comme de la majorité des acteurs en présence. Les acquis de cette exposition furent repris et intégrés, en 2001, dans les présentations de longue durée. C'est ainsi que le musée évolue, au fur et à mesure que la mémoire 76

collective de la Résistance et de la Déportation se transforme, à la faveur des progrès de la connaissance historique et des expositions temporaires et dans un objectif qui finit toujours par faire l'unanimité, celui de la transmission par la pédagogie. Ces expériences montrent comment, dans le cadre du musée et des conditions d'échanges qu'offre l'exposition, l'histoire et la mémoire peuvent se croiser, se confronter, se stimuler et finir par se compléter. L'avenir En 1994, lorsque l'inauguration s'annonçait, l'on pensait, dans les services du Conseil général, qu'il y en aurait pour cinq ans et que passé ce délai, faute de témoins actifs et peut-être de visiteurs, les locaux seraient sans doute à réaffecter. Ces prévisions étaient fausses. La fréquentation n'a cessé de croître pour s'établir aujourd'hui autour de 25 000 visiteurs par an, dont une moitié de visiteurs scolaires. Beaucoup d'enseignants ont ainsi pris l'habitude d'en intégrer la visite au programme de la seconde guerre mondiale. Ses ressources documentaires sont largement mises à profit. Nombre d'associations s'appuient sur lui désormais et l'espace dont il dispose pour les expositions temporaires, notoirement insuffisant, devrait être bientôt agrandi en attendant qu'il soit peut-être repensé dans le cadre du réaménagement de l'ancien palais du Parlement du Dauphiné, en instance de réhabilitation. La vocation du Musée de la Résistance et de la Déportation de l'isère prise depuis son ouverture, rue Hébert, à savoir celle d'un musée de société, étendue aux Droits de l'homme est loin aujourd'hui d'être remise en cause. Les thématiques à traiter semblent en effet illimitées et son avenir, assuré. Même quand de nouvelles expositions temporaires reviennent sur la période de la deuxième guerre mondiale, une relation à l'actualité est toujours recherchée. Il en est de même des expositions qui traitent de faits plus récents. L'exposition qui vient d'être réalisée autour du génocide des Cambodgiens, dans le cadre du 60 e anniversaire de la Déclaration universelle des Droits de l'homme, permet d'aborder par exemple la question de la justice internationale. Ce qu'il importe, toutefois, c'est de continuer dans la voie où les fondateurs de ce musée, résistants et déportés, ont voulu le situer : - celle d'un musée fédérateur susceptible de restituer une vision d'ensemble de la Résistance et du contexte dans lequel elle apparut et finit par vaincre, - celle d'un musée pédagogique où lycéens, collégiens et écoliers trouvent la possibilité d'une lecture d'ensemble de la période, - celle, enfin, d'un musée qui témoigne des valeurs de la Résistance et fasse ainsi valoir le caractère intemporel et universel de la posture du résistant. Informations pratiques Jean-Claude Duclos, conservateur en chef du patrimoine Musée de la Résistance et de la Déportation de l'isère / Maison des Droits de l'homme 14, rue Hébert - 38000 Grenoble Tél : 04 57 58 89 18 jc.duclos@cg38.fr Ouvert tous les jours sauf le mardi matin 77

De jeunes Grenoblois, lycéens, étudiants, entrent dans la Résistance Marie Raynouard Le Doyen Gosse 78

Fondation du journal COMBAT, au Café de la Rotonde Les Allobroges Maquette de l'isère - Les Maquis 79

Une résistante juive Portes des cellules de la Gestapo - 28, Cours Berriat Valeurs de la République 80