Dossier artistique Rebecca Bowring

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1 Dossier artistique Rebecca Bowring

2 Mon travail est non seulement un travail de photographie, mais également un travail qui traite de photographie. De la photographie comme technique et technologie et les spécificités physiques qu elle comporte et engendre : le rapport à la lumière, au temps, le principe de la captation et celui de la révélation, le fait de cadrer, de reproduire, de produire, de rendre visible, ainsi qu une série de questionnements portant sur le devenir et la matérialité de l image à l ère de son existence numérique. De la photographie, ensuite, comme pratique amateur et comme usage social : des albums de familles aux clichés oubliés, de la mise en scène et de l écriture de nos quotidiens, de l autoportrait à la surreprésentation de soi sur les réseaux sociaux, de la constitution d une mémoire singulière et collective, de l archivage et de sa transmission, de la notion d identité. Je considère ma démarche de photographe selon la perspective de l essai, de la recherche voire parfois de l enquête. Je ne sélectionne pas un cliché seul parmi les autres pour l ériger au statut d oeuvre, il doit toujours y avoir une cohérence et une continuité entre le fondement conceptuel du projet, la méthode et le corpus formé par la série, les autres images. Je procède parfois selon une logique de collectionneuse ou de glaneuse d images que je tisse ensuite entre elles. A plusieurs reprises ces dernières années, le terme de «méta photographie «a été évoqué au sujet de mon travail. Je me rends compte que ce terme, dans sa complexité et sa vastitude, m intrigue, m intéresse et m accompagne. Il incarne sans l enfermer la direction de mes recherches et le développement de mon travail.

3 Data 2013

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19 Data, 2013 Où vont nos images numériques? Qu en est-il de leur futur physique, de leur visibilité qui n est que potentielle tant qu elles sont stockées sous forme de codes numériques, quel est le statut de leur existence, comment représenter cette matérialité en suspens? à l ère de la photographie numérique et du partage de l intime sur les réseaux sociaux, mon intérêt s est porté sur les supports tangibles de nos images que sont les data centers. En effet, le «cloud», technologie de plus en plus prédominante dans l usage de l informatique, nous a amené à ne plus garder nos images ou nos informations sur notre ordinateur personnel, qui incarnait encore un réceptacle défini, un «lieu», mais de les envoyer sur une sorte de nuage en sécurité «là-haut quelque part». C est ce «quelque part» qui m intrigue et qui a initié ce projet. La réalité physique du «cloud» sont donc les data center, énormes bâtiments aux allures de prisons, dont nous avons besoin pour subvenir à notre utilisation toujours plus importante d Internet. Ces data centers, sortes de machines monstrueuses dont on ne sait que peu de choses, contenant paradoxalement une densité hallucinante d activité humaine, mais totalement absents de notre imagerie et de notre conscience, sont aujourd hui cachés dans des sortes de non-lieux. Mes recherches m ont ainsi conduite à Quincy, ville agricole dans l Etat de Washington de 5000 habitants, qui héberge un total de 8 data centers dont deux sont en construction. Aux Etats-Unis, les leaders en matière d Internet (Google, Facebook, etc.) se développent dans des petites villes rurales américaines où ils trouvent une importante réduction d impôts et un coût minimal de l électricité. Ce phénomène a sensiblement modifié le paysage de ces villes. En m intéressant à ces supports matériels de l industrie de la new economy, je documente avant tout ces transformations et les conséquences qu elle induit sur l activité sociale. A travers ce travail, je fais le portrait d une ville au coeur du cloud, qui provoque le sentiment étrange d être prise au piège dans une zone intermédiaire, comme en attente d une redéfinition.

20 In Time 2013 Impression solaire sur feuille d arbre, format varie

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28 In Time, 2013 Quel est l avenir physique de la photographie? Support de mémoire, de transmission, parfois même d objet culte, que reste-t-il des images produites hier et aujourd hui? Traces d une génération qui n est plus là pour la raconter, cycle de vie composée de moments furtifs, qu en est-il de leur avenir? Ce travail interroge la temporalité de la photographie à deux niveaux: en m appropriant des négatifs trouvés au marché aux puces datant des années 50-60, j aborde la question du devenir de prises de vue à travers les époques; en les développant sur des feuilles d arbres à l aide d un procédé qui utilise la lumière du soleil et la photosynthèse des feuilles j évoque la temporalité physique du processus permettant à la lumière de révéler l image. Aucun produit n a été ajouté pour le rendu final. Ce travail allie mon intérêt pour la photographie d amateur et sa relation au temps. Il s agit de confronter les aspects antagonistes d éphémère et de longévité qui entourent le médium photographique représenté par les feuilles fragiles et les images d une génération précédente. Les feuilles encadrées sont vouées à se décomposer avec le temps dans leurs cadres; les photos de familles oubliées au fond d une boîte perdent leur fonction sociale. Ce travail mettant en scène des feuilles d arbre et s appuyant sur l essence de la technique photographique se veut également comme un hommage discret à Henry Fox Talbot, inventeur controversé de la photographie avec ses expérimentations de feuilles sur les premières surfaces sensibles.

29 The End of Forgetting Tirage platine, 4 x 5 inch

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37 The End of Forgetting, Grâce aux appareils numériques, le prix de la pratique photographique s est réduit considérablement, ce qui permet d obtenir un nombre presque infini d images. En contre parti, le tri et l impression de ces images ne fait que de diminuer. Dans le passé, pour constituer un album familial (activité désormais presque désuète), il fallait tout d abord sélectionner nos meilleures photographies et ensuite les coller une à une dans un album de sorte à ce qu il y ait, d une façon ou d une autre, un fil narratif. Dans cette pratique il y avait une volonté de transmission, de constitution d un héritage qu on léguait à notre entourage familial ou amical permettant ainsi de créer, ou compléter, son identité. Dans la série The End of Forgetting, je me réapproprie en quelque sorte cette pratique de sélection, de tri, et la lenteur liée à la démarche, perdue dans les pratiques contemporaines. En photographiant des photographies de vacances sur Facebook à travers mon écran avec un appareil argentique et en développant ensuite ces images en utilisant une technique de tirage au platine, procédé ancien dont la durée de vie de la photographie dure environ 500 ans, je donne à ces images une pérennité, les extrais de l anonymat dans lequel elles étaient vouées à disparaître dans le flot du web. Ce que je montre en photographiant ces images prises sans considérations de cadrage particulières, spontanées, instantanées, ayant avant tout valeur de souvenir, c est davantage la démarche de partage que l image en soi. C est parler du besoin humain de se raconter et la nécessité de laisser des traces.

38 Me, Myself and Smile tirages jet d encre, 80 X 60 cm

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44 Me, myself and smile, «A travers la série Me, Myself and Smile, Rebecca Bowring porte son regard sur un geste devenu naturel dans le processus de la prise de vue photographique: celui de tendre le bras en retournant l appareil ou le téléphone portable contre soi-même pour faire un autoportrait. Avec cette série, Rebecca Bowring capture autant le photographe que son geste. Les images, soigneusement mises en scène et porteuses d une dimension esthétique, proposent une mise en perspective de ces pratiques à la portée de tous.» Texte de présentation lors de l exposition à la galerie En avant-première au Musée de l Elysée, 2010