SOMMAIRE. La Montagne en 2009 : 90 ans et toujours des défis 6 à 19. Naissance d un homme politique 19 à 27

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2 ÉDITO Modernité Le 4 octobre 1919, paraissait la première édition de La Montagne. Titré «En avant», l éditorial inaugural d Alexandre Varenne se voulait résolument tourné vers l avenir. Quatre-vingt dix ans plus tard, cet esprit demeure. Les hommes ont changé. La fidélité demeure. Le périmètre de diffusion évolue. Les vecteurs d information gagnent en modernité, via la télévision, Internet, le cross média. Le Groupe Centre-France, fils de La Montagne rayonne désormais non seulement en Auvergne, mais aussi en Limousin, Bourgogne et région Centre. Au fil de ces neuf décennies, La Montagne a résisté. Au propre comme au figuré. Mais pas seulement. L esprit du journal a traversé sans ambages le terrible vingtième siècle et s engage dans le vingtet-unième plein d espoirs, de projets. Ce groupe, cet esprit s est forgé au fil des années, des soubresauts de l histoire politique, de l histoire économique de nos territoires. Bien comprendre le présent nécessite toujours une bonne connaissance du passé. De son passé. La rampe de lancement vers la modernité n en devient que plus facile à négocier. D où l idée de cet ouvrage qui nous transporte dans les pas d Alexandre Varenne. Dans la droite ligne de la biographie «Alexandre Varenne, une passion républicaine», signée par notre président Jean-Pierre Caillard, nous avons souhaité faire la part belle à la photographie. Grâce au soutien indéfectible de la Fondation Varenne et au remarquable travail d historien de Manuel Rispal, journaliste à la rédaction de La Montagne, nous avons pu réunir nombre de documents (pour certains inédits) retraçant la vie de cet homme hors du commun qui, de l Auvergne à l Indochine, du Palais Bourbon au viaduc des Fades en passant par le Japon ou le congrès de Copenhague, a été un acteur et un témoin de tous les défis de la première moitié du XX e siècle. Nous avons voulu aussi associer à cette démarche des grands témoins de notre temps, Raymond Aubrac, les sœurs Catherine et Hélène Zay (filles de Jean Zay), Max Gallo, Michel Charasse, Denis Trossero, premier journaliste lauréat du Prix Varenne. Tous témoignent du même souffle, du même esprit qui animait ce républicain exigeant. C est cet héritage culturel qui fait des femmes et des hommes de La Montagne, du Groupe Centre-France, les enfants d Alexandre Varenne, tous inscrits dans une logique de respect, de tolérance, d indépendance et de modernité. En avant. 2 3

3 SOMMAIRE La Montagne en 2009 : 90 ans et toujours des défis 6 à 19 Naissance d un homme politique 19 à 27 Premier député socialiste du Puy-de-Dôme 28 à 35 Le père de La Montagne 36 à Gouverneur général en Indochine 44 à 58 Vers le Front Populaire 59 à : en mission politique et diplomatique 64 à 71 En guerre contre la censure et l injustice 72 à : ministre de la République 86 à 89 Portraits des grands montagnards 90 à 92 Une fondation très active en héritage 93 à 98 Remerciements Dans les pas d Alexandre Varenne Numéro Hors série MAI , rue du Clos-Four Clermont-Ferrand Cedex 2 - Tél Directeur de la publication : Jean-Pierre CAILLARD Directeur des rédactions : Pierre Gironde Rédacteur en chef : Philippe Rousseau Chef de projet : Thierry Gauthier Textes : Manuel Rispal, Julien Dodon, Cédric Gourin, Daniel Martin Mise en page : Jean-Philippe Mottay Infographie : François Mercat Photos : Michel Wasielewski, Richard Brunel, Francis Campagnoni, Thierry Lindauer, Fred Marquet, Archives La Montagne, Archives de la Fondation Alexandre et Marguerite Varenne Impression : Fusium à Lezoux. N de commission paritaire : Dépôt légal : mai 2009 Tous droits de reproduction réservés sauf autorisation écrite préalable Retrouvez et commandez nos magazines hors série sur 4 5

4 Jean-Pierre Caillard Les respirations de la passion Qui est Jean-Pierre Caillard (président du Groupe La Montagne Centre France) lorsqu il laisse le patron de presse connu et reconnu sur le seuil des passions qui animent l homme? Sur la terrasse de son bureau qui offre une vue impressionnante sur Clermont- Ferrand, au cinquième étage d un bâtiment dont il a voulu l architecture ambitieuse. Soir d hiver Jean-Pierre Caillard débarque de Paris. À la course. Direction rue du Clos-Four, Clermont-Ferrand, où le journal auquel il est «viscéralement lié» inaugure ses nouveaux locaux avec le personnel de l entreprise. Séquence historique, le siège a quitté la rue Morel-Ladeuil. Le patron donne du plaisir à son temps toujours précieux. Visiblement heureux au milieu de ses équipes, il entonne sur l autel de la tradition l hymne Montagne «A la, à la, à la», échange ici, ailleurs. Prend la température d un moment de fête. Profite, puis file. Il aime «être dans l univers qui bouge». Servi! Matin de printemps. Pâques approchant, le tempo est, pour une fois, plus tranquille. Le bonjour est toujours en gentillesse. Le sourire a gardé quelque chose de l enfant. Il habille une certaine gêne, Jean-Pierre Caillard n aime pas parler de lui. Installer alors le débat sur l homme de presse, qui n est pas l objet du jour. Pourtant indissociable de l Homme, de ce que le Pdg de La Montagne Centre France est en dehors de sa sphère professionnelle. Un passionné d opéra, de corrida, de lecture, d art contemporain, de rugby, d histoire médiévale, etc. Autant d univers dont les vecteurs communs sont l échange et la rencontre, donc l humain. Et le questionnement. L introspection à bien y regarder. Cette animation intérieure qu il évoque avec réserve ; assis sur les crêtes d une humilité élégante. «Dans l arène, qui est notre planète symbolisée, on recommence sans cesse l histoire du monde» Son bureau ne porte aucun signe ostensible. Quelques mails imprimés devant lui, une télé plaquée au mur, des journaux. Et un vaste regard, vitré, sur l extérieur. Formes rectangulaires, loin de celles au cœur desquelles «l homme, à travers la corrida, se confronte à son histoire, à l animal. Pour le vaincre, il faut domestiquer la nature. C est pourquoi, Il crée les outils : la cape, l épée, les banderilles, la lance du picador ; devient l ami du cheval, c est-à-dire qu il réussit à dresser une partie des animaux contre les autres, en l occurrence cheval contre taureau, utilise tout ce qu il a d intelligence pour tenter de sortir vainqueur de l affrontement. Impossible de faire autrement face à une bête noire de 600 kilos qui symbolise l hostilité de la nature envers l homme. La corrida dépasse de très loin la seule notion de spectacle, elle est une représentation du monde dont on recommence sans cesse l histoire. On s autoraconte, on se défriche, on se déchiffre. L arène c est le globe dans sa violence». La tauromachie, Jean-Pierre Caillard l a découverte avec son père ex-cadre chez Michelin par hasard. Lors des fêtes de Valence. Il avait une quinzaine d années. Il se souvient d Antonio Ordoñez (considéré comme l un des plus grands matadors du XX e siècle). Le temps a forgé la passion. Préférences? «Ah je suis un «Sévillan». Passion andalouse longtemps partagée avec Franck Tenot, l homme du jazz sur Europe 1, qui était lui-même 6 7

5 «A soixante ans, j ai la chance de pouvoir dire que je fais ce dont je rêvais à 15 ans, même si je suis un journaliste qui a mal tourné». «Nous ne sommes pas dans un monde béat où tout le monde s embrasse sur la bouche ( ) Je cherche toujours l équilibre entre l économique et l humain» un fou de taureau. Je vais également en Arles, Nîmes, Bayonne depuis une vingtaine d années». Il évoque El Juli, et José Tomas, avoue un penchant actuellement pour le Français Castella, et sait parfaitement le type de réactions qu entraîne, chez les anti, cet amour immodéré. D ailleurs, son épouse ne le partage pas. Loin de là! «Elle est en revanche, férue d opéra. Elle m invite à regarder au-delà du classique wagnérien que je suis. A aller vers Haendel et d autres. Elle est plus Baroque, c est très intéressant». «J ai écouté du rock au départ, plus Stones que Beatles d ailleurs» Cheminement «J ai écouté les rockeurs au départ, comme tout le monde. J étais plutôt Rolling Stones et Kinks que Beatles», glisse-t-il toujours avec le même sourire. «Puis la respiration, le passage, s est fait petit à petit vers l opéra». Spectacle global «qui fait chanter les artistes dans de drôles de postures, avec de drôles de voix, de drôles de costumes, mais». Son geste du bras termine la phrase, et lâche les chevaux du plaisir. Du système Opéra, Jean-Pierre Caillard a fréquenté toutes les planètes. Particulièrement celle de Bavière. Chaque fois que possible «nous sommes à pleurer tous les ans pour places disponibles sur l ensemble du festival» -, il se rend à Bayreuth. Un monument créé par Wagner. Le ring (cycle de quatre opéras, toujours de Wagner) sera cet été, une fois de plus au programme. Pour la même atteinte au sublime, celle que provoque l art en général. Le sensible. L indicible donc. Mais toujours le ressenti, l enrichissement. Comme celui que l on retrouve page après page dans l exercice de la lecture dont il est un autre «fou» et qui permet de «se retrouver face à soi-même». Deux références en passant, Le hussard bleu (de Roger Nimier) et Le roi des aulnes (de Michel Tournier), «de vrais bouquins. J aime l écrit, c est logique vu ma profession, même si je suis un journaliste qui a mal tourné (rires)»! Au fait, parlons-en deux minutes. C est quoi l histoire de Jean-Pierre Caillard et de La Montagne? «J y suis rentré en stage en sortant de Sciences Po Paris après Sup de Co Clermont, et trois mois plus tard j ai eu la chance que l on me dise c est pas mal ce que tu fais, tu peux rester. Voilà Après, parce qu on me l a demandé, j ai atterri sur les moquettes de la Direction». Quelque chose de programmé? D envisagé? «Non. Pas un instant. Je n ai jamais eu cette ambition. Je savais que je serais dans le domaine de la communication, du message, de l échange, mais j aurai pu rester dans les rédactions». Comme il choisit, en 2001, de rester à la tête de son groupe plutôt que de prendre la présidence de France 3 national. «La Montagne, c est viscéral. Je ne peux faire sans. Et puis, je suis Auvergnat». Clermontois? «Oui, vrai Clermontois. Je crois que ma première photo, dans mon landau, a été prise rue Entre-les-Deux-Villes, près du nouveau siège du journal! Rétrospectivement, mes origines ont peut-être joué dans mon choix». Il n en demeure pas moins impliqué tous azimuts au sein du monde médiatique. Consécration du rationnel et de l intuitif. «Je sais les moyens dont je peux faire usage, les possibilités techniques, et je crois respirer plutôt pas mal les choses à l échelle nationale et parfois européenne». Conséquences : son CV affiche, entre autres : Président du Syndicat de la Presse Quotidienne Régionale, Président du Groupement des Grands Régionaux, Pdg de Clermont 1ère (première télévision locale créée par un Groupe de presse régional), membre du comité exécutif de l Association Européenne des Éditeurs de Journaux, etc, etc». Tapez sur Google, vous verrez! Omnisollicité, mais «au courant d à peu près tout ce qui passe au sein du groupe». Patron critiqué parfois, comme les autres ; respecté pour ce qu il a, notamment, de rassurant. «Tant qu il est là, on ne risque pas grand-chose», entend-on régulièrement. «Je cherche toujours à comprendre l ensemble et les individus qui le composent. Ce n est pas toujours facile. Nous ne sommes pas dans un monde béat où tout le monde s embrasse sur la bouche. Il y a l économique, on ne peut faire sans sinon tout craque, mais il y a l aspect humain, social. Je cherche toujours l équilibre entre les deux. Ne pas sacrifier l un au profit de l autre. Nous fêtons les 90 ans de La Montagne et j entends bien que nous fêtions les 100 ans dans les mêmes conditions, en faisant partie des quatre ou cinq groupes de presse forts et bien installés dans l Hexagone. C est essentiel, et plutôt bien parti»! Pour cela, il compte sur ses «superbes équipes», sur sa garde rapprochée. «Si je dois faire dans l autosatisfaction, ce sera pour dire que je choisis bien mes collaborateurs». À l image d un coach qui articule son quinze. En quête de solutions pour s approprier un territoire. Passe sur un pas. «J aime le rugby pour ce qu il donne d espace aux joueurs et pour l intelligence collective dont il faut faire preuve. Intelligence dans l affrontement, aussi dans l esquive, que personnellement je ne retrouve pas dans d autres sports». En s affichant en haut du tableau de la presse quotidienne régionale cette année, La Montagne a, quelque part, remporté son Bouclier 8 9

6 interview «Un socle pour asseoir l avenir» LA MONTAGNE A 90 ANS Lancement à succès de la formule tabloïd, taux de pénétration confortés, sites Internet à forte audience, intensification de la diversification des activités du groupe, l année 2008 a été une année charnière dans l histoire du groupe La Montagne Centre France. Un socle pour asseoir l avenir Président-directeur général du groupe La Montagne Centre France depuis 1996, Jean-Pierre Caillard a débuté sa carrière comme journaliste à La Montagne. Il préside le Syndicat de la presse quotidienne régionale (SPQR), le Groupement des grands régionaux (GGR). Il est administrateur de l AFP (Agence française de presse) et préside la Coopérative des papiers de presse. Le lancement, le 23 janvier 2008, de la formule tabloïd pour le journal La Montagne, et les quotidiens du groupe que vous présidez, est un incontestable succès. Y a-t-il une recette La Montagne Centre France? Ce succès auprès des lecteurs repose, plus simplement, sur des fondamentaux qui forgent notre identité d acteur de proximité. À travers le temps, et nous y travaillons tous les jours, nous renforçons un lien de confiance absolue avec les femmes et les hommes, les jeunes et les moins jeunes qui nous lisent. Nous veillons à ce que, chaque matin, nos quotidiens soient le reflet de l actualité locale, départementale, régionale, nationale et internationale. Nous parlons de tous, de tout, pour faire écho à notre slogan. Avec la formule tabloïd, lancée le 23 janvier 2008, cette vocation de proximité a été renforcée. Il s agissait d offrir une nouvelle lisibilité à l information locale, celle que collectent, jour après jour, nos journalistes et correspondants dans leurs agences, leurs villes et villages. De fait, le contenu est plus réactif, plus varié. Chacun y retrouve une part de lui-même. Nous avons choisi, de créer, dans le Puy-de- Dôme, outre Clermont Métropole, deux nouvelles éditions, Limagne et Volcans, davantage 10 11

7 LA MONTAGNE A 90 ANS LA MONTAGNE A 90 ANS Tous les jours, à 10 h 30 et 17 heures, la conférence de rédaction est un moment important de la vie du journal. territorialisées. Avec l édition clermontoise Métropole, nous allons, plus encore, à la rencontre des urbains, des jeunes, des actifs. Bref, nous occupons tous les terrains de la proximité. Tous ces éléments expliquent le très fort taux de pénétration de La Montagne, l un des plus élevés de la presse régionale française. Un contenu en phase avec les attentes des lecteurs, un format plus facile pour la prise en main De part son format, le tabloïd offre un meilleur confort de prise en main pour nos lecteurs. Le confort visuel, avec une page sur deux en couleur, ravit les lecteurs et nos annonceurs, aussi. Le succès de la formule tabloïd et la dynamique de nos quotidiens font, qu aujourd hui, nombreux sont nos confrères qui viennent observer le travail entrepris par nos équipes. Ces dernières années, le groupe La Montagne Centre France a également intensifié sa diversification. Quelle en est la visée? Pour poursuivre, demain, notre mission d information auprès de tous les publics, nous devons nous ouvrir à toutes les technologies de l information. Cette ouverture nous confortera dans notre positionnement de groupe multimédia, interlocuteur médiatique privilégié de nos régions. Les quotidiens, les hebdomadaires, les portails Internet de nos différents titres, les télévisions locales, tel ClermontI1ÈRE, nos hors-série, sont autant de supports participant à nourrir le dialogue permanent qu entretiennent les citoyens, nos lecteurs. Nos sites Internet, qu il s agisse des portails de nos quotidiens ou de maville.com, s adaptent aux demandes de tous les publics, avec une information toujours plus réactive. Ils offrent également la possibilité de s abonner aux éditions numériques de nos quotidiens, de passer une annonce en ligne Quant aux télévisions locales, elles sont autant de nouveaux territoires de proximité en complémentarité avec nos autres supports médiatiques, y compris pour nos annonceurs. Vos activités de diversification se construisent autour du journal papier. Vous avez donc confiance en son avenir? Assurément. Il n y a pas de fatalité. La fidélité de nos lecteurs est la démonstration que le journal imprimé a un bel avenir. L attachement de ces femmes et de ces hommes au support papier est le premier de nos succès. À condition de rompre avec des habitudes, avec des pratiques attachées à un «âge d or» révolu. Nous nous y attachons! Le groupe La Montagne Centre France s ouvre aussi à d autres territoires Pour préserver notre indépendance, éditoriale en premier lieu, nous avons créé, en 2007, le groupement Grand Centre avec nos voisins et amis La Nouvelle République du Centre Ouest et La République du Centre, implantés à Tours et à Orléans. Sans exclure, à terme, des partenariats capitalistiques en témoignent les 35 % que notre groupe a pris dans La République du Centre ce nouvel ensemble nous permet de développer des projets communs et de multiplier des synergies, notamment industrielles. L acquisition par La Montagne, en 2008, du quotidien L Yonne républicaine s inscrit également dans cette volonté de conforter notre indépendance. S ouvrir à de nouveaux territoires, c est permettre à leurs habitants de mieux se comprendre, de confronter leurs regards sur les grands enjeux de société. Nous assumons là notre rôle d aiguillon dans l aménagement du territoire, du cadre de vie et dans le développement de la culture, des loisirs ou de l économie

8 LA MONTAGNE A 90 ANS En direct d Issoire Dans le quotidien des «sentinelles du quotidien» LA MONTAGNE A 90 ANS Tôt le matin, tard le soir, dans leurs agences, les journalistes se dressent en sentinelles de l information, avec une mission sacrée, offrir le meilleur de l actualité aux lecteurs. Pas un jour ne se ressemble. Immersion à Issoire. Non, il ne s agit pas de Charly et ses drôles de dames, mais simplement d une réunion de rédaction à l agence d Issoire. Olivier Chapperon fait face à Marion Chavot, Caroline Dziegel, Claire Villard, Gaëlle Chazal et Emilie Zaugg (de gauche à droite). Lumière. 8 heures. Ouverture de rideau à l agence d Issoire. Arrivées les premières, ce matin-là, les secrétaires placent les affichettes en vitrine, l édition d Issoire de La Montagne sur le présentoir. Priorité aux lecteurs, aux abonnés, aux habitués des visites matinales. Après la lecture du journal, les secrétaires vont aller voir sur la boîte aux lettres Internet «tout ce qui est tombé dans la nuit». Les annonces des associations, les communiqués des communes, les articles des correspondants «À partir de là, nous traitons toutes les petites brèves». Tout ce qui compte dans la vie locale, dans les villages du Sancy, à Issoire, partout. Les rendez-vous sont notés à l agenda. Tout ce qui va se passer. Au chef d agence, ensuite, de définir les priorités. De précieuses mémoires À leur arrivée, un peu avant 9 heures, les journalistes ont déjà leur journal posé sur leur bureau. Le café est chaud. «On les dorlote nos journalistes», commente Joëlle, l une des secrétaires, en vraie maman poule. Elles sont précieuses les secrétaires. Les mémoires de l agence. Réactives, disponibles, et, à Issoire, tout le monde les connaît. Toute l équipe est là. Autour du café. La discussion s engage autour de l actualité de la veille, de celle du jour. Ce matin-là, la conversation se poursuit dans le bureau d Olivier Chapperon, chef d agence. Une fois par semaine, au moins, les journalistes se retrouvent pour faire un état sur les rendez-vous au programme, pour la semaine à venir. Dans une ambiance studieuse, les sentinelles de la locale issoirienne balayent les sujets. Au programme de la journée, une plantation d arbre dans une école élémentaire, des portes ouvertes au lycée, un concert, et un gros dossier, un sujet qui soulève des inquiétudes, l implantation d une carrière. Tandis que les secrétaires saisissent à l ordinateur des communiqués, les journalistes discutent du week-end à venir. L organisation dépendra des forces en présence. Chargée, cette semaine-là, d élaborer les pages Issoire, de hiérarchiser les 14 15

9 LA MONTAGNE A 90 ANS LA MONTAGNE A 90 ANS Le groupe La Montagne Centre France Le cœur de métier, la presse articles dans une page, de la mettre en forme, Marion indique quel journaliste va faire tel sujet, quel autre a tel rendezvous. Toute l architecture du quotidien se prépare, se peaufine, se bâtit. La réunion terminée, chacun retourne à ses occupations. C est l heure des premiers rendez-vous. Carnet et stylo en main, Caroline prend une clef de voiture, quitte l agence. Toute la journée, ce sera un permanent va-et-vient. Une agence locale, c est une ruche. Avec son organisation. Ses codes. Le midi, le plus souvent, les journalistes se retrouvent pour déjeuner. Parfois les secrétaires s y associent. Un vrai moment de convivialité, de détente. Avant de repartir à l affût des informations de proximité. La tâche est exaltante. Les portes de l agence s ouvrent, se Carnet et stylo feutre : la collecte de l info ne s embarasse pas de «chichi». rouvrent Difficile de compter les allées et venues des journalistes, tant ils multiplient les déplacements pour rencontrer leurs interlocuteurs. Avec une passion chaque jour renouvelée. L humain, c est le carburant de tout bon journaliste. Tout l après-midi, pendant ce temps, les secrétaires accueillent les lecteurs. Ils poussent la porte pour renouveler leur abonnement, pour donner un communiqué ou une information. Les rotatives ne chauffent pas encore, à Clermont-Ferrand, que les pages issoiriennes prennent tournure. Marion surveille la copie, relit, met en forme. Elle prépare aussi le journal du surlendemain, selon le nombre de pages proposées. À l heure où la plupart des Français se mettent à table, le soir, les rédacteurs de l agence bouclent leurs papiers. Un petit coup d œil du voisin de bureau pour la relecture. En un clic, le papier atterrit sur l écran de Marion, au regard aiguisé. Puis, à son tour, Olivier lit toute la production journalière. Une sacrée masse d infos. Les pages validées, elles peuvent être envoyées à Clermont. Dans moins de dix heures, le journal sera en kiosque, dans les mains des premiers lecteurs. Pour les journalistes d Issoire, comme pour ceux des autres agences du groupe, l information a changé de visage. Le puits est sans fond, et quand l actualité n a pas de talent, c est aux journalistes d en avoir. Une exigence pour les lecteurs. Basé au coeur de la France, à Clermont-Ferrand, là où se trouve son siège historique, le groupe Centre-France compte aujourd hui cinq journaux, La Montagne, Le Populaire du Centre, à Limoges, Le Berry Républicain, à Bourges, Le Journal du Centre, à Nevers, et L Yonne Républicaine, à Auxerre. À ces artisans du quotidien, acteurs majeurs de leurs territoires, implantés dans quatre régions françaises et onze départements, et pesant plus de exemplaires en diffusion totale, il faut ajouter d autres journaux de proximité, des hebdomadaires, La Gazette de Thiers, La Voix du Sancerrois et L Écho Charitois. UNE STRATÉGIE GLOBAL MÉDIA Internet Soucieux d ouvrir son information à tous les publics, La Montagne Centre France est devenu un groupe multimédia d importance. Avec leurs portails Internet, lepopulaire. fr, lejdc.fr et leberry.fr, en permanence adaptés aux exigences de la toile, les lecteurs bénéficient de sites d information en continu, en complémentarité avec les supports papier. La Montagne Centre France, ce sont aussi des sites de services de grande qualité et reconnus pour leur professionnalisme. Avec com et limoges.maville.com, les internautes peuvent retrouver toutes les actus de leur ville, les sorties, les rendezvous à venir, des avis et commentaires sur les bars et les restaurants... Toute la vie locale sur un site. Avec les sites d annonces et de services, centremploi.com, centreimmo. com, centreautos.com, centreofficielles. com, centrevac.com et centreunions. com, ce sont, chaque mois, plus de Première télévision locale pilotée par un groupe de la PQR, Clermont 1/ERE a été lancée en octobre

10 LA MONTAGNE A 90 ANS visiteurs qui viennent y consulter et chercher l information dont ils ont besoin. Télévision locale Moteur dans la dynamique des télévisions locales, le groupe La Montagne Centre France a, très tôt, lancé CLERMONTI1ÈRE. En octobre 2000, la chaîne devient ainsi la première télévision locale d agglomération pilotée par un groupe de la presse quotidienne régionale. Depuis septembre 2007, CLER- MONTI1ÈRE, articulée entre l actualité du Puy-de-Dôme et de l Allier, est disponible sur le bouquet TNT, ainsi que sur ADSL. La chaîne dispose d un site Internet, où le public peut retrouver les émissions déjà transmises. Magazines et hors-séries Avec la proximité pour credo, le groupe La Montagne Centre France développe une politique de magazines qui colle aux territoires. Sports Auvergne et Sancy Magazine en sont les plus belles illustrations. Ces deux magazines connaissent un vif succès. Réputés pour leur grande qualité rédactionnelle, les hors-séries La Montagne ont, eux aussi, trouvé leurs lecteurs. À l instar de celui consacré à l épopée Michelin, vendu à plus de exemplaires en Auvergne et traduit en anglais pour répondre notamment à la demande américaine. Diversification Pour compléter son offre de proximité, la filiale événementielle du groupe a développé l organisation de salons et de rendez-vous professionnels ou grand public, à Clermont-Ferrand, comme le Salon de l habitat, le Salon de l automobile, le Carrefour nationale de la pêche et des loisirs... Le groupe est également partenaire dans l organisation de nombreux autres salons sur sa zone de diffusion. S ouvrir à d autres horizons Désireux de multiplier les partenariats avec ses deux voisins La Nouvelle République du Centre Ouest, basée à Tours, et La République du Centre, à Orléans, le groupe La Montagne Centre France a largement pris sa part à la création du groupement Grand Centre, en septembre Ce rapprochement stratégique vise autant à préserver l indépendance éditoriale des trois groupes, qu à leur permettre de développer des projets communs, dans les domaines de la presse, écrite, de l audiovisuel et d Internet. Les trois géants de Grand Centre misent aussi sur une optimisation de leurs ressources par une recherche des possibilités de synergie entres leurs activités, pour une politique commune de développement. Dans les pas d Alexandre Varenne Fondateur de La Montagne, Alexandre Varenne a été le témoin de tous les défis de la première moitié du XX e siècle. Focus sur le destin peu ordinaire d un homme résolument engagé

11 NAISSANCE D UN HOMME POLITIQUE Excellence à Blaise Deux cents mètres de montée, un peu de plat, puis une petite descente, et Alexandre Varenne arrive dans la cour du lycée Blaise-Pascal. Mais quelle ascension sociale à la clé! NAISSANCE D UN HOMME POLITIQUE Une enfance clermontoise Alexandre Varenne est né le 3 octobre 1870, à Clermont- Ferrand (Puy-de-Dôme). Joseph, son père corroyeur, fils de Jean Varenne, un vigneron de Ravel (Puy-de- Dôme), avait fait un beau mariage en épousant Françoise Marc, fille d un chapelier, dont l atelier-magasin avait pignon sur la rue commerçante des Gras, à Clermont-Ferrand. Mais Joseph et Françoise ont tout fait pour que leurs deux fils (Jean-Baptiste est né en 1877) fassent de bonnes études : Jules Ferry, ministre de l Instruction publique ( et en 1882), est passé par là, offrant à des familles relativement modestes la possibilité de voir leurs enfants réussir. Car assouplir le cuir après le tannage ou le vendre dans la boutique de cuirs et crépins, à l enseigne «Varenne - Marc», n offraient pas de grandes perspectives pour ces deux enfants. À côté de cette boutique, Louis Bouchet régalait ses clients avec ses chocolats. Sa fille Clémentine, la petite voisine d Alexandre, épousa, plus tard, Auguste Rouzaud et créa la marque de chocolats «Marquise de Sévigné». Cette année-là, Laurent Mice, 56 ans, recteur de l académie de Clermont, préside la distribution solennelle des prix au lycée Blaise-Pascal. Dès qu il fait son entrée, notables, professeurs et employés, parents d élèves et lycéens du petit et du grand lycée se lèvent. Les professeurs de musique et leurs élèves entonnent la Marseillaise, reprise par l assistance. La III e République est encore jeune et fragile. Ce 31 juillet 1888, Alexandre Varenne va sur ses dix-huit ans (le même âge que cette République) ; il vient de passer brillamment sa deuxième partie du bac ès lettres, et il attend que Lamotte-Tenay, censeur des études, appelle les lauréats. Il faut encore écouter le discours d usage prononcé par Claude Félix, professeur de lettres, qui a été reçu à l agrégation l année précédente. Trois ans plus tôt, le 5 août 1885, alors que Alexandre Varenne concluait sa scolarité de troisième par un troisième accessit d excellence, il avait entendu le professeur de philosophie, Henri Bergson, prononcer le discours d usage : la grande classe. À vous donner envie d arriver vite en classe de philo. Et le jeune Alexandre n a pas été déçu, au cours de l année Certes, alors qu il avait remporté le prix d excellence en classe de rhétorique, l an passé, il doit se contenter, à l appel du palmarès, du deuxième prix d excellence en philosophie, derrière Émile Cotton, fils d un des professeurs de mathématiques de terminale. C est d ailleurs Émile Cotton qui décroche la médaille d honneur en or (valeur 75 francs) décernée par l Association des anciens élèves du lycée de Clermont. L année suivante, il passa le bac de mathématiques et devint un mathématicien aussi brillant que son frère aîné le fut pour la physique. Lauréat En 1888, Alexandre Varenne a, en plus de la deuxième place en philo, obtenu le premier prix en histoire et en dessin d imitation, le deuxième en physique-chimie, le premier accessit en dissertation française, le deuxième en mathématiques et en histoire naturelle. Il a conservé toute sa vie ses livres de lauréat, dont la couverture garde l inscription «Lycée Blaise-Pascal» en vieil or. Ces livres représentent beaucoup pour lui et pour sa famille. Il a réussi grâce à ses qualités une excellente mémoire notamment mais aussi par l excellence du corps enseignant : sur les quinze professeurs de terminale, au moins six étaient alors professeurs agrégés, et quatre allaient le devenir. Alexandre Varenne a été marqué par Henri Bergson, ce professeur agrégé de philosophie qui deviendra prix Nobel en 1927, même s il ne partageait pas ses idées. «J étais depuis longtemps brouillé avec le dogme, écrit Alexandre Varenne en 1941, quand, au lycée de Clermont, j entrai dans la classe de philosophie où brillait déjà un jeune maître qui, depuis, a empli le monde de sa renommée, Henri Bergson. Un jour qu il nous faisait la leçon sur les preuves de l existence de Dieu, mon maître, qui en était déjà à la cinquième, me voyant sourire, me demanda pourquoi. C est, lui dis-je, que vous nous en avez déjà donné quatre. Eh bien? Eh bien! S il en est une qui soit vraiment une preuve, pourquoi ne pas la donner tout de suite? Et le maître de sourire à son tour. Ce n est pas si mal répondu.» Quand, plus tard, Alexandre Varenne est élu député, il retrouve Henri Bergson aux abords de la Chambre, alors que ce dernier se rend au Collège de France. Et ils parlent d un de ses camarades de promotion à l École normale supérieure : Jean Jaurès

12 NAISSANCE D UN HOMME POLITIQUE Que faire avec deux bacs en poche? Alexandre Varenne s était montré curieux de tout, avide de lectures à la bibliothèque du lycée Blaise-Pascal, ou à celle d un ami qui le prend sous sa protection. Sa mémoire serait bien utile pour bien des professions, notamment celle d avocat où la plaidoirie prend tout son sens quand elle est dite sans note, appuyée d effet de manches, comme un tribun. Mais les sacrifices consentis par Joseph et Françoise Varenne touchaient à leurs limites. «Si tu veux continuer tes études, tu n as qu à travailler». Il trouve un travail de clerc d avoué, rue Pascal. Même si l avoué ne plaide pas, il a besoin d un clerc pour préparer ses dossiers. Et gare à l erreur de procédure! Autant dire que la connaissance des codes notamment le code civil et celui du commerce est impérative dans ce centre-ville de Clermont-Ferrand où vit et commerce le cœur économique du département. Voisin de Raymond Bergougnan À 40 francs or de salaire mensuel, le jeune Alexandre ne risquait pas de faire fortune. Presque en face de l étude d avoué, un petit artisan s activait dans son échoppe : Raymond Bergougnan, né douze ans avant Varenne : il «fabriquait et vendait des timbres en caoutchouc pour les sociétés de libre-pensée ou de gymnastique. On le rencontrait parfois dans les cafés de la ville, faisant l article pour ses timbres à vingt-cinq sous. La vogue de la bicyclette, puis celle de l auto firent sa fortune.» Raymond Bergougnan construisit une usine de caoutchouc, au bout de la rue Fontgiève à Clermont-Ferrand. Alexandre Varenne poursuit ses études. Après une dispense comme étudiant en droit, il est incorporé au 152 e régiment d infanterie, à Nancy, où il arrive le 12 novembre 1891 : «Soldat de 2 e classe : numéro matricule : 3260 ; 2 e bataillon, 4 e compagnie». Il a 21 ans. Il reçu ses différentes instructions militaires, jusqu en septembre 1892 où, caporal, il est «envoyé en congé en attendant son passage dans la réserve». Il peut poursuivre ses études de droit. Mais à Paris, cette fois. Il donne comme adresse le 4, rue Régnard à Paris, à deux pas du Sénat et dans le Quartier Latin. Ainsi, en jeune Rastignac, Alexandre Varenne hume les pouvoirs politique et intellectuel. Pour payer son loyer, il travaille dans Clerc d avoué, puis avocat à Paris une maison de commerce, avec un bien meilleur salaire qu à Clermont-Ferrand : «125 francs pour commencer». Près de la misère «Mon droit terminé, écrit Alexandre Varenne, après une interruption d études de quatre ans et grâce à un effort désespéré pour conquérir le diplôme avant l âge limite de 27 ans, faute de quoi je tombais sous le coup de la loi militaire et devrais repartir à la caserne, j avais poursuivi péniblement ma carrière d employé, faisant de la comptabilité pour des amis de rencontre après qu eut disparu la maison de commerce où j avais débuté. J étais dans une situation voisine de la misère, comme en ont connue, à leurs débuts, des hommes qui ont pourtant laissé leur trace dans l histoire de leur temps.» Il avait pourtant essayé, par des recommandations, d entrer dans un journal. Pas n importe lesquels : il avait été reçu au Temps par Anatole France et à l Aurore par Georges Clemenceau. Lequel lui avait lancé : «À votre âge, jeune homme, vous devez être révolutionnaire?» Mais ne l avait pas embauché. Et un avocat sans cause à défendre ne gagne pas son hermine. Avocat, un métier que Varenne exerça toute sa vie. En bas, le 4, rue Régnard à Paris, où l étudiant Varenne a logé, certainement sous les toits. Engagé dans la presse engagée En 1898, par un premier contact, Alexandre Varenne met un pied dans un journal parisien, éphémère : La Volonté. Il en fait preuve, mais il n y gagne qu une première expérience et de l espoir. Il va ensuite éclairer la Lanterne de ses lumières. Député socialiste de la Seine depuis 1893, René Viviani (1) était rédacteur en chef de la Lanterne, avec des noms d écrivains et de journalistes déjà célèbres comme Anatole France et Aristide Briand. À cette époque, les socialistes se cherchent entre la République, le radicalisme et le marxisme ; l imprimerie est en pleine restructuration, avec l arrivée pour la première fois en Europe en 1894 à Amsterdam de la Linotype. Inventée aux États-Unis, en 1886, par un immigré allemand, cette composeuse a remporté le grand prix de l Exposition universelle de Paris de 1889, celle de la tour Eiffel. Mais son arrivée dans les ateliers de la presse parisienne ne se produit qu en 1898, au moment où Varenne débute comme secrétaire de rédaction, métier moins en vue que celui de reporter ou de chroniqueur, mais indispensable à la bonne marche d un journal. Jaurès crée l Humanité, dont le premier numéro sort le 18 avril 1904, avec Aristide Briand comme administrateur délégué et Gustave Roucas comme président du conseil d administration. La Volonté est tombée, la Lanterne ne les éclairent plus tellement ; l Humanité, ça, c est un titre, mobilisateur pour la rédaction qui ne veut que son bien et celui du socialisme indépendant dont Jean Jaurès est le chef de file. «Titre magnifique, note Alexandre Varenne. Rédaction brillante et nombreuse. Tout ce qu il fallait pour réussir, si le journal avait été convenablement administré» Le journal satirique La Lanterne était dirigé, au début du XX e siècle, par Victor Flachon. Le ton était anticlérical. Le photographe s est amusé à prendre le modèle (qui porte la même bague au petit doigt de la main droite) en deux poses. Mais Briand et Roucas n étaient pas «des têtes à chiffres». (1) René Viviani ( ), député de la Seine de 1898 à 1902, de la Creuse de 1906 à 1922 ; sénateur de la Creuse de 1922 à sa mort. Il a été le premier ministre du Travail et de la Prévoyance sociale, de 1906 à Ambiance bouclage à l Humanité Briand qui avait recruté le chef des typos, le prote, «C était écrit Alexandre Varenne dans ses mémoires. Il avait pris simplement le prote en second de la Lanterne, un grand Alsacien triste, du nom de Jacob. Comme secrétaire de la rédaction (chargé de la mise en page), il avait choisi Gabriel Bertrand (1), rédacteur parlementaire de la Petite République, qui avait énormément de talent et comme écrivain et comme orateur, qui frisa de peu l entrée à la Chambre [des députés], et qui finit, pendant la guerre, consul général à Moscou.» Le prote Jacob ne connaissait pas la composition nouvelle à la Linotype, n ayant jamais travaillé qu à la main, et Gabriel Bertrand n avait, sur le travail de mise en page, que des données assez vagues. En tous cas, il négligeait, de parti pris, la question de temps, en sorte que le journal, même intéressant, était toujours en retard et n arrivait dans les kiosques qu après les autres, quand le gros des acheteurs était passé.» Les réclamations commençaient à affluer à l administration, mais sans troubler beaucoup le personnel politique, lorsqu un incident obligea Jaurès et Briand à remplacer leur secrétaire de rédaction. Mastic au marbre» Les élections municipales avaient eu lieu dans toute la France le premier dimanche de mai, comme cela se produisait tous les quatre ans. À Paris, les résultats avaient été assez favorables. La vague nationaliste qui, aux élections précédentes, avait déferlé sur l Hôtel de Ville, était cette fois en recul.» Le soir du scrutin, Viviani, qui travaillait à une vitesse record, mais avait une écriture à peu près illisible, rédige un premier- «Paris» (2) pour l Humanité, où il exalte la victoire de ses amis républicains et socialistes.» Le lendemain matin, horreur! L article, dès les premières lignes, était un rébus. Pas moyen de s y reconnaître. Que s était-il passé?» Le malheureux prote, ayant à remplacer sur le marbre les nombreuses lignes à corriger, avait replacé les corrections dans l ordre inverse, de telle sorte que la première ligne corrigée, qui devait prendre place vers le début de l article, se trouvait vers la fin, la dernière au début. Et il y en avait ainsi une bonne trentaine dont aucune, sauf celle du milieu, n allait avec le contexte. Une catastrophe. Viviani, constatant le désastre, prend le téléphone, appelle Jaurès à son (1) Il y était en 1917, au moment de la Révolution russe. (2) Article destiné à l édition parisienne. NAISSANCE D UN HOMME POLITIQUE

13 NAISSANCE D UN HOMME POLITIQUE domicile, et lui sert une de ces aubades dont il avait le secret.» Jaurès appelle Briand. Il faut aviser. Le soir même, à la Chambre des députés, Briand me dit que Jaurès veut me voir et me proposer le secrétariat de rédaction de l Humanité. Je résiste. Jaurès insiste. Je discute. Il ne me plaît pas de quitter mon emploi à la Lanterne où j ai monté en grade, où je rédige l éditorial, pour entrer dans une maison où, je le crains, il sera difficile de mettre de l ordre.» Il m est répondu que je n aurai pas à quitter la Lanterne. On se procurera l accord de son directeur. Je pourrai mener de front les deux tâches. Gabriel Bertrand joint ses exhortations à celles de ses deux patrons. Je promets d aller le soir même à l imprimerie de l Humanité voir ce qui se passe.» La première nuit, à l heure où doit commencer le tirage, il manque six colonnes, une page entière qui reste à composer. Le journal paraîtra avec un retard d une heure. Le lendemain, six colonnes de trop. Il faut perdre une demi-heure à tailler là-dedans.» Devant ce chantier de démolition, ma résistance fléchit et je promets, à la condition que la direction de la Lanterne consente à me prêter à l Humanité. De 30 à 40 feuillets pour un article [Alexandre Varenne poursuit sa narration de l ambiance]» Un soir, ayant à voir le patron pour le numéro du lendemain, je traversai la salle de rédaction et entrai dans le bureau de Jaurès. D habitude, quand il était parmi nous, on le voyait assis, en été en bras de chemise et en bretelles, le plancher couvert autour de lui des feuillets de son article il écrivait d une grande et belle écriture, si grande qu un article d une colonne et demie prenait entre 30 et 40 feuillets, qu il ne numérotait qu après coup, ce qui l obligeait à se mettre à quatre pattes pour rassembler les feuillets épars jetés à terre aussitôt écrits.» Ce soir-là, il n écrivait pas. Il avait du monde. Et quel monde! Briand, Viviani, Sembat, Rouanet, Pressensé, Lucien Herr, Léon Blum, Anatole France*, devisant sur la politique. (*) Marcel Sembat ( ) ; Gustave Rouanet ( ) ; Francis de Pressensé ( ) ; Lucien Herr ( ; un des premiers dreyfusards, dès 1898, et un des fondateurs de la Ligue des droits de l Homme) ; Léon Blum ( ) ; Anatole France ( ). L affaire Dreyfus, mobilisation républicaine L histoire complète de l affaire Dreyfus déborderait, à elle seule, des pages de cet ouvrage. Alfred Dreyfus, capitaine de l armée française est victime d une machination ourdie par des membres de l état-major de l armée, par antisémitisme. Or Alfred Dreyfus avait vu, à 11 ans, l entrée des Prussiens dans Mulhouse, en Sa famille avait choisi la France et le jeune Alfred avait décidé de devenir officier pour montrer son attachement à ce pays. Polytechnicien, brillant militaire de l artillerie, il est le seul Juif lorsqu il est nommé à l état-major de l armée, en Arrêté pour des raisons montées de toutes pièces, en 1894, condamné à la déportation perpétuelle, dégradé en 1895, il est défendu par sa famille et un petit groupe demandant la révision de son procès. Le «J accuse» à la Une de l Aurore, lettre ouverte au président de la République, signé d Émile Zola, le 13 janvier 1898, marque un tournant. Les Français deviennent «dreyfusards» (partisans de la révision de son procès), ou antidreyfusards. Zola est à son tour condamné. Des hommes politiques et des intellectuels créent alors la Ligue des droits de l Homme, fédérant les républicains épris de justice et luttant contre l arbitraire qui pouvait discréditer la République encore toute jeunette. Finalement, la raison et la justice l emportent. Le procès est cassé, le capitaine Dreyfus est réhabilité par la Cour Anatole France, en grande conversation avec Alexandre Varenne, vraisemblablement le 4 juin 1908, le jour du transfert des cendres d Émile Zola au Panthéon ; de dos, Pierre Dreyfus, 17 ans, fils du commandant Alfred Dreyfus qui, ce jour-là, fut blessé d un coup de couteau. de cassation, le 12 juillet 1906, réintégré (avec le colonel Picquart, un des premiers dreyfusards) par un vote, le lendemain, de la Chambre des députés (auquel prend part Alexandre Varenne, tout jeune député). La Chambre vote le même jour le transfert des cendres de Zola (mort en 1904) au Panthéon. Période charnière pour comprendre la politique Le clivage dreyfusards-anti-dreyfusards marqua la III e République, la Seconde Guerre mondiale et le début de la IV e République. L Action française, favorable à la restauration de la monarchie, a été créé en Les antiparlementaristes ont ébranlé la République, le 6 février En réaction à la victoire du Front populaire de 1936, une scission de l Action française, la Cagoule, afficha de manière terroriste son antisémitisme, son anticommunisme et son antirépublicanisme. À chaque période d instabilité politique apparaissent de nouvelles tentatives, d un côté, de «casse» de la République et, de l autre, de défense des valeurs républicaines des droits de l Homme et du citoyen. Nous verrons, par des exemples concrets, comment la période de l État français, notamment sous gouvernement Pétain-Laval, a été une succession de règlements de comptes contre l Affaire Dreyfus, contre le Front populaire et sur fond criminel d antisémitisme. Alexandre Varenne poursuivit ce combat en étant avocat contre l arbitraire, notamment en défendant Jean Zay, en 1940 et Le choix d Alfred Dreyfus de servir la patrie et de croire en la République est exemplaire pour toutes les Républiques qui ont suivi. Il est même fondateur. C est pourquoi l Assemblée nationale a rendu hommage à Alfred Dreyfus et à Émile Zola, en 2006 et 2008, pour le centième anniversaire de la réhabilitation du premier et de la panthéonisation du second. À Copenhague avec Jaurès À 39 ans, en 1910, Alexandre Varenne a l occasion d accompagner son «maître» Jean Jaurès au congrès socialiste international de Copenhague. Dans ses mémoires rédigées trois décennies plus tard, Varenne témoigne de cette fraternité franco-allemande idéale qui aurait pu éviter le premier conflit mondial. Au congrès socialiste international de Copenhague (1), en 1910, je me trouvais près de lui à la cérémonie inaugurale qui eut lieu au Grand Théâtre. Une partie musicale avec 500 exécutants, musiciens ou choristes, comprenait principalement une cantate d un compositeur danois qui y avait assemblé les motifs de tous les airs révolutionnaires de tous les temps et de tous les pays. Cela ouvrait par la Marseillaise et se terminait par l Internationale : «Notre Marseillaise et notre Internationale», remarqua Jaurès, non sans fierté. L après-midi, un immense cortège parcourut pendant deux grandes heures les artères principales de la capitale danoise. Les organisateurs du congrès avaient réservé sur l itinéraire de la manifestation des places aux principales délégations. La délégation française était, sur la gauche d une grande avenue, dans les locaux d une école, la délégation allemande sur la droite, presque en face. Les corporations défilaient une à une, avec leurs musiques, leurs vieilles bannières historiques. Jaurès se tenait à la fenêtre, aux côtés d Édouard Vaillant. Jules Guesde était dans la même salle, mais ne se montrait pas, probablement parce que les acclamations allaient à un autre. Et ce fut, pendant toute la durée de cette immense procession, une acclamation sans fin à l adresse du leader français. Quand un groupe arrivait à notre hauteur, la musique attaquait la Marseillaise, les hommes poussaient des hourras, les femmes jetaient des fleurs, et c était le même cri : «Vive Jaurès! Vive la France!». Jaurès, radieux, ne cessait de saluer. Le père Vaillant, vieux patriote lui aussi, comme son maître Blanqui, était ému aux larmes. En face, dans l immeuble réservé aux délégués allemands, des figures renfrognées. Pour eux, pas un hymne, pas un hourra, pas une fleur. Le silence. «Croyez-vous qu ils en font, une tête», me glissa à l oreille mon bon maître Jaurès. Bise de la fraternité Au cours de ce même voyage, nous fîmes une visite à Potsdam. Avec Jaurès se trouvaient Gustave Rouanet et le capitaine Gérard, ma femme (2) et moi. Jaurès avait voulu faire le court trajet de Berlin à Potsdam dans un wagon de troisième classe, «pour voir le peuple», nous dit-il. Dans le compartiment où nous étions, un Allemand monta, tenant par la main sa fillette, une gamine de cinq ou six ans. Jaurès dit à l enfant quelques mots en allemand et la connaissance fut vite faite. Le père était un ouvrier qui conduisait sa fille chez des parents. Il descendit avant nous. Je le rejoignis un instant sur le quai. «Savez-vous, lui dis-je en rassemblant les quelques mots d allemand qui me restaient de mes études de lycéen, savez-vous qui est cet homme à qui vous parliez?» Non. C est Jaurès, le député français. Alors l ouvrier allemand, d un geste spontané, reprend sa fille dans ses bras et la hisse jusqu au visage de Jaurès qui l embrasse, pendant que le père, troublé, ému, presque hagard, se mettait au garde à vous et balbutiait quelques mots d admiration. Signe évident de l influence que le seul nom du tribun français exerçait sur les esprits populaires en Allemagne. Qui sait ce que sa voix aurait pu produire de trouble et de remords dans la conscience du peuple allemand aux jours sombres de la guerre si l acte criminel d un forcené n avait pas supprimé l homme à l heure où il allait être le plus utile à la patrie? (1) Du 28 août au 3 septembre 1910, congrès de la II e Internationale. (2) Marie-Mélanie, la première épouse de Varenne. Le Grand Théâtre de Copenhague (Kongelige Theater), où a eu lieu la cérémonie inaugurale du congrès de 1910 de la II e Internationale socialiste. Jean Jaurès et Alexandre Varenne étaient de la délégation française. Ce dernier a ramené un album-souvenir de ce voyage. NAISSANCE D UN HOMME POLITIQUE 24 25

14 NAISSANCE D UN HOMME POLITIQUE L éditorial de 1939, pour les 25 ans de l assassinat de Jean Jaurès Jean Jaurès était pour la paix, au seuil de cette guerre qui grondait sans encore se déclarer. Le 31 juillet 1914, le tribun socialiste, député durant 25 ans, est assassiné au café Le Croissant, à Paris. Dans les jours qui suivent commence l embrasement mondial. Alexandre Varenne marqua chaque anniversaire de sa plume. Voici celui qu il écrit au seuil de la Seconde Guerre mondiale, le 31 juillet Vingt-cinq ans aujourd hui. Comme c est loin, et pourtant comme le souvenir nous en reste poignant et vivace! Je revois cette petite maison de Châteauneuf (1) où, cette année-là, je passais les vacances en famille. Les bruits les plus inquiétants couraient depuis quelques jours. On ne voulait pas croire à la guerre, mais on en avait un lourd ressentiment. Ce soir-là, vers dix heures, une voix me hèle du dehors. C est le facteur-receveur. Il me crie de venir à la poste pour répondre à un appel téléphonique de la sous-préfecture (2). Grosse émotion autour de moi. Un de mes parents, fonctionnaire parisien, a été appelé il y a trois jours. Mon frère, conseiller municipal de Paris, collabore à L Humanité (3). Sait-on jamais en de pareilles heures? Me voici au récepteur. Les parents qui m accompagnent entendant un cri d horreur et un sanglot. On vient de m apprendre l affreuse nouvelle : Jaurès a été assassiné. Le lendemain, c est le retour précipité à Paris ; puis c est la mobilisation, la déclaration de guerre avec l Allemagne, la séance historique du 4 août qui s ouvrait au Palais-Bourbon, quelques heures après les grandioses funérailles faites par le peuple de Paris à son tribun préféré, qui, depuis des années, n avait eu qu une pensée : barrer la route au fléau qui allait fondre sur l Europe... Fidèle à son ami Jean Jaurès, Alexandre Varenne ne l oublie pas et signe l éditorial du jour anniversaire de sa mort, le 31 juillet Premières victimes La dernière fois que nous nous étions rencontrés, c était quelques jours avant la catastrophe. Nous étions revenus ensemble au Palais-Bourbon au sortir d un congrès du parti où avait été agitée la question capitale sur laquelle on se débattait depuis trois ans, celle du devoir des socialistes devant les menaces de guerre. Pour la première fois, je m étais séparé de mon chef et avait refusé de voter une motion à mon jugement imprudente. Nous en avions devisé tout au long du chemin. En arrivant à la Chambre, comme nous allions pénétrer dans la salle des séances, il me dit ceci en propres termes : «La guerre? Ah! les malheureux! Il ne savent pas ce que ce serait...» Et il ajouta, comme en parlant à lui-même, cette parole qui prenait, quelques jours plus tard, un sens prophétique : «Ce n est pas pour moi que je parle. Il est probable que nous en serons les premières victimes...» Nous entrâmes en séance. Je ne l ai plus revu... Quelle eût été l action de ce puissant esprit dans les événements dont la fin tragique a marqué le début? Quelle attitude eût-il prise dans la grande tourmente? Ceux qui l ont bien connu, qui furent souvent les confidents de ses espoirs et de ses angoisses, n ont là-dessus aucun doute. Il eut été l animateur de la défense nationale. Il se préparait depuis longtemps au rôle qu il eût un jour ou l autre assumé. Il eût, lui aussi, «fait la guerre», et s il avait pu être appelé à tracer les lignes générales de la grande paix de liquidation, ce n est pas un monstre comme le traité de Versailles qui serait sorti de ses mains. Le destin a voulu que ce vaste et clair génie ne pût jamais accéder au pouvoir où son action aurait pu changer le cours des choses. Il avait été battu de justesse en 1904, au congrès d Amsterdam, où la social-démocratie allemande avait fait triompher contre son réformisme le socialisme doctrinaire. L unité de 1905 avait malheureusement été fondée sur les mêmes formules, que nous eûmes le tort de nous laisser imposer une seconde fois après sa mort, au lendemain de la scission de Tours. Ainsi le socialisme français, qui aurait pu jouer dans notre démocratie un rôle si efficace, s est trouvé en 1936 devant les responsabilités du gouvernement sans avoir assez pénétré les esprits de son haut idéal, sans s être préparé à l exercice du pouvoir. J ai lu ces jours-ci que quelques leaders du parti SFIO songent à se rencontrer pour réviser la doctrine et l adapter aux nouvelles conditions du monde. C est ce que Jaurès avait tenté, il y a trente-cinq ans. Autant de perdu pour le progrès humain, pour la liberté et la paix. Ah! combien se réclament aujourd hui de la mémoire de Jaurès, qui auraient besoin de le relire et de s inspirer de ses leçons? (1) Châteauneuf-les-Bains, dans le Puy-de-Dôme, à 8 km à l est de Saint-Gervais-d Auvergne. (2) Sous-préfecture de Riom. (3) L Humanité était alors l organe du parti socialiste (SFIO), depuis le congrès de Saint-Quentin (1911). GRAND TÉMOIN Historien, romancier et homme de médias, Max Gallo, de l Académie française, a publié «Le Grand Jaurès» en Il resitue l importance de cet homme politique et intellectuel dont lui avait parlé son père, admiratif, qui l avait vu à Nice en Comment vous êtes-vous intéressé à Jean Jaurès? Quand je suis sorti du gouvernement, en 1984, comme un resourcement, je me suis lancé dans sa biographie. En mars 1913, mon père, alors socialiste et âgé de 20 ans, a assisté à un meeting de Jaurès, à Nice, chahuté par la droite et les enfants des patronages encadrés par les prêtres et munis de sifflets. Jaurès avait dit, en parlant des Niçois : «Ces gens vivent du tourisme et ils ne sont même pas internationalistes». Jaurès n a jamais été un homme de pouvoir. La seule fonction officielle qu il ait exercée, outre celle de député et d élu, était la vice-présidence de la Chambre des députés. Comme Alexandre Varenne l a été. Il a également laissé une œuvre importante : l Histoire socialiste de la Révolution française, une œuvre d historien. Il a eu la capacité d être un homme politique et un intellectuel authentique. Son pacifisme aurait-il tenu durant la guerre? Pacifiste est un mot qui ne me convient pas. Jaurès était un internationaliste. Tout ce qu il a écrit sur la Révolution française, sur les guerres révolutionnaires, montre que c est aussi un patriote. À la fois internationaliste et patriote. Devant l occupation allemande d une grande partie du territoire français la réalité de la Première Guerre mondiale il aurait évidemment participé à cette résistance patriotique, qui a été le ressort de ces millions de soldats français. Probablement, à partir de 1916, devant la «boucherie», il aurait été favorable à des négociations de paix. Son fils est mort à la guerre en La seule querelle de Varenne avec Jaurès a été sur la question de la participation au pouvoir. Il n a pas condamné l entrée au gouvernement du socialiste Alexandre Millerand. Il a soutenu le gouvernement de Waldeck-Rousseau qui, pourtant, avait dans ses rangs le «fusilleur de la Commune», le général Galliffet. Jaurès n était pas dogmatique ni sectaire. Il était à la fois internationaliste, patriote, socialiste et républicain. Jaurès a assis intellectuellement la III e République? Absolument. Il a réussi, en faisant beaucoup de concessions, à réaliser l unité, en 1905, entre les diffé- Max Gallo de l Académie française Max Gallo devant un tableau d Édouard Julien ( ), Hommage à Jaurès, symbolisé par le masque mortuaire du tribun assassiné, le ruban tricolore de l élu de la République et l Humanité. rents courants socialistes. Il a réussi à républicaniser le socialisme. Car les socialistes n ont pas été immédiatement favorables à l idée de la République. Le fait que Jaurès ait été vice-président de la Chambre des députés a été symboliquement un moment très important, mais très critiqué, par certains socialistes. Son assassinat l a magnifié. Tout le monde s est rassemblé autour de ce personnage incorruptible, désintéressé, talentueux, unitaire, sincère, de grande capacité intellectuelle, ayant tenté jusqu au bout pour essayer d empêcher la guerre, et qui tombe, le premier mort de la guerre de Il est devenu le symbole de la volonté d empêcher cette boucherie dont il avait prévu bien des aspects. Max Gallo Origines. Ouvrières et italo-françaises. Son grand-père paternel était italien, tout comme sa mère. Il parle italien. Parcours. CAP de mécanicien ajusteur (son diplôme est encadré dans son bureau), baccalauréat mathématique et technique, technicien (fonctionnaire) à la Radiodiffusion française. Quitte son émetteur tranquille au grand dam de son père pour commencer des études d histoire. Enseignant, historien, romancier, homme de presse, de radio et de télévision. Académicien (fauteuil n 24). Passion. «L écriture est ma vie». Sort trois livres par an. Signe particulier. Fume un cigare par jour. Bibliographie. Plus de cent livres, trois par an. Publie Révolution française en deux tomes à XO Éditions. NAISSANCE D UN HOMME POLITIQUE 26 27

15 PREMIER DÉPUTÉ SOCIALISTE DU PUY-DE-DOME Délégué des Combrailles Alexandre Varenne, assis au centre, reconnaissable à sa barbe, sa canne et son chapeau de la ville, un jour de banquet électoral à Saint-Gervais-d Auvergne, en Combrailles. Près de 70 personnes, parmi lesquelles des élus municipaux, des cantonniers, des facteurs, des paysans. Les serveurs sont sortis pour la photo, car c est l événement du jour Pas de femmes. Elles n ont pu voter qu en 1945, trente-neuf ans après la première élection d Alexandre Varenne à la Chambre des députés. Après une première campagne électorale infructueuse mais pleine de promesses, en 1902, Alexandre Varenne réessaye aux législatives de Déjà avocat et journaliste, il est au seuil d un nouveau métier, la chose publique. À 36 ans, c est le début d une nouvelle vie, pour la défense et la représentation de la circonscription de Riom-Montagne, du côté de Saint-Gervais-d Auvergne, de Saint-Priest-des- Champs, de Saint-Éloy-les-Mines et autre Châteauneuf-les-Bains. Le scrutin est sans appel : Alexandre Varenne l emporte avec voix, contre au député sortant. Alexandre Varenne devient ainsi le premier député socialiste du Puy-de- Dôme

16 PREMIER DÉPUTÉ SOCIALISTE DU PUY-DE-DOME L Ami du Peuple tremplin politique Journaliste plus qu avocat à Paris, Alexandre Varenne saisit, en 1902, l occasion d appliquer ses idées socialistes sur le terrain, dans le Puy-de-Dôme. «À la Lanterne, explique-t-il dans ses mémoires, je fis connaissance de Louis Parassols, alors représentant à Paris des organisations socialistes du Puyde-Dôme. En 1902, celles-ci demandèrent à Parassols un candidat pour Riom-Montagne, pour une candidature de principe, sans espoir de Le titre de l hebdomadaire lancé par Alexandre Varenne, l Ami du Peuple, fait référence au journal du révolutionnaire montagnard Jean-Paul Marat ( ). Le sous-titre ambitionne déjà la vocation régionale : «Organe hebdomadaire de la démocratie socialiste du Puy-de- Dôme et des départements du Centre». Dans ce numéro du 30 avril 1905, la manchette de titre comprend les noms du directeur (Alexandre Varenne), du secrétaire de la rédaction (Louis Parassols) et de l administrateur (Pierre Forest). Imprimerie = autonomie succès. J y allai voir. Je me risquai. Je manquai de très peu l élection.» De 1904 à 1914, Alexandre Varenne crée une tribunerelais de ses idées : l Ami du Peuple, un hebdomadaire. Louis Parassols est de l aventure. Il s agit de réussir à obtenir un siège de député socialiste, situation inédite dans le Puy-de-Dôme. O. Bonnet, une amie des Varenne, donne un autre éclairage dans une lettre : «C est fin 1902 que, par un intermédiaire, mon père (qui avait travaillé comme rédacteur au Petit Sou, journal de Charles Péguy, dont le premier métier était typographe) fut présenté à M. Varenne et accepta d aller à Clermont pour préparer, seconder et soutenir son projet de jouer un rôle politique en son pays d origine.» C est en 1904 que nous partons pour Clermont, où M. Varenne achète, place de Jaude, une imprimerie à MM. Leclerc et Delbos, qui en étaient les propriétaires. En 1899, Pierre Forest et Louis Parassols faisaient partie de la commission administrative du Parti socialiste révolutionnaire, dirigé alors par Édouard Vaillant. Ce dernier, né à Vierzon (Cher), a été député de la Seine. Louis Parassols a écrit et publié en 1933 une biographie de Jean- Baptiste Clément ( ), chansonnier communard et auteur des paroles de la chanson «Le Temps des cerises». Le siège de l Ami du Peuple est, en 1905, 29, rue de l Hôtel- Dieu, à Clermont-Ferrand. À partir de novembre 1906, il se déplace de quelques centaines de mètres pour le 38, place de En prenant pied sur la place de Jaude, vaste forum de Clermont-Ferrand, Alexandre Varenne affiche le titre de son hebdomadaire au balcon, au-dessus d un bar-restaurant. Garées devant, deux motocyclettes équipées d un plateau, ancêtres du service «chauffeurs - expéditions». Au premier étage se trouvait l atelier de tailleur d Albert Paulin, qui abandonna ses ciseaux pour le stylo de journaliste. Cette imprimerie prend alors le nom de «La Laborieuse» et imprimera, pendant quelques années, l Ami du Peuple, journal hebdomadaire [...]. L Ami du Peuple avait pour but de présenter et de faire connaître, de pénétrer au cœur des campagnes auvergnates, le nom, le programme et la personnalité de M. Varenne.» C est grâce à une campagne de terrain et à cet hebdomadaire qu Alexandre Varenne devient le premier député socialiste du Puy-de-Dôme. Même titre que le journal de Marat Jaude, où la photo du haut a été prise. Pour cette étape, l achat d une imprimerie donne l autonomie à Alexandre Varenne. Il s adjoint les services de Pierre Leclerc ( ), typographe qui a été secrétaire du syndicat du livre dans le Puy-de-Dôme. Ce dernier occupa des fonctions importantes dans la loge maçonnique «Les Enfants de Gergovie». Une vie de député bien remplie Même si Jean Jaurès a réussi, en 1905, au congrès du Globe (1), à unifier le Parti socialiste en France, les différentes tendances internes poursuivent leurs luttes. Du 11 au 15 août 1907, le congrès annuel de la SFIO (section française de l Internationale socialiste) se tient à Nancy (Meurthe-et- Moselle). Alexandre Varenne y participe. Il prend même la parole et s oppose à Jules- Louis Breton. Selon Sylvie Rémy, dans une publication de l OURS (2), Varenne reproche à Breton «de ne pas respecter les règles de la SFIO et de vouloir faire modifier l orientation du parti non pas en cherchant à convaincre les militants mais en faisant pression de l extérieur.» Mais la vie d un député, fusse-t-il socialiste, ne se limite pas à la participation aux congrès. C est sur la base d un pacte républicain qu il avait sollicité les suffrages. Son projet de République sociale, paru dans sa profession de foi, s exprime au travers du travail parlementaire à la Au congrès de la SFIO (section française de l Internationale socialiste) à Nancy, Varenne est dans la salle (flèche bleue). Quatre femmes au moins assistent aux débats. Chambre des députés. Les archives de l Assemblée nationale attestent qu il fait partie de la commission des mines (par rapport à Saint-Éloy-les-Mines, sur sa circonscription) ou de celle du suffrage universel. Il s intéresse aussi au sort des employés des postes et des télégraphes (les nouvelles technologies d alors). Ou encore il prend part aux débats sur le budget ou sur l impôt sur le revenu. Un vrai travail de député. 1. Du nom d une salle située boulevard de Strasbourg à Paris. 2. Office universitaire de recherche socialiste. Viaduc des Fades, record mondial en mai 1909 Mai 1909 : les futurs rails posés sur le viaduc des Fades, en construction, seront à 132,50 mètres au dessus de la Sioule. Record mondial battu! Pour le député de la circonscription Riom-Montagne, la réalisation de ce viaduc enjambant la Sioule est primordiale. Cette ligne ferroviaire a pour objectif de relier Saint-Éloy-les- Mines (qui approvisionnera le réseau ferré en charbon) à «Paugnat», près de Volvic, et, par là, Clermont-Ferrand à Montluçon (Allier). Dans les archives d Alexandre Varenne se trouve en bonne place cette photo prise par A. Michel, photographe à Saint- Gervais-d Auvergne. Une des photos de ce dernier a paru dans L Illustration du 19 juin PREMIER DÉPUTÉ SOCIALISTE DU PUY-DE-DOME 30 31

17 PREMIER DÉPUTÉ SOCIALISTE DU PUY-DE-DOME 1914 : petit flirt avec Anastasie Anastasie est le nom de la censure. La guerre impose des contraintes. Va-t-on donner des armes à l ennemi? Alexandre Varenne raconte comment il accepte, à l automne 1914, un flirt avec Anastasie. À mon arrivée à Bordeaux, j allai voir mon jeune compatriote Marius Viple. Il m apprit que le gouvernement était inquiet de la tournure que prenaient à Paris les événements. Autour du gouverneur Gallieni s agitait un état-major politique Paul Doumer, Joseph Reinach, Klotz qui faisait une campagne de dénigrement contre le gouvernement «fuyard». Il y avait de la conspiration dans l air. Les journaux parisiens s en donnaient à cœur joie et l on pouvait craindre que, le gouvernement de Bordeaux n étant pas défendu, quelque mouvement insurrectionnel n aboutisse à une Commune nationaliste. C était du moins ainsi que les choses m étaient présenté. C est ainsi que Marcel Sembat le premier, puis Jules Guesde (1) m en parlèrent. Le gouvernement, très préoccupé de cette situation, avait songé à déléguer à Paris auprès du général Gallieni un chargé de mission qui prendrait en mains les services de la censure politique et s efforcerait de ramener la presse parisienne à la raison. Le choix s était porté sur moi. Campagne préjudiciable L idée d aller, moi journaliste, faire un pareil métier, ne provoqua de ma part qu un mouvement instinctif de protestation. Il fallut faire mon siège pendant trois jours. Je fus d abord «cuisiné» par Viviani et Briand, au cours d un déjeuner qui ne donna pas de résultat, puis par Malvy (2), qui ne réussit pas davantage. On m expédia ensuite chez Millerand, qui ne parut s intéresser que médiocrement à cette histoire, et enfin chez Poincaré. [...] Le premier magistrat du pays me présenta la situation intenable dans laquelle le mettaient les attaques de la presse parisienne. Il n avait quitté Paris que pour obéir aux injonctions du commandement militaire. Il y retournerait dès que le commandement voudrait y consentir. La bataille de la Marne (3), qui venait de libérer Paris de la menace étrangère, n avait pas donné assez de champ aux «L idée d aller, moi journaliste, faire un pareil métier, ne provoqua de ma part qu un mouvement instinctif de protestation.» opérations pour qu il pût être question de rentrer. Il fallait attendre. D ici là, il importait que cessât au plus vite une campagne préjudiciable à l union nationale. Poincaré possédait admirablement son sujet. Il fut éloquent et persuasif, à son habitude, et finit par m arracher mon consentement. Je lui ai donné à peu près en ces termes : «Nous sommes en guerre. Le gouvernement me demande de faire la corvée de quartier que je ne me croirais pas le droit de désobéir. Disposez de moi». Il en fut ainsi fait. Je partis pour Paris, muni d un ordre de mission en règle. Mais, je le répète, ce n est pas sans résistance que j avais cédé. [...] Dès mon arrivée à Paris, je me présentai au cabinet de Gallieni. Je n eus pas à exhiber mon ordre de mission. Le gouverneur était informé et son premier mot fut pour se féliciter de ma venue. Il n était pas fâché de n avoir plus la responsabilité des écarts de la presse parisienne, et me laissa entendre que luimême n était pas sans avoir conçu quelque doute sur l activité de son entourage politique. Après avoir vu le «patron», je fus reçu par le fameux entourage : Doumer était en civil, Reinach et Klotz en uniformes de chefs d escadron [...] Klotz surtout fut solennel. C était lui qui, jusqu à mon arrivée, dirigeait le «bureau de la presse». Il le dirigeait en «militaire». La censure «politique» lui semblait indigne d un soldat, et c est avec un sentiment de soulagement qu il allait me passer le service. Il me donnait toutefois rendez-vous pour le lendemain «au rapport» où il me ferait part de ses observations sur la façon dont j allais exercer pendant cette nuit mes déplorables prérogatives. Le «service», tel que me le «passait» le commandant Klotz, était composé de sept ou huit fonctionnaires de la préfecture de la Seine [...]. Je les réunis aussitôt : «À toute heure du jour ou de la nuit, vous me trouverez au bout du fil, chez moi ou ici. Si vous inclinez à laisser passer un article, faites-le sans m en prévenir : je vous couvrirai toujours. Mais je vous fais défense de déplacer une virgule sans m en avoir référé.» La consigne fut observée constamment pendant ma brève dictature à la censure parisienne. Dès les premiers jours, au lieu de menacer les confrères parisiens, je m appliquai, dans des conversations amicales, à calmer leur ardeur, allant de Pujo à Almereyda (4), persuadant à celui-là que les francs-maçons et les juifs faisaient leur devoir au front, le devoir des journalistes de l arrière était de les laisser se battre sans les injurier, à celui-ci que les cléricaux et les réactionnaires étaient eux aussi des combattants et qu on pouvait leur épargner les outrages. J allais, l après-midi, à la Chambre bavarder avec les confrères et, après une semaine de ce régime, la situation politique de la capitale était transformée, à la grande satisfaction du gouvernement qui ne manquait pas de me faire savoir combien il appréciait mes efforts. Il n y eut que Clemenceau pour se plaindre et peut-être m a-t-il gardé quelque rancune. Je n étais cependant pour rien dans ses démêlés avec la censure parisienne. Car son Homme enchaîné (5), qui se publiait à la fois à Toulouse et à Paris, était censuré de Bordeaux dont les arrêts sans appel m étaient notifiés sur l heure. Mon rôle se bornait à les appliquer. 1. Marcel Sembat et Jules Guesde, socialistes qui sont entrés dans le gouvernement au nom de l Union sacrée voulue par Raymond Poincaré, président de la République. 2. Louis Malvy, ministre de l Intérieur. 3. La première bataille de la Marne eut lieu du 6 au 9 septembre Maurice Pujo ( ), d Action française ; Miguel Almereyda ( ), journaliste anarchiste. 5. Avant la guerre, le journal de Clemenceau, fondé en 1913, s appelait L Homme libre. À la suite d une suspension, à l automne 1914, il le rebaptise l Homme enchaîné, jusqu à son arrivée à la présidence du Conseil, le 16 novembre Le politique prime sur le militaire Dans l histoire des Républiques françaises en guerre, des hommes politiques aux commandes, durant la Grande Guerre, ont remporté une grande bataille : démontrer que le politique prime sur le militaire. Poincaré en obtenant l Union sacrée, Clemenceau en nommant Foch comme chef unique des Alliés... Le député Alexandre Varenne a apporté sa contribution. À Saint-Éloy-les-Mines, l hôpital militaire de campagne recueille les blessés de la guerre. Marie-Mélanie Varenne, épouse d Alexandre, assise au centre, y est infirmière. Alexandre Varenne n a pas été réélu sur Riom- Montagne aux législatives de Au deuxième tour de scrutin du 10 mai 1914, il l emporte ( voix) sur son concurrent, Mangeril (8.550). Comme député, il est membre de la commission du suffrage universel en 1914, puis, en 1915, de celle du budget. En cette période de guerre, une grande partie des dépenses publiques est affectée à l effort de guerre, sollicité par les militaires. Mais le politique prime. Le député de Riom- Montagne intervient à la tribune du comité secret de la Chambre des députés, le 27 novembre Il reproche au président du Conseil, Aristide Briand, de ne pas avoir assez défendu la Pologne en partie annexée par l Allemagne auprès des Alliés. «Sur la question politique comme sur les autres, [la devise du gouvernement] devrait être qu il vaut mieux prévenir et prévoir que réparer.». Il conclut sa démonstration par un : «Qu elles soient le fait des chancelleries ou des états-majors, toutes les erreurs commises dans cette guerre, c est malheureusement toujours le sang français qui les paye.» Et les sténographes de la Chambre des députés relèvent : «Applaudissements à l extrême gauche». Dans la seconde semaine de juillet 1918, Alexandre Varenne est invité par le gouvernement anglais à constater l effort de guerre entrepris par ce pays. «Je me rendis au palais de Westminster, eus des entretiens avec plusieurs membres du gouvernement, notamment MM. Bonar Law et Barnes (1). Pendant plusieurs jours, je visitai des camps, des chantiers, des usines, des docks. Je pus voir dans les bassins de radoub les navires anglais revenus blessés de la bataille du Jutland. Enfin, je partis pour Edimbourg où était sous pression la grande flotte anglaise mouillée dans le Firth of Forth.» Le journaliste Georges Nuit du 4 au 5 juin Verdun est bombardé. L église est ravagée. Le général Pétain est affecté au secteur de Verdun le 21 juin Les canons des forts de Verdun sont retirés, par décret d août 1915, à la demande du général Joffre. La véritable bataille de Verdun a lieu du 21 février au 19 décembre Clemenceau n avait pas embauché le jeune Varenne arrivant d Auvergne. À la fin de la Grande Guerre, Varenne se permet de titiller le «Tigre». Tigre «mort» «Après l armistice, j étais redevenu son ami pour avoir, le 11 novembre 1918, parlé et voté en faveur de la proposition d hommage national où il était désigné, aux côtés de Poincaré et de Foch, comme le sauveur de la patrie. Et je le connaissais depuis assez longtemps pour me permettre avec lui quelques audaces de langage. Le rencontrant à la Chambre, je lui tins ce propos fort impertinent : Ah! Monsieur le Président, on dit que vous êtes un homme d esprit. Et ça vous choque? Non. Mais vous auriez montré de l esprit si, le jour de l armistice, vous étiez mort en annonçant la victoire Voyez-vous ça! Mort moralement, veuxje dire. En laissant faire la paix par d autres. Ils auraient fait un miracle, les autres? Vous croyez donc aux miracles? Au fond, tout au fond de lui-même, Clemenceau n était pas loin de me donner raison. Il suffit, pour s en convaincre, de relire ce livre endiablé, mais dont le titre au moins est prophétique : Grandeurs et misères d une victoire, par Georges Clemenceau. Mais quel rude homme c était, et qui n a pas laissé d héritiers de son calibre». 1. Andrew Bonar Law, conservateur, alors chancelier de l Échiquier (ministre des Finances) ; George Nicoll Barnes, leader du Labour Party, ministre sans portefeuille. PREMIER DÉPUTÉ SOCIALISTE DU PUY-DE-DOME 32 33

18 PREMIER DÉPUTÉ SOCIALISTE DU PUY-DE-DOME La stratégie de Varenne Se marier. La veille de Noël 1909, Alexandre Varenne épouse à Paris Marie- Mélanie Foussadier. O. Bonnet donne quelques explications sur ce mariage : «Parvenu au pouvoir, et malgré certaines pressions exercées par certains de ses amis, il sera fidèle à l amie de sa jeunesse, de ses débuts, la compagne des mauvais jours et l épousera envers et contre tous.» «Jeune fille, je dînais, chaque mercredi soir, chez eux. M. Varenne décrochait le téléphone et, attendu comme chaque jour au journal La Lanterne, informait un collègue qu on ne l attendit pas, ouvrait la bibliothèque, choisissait un livre et nous faisait la lecture à sa femme et à moi. Je me souviens notamment du Chariot d Or, de Samain, qu il aimait tout particulièrement, de quelques contes de Daudet où sa voix épanouie, quelque peu méridionale, faisait merveille. Une autre fois, c était des Misérables quelque passage qu il aimait.» Être le plus près possible du pouvoir. Les décisions étant prises à Paris, c est là qu il réside principalement, même s il doit rendre des comptes et des services aux électeurs. Par l intermédiaire de la presse l hebdomadaire l Ami du Peuple d abord, La Montagne ensuite, il informe démocratiquement l électeurlecteur. Être renseigné sur tout (ou presque). En participant à différentes commissions parlementaires ou à des voyages (Danemark, Allemagne, Angleterre, Algérie, etc.) et en rencontrant des interlocuteurs de premier plan, Alexandre Varenne se forge une opinion personnelle, sans intermédiaire. Ainsi, son voyage de juillet 1918 au Royaume-Uni lui a permis de comprendre avec quelle énergie le pays tout entier s était mobilisé durant la Grande Guerre. Cette impression de voyage lui est restée. Il avait confiance aux Anglais lorsque, durant la Seconde Alexandre et Marie-Mélanie Varenne, dans leur appartement parisien. Une image travaillée Barbe taillée, œil vif, toujours bien habillé et une pochette rouge, pour le socialisme. guerre mondiale, les sirènes d alarme londoniennes hurlaient sous les bombes allemandes et que les sirènes de l État français rajoutaient leur venin anti-anglais verbal, judiciaire ou policier. Être reconnaissable dans la foule ou dans une assemblée. On a tendance à dire qu il avait une barbe III e République. C est presque à se demander si ce n est pas lui qui a laissé cette image. Bien sûr, les barbus ne manquaient pas, depuis Jules Guesde, dont la barbe faisait un «W», jusqu à Jean Jaurès, modèle de Varenne. Mais les caricaturistes de l époque ne s y sont pas trompés en le croquant abondamment. Et même l affaire Landru, qui éclate durant l année 1919, ne l encourage pas à couper sa barbe. Avoir des amis politiques sûrs. La tâche n est pas évidente. De tous ceux qui, sur son sillage, prendront leur envol en se lançant du journalisme à la politique, beaucoup atterriront en catastrophe quand le tuteur ne leur aura pas conseillé la marche à suivre. Compter sur un réseau de correspondants. À cette époque, un correspondant était souvent un militant socialiste. En échange des infos qu il relevait, il avait un service (abonnement) gratuit. Mais cela avait un coût. Souvent, Alexandre Varenne a dû compenser, sur sa fortune personnelle, les pertes du journal. Avoir des journalistes au pays et au journal, sur qui il puisse compter. On a vu Alexandre Varenne embaucher le père de O. Bonnet, qui a déménagé de Paris à Clermont-Ferrand. Dans son concept de journal moderne, il compte tenir le rôle de directeur politique celui qui donne la ligne et le ton et, presque à lui tout seul, d agence de presse. À charge aux journalistes et gestionnaires de l équipe de Clermont-Ferrand de faire tourner la boutique. GRAND TÉMOIN Ancien électron libre du PS comme Alexandre Varenne le fut de la SFIO, Michel Charasse possède d autres points communs avec le fondateur de La Montagne. Interview à la médiathèque Alexandre-Varenne et à la mairie de Puy-Guillaume (Puy-de-Dôme). Pourquoi avez-vous baptisé cette médiathèque du nom d Alexandre Varenne? Parce qu il a été un modèle et un exemple du combat républicain, depuis qu il s est engagé, à travers toutes ses facettes, ses combats pour la liberté, pour le socialisme et la gauche, pour la presse libre, contre l obscurantisme, contre le régime de l État français, contre le nazisme, pour le syndicalisme (car il a été l avocat des syndicalistes). Varenne a donc eu une vie tout à fait complète au service de la France et de la République. Le département du Puy-de-Dôme ne compte pas beaucoup de personnalités rassemblant autant de qualités aussi diverses mais allant toutes dans le même sens, c est-à-dire la République dans sa pureté absolue. Ancien élève du lycée Blaise-Pascal, exemple d ascension sociale républicaine, ancien de la SFIO, spécialiste des questions budgétaires et fiscales, vous partagez déjà plusieurs traits avec Varenne? Exclu du Parti socialiste aussi comme lui. Varenne était député, et vous, vous êtes sénateur. J ai commencé ma «carrière» à l Assemblée nationale. Alors que j étais étudiant à Science Po Paris, en 1962, Fernand Sauzedde venait d être élu député (SFIO) de la circonscription de Thiers. Il m a demandé de tenir son secrétariat de député, à l Assemblée nationale ; se sont rajoutés à sa demande Joseph Planeix (Issoire), Arsène Boulay (Riom) et deux autres députés de Corse et de Guyane. Le poste d assistant parlementaire n existait pas à l époque. Lorsque, en 1973, a été reconstitué le groupe de la Fédération de la gauche, Gaston Deferre m a demandé de venir à plein temps au secrétariat du groupe socialiste. J ai été détaché du ministère des Finances et employé au groupe socialiste jusqu en 1981, date à laquelle François Mitterrand m a demandé de venir avec lui à l Élysée. Je suis devenu sénateur et le suis toujours, depuis 1981, mise à part ma période ministérielle Je n ai pas demandé de poste, on me les a proposés. Je suis resté libre. Et si j ai usé de mon carnet d adresses, c est pour en faire profiter ma commune, mon département, la liberté et la République. La question de la participation des socialistes au gouvernement n est-elle pas récurrente au Parti socialiste? Le Parti socialiste, depuis la SFIO, depuis Jules Guesde, a toujours eu un débat sur la question de savoir si les socialistes doivent aller au gouvernement ou pas. Après s être bien déchirés entre eux, ils ont décidé d y aller. L un des premiers a été Alexandre Millerand, premier président de la République socialiste. Quand il a été élu, il était membre de la SFIO. Durant la guerre , ce fut l Union sacrée. Le parti Michel Charasse Dans l escalier de la médiathèque Alexandre-Varenne de Puy-Guillaume, Michel Charasse commente le panneau montage avec deux Une fictives de La Montagne, réalisées pour l inauguration de la médiathèque, le 21 octobre a accepté, à ce moment-là, que certains de ses membres aillent au gouvernement. La question ne s est plus posée jusque vers , au moment où Varenne est parti en Indochine. La politique coloniale française était contestée par la SFIO. On a mis Varenne en demeure de ne pas accepter le poste de gouverneur général de l Indochine. Il est allé en Indochine et il a été viré de la SFIO. Mais n oublions pas que deux socialistes sont restés à la demande de Léon Blum dans le gouvernement Pétain-Laval jusqu en juillet Beaucoup d électeurs de gauche estiment que leur camp doit gouverner et, en même temps, reprochent à ses élus d entrer au gouvernement. Vous sentez-vous redevable envers la République? Non. Je suis resté fidèle à mes convictions. Je pense qu un électeur républicain, c est un électeur dont la conscience est libre, en toutes circonstances. Michel Charasse Racines. Naissance à Chamalières (Puy-de- Dôme), le 8 juillet Ses parents travaillaient à la Banque de France ; père auvergnat et mère corse. Parcours. Adhère à la SFIO début 1963 ; maire de Puy-Guillaume depuis 1977 ; sénateur du Puy-de- Dôme et depuis 1992 ; ministre délégué chargé du Budget ( ) ; ministre du Budget en 1992 ; conseiller général du Puy-de- Dôme pour le canton de Châteldon depuis Passions. Chasse et pêche. Chasse réservée. «Gardien du temple mitterrandien» ; il est vice-président de l Institut François-Mitterrand. Signes distinctifs. Fume le cigare, boit du bon vin et porte des bretelles. Franck Boileau PREMIER DÉPUTÉ SOCIALISTE DU PUY-DE-DOME 34 35

19 LE PÈRE DE LA MONTAGNE N 1 * 4 octobre 1919 * L an mil neuf cent dix neuf et le quatre octobre, à six heures du matin, pardevant nous lecteurs des villes et des campagnes, est comparu Alexandre Varenne, âgé de quaranteneuf ans, avocat, député, journaliste, domicilié à Paris, lequel nous a déclaré un journal né le quatre octobre à trois heures, de lui déclarant, en son siège du 6, rue Blatin à Clermont- Ferrand et auquel journal il a voulu donner le nom de La Montagne, les dites présentation et déclaration faites en présence des lecteurs, témoins, et ont, le père et les témoins, signé le présent acte après lecture faite. L ÉDITO DU SAMEDI 4 OCTOBRE 1919 Alexandre Varenne signe «LA MONTAGNE» pour son premier éditorial. Mais le style Varenne est reconnaissable. De même est réaffirmée la reconnaissance de filiation avec les montagnards de la Convention, déjà écrite dans l Ami du Peuple. EN AVANT! LE PÈRE DE LA MONTAGNE La Montagne En créant ce journal, au lendemain de la grande guerre, à l heure où va se décider l orientation nouvelle de la démocratie française, nous croyons répondre à un besoin impérieux des circonstances, aux nécessités de la situation. Un esprit nouveau souffle sur le monde, après des événements inouïs qui ont montré jusqu à l évidence l injustice et le désordre d un régime social vieilli, depuis longtemps condamné par les précurseurs socialistes, mais dont l expérience d hier a cruellement révélé aux plus aveugles les tares et les périls. Partout les populations opprimées se libèrent, partout les classes exploitées se lèvent. La France a été sauvée par la vaillance de son peuple ; le peuple français exige maintenant qu on pense à lui et qu on lui fasse sa part. Lui aussi, après tant de révolutions avortées ou incomplètes, il s obstinait encore à remettre ses destinées à une minorité qu il prenait pour une élite. Après un long usage du suffrage universel, malgré trente années d instruction obligatoire, il n osait pas encore assumer lui-même la direction de ses affaires. Il croyait à la sagesse, à la clairvoyance, à la générosité d une bourgeoisie qui avait fait avec lui la Révolution française et qu il jugeait capable de la continuer. La guerre vient de lui apprendre que, pour être bien gouverné, il faut qu il se décide à se gouverner lui-même, que, pour avoir la justice, il ne doit pas l implorer mais la faire, que, pour avoir la paix, il ne suffit pas de la désirer. Un mot, une idée expriment aujourd hui toutes les espérances des masses : le socialisme. Une force nouvelle immense, bientôt irrésistible, grandit à l horizon, qui doit désormais assurer le progrès général, organiser la justice entre les individus et la paix entre les nations ; c est la force internationale du travail, faite de la fraternité de tous les producteurs. C est cette force que nous voulons dégager, c est cette idée que nous voulons servir. Le socialisme se suffit à lui-même. Il contient et résume tout l idéal humain. Il proclame et garantit l indépendance des nations. Il s identifie avec la République, dont il assure le développement indéfini. Il apporte la liberté aux citoyens. Il a au même degré le souci de l ordre dans la production et de la juste répartition des richesses. Il est le but le plus élevé vers lequel tendent depuis qu il y a des hommes toutes les aspirations humaines. Mais le socialisme ne surgira pas sans un puissant et patient effort. Il ne naîtra dans toute sa beauté ni du trouble des esprits, ni du chaos des choses. Son triomphe réclame de tous ceux qui travaillent une volonté constante, de tous ceux qui pensent une action continue. Il appelle tous les exploités, tous les travailleurs, à l union des énergies non pas pour détruire, mais pour édifier. Le socialisme ne nous sera pas offert comme un miracle tombé du ciel ou comme un palais enchanté jailli des profondeurs. Il sera le couronnement laborieux de la persévérance humaine, la récompense d une âpre et douloureuse ascension vers les hauteurs. Ainsi se précise et s éclaire le sens du titre que nous avons choisi comme mot de ralliement pour notre socialisme régional. LA MONTAGNE... Ce nom n évoque pas seulement le cadre tour à tour gracieux ou sévère, le décor familier où vivent les populations à qui nous allons parler chaque jour. LA MONTAGNE, c est aussi la cime aux pentes abruptes mais qu il faudra bien atteindre un jour, et que gravit peu à peu, malgré les obstacles, malgré les reculs, d un pied hésitant mais avec un espoir tenace, notre pauvre humanité. LA MONTAGNE était à la convention. Elle groupait le parti le plus près du peuple, celui qui siégeait sur les plus hauts gradins de la grande assemblée dont la trace demeure ineffaçable dans l histoire des révolutions. Les Montagnards avaient rêvé d une humanité meilleure, affranchie de toutes les servitudes, libre, égalitaire et fraternelle. Leur rêve n est pas mort avec eux. Après les heures sombres et tragiques que le monde vient de vivre, il éclaire encore, au-dessus des charniers et des ruines de la guerre, le chemin qui conduit vers les sommets. À peine sortis d un ouragan de misères, les peuples cherchent du regard la route ensanglantée. Le fardeau est plus lourd, mais l idée est vivante : En Avant! LA MONTAGNE. Implanté dans l Allier En encadré sur la première Une La «MONTAGNE» n a aucun fil à la patte. Elle ne sert les intérêts d aucun particulier. Elle dit tout, ne craint personne et n accepte que la publicité qui lui plaît. On peut trouver la rédaction et l administration au 6, rue Blatin à Clermont-Ferrand. Le journal dispose de deux lignes téléphoniques : 9-06 et 9-07 (il faut passer par l opératrice). L adresse télégraphique est CLERMONTAGNE. Rédaction pour l Allier à Commentry. Bureaux à Montluçon, Moulins et Vichy. Le journal coûte 10 centimes

20 LE PÈRE DE LA MONTAGNE Le concept du journal et les rédacteurs Une affiche placardée durant l été 1919 annonce la parution en septembre d un nouveau journal, La Montagne. L affiche est illustrée par un dessin. Dans un champ, un paysan interrompt sa fenaison pour s emparer des nouvelles du pays. Un métallo, reconnaissable à la casquette, est venu prêté main forte au paysan, mais se prend un moment pour lire le journal. Le champ est situé entre les montagnes, à gauche, et les usines dont les cheminées sont fières de cracher leur production. L affiche, utilisant la bichromie noir-rouge, fait ressortir, en texte, le concept de ce nouveau quotidien «de la démocratie socialiste des départements du Centre». La Montagne «sera un journal vivant et complet, bien rédigé et bien présenté. Elle renseignera sur tout, ne cachera rien et ne craindra personne.» Les informations de politique générale émaneront de «50 députés socialistes et [de] militants les plus en vue» ; ses services télégraphiques et téléphoniques permettront de rivaliser avec les plus grands quotidiens nationaux. L information locale sera assurée par un réseau de correspondants. Bref, La Montagne «sera le défenseur fidèle et vigilant de l intérêt public. Ouvriers, employés, paysans y seront chez eux.» L affiche est bordée par une véritable pergola de rosiers dont les «fleurs» sont les médaillons des ténors de la SFIO régionale et nationale. Jules Guesde et Marcel Sembat encadrent Alexandre Varenne et Paul Constans, alors député de l Allier et maire de Montluçon. L équipe rédactionnelle en Assis, les bras croisés : Causit. À la gauche de Varenne : Albert Paulin, ancien tailleur, qui deviendra député du Puy-de-Dôme avant de s égarer politiquement. Debout : Guillou ; Henry Andraud, qui sera lui aussi député, soussecrétaire d État à l Air, puis égaré politiquement ; enfin, René Descheries, qui passa en 1929 du journalisme à la magistrature. Président du tribunal de Saint-Flour en juin 1944, il dut constater un crime de guerre commis par l armée allemande à Soubizergues. Il termina sa carrière à la cour d appel d Angers. Alexandre Varenne a expliqué comment il a été amené à fonder La Montagne. Et il donne ainsi la réponse à la présence, sur la pergola, d hommes politiques qui ne partageaient pas tous sa sensibilité. «Ce serait une histoire assez curieuse à écrire que celle de la fondation de La Montagne. L idée n était pas de moi. Elle émanait de Marius Viple, dont le dessein était de pousser dans la politique son ami Isidore Thivrier, qui voulait devenir député au siège de son frère décédé*, lequel était mon ami. Comme il était impossible de faire vivre un quotidien à Montluçon et qu il paraissait indiqué de le publier à Clermont, on ne pouvait guère se passer de mon concours. On me le demanda. «Je donnerais mon nom...»» On m assura d ailleurs que je n aurais à m occuper en rien de sa vie matérielle. Je donnerais mon nom, ma signature au bas de mes articles et [j aurais] l appui de mes amis politiques. En fait, au bout de trois mois, le journal était en difficultés. Il me fallut chercher des concours pour faire face à de lourdes échéances ; j y étais d autant plus contraint que les propriétaires des locaux que nous occupions n avaient consenti à ne louer qu à moi. Je me trouvais donc commercialement responsable, c est-à-dire exposé à la faillite, par conséquent à la déchéance de mon mandat. Je passai, cela se devine, des heures d inquiétude, jusqu au jour où je pus mettre debout une société anonyme, qui dut plus tard faire face à une autre crise. Des sommes importantes furent ainsi englouties dans cette entreprise qui me valut d autre part bien des difficultés politiques, et probablement mon échec de Non, je n écrirai pas dans le détail le récit de ces avatars qui ont singulièrement compliqué ma vie.» (*) En fait, Léon Thivrier est décédé en Le siège du journal, 6, rue Blatin... Scène de rue, place de Jaude à Clemont-Ferrand, dans les années 1930, en pleine crise économique. Salut. Où vas-tu si vite? À La Montagne, rue Blatin. Je vais chercher ma prime. Ta prime? Oui, pour le passage du journal à six pages, ils encouragent les lecteurs à en trouver d autres. Et c est ainsi qu un attroupement se forme devant le 6, rue Blatin. Un couple attend, le mari portant son enfant. Certains ne lâchent pas leur vélo. Impossible, pour les passants, de longer le trottoir. Un curé est obligé de contourner la foule en passant sur les voies du premier tramway de Clermont. L opération est un succès. On parle du journal. La direction a également organisé une campagne d affichage, ou encore lancé des concours avec offre de billets de Loterie nationale. Non loin de là, l imprimerie s est installée dans un ancien manège à chevaux, au 50 et 52, puis 54 rue Lamartine. Les ouvriers composent leur labeur sur des Linotypes, qui coulent les articles sous forme de petits blocs de plomb, assemblés ensuite au marbre. Les casiers à côté du poêle sont des casses. Le Vers 1930, un jour de distribution de primes. terme «bas-de-casse» indique un caractère en minuscule. En 1926, Charles Ferriot, typographe, 52 ans, né à Voiron (Isère), et sa femme Marie, 33 ans, logeaient au 50, rue Lamartine. Ils devaient servir de gardiens, tâche de responsabilité compte tenu de la concurrence avec les autres journaux de l époque, Le Moniteur et l Avenir du Plateau central....et l imprimerie, impasse Lamartine LE PÈRE DE LA MONTAGNE Les linotypistes. La rotative

21 LE PÈRE DE LA MONTAGNE L ouverture aux amis politiques Annoncée dans son concept, l ouverture aux amis politiques prônée par La Montagne est appliquée dès ses débuts. Les journaux de l époque étant politisés, les socialistes pouvaient ainsi rivaliser avec ceux disposant de l appui d un journal. Mercredi 8 octobre 1919, dans son numéro 5, La Montagne offre une tribune libre à Albert Thomas, titrée «Radicaux et socialistes». Député sortant de la Seine, Albert Thomas était auréolé d une compétence remarquée en matière d organisation de l industrie de guerre. Un mois après, à peine élu député du Tarn, il devient le premier président du Bureau international du travail, d abord à Londres, puis à Genève. Syndicalistes de la CGT et membres du mouvement coopératif ont également pu exprimer leurs idées. C est le cas, par exemple, d Ernest Journalisme et carottes N importe quel journaliste doit se souvenir que ses écrits, même les plus brillants, peuvent servir à envelopper des épluchures de carotte ou de pomme de terre avant d aller à la poubelle. Mais dans le deuxième numéro de La Montagne, le 5 octobre 1919, le rédacteur parisien* signale un autre type de journalisme, quasi alimentaire, rencontré dans une rue de la capitale. Le titre est explicite : «Journalisme et carottes». Bonsoir a, hier, ouvert une boutique dans laquelle notre confrère Bourcier, aidé d un nombreux personnel, offre aux lecteurs de son journal des légumes et des fruits. La boutique est installée rue Chauveau-Lagarde, à proximité de la Madeleine. Des sacs de carottes, des piles de pommes de terre, des bottes de poireaux, des navets, sont entassés dans le magasin. Le journalistecommerçant a, pour la circonstance, revêtu un imperméable luisant, couleur de terre d argile. À l extérieur de la boutique, un calicot monstre, où Bonsoir se détache. Des affiches multiples annoncent que ce journal combat la vie chère. Les clients affluent ; les À gauche, le portrait d Albert Thomas ( ), paru dans La Montagne du 8 octobre À droite, celui d Ernest Poisson ( ), paru le lendemain. vendeuses s affairent! Le prix des diverses denrées est sensiblement inférieur à celui des autres marchands de légumes. Ça va? dis-je à Bourcier. Si ça va : constatez. Je constate. Sur les carottes, sur les patates, il y a un rabais de dix centimes au kilo. Demain, me dit Bourcier, nous vendrons du raisin, des figues, des noix. Ameneznous votre ménagère... Je n amènerai pas ma «ménagère», parce que je suis célibataire. Mais, tout de même, je ne peux que remarquer que l initiative prise par notre confrère Bourcier est excellente en tous points. (*) Certainement Alexandre Varenne bien qu il affirme ne pas être marié, alors qu il l était. Poisson, alors secrétaire général de la Fédération nationale des coopératives. Ernest Poisson avait été rédacteur à l Humanité de Jean Jaurès. «Ce que peut la coopération», la tribune libre d Ernest Poisson parue le 9 octobre 1919, vise à expliquer aux consommateurs les limites de ce mouvement par Transition rapport à la lutte contre la vie chère, au sortir de la Grande Guerre. Lu à la Une de La Montagne du samedi 1 er novembre 1919, sous le titre «Aux abonnés de l Ami du Peuple». «Les camarades (1) qui étaient abonnés à l Ami du Peuple (2) et dont l abonnement n était pas terminé sont avisés que le service de La Montagne leur sera fait à partir du numéro portant la date de mardi prochain. Ceux qui ne recevraient pas La Montagne de mardi et des jours suivants sont priés de nous en aviser, en nous indiquant la date à laquelle prenait fin leur abonnement à l Ami du Peuple.» 1. On voit que les lecteurs étaient plutôt des adhérents politiques. 2. L Ami du Peuple était un hebdomadaire, alors que La Montagne est un quotidien. Les législatives de 1919 La naissance de La Montagne en octobre 1919 est une aubaine pour les candidats socialistes du Puy-de-Dôme aux législatives du 16 novembre Le 6 novembre, la Une de La Montagne publie la liste des candidats de la Fédération socialiste du Puy-de-Dôme. Sur les neuf sièges de députés du Puy-de-Dôme en jeu, les socialistes en obtiennent deux : Joseph Claussat et Alexandre Varenne. Alfred Barrier. 38 ans, facteur rural vers Pionsat, fait état d un beau parcours durant la Grande Guerre. Joseph Claussat. 45 ans, médecin né à Pont-du-Château. Maire de Châteldon et député de l arrondissement de Thiers depuis Louis-Joseph Darteyre. 49 ans, médecin à Saint- Amant-Tallende depuis mois de front. Conseiller général et maire de Saint-Amant- Tallende. Joseph Demay. 45 ans, maire d Olliergues et conseiller général de ce canton. Pacifiste, il combattit néanmoins avec son unité à Verdun et dans la Marne. Pierre Leclerc. 47 ans, typographe et syndicaliste. Au Parti socialiste depuis plus de 20 ans. Albert Paulin. 38 ans, rédacteur à La Montagne. Appartient au Parti socialiste depuis 21 ans. Et enfin, Alexandre Varenne, que l on ne présente plus. Conseiller général de la place de Jaude Jean-Baptiste Marrou ( ) était une figure politique. Député du Puyde-Dôme élu depuis 1909* sous les étiquettes allant du socialisme au radicalisme, maire de Ceyrat et conseiller général du canton de Clermont-Sud-Ouest, Jean- Baptiste Marrou a été également vénérable de la loge «Les enfants de Gergovie», de 1898 à Alexandre Varenne dit de lui : «Il était marchand de vins de son état et dégustateur émérite, et tous les vignerons, même ceux de droite, votaient pour lui, et tous les amateurs de bon vin, à commencer par nos bons curés de campagne qui ne dédaignent pas ce présent du Seigneur.» En décembre 1919, Alexandre Varenne se présente sur le canton de Clermont- Sud-Ouest. Il est élu et devient «conseiller général de la place de Jaude», selon ses propres termes, ce canton englobant la principale place de Clermont-Ferrand. (*) Jusqu en 1927 ; il est ensuite sénateur, jusqu en Le 16 septembre 1928, à bord du tram inaugural entre la place de Jaude et Aubière. Penchant la tête pour regarder l objectif, Étienne Clémentel, alors président du Conseil général du Puy-de- Dôme, sénateur et ancien ministre. Jean-Baptiste Marrou, maire de Ceyrat (à gauche), franc-maçon comme Alexandre Varenne, conseiller général du canton de Clermont-Sud-Ouest. Réélu aux cantonales de mai 1922, Alexandre Varenne savoure, le 9 juillet suivant, avec Jean- Baptiste Marrou, le bienfait des réalisations communales à Ceyrat, avec notamment l adduction d eau et l inauguration de la ligne de tramway reliant la place de Jaude à l entrée de Ceyrat. LE PÈRE DE LA MONTAGNE 40 41

22 LE PÈRE DE LA MONTAGNE Les grands rendez-vous du quotidien Le 8 juillet 1923, Alexandre Millerand, président de la République, et plusieurs ministres assistent à Clermont- Ferrand aux cérémonies du tricentenaire de la naissance de Blaise Pascal. À cette occasion a été inaugurée par Millerand la nouvelle installation du chemin de fer du puy de Dôme, en même temps qu est évoquée l expérience physique de Pascal Jules Guesde, député du Nord (Lille), ancien ministre d État, est décédé à Saint-Mandé (Seine), le vendredi 28 juillet Deux jours plus tard, ses obsèques ont lieu au cimetière du Père-Lachaise à Paris. Peu avant la crémation, Marcel Sembat, son compagnon de route gouvernemental lors de l Union sacrée, prend la parole devant la foule des amis. Il rappelle que ce journaliste avait pris position en faveur de la Commune de Paris, en 1871, et que, pour échapper à une arrestation, il avait dû s exiler. À côté de Marcel Sembat, derrière l homme aux bras croisés : Léon Blum, qui a été son chef de cabinet quand il était secrétaire d État chargé des Travaux publics. Ces deux figures socialistes ont connu, en décembre 1920, la scission du congrès de Tours, au cours duquel la majorité a adhéré à la Troisième Internationale. Blum et Sembat s y sont opposés. Quelques semaines après les obsèques de Jules Guesde, Marcel Sembat meurt à son tour, à Chamonix, d une attaque cérébrale. Sa femme, peintre et sculpteur qui signe Georgette Agutte, ne peut au sommet du puy de Dôme. C est à cette occasion qu un banquet de 900 couverts est donné aux invités, au sommet du puy de Dôme, à l auberge du temple de Mercure. En prévision de l événement, un avion survole le sommet prestigieux pour prendre des photos utiles pour les articles La mort de Jules Guesde et de Marcel Sembat supporter de vivre sans lui. Elle met fin à ses jours. Marcel Sembat était très cultivé. Il écrit la première monographie sur Matisse, il est ami de peintres (Signac et Odilon Redon). Il s intéresse aussi bien à la psychanalyse de Freud qu aux écrivains Marcel Proust et d annonce. Sur la toiture, certaines des lettres-bâtons de «Auberge du temple de Mercure» sont tombées, entraînées par des coulées de neige. Remarquable tribun, «à la Jaurès», Marcel Sembat prononce l éloge funèbre de Jules Guesde, au cimetière du Père-Lachaise, le 30 juillet Blaise Cendrars. À la tribune de la Chambre des députés, le 3 décembre 1912, il défend les peintres cubistes, attaqués politiquement. Les cahiers de Marcel Sembat ont été publiés en 1925 sous le titre «La Victoire en déroute», avec une préface de Léon Blum. GRAND TÉMOIN Paul Saigne a été rédacteur en chef de La Montagne de 1992 à 1997 et président de la Fondation Varenne de 2001 à Il explique comment ont évolué les concepts du fondateur, avec le temps et les réalités du quotidien. Que représente La Montagne sur l échiquier de la presse quotidienne en Auvergne, à sa fondation en 1919? Ce journal répondait essentiellement à des besoins électoraux, avec une ligne politique bien définie. Les journaux étaient alors politiques, polémiquaient entre eux et enrichissaient le débat démocratique. Varenne a éprouvé ce besoin d avoir un journal paraissant avec plus de fréquence et de régularité que les feuilles qu il avait patronnées jusqu alors, pour soutenir sa carrière politique. Peut-être aussi le contexte de 1919, à la veille du congrès de Tours? Bien sûr. Il existait alors un débat très fort à gauche ; mais aussi, au lendemain de la Première Guerre mondiale, un besoin de se positionner dans le décor politique. Dans son premier édito, Alexandre Varenne explicite le sens du titre : le relief d un pays et la référence aux Montagnards de la Révolution. Le choix de ce titre a-t-il été un obstacle à l élargissement de la zone de diffusion? Je ne pense pas. La Montagne ne faisait pas mystère de ses choix politiques. Ce qui a pu freiner l expansion du journal, c est davantage l esprit de clocher. Plus tard, lorsque La Montagne a acquis Centre Matin à Montluçon, le journal a constaté au début une perte de lectorat avec l argument : «C est la mainmise du Puy-de-Dôme et de la capitale régionale sur notre presse et nos moyens d information.» Mais je ne pense pas que le titre lui-même ait été un frein à son expansion. D autant plus que le titre lui-même a été validé par certains des initiateurs du projet de nouveau journal, qui étaient du bassin montluçonnais. C est cet esprit qu on croyait dominateur émanant de Clermont qui pouvait gêner. Tout cela s est apaisé. Quant au Cantal et à la Haute- Loire, ils n étaient pas révulsés par ce titre, pas plus que la Montagne bourbonnaise, à l est de Vichy. La Montagne n a-t-elle pas été un vivier pour des carrières politiques? Certainement. Varenne a constitué une équipe de journalistes, dont certains ont eu des mandats électifs. Il est probable que si Jean Rochon était revenu de déportation, il aurait eu une carrière politique exceptionnelle. N y a-t-il pas des limites, au niveau d un quotidien, à l engagement politique de ses dirigeants et de ses cadres? À l époque de sa fondation et jusqu à la Libération, le journal affichait clairement que c était le journal des gauches. Après la Libération, en raison des événements et pour aller au devant d un lectorat potentiel, c est devenu un journal d information, moins marqué politiquement. À partir de là, il était difficile d avoir un personnel engagé ou qui ne collaborait que pour des raisons politiques. Cela a constitué un tournant. Paul Saigne Paul Saigne devant le nouveau siège de La Montagne, au 45, rue du Clos-Four à Clermont-Ferrand. Ou comment l histoire se poursuit vers la modernité. Un des titres d article des pages précédentes est «Journalisme et carottes». Comment, aujourd hui, les quotidiens peuvent-ils renouveler un lectorat qui estimait aussi indispensable d avoir dans son panier un journal que des produits de première nécessité? La prise en main du journal est souvent associée à des automatismes. On l a vu avec l offre du journal dans les bureaux de tabac. Les automatismes ont changé. Les motivations aussi. Le changement de la distribution, avec le portage notamment, a modifié les habitudes. Mais le réflexe d acheter ou de consulter un quotidien est constant. Peut-être pas chez les jeunes? Les jeunes lisent le journal pas de la même façon que les adultes dans les centres de documentation pédagogiques, dans les bibliothèques, au café, chez leurs parents... L offre est différente : à présent, on peut consulter toutes les éditions par Internet et sur abonnement, ce qui était quasi impossible auparavant. Paul Saigne Origines. Né le 29 juin 1932 à Clermont-Ferrand. Mère clermontoise et père de Blesle (Haute-Loire). Métier. Son père ayant été rédacteur en chef de deux journaux issus de la Libération (l Éclair, puis la Liberté), Paul Saigne est entré dans la carrière de journaliste en 1959, et à La Montagne en octobre Rédacteur en chef-adjoint de 1987 à 1992 et rédacteur en chef de 1992 à Administrateur de la Fondation Varenne depuis sa retraite, et président de 2001 à Passions. Lecture, principalement sur l histoire, quels qu en soient le sujet et l époque. Signe particulier. Son nom se prononce «Sagne». (Photo Michel Wasielewski). LE PÈRE DE LA MONTAGNE 42 43

23 : GOUVERNEUR GÉNÉRAL DE L INDOCHINE En Indochine Au milieu de la foule, Alexandre Varenne fait un discours lors d une tournée en Cochinchine, en Un socialiste respectueux des droits des peuples Alexandre Varenne est nommé, le 28 juillet 1925, gouverneur général de l Indochine. Il devient le représentant de la République française dans un pays vaste comme la métropole, administrant sous diverses formes le Tonkin, l Annam, la Cochinchine, le Cambodge et le Laos. Avec ses idées, Alexandre Varenne s attelle à cette vaste tâche, de l automne 1925 jusqu à octobre

24 : GOUVERNEUR GÉNÉRAL DE L INDOCHINE Le Cartel des Gauches au pouvoir Le 11 mai 1924, le Cartel des Gauches, né du rapprochement électoral des socialistes, d une partie des radicaux et de républicains de progrès, remporte la victoire aux législatives. Alexandre Varenne est réélu à la Chambre des députés. Pas ministre, mais gouverneur ous croyons savoir «Nque M. Alexandre Varenne va être nommé gouverneur général de l Indochine, écrit un journal de l opposition dans un petit article assorti d une caricature de Sennep. Le député du Puy-de-Dôme, qui est, dans le parti socialiste, un élément pondérateur, a été jugé apte, sans doute à cause de la diplomatie dont il a donné des preuves au cours des débats récents, à diriger notre grande colonie.» La nouvelle officielle arrive peu après : le président du Conseil Paul Painlevé nomme Varenne gouverneur général de l Indochine, le 28 juillet Ce qui fait dire à Mointarque (pseudonyme d un journaliste se prenant un peu moins que Plutarque) : «M. Varenne accepta, sans en référer, cette fois, à son parti. Sera-t-il exclu? [...] Car M. Varenne n est pas le seul à s insurger contre l intransigeance d un parti qui a refusé à un Jaurès de donner sa mesure au pouvoir...». Dès l annonce de la nomination d Alexandre Varenne comme gouverneur général de l Indochine, le caricaturiste Sennep raille les socialistes Léon Blum, Pierre Renaudel et Jules Uhry, qui tiennent les rênes de la SFIO, opposés à toute participation au pouvoir : GOUVERNEUR GÉNÉRAL DE L INDOCHINE Bien que la victoire du Cartel des Gauches ait été très nette (328 sièges sur 582), aucun chef de parti n accepte de participer au gouvernement. Le Cartel est critiqué dans la presse de droite et d extrême droite. La grève perlée ne menacerait pas que l économie, selon cette caricature de Jehan Sennep ( ), qui dessinait notamment pour l Action française. Tandis que Léon Blum est en grève au volant du Char du Cartel, et que le passager Alexandre Varenne paraît ronger son frein, Édouard Herriot, président du Conseil et radical, descend du bus. Il démissionne du gouvernement le 10 avril Vice-président de la Chambre Pour cette XIII e législature de la III e République, le président de la Chambre des députés est Paul Painlevé. Non seulement il est un homme politique, mais il est aussi mathématicien, président de l Académie des sciences et spécialiste de l aéronautique. Mais, ce 21 février 1925, pour la deuxième séance, il cède la place au perchoir de la Chambre des députés au vice-président Alexandre Varenne. Ce n est pas un strapontin. Par son expérience, le député du Puy-de-Dôme sait qu il faut rester attentif aux débats, à la durée de prise de parole des confrères, aux écarts de langages des uns et des autres. Il faut être capable de se référer au règlement de la Chambre. Alexandre Varenne préside ainsi en juillet 1924 (une fois), août (1), novembre (6), décembre (4), janvier 1925 (1), février (6), mars (1), avril (1), juin (2) et juillet (3). Sa dernière présidence date du 11 juillet Le caricaturiste de presse BIB représente Léon Blum, l artisan du Cartel des Gauches, face à Alexandre Varenne (avec sa pochette), tenant de la participation des socialistes au pouvoir. Sur ce sujet, le Cartel des Gauches s écartèlera. Ce dessin est synonyme d une certaine confraternité : à l encre de Chine, André Chazal ( ), député radical de Seine-et-Marne, élu pour la première fois le 11 mai 1924, croque Alexandre Varenne, le 21 février 1925, lors d une des séances où le député du Puy-de-Dôme préside la Chambre des députés. Joie et fierté du côté de Saint-Gervais Que sont les critiques de l appareil SFIO à côté de l accueil chaleureux des habitants de Saint-Gervais-d Auvergne? Une tournée automnale dans son fief électoral, avant son départ, permet à Alexandre Varenne de tester auprès des électeurs s il a fait le bon choix. Il suspend son mandat législatif durant celui de gouverneur général. Mais les élus, militants et même les enfants et adolescents du bourg viennent pour assister à la petite fête. Un parquetsalon a été loué, on y entend les discours et l honneur de cette nomination rejaillit finalement sur la circonscription de Riom-Montagne. À l arrivée de la limousine avec chauffeur, Alexandre Varenne est accueilli par les militants et élus. Marie-Mélanie reçoit un bouquet de fleurs. À droite, Jean-Baptiste Varenne (frère cadet d Alexandre), qui est conseiller municipal à Paris, savoure l instant

25 : GOUVERNEUR GÉNÉRAL DE L INDOCHINE Le 8 octobre 1925 est organisée une cérémonie par le Souvenir indochinois, à la mémoire des morts indochinois de la Première Guerre mondiale, sept ans après la fin de celle-ci. Winh Thuy, le prince héritier d Annam le futur empereur Bao Dai, né le 22 octobre 1913, va avoir 12 ans, est présent, ainsi que son cousin. La cérémonie a lieu au parc du jardin tropical du bois de Vincennes, dans la Maison cochinchinoise créée pour l exposition coloniale de 1906 de Marseille, offerte par Khaï Dinh, empereur d Annam, et installée pour l exposition coloniale de Paris en Le pavillon indochinois a été détruit en 1984 par un incendie criminel. L exposition coloniale de 1906 de Marseille a été créée par Jules Charles-Roux, grand-père d Edmonde Charles-Roux. Marguerite, 21 ans Le prince héritier et le ministre des Colonies, Orly André-Hesse, accompagnent le couple Varenne, gare de Lyon à Paris, le jour du départ pour Prises de contacts Le futur empereur Bao Dai rencontre peut-être pour la première fois Alexandre Varenne, lors de cette cérémonie du Souvenir indochinois. Ce dernier sera en quelque sorte son tuteur. Le jeune empereur, qui suit ses études à Paris, prendra goût à la métropole. Marseille. Là, les Varenne, accompagnés de la jeune dame de compagnie de Marie- Amélie, Marguerite Migeot, 21 ans, prennent place à bord du paquebot «Paul-Lecat», qui assure la ligne Marseille- Shanghai-Yokohama. Escale à Port-Saïd (Égypte), le 28 octobre. Puis c est Djibouti, l océan Indien et la mer de Chine méridionale. BIRMANIE Dien-Bien-P hu Luang-P rabang LAOS Vien tiane SIAM TONKIN Cao-B ang Lang-S ong Hanoï Haïphong Nam-Dinh Than-H oa Savannak het Paksé Golfe dutonkin Hué CHINE HAÏ-NAN Mer dechine Tourane (Danang) Kouang- Tchéou : GOUVERNEUR GÉNÉRAL DE L INDOCHINE Tonkin, Annam, Cochinchine, Cambodge et Laos Alexandre Varenne ne sait pas combien de temps il va rester en Indochine. Le mandat est renouvelable chaque année. La tâche est immense. L administration coloniale, avec des fonctionnaires formés à l école du même nom, paraît tenir le pays, grand comme une fois un quart la France. En novembre 1925, seule la Cochinchine (capitale Saïgon) est une colonie. L Annam (capitale Hué) est une monarchie sous tutelle française. Le Tonkin (capitale Hanoi) est un semi-protectorat, tout comme le Laos (capitale Vientiane). Enfin, le Cambodge (capitale Phnom Penh) est un protectorat, depuis un traité de Le statut de gouverneur général date d octobre À ce momentlà, Varenne écoutait les cours de philo de Bergson au lycée Blaise- Pascal de Clermont-Ferrand. Il hérite donc d une situation qui lui échappe en partie. En partie seulement car il s est déjà intéressé, comme député, à la politique coloniale de la France Selon le statut, l Union indochinoise regroupait l Annam, le Tonkin, la Cochinchine et le Cambodge sous l autorité d un gouverneur dépendant du ministère des Colonies. Mort de l empereur À partir du début du voyage de Varenne en Indochine et durant ses trois mandats, le ministre des Colonies dont il dépend est Léon Perrier ( ). Khaï Dinh est alors l empereur d Annam. Mais il meurt le 6 novembre 1925, alors que Varenne était encore sur le «Paul-Lecat». Le résident supérieur Pierre Pasquier était en poste à Hué. Ton Thât Hân est nommé régent d Annam et du jeune Vinh Thuy. À la mort de Khaï Dinh, Ton Thât Hân (cidessus) est nommé régent d Annam et du jeune futur empereur Bao Dai. Bangkok Golfe desiam L'Indochine française en 1925 Angkor Siemréap Bokor CAMBODGE Phnom-P enh Saïgon COCHINCHINE Pointe de Camau Bagne de Poulo-Condore ANNAM Dalat Cap Saint-J acques Nha-T rang Mer dechine km LA MONTAGNE François Mercat, 48 49

26 : GOUVERNEUR GÉNÉRAL DE L INDOCHINE Novembre 1925 : l arrivée du Gougal Alexandre Varenne se veut un gouverneur général (Gougal) républicain. Comme il le dit, il a laissé ses idées politiques sur le quai, à Marseille, le 23 octobre Il entend être au service de tous en Indochine. Il prend pied d abord à Saïgon, siège du gouvernement général, le 21 novembre ; à Phnom Penh, deux jours plus tard, et enfin à Hanoi, au Tonkin, le 5 décembre. ❶ Manifestation pour des vœux Six jours après l arrivée de Varenne en Indochine, le Parti constitutionnaliste indochinois organise une manifestation pour la remise des vœux annamites au gouverneur. Ce dernier reçoit la manif au palais. Saïgon, le 27 novembre Après la réception de la manifestation dans la salle des fêtes du palais du gouverneur général, à Saïgon, Alexandre Varenne, bras croisés, accepte qu une photo soit prise avec le groupe : GOUVERNEUR GÉNÉRAL DE L INDOCHINE ❸ ❹ 1. Le 23 novembre 1925, pour l arrivée à Phnom Penh (Cambodge) par le Mékong et le Tonlé Sap, les pirogues accompagnent le navire du Gougal, surnom du gouverneur général. 2. Le lendemain, il ne manque pas de fleurir le monument aux morts de la ville, dressé en hommage aux combattants du pays morts durant la Grande Guerre. Sur les quatre éléphants du monument, détruit par les Khmers rouges, il en reste deux qui gardent l entrée du musée national du Cambodge à Phnom Penh. 3. Le concours de bébés est présidé par Mme Varenne. Mères, enfants et pères posent pour la photo. 4. Une fois arrivé à Hanoi, le 5 décembre, le nouveau gouverneur général inaugure la foire-exposition, le 8. Il refuse de porter l uniforme et le bicorne, mais adopte de casque colonial (Phnom Penh est à peu près à la latitude de Djibouti, de Bamako au Mali, ou de Caracas au Vénézuela). De rouge, la pochette est passée au blanc. ❷ Nguyên-Phan-Long, l initiateur de la manifestation pour la remise des vœux annamites à Alexandre Varenne, va lui remettre ces sortes de cahiers de doléances. Auparavant, il dit au gouverneur général : «Au cours des brillantes réceptions organisées en votre honneur et dont, par un geste démocratique, vous avez, autant qu il était en votre pouvoir, exclu la contrainte et le conventionnel, vous avez été entouré par des foules chamarrées où dominait l élément fonctionnaire. Voici après le monde officiel, la population qui vient à vous de tous les coins de la Cochinchine, en la personne de ses représentants les plus qualifiés pour exprimer en toute sincérité ses aspirations et ses sentiments.» Le ton est mesuré : «Loyalisme et loyauté, des protégés aux protecteurs, ces deux sentiments de même essence se répondent dans l harmonieux équilibre des droits et des devoirs réciproques des deux peuples.» C est en nous inspirant de ces deux termes du contrat bilatéral conclu entre Français Alexandre Varenne ne peut se rendre dans tous les coins de ce vaste territoire. Il prend connaissance des us et coutumes des peuples et des rites religieux par photos, prises en guise de rapport, notamment par le service des Mines. et Annamites que nous avons rédigé le cahier des vœux qui va vous être remis.» Alexandre Varenne estime que l enseignement primaire doit être donné aux jeunes Annamites dans leur langue maternelle. Mais il reste «partisan du français dans la population annamite afin de favoriser le rapprochement entre Français et Annamites.» Par ailleurs, le gouverneur donnera des ordres pour que la censure «s exerce avec tout le libéralisme compatible avec le souci de la tranquillité du pays. Elle sera désormais pour la presse en langue annamite un guide plein d indulgence.» Au Laos, dans les provinces de Trân Ninh, de Luang Prabang et de Vientiane : bœuf porteur, éléphants des ponts et chaussées, homme Kha, jour de marché et arrivée des pêcheurs

27 : GOUVERNEUR GÉNÉRAL DE L INDOCHINE Sa Majesté Bao Dai, souverain d Annam mais pas encore empereur, quitte le palais Can Chanh, sur son trône transporté à l épaule vers le palais Thai Hoa. Mousson, inondations et irrigation Les moussons en Indochine apportent l eau nécessaire aux cultures et à la vie. Mais avec entre trois à quatre mètres d eau tombant dans les mois les plus critiques, la mousson draine aussi la mort et la désolation. La gestion de ces flux est donc un des enjeux économiques du gouvernement général. Villages engloutis sous les flots, villageois attendant des secours, perchés sur les toitures en chaume de paille de riz de leurs maisons : les scènes de désolation ne manquent pas, chaque année, au Tonkin. Tout ce que les paysans arrivent à cultiver durant la bonne saison part à vau-l eau au plus fort de la mousson. En 1926, une crue du fleuve Rouge a couvert plus de hectares de rizières. Alexandre Varenne poursuit ou initie des travaux d hydraulique agricole permettant la régulation des cours d eau et le développement de l agriculture. Dans son discours au Conseil du gouvernement de l Indochine, le 21 octobre Les villageois essayent de sauver ce qu ils peuvent. Les risques d épidémie s ajoutent à ceux de noyade. 1927, il explique que les «travaux irrigation et d assèchement intéresseront hectares dont au Tonkin et en Annam» et que ces investissements apporteront une plus-value aux terres et une augmentation de la production de riz : GOUVERNEUR GÉNÉRAL DE L INDOCHINE Alexandre Varenne avait prévenu : il ne porterait pas le bicorne à la différence du résident supérieur Pierre Pasquier, ici en revenant de la cérémonie d intronisation. Mais ce n était pas la seule divergence avec le résident supérieur. j arrivai en Indochine en «Quand 1925, analyse plus tard Alexandre Varenne, j eus à lutter tout de suite contre une tendance trop visible de l administration française à transformer les protectorats français en colonies pures et simples.» À la mort de l empereur Khaï Dinh, le secrétaire général Monguillot qui, jusqu à mon débarquement à Saïgon, assurait l intérim du gouvernement général, avait, sans m en prévenir, d accord avec le résident supérieur Pasquier, fait signer par le gouvernement de Hué une convention qui, en fait, dépouillait le souverain d Annam de la majeure partie de ses pouvoirs pour les transférer au protectorat.» Je rappelle cette initiative, à mon avis malheureuse, de mon intérimaire, parce qu on a prétendu à tort qu elle venait de moi, alors qu on avait négligé de prendre mon avis que j aurais pu donner, quoique étant en mer à ce moment, et que j aurais certainement donné défavorable, tandis qu avec Léon Perrier [ministre des Colonies], qui venait d arriver rue Oudinot [siège du ministère], il dut être facile d obtenir l agrément du ministre, qui n y entendait rien.» Trois vues de la réalisation du barrage de Bai-Thuong, sur la rivière Son Chu, au nord-ouest de Thanh Hoa, dans le nord-annam : en haut à gauche, lors des travaux d ancrage sur la rive gauche ; à droite, vue aérienne du barrage avant l exécution des joints d étanchéité. Ci-contre, trois caissons en cours de fonçage du barrage, pour en permettre l assise. Parmi les autres réalisations, citons la tranchée rocheuse de Muc-Son pour le canal Peytavin, ou l écluse de Ban-Thach ou le siphon Mât-Son permettant le passage de l eau d un canal sous le lit d une rivière

28 Carnet de voyage Courrier des souverains avec enveloppe en tissu enroulé dans un ruban tressé de fil d or, sceau royal sur feuille d or, réception par Rama VII, roi de Thaïlande (à gauche) et de Sisowath Monivong, roi du Cambodge, caricature du gouverneur dans «Varenne imperator», démonstration de la force de travail des éléphants. Il faut un certain recul pour se détacher de ces fastes. Certains s emploient à confiner l ancien député socialiste du Puy-de-Dôme dans ce rôle présumé de «vice-roi de l Indochine». Angkor, enjeu touristique En août 1926, Varenne visite les ruines d Angkor, au Cambodge. Des merveilles, comme les visages énigmatiques du Bayon (à gauche), ou les alignements de deva (dieux) à Angkor Thom, percent au milieu de la jungle envahissante et des herbes folles. À l entrée d Angkor Thom, au Cambodge, les statues géantes, effigies de deva (dieux), accueillent les visiteurs. En cette journée d août 1926, gardiens et archéologues de l École française d Extrême-Orient reçoivent le gouverneur général Varenne, son épouse et Marguerite Migeot, ainsi que des membres de son cabinet, dont Jean-Antoine Pourtier. Fils d un camarade de lycée d Alexandre Varenne, il deviendra rédacteur en chef de La Montagne après la Seconde Guerre mondiale et député après le décès d Alexandre Varenne. Les visites de Varenne à Angkor visaient également à apporter des solutions après la fâcheuse arrestation d André Malraux, fin «Et que faisons-nous d Angkor, lance Varenne*, cette merveille cambodgienne, qui est bien le plus splendide trésor que recèle l Indochine? L accès en est peu commode ; on n a pas fait le quart de ce qui est indispensable pour y rendre le séjour agréable, pour y attirer comme il le faudrait les touristes, les Au beau temps de Bokor amateurs d art du monde entier.» En réponse, il annonce le doublement de la dotation du service chargé des fouilles d Angkor et la construction d un hôtel confortable à Siem-Reap. (*) Le 21 octobre 1927, au Conseil de gouvernement de l Indochine : GOUVERNEUR GÉNÉRAL DE L INDOCHINE Le plateau de Bokor, aujourd hui parc national, est à mètres d altitude. Une terrasse naturelle surplombe la jungle, Phnom-Penh et le golfe de Thaïlande. À partir de 1917, une route a été taillée dans la jungle, puis un palace-casino, des pavillons, une chapelle catholique ont été construits et un bassin aménagé. Sitôt en poste, le 24 novembre 1925, Alexandre Varenne inaugure le palace. Il fait beau. Une chance pour cet endroit qui voit tomber cinq mètres d eau par an. Le site, aujourd hui en ruines, fut occupé par les Khmers rouges. Le palace-casino de Bokor, îlot de civilisation occidentale au milieu de la jungle luxuriante. Endroit «rêvé» pour inciter des clients joueurs à perdre leurs repères. Aujourd hui, le palace est en ruines, la chapelle abandonnée. Non loin de là vivent des bonzes d un temple bouddhiste

29 : GOUVERNEUR GÉNÉRAL DE L INDOCHINE Dans la plantation d hévéas, une saignée est tracée sur le tronc. Le latex est recueilli dans une coupelle, puis collecté. Jeanne de la Souchère écrit à Marie-Amélie Varenne : «À la Française au grand cœur, avec mon plus affectueux attachement - 15 novembre 1926». Photos Nadal. Chez Jeanne de la Souchère, planteur Veuve de Charles Rivière de la Souchère, capitaine au long cours qui avait investi en 1909 dans l achat de terres pour y planter des hévéas, Jeanne de la Souchère, née Bertin, reçoit Alexandre et Marie-Amélie Varenne en novembre La photo d art, dédicacée à Marie-Amélie, qui figure dans l album offert au couple Varenne, donne une touche glamour de cette femme exceptionnelle. Lorsque les Rivière de la Souchère achètent les terres vers Bien Hoa, en Cochinchine, il faut avoir une âme de pionnier. Les bambous poussent au milieu de termitières, les animaux sauvages menacent les coolies qui défrichent inlassablement, guidés par Jeanne. Comment dormait-elle? «Comme mes coolies, dans une paillote, sur le sol nu. Pas une fois, durant les trois années du défrichement, je ne suis allée à Saigon. Si je l avais fait, je n aurais pas eu le courage de retourner à la plantation.» Veuve à partir de 1916, vivant dans la villa Jeannette, dans la plantation, Jeanne de la Souchère était une femme planteur dans un univers de colons mâles. Elle respectait la dignité humaine alors que certains considéraient les coolies comme de la main d œuvre corvéable à merci. Elle négociait la vente du latex aux bons cours des années Femme indépendante De son côté, le gouverneur Varenne avait le projet de créer un code du travail en Indochine, garantissant un meilleur respect humain. Il institue des inspections locales du travail en Cochinchine et au Tonkin. En juillet 1927, il crée une inspection générale du travail en Indochine, chargée de suivre les conditions de recrutement de main d œuvre, de durée du travail, d hygiène et de sécurité... Après le krack boursier de 1929, les cours du caoutchouc s effondrent. Les plantations de la Souchère, dont la patronne est ruinée, comme beaucoup d autres, sont reprises par la Banque d Indochine. «Madame Caoutchouc» ou «Maman», comme la surnommaient ses premiers coolies, ne s est pas remariée. Un de ses fils adoptifs explique : «À cette époque, une femme mariée ou remariée n avait que les droits d une mineure. Alors que, restant veuve, Maman gardait la liberté de ses choix et de ses investissements.» Elle a adopté quatre enfants, dont deux d origine indochinoise, et élevé deux filles. Son parcours a servi de base au personnage d Éliane joué par Catherine Deneuve dans le film «Indochine», de Régis Wargnier. Après la crise de 1929, Jeanne de la Souchère a travaillé durant deux ans comme inspectrice du travail pour les femmes. Elle est décédée en Former des instituteurs Comme gouverneur général de l Indochine, Alexandre Varenne entreprend une vaste réforme de l enseignement, visant à en assurer la diffusion pour le primaire, à en refondre le secondaire local et à en organiser le supérieur. «Nos races indigènes, constate-t-il dans son discours au Conseil de gouvernement, le 21 octobre 1927, considérées dans leur diversité ethnique, apparaissent avec des caractères propres et un stade d évolution différent. Ces distinctions profondes, qui correspondent toujours à des habitudes d esprit, à des particularités de langage, à un patrimoine d idées morales, notre devoir autant que notre intérêt est de les observer et de les conserver, en y greffant à vif, en pleine sève, les meilleurs bourgeons de la culture française.» «Gardons-nous de centraliser et d unifier, écartons les méthodes uniformes qui dessèchent et étouffent les forces de vie.» Sous ses mandats, les écoles rurales et communales se multiplient. Outre l école normale de Hanoï, déjà existante, il annonce la création Les jeunes filles de l école normale de Hanoï reçoivent la visite de Marie-Amélie Varenne. Faciliter l accès aux études supérieures pour les jeunes femmes indochinoises constituait une avancée importante pour leur émancipation. En haut à gauche, Marguerite Migeot. Photo : Huong-Ki. en 1928 de celles de Saïgon et de Cantho et déplore qu il n en existe point dans l Annam, le Laos et le Cambodge. Il exprime «l espoir que l autorité universitaire en France [veuille] bien consentir à reconnaître la légitime équivalence des baccalauréats local et métropolitain.» La réforme universitaire passera par la création de facultés de médecine, de droit de sciences et de lettres, en projet. Randonnée équestre autour de Dalat : GOUVERNEUR GÉNÉRAL DE L INDOCHINE Les habitations des coolies étaient soignées. À l usine, après le laminage du latex, viennent le brossage et l emballage du caoutchouc pour l expédition, généralement à Marseille. Le gouvernement général disposait d une villa à Dalat, station d altitude d Annam. En octobre 1927, peu avant son retour en métropole, Alexandre Varenne s offre une excursion dans les montagnes

30 : GOUVERNEUR GÉNÉRAL DE L INDOCHINE Ancien vice-président de l Assemblée nationale, Alexandre Varenne ne pouvait rester insensible à la faible représentation des élus locaux dans les assemblées qui dirigeaient l Indochine et les pays la composant. Le Conseil de gouvernement était composé d une majorité de fonctionnaires. Face à cela, il propose des solutions : augmentation du nombre d élus, avec parité français/locaux. Il soumet le projet à Paris, qui le rejette. Il va le plaider en métropole, engage de nouvelles consultations à son retour, prend en compte certaines réalités qui lui avaient échappé. Pour l Assemblée centrale qui pouvait remplacer le Conseil de gouvernement, on retrouve un peu le schéma des Conseils généraux qui, avant les lois de décentralisation, étaient présidés par le préfet (en l occurrence le gouverneur général) et où les Le gouverneur général Varenne et les membres de la Chambre des représentants du Peuple pour l Annam, à Hué, le 23 juillet Bien que le nombre d élus locaux ait été renforcé, il s agit majoritairement de notables. Propositions de réforme politique Parmi les réformes engagées ou poursuivies par Alexandre Varenne au gouvernement général de l Indochine durant son triennat, celle des Assemblées était la plus politique, dans un contexte de montée en puissance des idées communistes ou d émancipation des peuples. Les nationalistes sont, jusqu en avril 1927, les alliés des communistes dans la Chine voisine, où s était réfugié Hô Chi Minh, qui était, comme Varenne, présent au congrès SFIO de Tours en chefs de service de l administration étaient assistants du préfet (du gouverneur). Il propose que l assemblée populaire soit composée de 60 membres, mais à majorité européenne, suivant le modèle des Indes néerlandaises qui, selon son analyse, avait fait ses preuves. Que restait-il de son passage? Varenne n est pas forcément le mieux placé pour juger quel souvenir bon ou mauvais il a laissé en Indochine. Néanmoins, en 1941, il raconte une anecdote qu a vécue un de ses amis, le député d Eure-et-Loir Richard Georges. «Quand [Richard Georges] arriva en Indochine, je reçus de lui une carte postale illustrée que les libraires annamites conservent avec soin et qui représente mon passage dans la ville indigène de Hanoï lors de mon arrivée en Indochine. «Arrivée à Hanoï du gouverneur général socialiste Varenne», dit la légende.» Ravi de cette trouvaille, Richard Georges entre chez le boutiquier. Il veut acheter la carte. L Annamite le regarde d un œil méfiant. Le Français explique qu il me connaît beaucoup, qu il est mon ami. Le marchand prend confiance et lui révèle qu il reste peu d exemplaires de cette photographie et qu il les garde précieusement, car «M. Varenne est le seul gouverneur que nous ayons eu pour nous». Et, comme dans ses voyages au Laos et au Tonkin, Richard Georges entend souvent des propos de ce genre, il m écrit en France pour me dire tout le bien que pensent de moi les indigènes.» Une ossature de 32 élus (avec parité) de telle manière qu il y ait une majorité d élus. Par ailleurs, 12 membres «représenterait les Chambres de Commerce et d Agriculture, à raison de neuf Français et de trois indigènes. Enfin, 16 membres dont six indigènes seraient choisis par le gouverneur général sur la proposition des chefs d administration locale. Mais ces 16 membres ne pourraient être des fonctionnaires en activité de service. Au total, l Assemblée comprendrait donc 35 Français et 25 indigènes.» Il assume ainsi cette inégalité finale : «Je juge peu équitable et impolitique de laisser les citoyens français installés en Indochine dans l état de minorité civique où les place la législation existante.» Par delà les critiques de colons, relayées par une certaine presse, ce discours explique en partie pourquoi, dix ans après, Varenne a été élu délégué du Tonkin. Retour aux réalités du journal Représenter la République en Indochine, être servi par des fonctionnaires coloniaux aux petits soins : quand le mandat de gouverneur général se termine, il faut remettre le pied sur le quai de la métropole, échanger la pochette blanche synonyme de l impartialité républicaine pour la rouge, étendard des idées socialistes. Mais pour Alexandre Varenne, le retour en France est encore plus complexe. À son départ, en novembre 1925, il dirigeait certes, de Paris un journal qui tournait avec ses propres directives dont il assumait les conséquences financières. Des correspondants (en fait des militants) recevaient, en échange de leurs informations, un service gratuit : le journal livré comme à un abonné. En partant, Alexandre a laissé les clés du journal à son frère Jean, conseiller municipal de Paris, épaulé par certains administrateurs dont la fidélité au journal était éprouvée et aussi par d autres, nouveaux, dont les intentions étaient moins identifiées. En avril 1927, Jean Varenne, président de la société anonyme La Montagne, décède. En attendant le retour d Alexandre, reparti en mission en Indochine pour une durée non définie, des administrateurs ou des amis comme Albert Paulin, Ernest Laroche ou Pierre Leclerc informent Varenne de l évolution de la situation politique dans le Puy-de-Dôme, en prévision des législatives de Albert Paulin, alors député, qui a vent d une tentative de mise fin prématurée au mandat de gouverneur et qu il fait avorter, montre sa fidélité à son mentor. Mais d autres administrateurs avancent leurs pions. Marius Viple paraît être le porte-parole d un financier se prétendant l ami de Varenne et qui détient 94 % des actions de la société. «Votre plume manque ici» Le 13 septembre 1927, Laroche écrit à Varenne : «Voyez-vous, ce qu il manque ici, c est votre plume. Toute notre faiblesse provient de là.» Les propos de Paulin vont dans le même sens : «Le tirage [du journal] ne monte pas mais ne baisse pas non plus. L effort qu amènera la campagne électorale peut, sur ce point, avoir d heureuses conséquences car vous serez de retour et vous redonnerez à notre bonne Montagne l éclat que votre départ lui avait fait perdre.» En revenant, Varenne reprend les rênes. Francisque Fabre sera l administrateur qui tient la barre au journal à Clermont-Ferrand pendant que Varenne est directeur politique à Paris. Les législatives se passent bien : Albert Paulin et Varenne sont réélus. Maire de Saint-Éloy-les-Mines Déjà député de la circonscription, Alexandre Varenne est élu, en 1930, maire de Saint-Éloy-les-Mines à la faveur d une élection partielle issue d une crise municipale. On le voit ici les pouces dans les poches, au banquet des conscrits de Saint-Éloy, avec des adjoints et des conseillers. L ancienne cité minière possède une rue Alexandre- Varenne, qui relie la rue Jean- Jaurès (celle de la Mairie) au boulevard de la République en passant par la rue Jules- Guesde. Tout un symbole. Alexandre avec Jean Varenne, décédé en avril 1927, et sa première femme, Marie- Amélie, décédée également après le retour d Indochine. En bas, regard échangé avec Francisque Fabre (à gauche), lors du congrès national de la Ligue des droits de l homme, à Vichy, en mai VERS LE FRONT POPULAIRE 58 59

31 VERS LE FRONT POPULAIRE Socialiste, républicain et indépendant Les crises, comme celle de 1929, brouillent les idées. Pour un homme politique, une crise donne l occasion d exprimer des idées nouvelles pour y remédier. L État doit-il être ferme, à poigne quand la crise économique arrive? Les idées égalitaires chères aux socialistes et aux communistes sont-elles compatibles avec la perte des avantages acquis pris à ceux qui gagnent plus ou ont une meilleure protection de l emploi? Au travers de toute l histoire politique depuis la fin de la Première Guerre mondiale, des jeunes pousses politiques prometteuses ont dérivé lamentablement : prenez Jacques Doriot, secrétaire général de la Jeunesse communiste, député PCF de 1928 à 1934, il fonde le Parti populaire français après avoir été exclu par le PC, et glisse vers le fascisme et la collaboration. Marcel Déat, député SFIO de 1926 à 1928, devient ensuite le dauphin de Léon À l automne 1935, Alexandre Varenne et ses amis politiques tiennent le premier congrès de la fédération du Puy-de-Dôme de l Union socialiste et républicaine, salle Gaillard à Clermont. Blum. Exclu de la SFIO en 1933, il entame un glissement vers l anticommunisme, le pacifisme face au nazisme et enfin la collaboration. Après une friction entre Blum et Déat au congrès SFIO de juillet 1933, et une prise de position de 28 députés proposant la diminution du salaire des fonctionnaires, ces derniers sont exclus en octobre. Ils fondent un parti néo-socialiste qui ne tiendra pas. Figurant parmi les exclus, Alexandre Varenne ne connaîtra pas ces dérives grâce à sa solide culture politique. Il fonde, à l automne 1935, la fédération du Puy-de-Dôme de l Union socialiste et républicaine. Marcombes étant décédé, il se tourne vers le Front populaire, pour lequel La Montagne devient le journal, même si Alexandre Varenne n est pas réélu député. Philippe Marcombes administrateur Maire de Clermont- Ferrand de 1919 à 1929 et en 1935, le docteur Philippe Marcombes, radical-socialiste, est nommé sous-secrétaire d État à l Éducation nationale sous le gouvernement Herriot 3, le 4 juin Deux ans plus tard, Marcombes et Roy, députés du Puy-de-Dôme, entrent au conseil d administration de La Montagne. Ils laissent en sommeil leur publication, La Voix Républicaine, en échange d une livraison de quatre mois d abonnement La Montagne à leurs anciens abonnés. Le 13 juin 1935, Marcombes, alors ministre de l Éducation nationale du gouvernement Laval, meurt d une embolie au cours du premier Conseil des ministres de ce cabinet. Marx Dormoy, de Montluçon à l Intérieur L arrivée du Front populaire au pouvoir, après les législatives des 26 avril et 3 mai 1936, marque un tournant dans la vie politique de la III e République. La crise économique mondiale a touché la France à partir de La montée du fascisme et du nazisme donne des ailes à l extrême droite qui manifeste très durement, le 6 février La tactique électorale du Front populaire consistait à allier les socialistes, les radicaux et les communistes dans un grand rassemblement. Le 13 février 1936, à la suite d une agression contre Léon Blum, l Action française est dissoute. Après la nette victoire aux législatives, Léon Blum, leader des socialistes de la SFIO, qui n ont pas la majorité absolue, est nommé président du Conseil, le 4 juin. Entre-temps, de nombreuses grèves se déclarent en France, qui se terminent, le 7 juin, par la signature des accords de Matignon entre la CGT et le patronat. Les communistes soutiennent le gouvernement sans en faire partie. Léon Blum nomme Roger Marx Dormoy, ministre de l Intérieur du 24 novembre 1936 au 19 janvier 1938, puis du 13 mars au 10 avril 1938, sortant d un Conseil des ministres avec Paul Faure (ancien rédacteur en chef du Populaire du Centre), ministre d État. Archives municipales de Montluçon - Reproduction Bruno Couderc. Salengro à l Intérieur ; Jean Zay, un des «Jeunes Turcs» du Parti radical, à l Éducation nationale et aux Beaux-Arts. Le député-maire de Montluçon, Marx Dormoy, est nommé sous-secrétaire d État à la présidence du Conseil. Il a participé aux négociations en vue des accords de Matignon. À la suite d une campagne haineuse contre Roger Salengro, ce dernier se suicide. Marx Dormoy lui succède, le 24 novembre Il lutte contre La Cagoule, une organisation clandestine d extrême droite, en partie démantelée fin novembre Il démet Jacques Doriot de ses fonctions de maire de Saint-Denis, foyer anti-républicain. Le grand bond de La Montagne Durant le Front populaire, La Montagne voit ses ventes grimper de en 1935, à en 1939, talonnant Le Moniteur de Laval (35.500), tandis que l Avenir du Plateau central était à en VERS LE FRONT POPULAIRE «Comment vaincre la crise?» par Varenne Pour le premier tour des élections législatives, le 26 avril 1936, Alexandre Varenne s adresse aux électeurs de la deuxième circonscription de Riom («Riom- Montagne»). Il commence par un «Citoyens». Extraits. VAINCRE LA CRISE. Après une si longue détresse économique qui a frappé tous les peuples, dont nous avons été profondément atteints nous-mêmes, d abord dans notre agriculture qui vient de traverser une période de véritable désastre puis, par une immédiate et fatale répercussion, dans l industrie où tant de nos ouvriers ont souffert et souffrent encore de l insuffisance des salaires et du chômage total ou partiel, dans le commerce enfin qui ne peut vivre que de la prospérité de tous, il semble, à certains indices, qu un relèvement commence. Souhaitons qu il s accentue. Mais ne nous dissimulons pas que cette crise, plus profonde et plus étendue que celles d autrefois, tient à des causes permanentes et générales qui affectent les sources mêmes de l économie mondiale. Conséquences de la dernière guerre Nous nous trouvons, là encore, en présence de l une des conséquences les plus durables de la dernière guerre dont les incalculables ravages sur la vie des nations comme des individus se déroulent implacablement sous nos yeux. La vieille économie libérale, fondée sur la loi de la concurrence et du profit, qui fit pendant un siècle la puissance et l éclat de la société capitaliste, est-elle encore capable d assurer la vie de l humanité et n allons-nous pas assister à l effondrement du système par l évolution plus ou moins rapide vers des formes nouvelles de production et de répartition des richesses? Vers quelles civilisations mécaniques, oppressives de l individu et dédaigneuses des joies de l esprit le monde moderne se diriget-il? «D autres solutions plus hardies» Quelle existence réserve l avenir aux générations nouvelles que la science aura armées pour l effort mais à qui la société n a à offrir qu un sort médiocre et précaire? Et les États eux-mêmes, secoués jusque dans leurs fondements par l ébranlement de la crise, parviendront-ils à retrouver l équilibre de leurs finances et la marche normale de leurs institutions? On a pu croire un moment qu il suffirait à la France de réduire son train de vie pour faire face aux dépenses publiques. On a pratiqué jusqu à l excès cette politique de déflation dont l erreur est aujourd hui démontrée par ses résultats. C est à d autres solutions plus hardies, plus modernes qu il faudra avoir recours demain si, comme on peut le craindre, la crise se prolonge et peut-être s aggrave. 6 juin 1937 : le Front populaire se porte encore bien... La place de Jaude à Clermont-Ferrand connaît un moment fort, le 6 juin 1937, un an après l arrivée du Front populaire au pouvoir. Le secrétaire général de la CGT, Léon Jouhaux, prend la parole devant les milliers de travailleurs : «Si demain les événements parlementaires contraignaient le gouvernement à la chute, la CGT ne l accepterait point. L heure des intrigues est passée, c est face au pays qu il faut s affirmer». Cette phrase déclenche «l incident Jouhaux», avec une réaction du président du Sénat. Sénat où, peu de temps après, Pierre Laval bataille contre les pleins pouvoirs financiers votés par la Chambre des députés au gouvernement Blum 1, qui chute le 21 juin

32 VERS LE FRONT POPULAIRE Jean Zay, intellectuel créatif Jean Zay, ministre de l Éducation nationale et des Beaux-Arts du Front populaire, a apporté des réformes profondes et durables. Trois cents ans après le triomphe du comédien thiernois Montdory ( ) dans Le Cid de Corneille, Jean Zay, ministre de l Éducation nationale et des Beaux-Arts, vient à Thiers, le 11 juillet 1937, pour inaugurer un monument à la gloire du comédien ambulant. Jean Zay, accompagné par Henry Andraud, sous-secrétaire d État à l Air, atterrit à Vichy (Allier), et passant par Puy-Guillaume (Puy-de- Dôme), les deux ministres sont happés par Ernest Laroche, député-maire de la commune. À Thiers, où les deux ministres arrivent en retard, Jean Zay explique avec brio comment Corneille, dont Montdory était l interprète, gagna «la bataille du Cid» : «le drame cornélien triompha parce qu il était au fond la victoire de la jeunesse et de l amour», rapporte le journaliste de La Montagne dans l édition du lendemain. Jean Zay «invita tous les citoyens à faire largement confiance au gouvernement régulier de la nation qui issu des profondeurs populaires, a plus de raisons que tout autre de défendre et de préserver le patrimoine commun.» «C est à la jeunesse, trait d union normal entre les tendances opposées dans la nation, espoir de la patrie, que M. Jean Zay porta son toast final», conclut le journaliste. Lorsque Jean Zay vient à Thiers, il va avoir 33 ans. Né en 1904 à Orléans d un père juif non pratiquant et d une mère protestante, il a accompli un parcours fulgurant : brillantes études, journaliste au quotidien radical-socialiste que dirige Léon, son père ; clerc d avoué pour financer ses études d avocat (parcours qui fait penser à celui d Alexandre Varenne) ; membre du Parti radical depuis 1925 ; initié dans une loge du Grand Orient en 1926 ; plus jeune député de France en 1932, réélu en 1936, il entre pour la première fois au gouvernement Sarraut, en janvier 1936, comme sous-secrétaire d État à la présidence du Conseil. Parfaitement à l aise Lorsque le gouvernement du Front populaire remporte les élections de 1936, Léon Blum nomme Jean Zay à Jean Zay à son bureau. Archives privées Jean Zay. l Éducation nationale et aux Beaux-Arts. Le député du Loiret devient le plus jeune ministre de toute la III e République. Parfaitement à l aise dans cette tâche, il est épaulé dans son cabinet par des intellectuels comme Jean Cassou et Marcel Abraham, et, aux sous-secrétariats d État dépendant de son ministère, par Cécile Brunschvicg, Irène Joliot-Curie (Recherche scientifique, remplacée par Jean Perrin en septembre 1936 ; tous deux prix Nobel) et Alfred Jules-Julien (Enseignement technique). À partir du gouvernement Chautemps 3, le sous-secrétariat d État chargé des Sports, des Loisirs et de l Éducation physique, conduit par Léo Lagrange, est rattaché à l Éducation nationale. En faisant prolonger la scolarité obligatoire de 13 à 14 ans, Jean Zay permet à une génération d adolescents de parfaire sa formation initiale et de se structurer. Complétées par le dédoublement des classes au-delà de 35 élèves, ces mesures entraînent la création de postes. Il encourage la démocratisation et l orientation, ainsi que les activités périscolaires. Il développe les bibliothèques publiques, soutient la création de bibliobus, de la Cinémathèque française, dépose un projet de loi sur le droit d auteur et le contrat d édition. Il est l ami du comédien Louis Jouvet et de nombreux écrivains. Le mandat donné par Léon Blum à Jean Zay est d asseoir la République malmenée par les offensives de l extrême droite à partir de 1934 par une réforme de l éducation. Pour son charisme et son pragmatisme, Jean Zay a été maintenu à ce poste de juin 1936 jusqu au 2 septembre 1939, où il démissionne pour rejoindre l armée combattante, «comme les jeunes de ma génération». Ministre de l Éducation nationale, Jean Zay accueille son président du Conseil, Léon Blum, à Orléans, le dimanche 18 octobre Dans le public, certains lèvent le poing serré. Association des amis de Jean Zay. GRANDS TÉMOINS Catherine et Hèlène sont les filles de Jean Zay, ministre de l Éducation nationale et des Beaux-Arts du Front populaire. En 1941, Alexandre Varenne, avocat de leur père, interné à la prison de Riom, les y a vues. En 1936, Jean Zay estimait que «la société avait tout à gagner d accorder le maximum de chances à tous». Ce combat est-il toujours actuel? Catherine Martin-Zay (72 ans). Égalité et démocratie étaient vraiment au cœur de son action, au sein de la République. Député en 1932, réélu en 1936, choisi par Léon Blum comme chef de file du parti radical, Jean Zay a essayé de mettre en place l égalité dans l accès à l éducation, à la culture, aux arts, aux musées. Aujourd hui encore, on se rend compte des idées novatrices qu il a apportées. Votre père a créé ou imaginé les bibliobus, la scolarité obligatoire jusqu à 14 ans, le CNRS, l ENA... C était un visionnaire? Hélène Mouchard-Zay (68 ans). Je prends l exemple de la création de l Ena, qui a abouti après la Libération. On oublie souvent la paternité de Jean Zay pour cette création. L idée fondamentale était de démocratiser l accès à la haute fonction publique. Il posait la question : «Quel enfant du peuple a accédé à la fonction d ambassadeur?». Vous souvenez-vous de la période où votre père était à la prison de Riom? Catherine. J en garde des souvenirs furtifs. J allais au collège de filles de Riom. Il m a appris à lire, sur ses genoux. Hélène. Il a écrit en prison Le Journal des petites choutes (c est comme cela qu il nous appelait). Il y a noté le jour où j ai eu ma première dent... Catherine. Malgré la rareté de mes souvenirs, je connais grâce à cela chaque détail de cette période et c est pour moi très précieux et émouvant. Votre combat pour faire connaître la vérité sur les camps d internement du Catherine et Hélène Zay Loiret est-il un «héritage» de votre père? Hélène. J ai toujours ressenti l injustice totale qui a été faite à mon père (voir ci-contre, le parcours de Jean Zay). Au Cercil (Centre d étude et de recherche sur les camps d internement du Loiret et la déportation juive), je peux rendre justice à ces Juifs dont enfants internés à Beaune-la- Rolande et Pithiviers, après la rafle du Vél d Hiv, avant qu ils soient déportés à Auschwitz parce que juifs, en juillet Le gouvernement de l État français a livré ces enfants, alors que les nazis ne réclamaient pas. Notre père a lui aussi été victime de cet État français. Même combat Jean Zay a sa place dans les livres d histoire tandis que tous ces milliers de femmes, d enfants et d hommes ont disparu anonymement. Ils ont maintenant leur nom gravé sur le mur des noms au mémorial de la Shoah, à Paris. Mais ils n ont pas de sépulture. C est un devoir vis-à-vis de ces milliers de morts de rappeler qu ils ont été des hommes, des femmes et des enfants, qu ils ont eu une vie avant d être déportés, qu avec eux la plupart juifs étrangers ont disparu des éléments de la culture yiddish. Oui, ce combat rejoint celui de la mémoire de mon père. Enseignante puis libraire, est-ce votre contribution à poursuivre son œuvre? Catherine. La librairie dont je me suis occupée est la suite de La France du Centre, journal dans lequel mon grand-père et mon père ont travaillé jusqu à la guerre. Ce lieu de culture et d éducation était proche des préoccupations de mon père quand il était ministre de l Éducation nationale et des Beaux-Arts. Les gens ont appris que j étais la fille de Jean Zay et Catherine (à gauche) et Hélène, devant le portrait de leur père, Jean Zay, au ministère de l Éducation nationale. De nombreux établissements scolaires portent son nom. m ont exprimé combien ils lui étaient reconnaissants de l action qu il avait eue pour chacun en particulier, comme député. Hélène. Dans mes activités du Cercil, j ai rencontré des Juifs d origine polonaise, de gauche, pour qui Jean Zay et le Front populaire étaient des symboles. Il a été très aimé mais aussi très haï comme juif, victime d un antisémitisme très dur dès 1932, quand il est entré dans la vie publique. En 1936, la thématique des antisémites était : «Front populaire = Blum, Zay, les Juifs qui sont au pouvoir». Durant la guerre, la presse collaborationniste (Je suis partout, Gringoire) a publié ce qu ils ont appelé les carnets secrets de Jean Zay, des notes prises en Conseil des ministres, dans lesquelles il se révélait anti-munichois, partisan de la fermeté face à Hitler. Publier cela en 1941 et 1942, alors que Jean Zay était en prison, c était le désigner au bras des assassins. HOMMAGE À JEAN ZAY Origines. Né le 6 août 1904 à Orléans (Loiret). Son père, juif alsacien, avait choisi d être français en Marié à Madeleine. Parcours. Clerc d avoué, journaliste, avocat ; député radicalsocialiste du Loiret à 27 ans, en 1932, puis en 1936 ; le 4 juin 1936, ministre de l Éducation nationale et des Beaux- Arts du Front populaire. En 1939, il démissionne pour combattre, comme les autres de sa génération. Interné à la prison de Riom de 1941 à Exécuté par la Milice à Molles (Allier), le 20 juin Signes distinctifs. Sa condamnation, aussi inique que celle de Louis Dreyfus, a été annulée en juillet Jean Zay a été réhabilité à titre posthume. Lire la suite sur Jean Zay à la page 75 VERS LE FRONT POPULAIRE 62 63

33 1937 : EN MISSION POLITIQUE ET DIPLOMATIQUE Emissaire du Front populaire Arrivé à Hanoï le 5 mars 1937, Alexandre Varenne entreprend, huit jours plus tard, une excursion au Yunnan, province chinoise frontalière du nord du Tonkin. Le transport s effectue en Micheline à 15 places, sur la ligne créée par la Compagnie du chemin de fer de l Indochine et du Yunnan. (photo Michelin) Représentant des Français au Tonkin En 1937, n étant plus député, Alexandre Varenne se porte candidat à la représentation du Tonkin au Conseil des Colonies. Il est honorablement élu et cela lui donne l occasion de réaliser, dix après sa mission en Indochine, un voyage en Extrême-Orient. Blum n a pas voulu ou pas osé me renvoyer en Indochine [comme gouverneur général], explique «Léon Alexandre Varenne. Il m a peut-être sans le vouloir procuré l occasion et le moyen d effectuer à travers le monde le voyage le plus marquant de ma vie». Depuis Hanoï, où il arrive le 5 mars 1937, Alexandre Varenne, sa femme Marguerite, le commandant Charles Lorin ainsi que d autres personnes effectuent une excursion dans le Yunnan chinois, frontalier du nord du Tonkin. Le départ a lieu le 13 mars, par le train de nuit, sur une voie métrique, avec arrêt à Lào Cai, à la frontière nord du Tonkin. À partir de là, le transport s effectue en Micheline à 15 places. En Micheline La ligne a été réalisée par la Compagnie du chemin de fer de l Indochine et du Yunnan (CIY), créée en 1901 alors que Paul Doumer (né à Aurillac en 1857 et assassiné en 1932) était gouverneur général de l Indochine. Cette ligne de chemin de fer permettait de relier le sud de la Chine avec le port d Haïphong, au Tonkin. La jonction complète entre Hanoï et Yunnanfou (actuellement Kunming) n avait été réalisée que l année précédente. Après un retour à Hanoï, le couple repart dans une autre province du sud-est de la Chine, le Guangxi, dont la capitale est Nanning. Là, le gouvernement provincial, intéressé par les projets français en Indochine, propose à Varenne la création d une ligne Làng Son (au Tonkin) - Longtcheou (actuellement Longzhou, au Guangxi). Entre également dans la négociation l envoi, par le gouvernement du Front populaire, d instructeurs militaires français dans cette province. À partir de Saïgon, où il arrive le 5 avril, le couple Varenne part en excursion à Angkor (voir ci-dessous), deux jours plus tard. Enfin, depuis Saïgon, départ en bateau pour Hong Kong, le 16 avril. Vendredi 9 avril Au deuxième jour de la visite des temples d Angkor, le couple Varenne s arrête sur la terrasse du Roi lépreux (cicontre). Cette statue se trouve maintenant au musée national du Cambodge, à Phnom Penh

34 1937 : EN MISSION POLITIQUE ET DIPLOMATIQUE Reçu comme un ambassadeur en République de Chine Samedi 1 er mai Alexandre Varenne et sa femme Marguerite (à droite au premier rang) sont reçus à l université sino-française de Pékin. Au déjeuner, les convives sont répartis en deux tables, l une présidée par le président de l université, Li Ting-yu (à gauche au premier plan) et l autre par le directeur du conservatoire. Au cours de la visite des locaux, Varenne constate que les laboratoires disposent d instruments perfectionnés, mais que l état des livres de la bibliothèque est plutôt médiocre. Il propose d intervenir pour que des bibliothèques et éditeurs français envoient des livres. La photo-souvenir est prise sous les décors somptueux de la toiture et des boiseries laquées de l université de Pékin. Jeudi 29 avril 1937, entre Shanghai et Pékin. Escale à Tsing Tao (aujourd hui Qingdao). Alexandre Varenne au pied du monomoteur Stimson, en compagnie du commandant Lorin. Dimanche 2 mai Marguerite et Alexandre Varenne, accompagnés du commandant Lorin et de l attaché militaire, le lieutenant-colonel Gabriel Sabattier, visitent le site des tombeaux des Ming, situé à une vingtaine de kilomètres au nord de Pékin. Alexandre prend l appareil photo de son épouse, qui pose, un chow-chow dans les bras. Gabriel Sabattier deviendra général et, en 1957, il signe le scénario du film L Or de Samory, de Jean-Alden Delos. Dimanche 25 avril 1937, Nankin (en bas). Alors capitale de la Chine, Nankin était un lieu de visite incontournable. Alexandre Varenne dépose une couronne de fleurs au mausolée de Sun Yat-sen ( ), considéré comme le père de la Chine moderne. Le commandant Charles Lorin Le capitaine de frégate Charles Lorin a suivi le couple Varenne, du vendredi 5 mars, à Hanoï, au dimanche 16 mai, au port de Yokohama, où le couple embarque sur le McKinley pour les États-Unis. Le commandant a poursuivi son séjour et il est rentré en avion en France, en passant par Moscou. Durant tout le séjour des Varenne, il s est occupé de prendre les billets d avion, de train ou de bateau. Il tenait un journal grâce auquel il a été possible de reconstituer l itinéraire d Alexandre Varenne : EN MISSION POLITIQUE ET DIPLOMATIQUE Mercredi 21 avril Le voyage entre Canton et Shanghai s effectue en hydravion, sur deux jours

35 1937 : EN MISSION POLITIQUE ET DIPLOMATIQUE Alexandre Varenne en fait profiter les lecteurs de La Montagne La Montagne du 21 juin Après son séjour au Japon et un passage par le Canada et les États-Unis, Alexandre Varenne débarque au Havre, le 20 juin Il livre ses impressions au représentant de l Agence Havas, que La Montagne publie le lendemain. «La France a été trop longtemps absente ou reléguée à l arrière-plan dans ces contrées qui seront bientôt un des plus grands marchés du monde. Il faut qu elle ait comme partout l audace d entreprendre et de jouer sa carte. Mais il faut que l opinion française, encore insuffisamment informée, soit plus exactement renseignée sur des problèmes qui l intéressent spécialement puisque, par l Indochine, la France est là-bas à pied d œuvre.» Le 21 juin 1937, le gouvernement Léon Blum, issu du Front populaire, tombe. Le 27 juin, le radical Camille Chautemps succède à Léon Blum comme président du Conseil. Le 7 juillet 1937, un incident éclate entre les Japonais et les Chinois au pont Marco-Polo, près de Pékin. Le 28 juillet, le Japon et la Chine entrent en guerre (qui dura jusqu en 1945). L armée japonaise prend Pékin le 7 août : EN MISSION POLITIQUE ET DIPLOMATIQUE Envoyé en mission au Japon par le Front populaire Alexandre Varenne (11 mai 1937). Quand j arrive chez les marianistes, tout le personnel enseignant m attend sur le perron d entrée. Après quelques mots au salon-parloir, on me mène d abord dans une des cours de l école où je vois manœuvrer une section qui fait de la préparation militaire. Là m attendent, avec la section en armes, le sous-officier japonais instructeur et son chef, un lieutenant-colonel. Salutations, revue car je passe la section en revue, puis maniement d armes et défilé au pas de l oie, d ailleurs irréprochables. Après quoi le directeur me prie d adresser quelques mots à ses élèves. Je dis avec autorité des paroles banales qui sont de circonstance, puis appuyant sur la chanterelle, le directeur y va de son laïus à son tour, parle de moi et de l Indochine et m emmène dans une autre cour où sont groupés des élèves plus jeunes qui vont faire en mon honneur de la gymnastique rythmée. Le directeur prononce encore quelques phrases, mais je suis dispensé de répondre et l ambassadeur aussi. Après quoi commence la séance de gymnastique qui n a rien de particulier, sinon que cela se passe en musique sous la direction d un petit Japonais imperturbablement comique qui scande sur l harmonium toute la série des mouvements, sur une musique que tous les Japonais connaissent pour l entendre tous les matins à la TSF, où l on rythme pour l ensemble des populations de l Empire la gymnastique gratuite et quasi obligatoire. «Marseillaise» Deuxième série d exercices, cette fois avec deux drapeaux que chaque élève brandit des deux mains, le drapeau blanc avec soleil rouge du Japon, et notre drapeau tricolore qui jette dans l air ses notes chatoyantes. Et même, voici le petit Japonais de l harmonium qui y va de sa «Marseillaise»! Et c est fini. Congratulations. Départ. Je reverrai d ailleurs mes hôtes marianistes au thé de l ambassade, le vendredi suivant. Car c est un hommage à leur rendre et je ne le leur rends pas pour la première fois, les religieux français de toutes les congrégations, quand ils sont à l étranger, n oublient pas qu ils ont aussi à servir la France. Mardi 11 mai Accompagné par Charles Arsène- Henry, ambassadeur de France au Japon (nœud papillon), Alexandre Varenne rend visite à l école de l Étoile du matin, tenue à Tokyo par les marianistes (en uniforme : les deux pères aux deux extrémités au premier rang, et le barbu vraisemblablement le directeur, le père Griessinger entre Alexandre Varenne et l ambassadeur). Le militaire est le lieutenant-colonel japonais dont parle le visiteur. Un toast à l amitié franco-japonaise Tokyo, le 14 mai Depuis Marseille jusqu en Indochine, Alexandre Varenne avait effectué la traversée en paquebot avec Charles Arsène-Henry, qui continua sa route vers Tokyo, où il avait été nommé ambassadeur. Mais, alors que l ancien gouverneur général avait été reçu avec les honneurs en Indochine et en Chine, Arsène-Henry, cédant à la pression japonaise, n assure que le service minimum pour la venue de Varenne au Japon. Sa visite est tenue quasiment secrète. Varenne avait donné une conférence à Hanoï, dont les termes avaient été transmis à Tokyo. Varenne raconte ses déboires à Léon Mazeaud, le directeur de la Maison franco-japonaise à Tokyo, lequel s empresse d organiser un toast au club des Nobles. Varenne choisit les termes du discours avec le commandant Lorin, qui fait office de conseiller diplomatique. Au repas, offert par le baron Wakatsuki, président de la Maison franco-japonaise, et par le vicomte Soga, président de la Société franco-japonaise, les mots choisis font leur effet : «C est avec une fierté confiante que j évoque ici le souvenir du traité du 26 août 1859 par lequel l empereur du Japon [Komei Osahito, qui régna de 1846 à 1867] et celui des Français [Napoléon III, qui régna de 1852 à 1870] scellaient, dans un acte solennel, les bases d une amitié perpétuelle. La France et le Japon seront en amitié perpétuelle, stipule l article premier de ce traité.» Mais Varenne et Lorin ne se font guère d illusions sur le parti militaire au pouvoir au Japon. Le baron Wakatsuki Reijiro ( ), président de la Maison franco-japonaise, a été deux fois Premier ministre du Japon, en et en Il s est opposé à l entrée en guerre du Japon contre les États-Unis

36 1937 : EN MISSION POLITIQUE ET DIPLOMATIQUE Carnet de voyage Après le décès de Marie- Amélie, Alexandre Varenne épouse, en 1932, Marguerite Migeot, de 34 ans plus jeune. Marguerite était la nièce par alliance de son défunt frère. Marguerite avait connu toute la période de Varenne gouverneur général de l Indochine, au cours de laquelle elle n avait pas été épargnée, comme lui, par les attaques et les caricatures. Ce voyage en Extrême-Orient est dense mais plus décontracté. Soumé Tcheng et l émancipation des femmes chinoises Soumé Tcheng ( ) est la première femme chinoise à entreprendre des études à Paris, en Sa famille voulait lui imposer un mari : elle avait menacé de se suicider. En 1925, elle soutient sa thèse de doctorat en droit. De retour en Chine, elle devient la première femme juriste et siège au conseil législatif avec une autre femme, l épouse de Tchang Kaï-chek, président de la République de Chine. Elle a encouragé de nombreuses Chinoises à étudier en France. Soumé Tcheng a invité Alexandre et Marguerite Varenne à dîner à Shanghai, le 28 avril 1937, dans sa villa entourée d un parc. Elle avait prévenu qu il s agissait d un tout petit dîner intime : en fait, 50 convives se sont retrouvés autour de quatre tables. Li Yu-ying le francophile Lors de son séjour à Shanghai, Alexandre Varenne rencontre Li Yu-ying (1) à de nombreuses reprises. À partir de 1903, ce dernier séjourne en France où il étudie à l école d agriculture de Montargis, à la Sorbonne et à l institut Pasteur. Il fonde la Caséo-sojaïne, à La Garenne- Colombes une usine que visite Sun Yat-sen en 1909 avec de jeunes Chinois qu il invite à étudier en France. Il lance le Mouvement travail-études (2), permettant à de nombreux jeunes Chinois de vivre en France tout en s imprégnant de la culture française. Li Yu-ying, qui a soutenu financièrement Sun Yat-sen, a lancé le premier restaurant chinois à Paris, en Il est à l initiative de la fondation de l université sinofrançaise de Pékin et de la bibliothèque sino-internationale de Genève. C est un des fondateurs de la francophonie. (1) ; ses autres noms sont Li Lue Yin et Li Shizeng. (2) Dont les archives sont conservées au fonds chinois de la bibliothèque municipale de Lyon. Jeudi 22 mai Extrait du carnet du commandant Lorin : «Il nous faut voler quelques minutes en rase-mottes pour amerrir sur le plan d eau de la rivière de Shanghai, un peu en amont de la ville. Un groupe nous attend. Descente à terre, présentations, salutations, etc. Il y a là Li Yuying, le Chinois francophile maître de toutes les œuvres de coopération intellectuelle, homme de 60 ans environ, très vieille Chine, avec sa petite barbe à poils rares et drus, ses yeux malins et candides tout à la fois, et son exquise politesse souriante... Du côté français, le consul général (M. Baudez), et sa fille, un colonel d infanterie coloniale, le consul adjoint, le chef des services politiques de la concession française (M. Fabre)... On nous conduit au Park Hotel, magnifique immeuble gratte-ciel...» 1937 : EN MISSION POLITIQUE ET DIPLOMATIQUE Dîner chez le général gouverneur de Pékin Dimanche 2 mai Extrait du carnet du commandant Lorin : «Dîner chez le général gouverneur. Une trentaine de convives, michinois, mi-européens (des Américains, le chargé d affaires de l URSS, etc.). Menu mixte lui aussi. Près de moi, une sorte de maréchal tartare à longues dents manifeste, à la suite d un certain nombre de kampei (boisson qu il faut boire cul sec), une gaieté bruyante qui gagne toute la tablée, sauf Varenne, assis au milieu de la table, et que cette joie simpliste et tumultueuse ne paraît pas séduire. Puis il n y a nulle conversation intéressante possible avec ces hauts fonctionnaires du Nord, gagnés à la servitude japonaise et qui tremblent de se compromettre.» Photo Ta Pei - Pékin

37 EN GUERRE CONTRE LA CENSURE ET L INJUSTICE La Montagne contre la dictature Varenne avocat de Jean Zay Procès de Riom Lutte contre l antisémitisme Réseaux de Résistance Francisque Fabre Jean Rochon Sabordage - Reparution Jean Zay à la prison de Riom. Comprendre le 10 juillet 1940 Parmi les dates-clés de la Seconde Guerre mondiale, une est déterminante pour comprendre le malheur qui a frappé la République française, les Français et leur liberté chérie : le 10 juillet Bien sûr, l appel du général de Gaulle, le 18 juin 1940, depuis Londres, a marqué l histoire telle qu on la connaît maintenant. Et il n est pas interdit de réserver une petite place aux éditoriaux d Alexandre Varenne à la une de La Montagne, notamment son «Préparons la résistance» du 10 juin Le gouvernement Reynaud, replié sur Bordeaux (avec le président de la République, Albert Lebrun, la Chambre des députés et le Sénat), démissionne. Le maréchal Pétain, qui était viceprésident du Conseil du gouvernement Reynaud depuis le 17 mai 1940, est nommé président du Conseil par le président Lebrun, le 16 juin. Le nouveau gouvernement s installe à Clermont-Ferrand et enfin à Vichy. L armistice entre la France et l Allemagne est signé le 22 juin. «...donne tout pouvoir...» L Assemblée nationale (sous la III e République, réunion de la Chambre des députés et du Sénat) est convoquée pour le 10 juillet à Vichy. Certains des députés ou des sénateurs sont sous les drapeaux. D autres, qui croient que le gouvernement se replierait en Afrique du Nord pour poursuivre la lutte, s embarquent sur le Massilia. Les parlementaires, à une très forte majorité, votent la loi constitutionnelle dont l article unique dit : «L Assemblée nationale donne tout pouvoir au gouvernement de la République, sous l autorité et la signature du maréchal Pétain, à l effet de promulguer par un ou plusieurs actes une nouvelle constitution de l État français. Cette constitution devra garantir les droits du travail, de la famille et de la patrie»... Ainsi, la III e République, née en 1870, âgée de 74 ans comme Varenne, est-elle balayée d un revers de main, sous la pression d un occupant qui reste en zone nord, aux portes de l Auvergne si l on y entre par Moulins. Des lecteurs de La Montagne lisent leur journal en territoire occupé, à Paris, Moulins, Nevers, Chevagnes ou Bourbon-Lancy... Le modèle pris par l État français est fortement inspiré des nazis. En 1933, aux législatives allemandes, ces derniers sont minoritaires, mais une fois que le président de la République nomme Hitler chancelier, celui-ci, sous le prétexte d un risque communiste, s en prend au parlement, mettant les crises sur le dos des communistes et des socialistes. L appareil d État une fois capté, il sert à juguler toute opposition. Pétain et Laval ont employé les mêmes méthodes. Certains communistes avaient déjà été assignés à résidence depuis le début de la guerre. Mais l État français s en prend à tous ceux qui lui ont tenu tête. Des passagers du Massilia, comme Jean Zay, Mandel et Pierre Mendès France, sont internés. Parmi les 80 parlementaires qui ont refusé de voter les pleins pouvoirs, certains sont arrêtés, assignés à résidence. C est le cas de Léon Blum, de Marx Dormoy et même de Charles Pomaret, récent ministre de Pétain, qui avait osé le critiquer. La France n est plus en République, elle est sous le joug d une dictature. À nouvelle époque nouvelle stratégie EN GUERRE CONTRE LA CENSURE ET L INJUSTICE Fiche du dossier Résistance de Jean Rochon. Le 22 novembre 1938, Francisque Fabre est nommé administrateur délégué de la Société anonyme du journal La Montagne. Il est décidé de transférer au 28, rue Morel-Ladeuil à Clermont-Ferrand, après travaux, les services et l imprimerie du journal, auparavant installés rue Lamartine. Le bail, signé avec Antoine Coulaudon, le propriétaire, court à partir du 1 er janvier La déclaration de guerre de la France à l Allemagne date du 3 septembre La situation à Paris devenant Le 28 juin 1939, le conseil d administration, réuni au 1, rue Caumartin à Paris, constate que tout le transfert au 28 rue Morel-Ladeuil à Clermont- Ferrand est terminé. (En bas), Francisque Fabre rend visite à Alexandre Varenne, régulièrement, dans sa villa «Les Justices» de Bellerive-sur- Allier, près de Vichy. Compte rendu judiciaire du procès de Riom dans La Montagne Fiche du dossier réseau Phalanx de Francisque Fabre. périlleuse et le gouvernement (donc les informations centrales) se repliant à Vichy, Alexandre Varenne décide de vivre à Bellerive-sur-Allier, où le couple possède une villa, nommée «Les Justices» Le 2 mars 1940, le conseil d administration se tient pour la première fois rue Morel-Ladeuil. De Bellerive, Varenne va à Vichy recueillir des informations, rencontrer tous ceux qui gravitent autour du pouvoir ou qui se sont réfugiés dans la proche région. En une journée, il peut également pousser jusqu au journal où il a son bureau, rencontrer Francisque Fabre, qui en assure la direction et, là aussi, voir des amis, des connaissances, d anciens députés ou ses collègues journalistes. Son avis est écouté. Jusqu à la veille de l arrivée au pouvoir du régime de l État français, Alexandre Varenne sort, quasiment chaque jour, un éditorial où percent ses connaissances en politique intérieure et en géopolitique.

38 EN GUERRE CONTRE LA CENSURE ET L INJUSTICE «Journal le plus censuré de France» Alexandre Varenne connaissait Anastasie pour avoir «flirté» avec elle en Mais maintenant, son journal est lu dans les allées du pouvoir, à 50 kilomètres à vol d oiseau de Clermont-Ferrand. Il ne peut s attendre à aucun cadeau. De plus, un de ses concurrents, Le Moniteur, appartient à Pierre Laval, homme fort du régime autoritaire qui se met en place. Selon Francisque Fabre, La Montagne a été, durant la Seconde Guerre mondiale, le journal le plus censuré de France. Extraits. À quoi ressemble un article censuré? À une page d écriture mangée par les teignes, ces insectes papivores qui s attaquent aux livres. Sauf que les teignes sont plus grosses. Il s agit le plus souvent d un parlementaire ayant montré son zèle à Pétain. Par exemple, dès que le sénateur Georges Portmann, chirurgien de son état, est nommé secrétaire général à l Information par Pierre-Étienne Flandin, en janvier «Le soir même de sa désignation, écrit Alexandre Varenne, ledit Portmann notifiait à La Montagne une suspension de 24 heures. Coups de téléphone. J attrape successivement un sous-ordre de Pierre Dominique, puis Dominique lui-même, enfin le Portmann. Je le secoue un peu fort. Je lui montre qu en s y prenant de cette façon, il va dresser contre lui tous mes confrères. L argument porte. Portmann se replie en bon ordre. La suspension n est pas maintenue. Mais, le lendemain, on me fait savoir que le ton du journal déplaît en haut lieu. Nous ne sommes pas assez dociles. Nous le serons le moins possible.» Pour commencer, je réponds à ce Portmann une lettre dont j ai gardé copie. Elle est de bonne encre. Je ne m attends pas à ce qu elle change quoi que ce soit à ce qui se prépare. Car le régime de la presse va empirer de jour en jour.» Ce sont, tous les soirs, et jusqu à une heure avancée de la nuit, des consignes impératives, quoique parfois contradictoires. Les discours officiels, les topos officiels sont à publier intégralement. On nous indique la place, l importance du titre et jusqu à son texte. On y ajoute une «note d orientation» quotidienne dont, dans notre intérêt, nous devrions nous inspirer dans nos articles. Et comme nous ne voulons pas Une partie d un éditorial d Alexandre Varenne. Il termine ainsi : «il faut prévoir et organiser la résistance en profondeur...». «Qu on se fie au peuple de France et qu on lui donne les moyens de se battre. Il se battra. Ce serait, dira-t-on, l extension de la bataille à tout le territoire français qui, après la guerre, n offrirait plus aux regards désolés des survivants que des monceaux de ruines...» Qu importe, s ils doivent y retrouver la France, la richesse de son sol, la douceur de son ciel et ta face auguste, ô Liberté!» comprendre, on nous impose enfin le sujet et jusqu à la forme des commentaires.» 19 juillet «Reçu un blâme de la censure, pour un article pourtant accepté par la censure de Vichy et même légèrement retouché sur ses indications. L article, non signé, de pure information d ailleurs, était de moi et parlait de la guerre sino-japonaise à propos du quatrième anniversaire des premiers combats. La censure a reçu des observations du ministère des Affaires étrangères à la suite d une démarche de l ambassade du Japon...» Au demeurant, je me moque éperdument de l ambassade et des Japonais. Ceux-ci aussi, je compte bien les voir payer cher leurs crimes monstrueux commis en Chine et même au Tonkin.» 1 er septembre «Aujourd hui, il me faut régler avec la censure de Vichy l incident du thème. Il y a quelques jours, nous avons reçu dans les journaux une importante consigne nous faisant connaître que la censure locale allait nous transmettre un thème à développer dans des articles originaux, relatifs aux méfaits du bolchevisme, aux variations et aux perfidies de sa politique. La circulaire ajoutait que les journaux qui n auraient pas obtempéré à la date prescrite se verraient refuser par la censure locale le visa nécessaire à leur parution. Autant dire qu il fallait obéir sous peine non plus de suspension, mais d interdiction.» Qu allait faire La Montagne? Ni le journal ni son directeur n ont jamais été communistes.».../...mes collaborateurs Fabre et Maurice Felut [rédacteur en chef], qui m apportent les consignes et les thèmes, qu on vient de recevoir, sont aussitôt d accord avec moi. Nous n obéirons pas. Mieux vaut disparaître jusqu à des temps meilleurs que se faire les complices de cette vilenie.» Déjà, nous en avons jusque-là, jusqu à la nausée, d être obligés chaque jour d insérer les saletés que Vichy nous envoie. Du moins, en les signant du nom de l agence officielle qui nous les transmet, prévenons-nous le lecteur que nous n en prenons pas la responsabilité, que c est le gouvernement qui parle. Nous ne sommes plus qu un mur réquisitionné pour les avis officiels. Et c est déjà assez triste. Nous ne pouvons pas aller, nous n irons pas jusqu à faire nous-mêmes la besogne de l afficheur, jusqu à revêtir l uniforme d agent du pouvoir.» 12 novembre [La zone Sud est envahie par l armée allemande]. «Le soir, drame avec la censure... En raison de la présence des Allemands, il ne serait plus possible de passer sous aucune forme des papiers dits personnels... [...] je me réservai de revoir les titres pour leur enlever toute allure polémique... Après une conversation téléphonique avec Vichy, j arrive à un accord. Mais le directeur du Progrès de Lyon me fait connaître que, selon toute vraisemblance, il ne paraîtra pas. Si j avais su, j aurais fait comme lui. Il est trop tard, puisque j ai accepté les atténuations offertes par Vichy.» Et je rentre chez moi assez mécontent de moimême.» La Montagne continue à paraître jusqu à son sabordage, le 27 août Le paquebot Massilia, affrété par le gouvernement Reynaud, devait transporter des parlementaires pour constituer un gouvernement dans les départements français d Afrique du Nord. Il appareille le 21 juin 1940 du port du Verdon, près de Bordeaux, avec 27 parlementaires, dont Jean Zay, député du Loiret, mais aussi sa femme (enceinte d Hélène), Catherine, leur première fille, et Léon Zay, son père, directeur du quotidien Le Progrès du Loiret. Les voyageurs du Massilia sont consignés à l arrivée à Casablanca, le 24 juin. Puis, le 31 août, Jean Zay est arrêté avec notamment Pierre Mendès France, rapatrié en métropole, interné à la prison militaire de Clermont-Ferrand, et condamné lourdement, le 4 octobre 1940, par le tribunal militaire de Clermont. Avocat de Jean Zay, Alexandre Varenne intervient pour que la déportation à vie soit commuée en simple internement. Le 7 janvier 1941, Jean Zay arrive à la maison d arrêt de Riom. Le 25, celui-ci note, dans Souvenirs & Solitude, Varenne avocat de Jean Zay Jean Zay, ancien ministre et député du Loiret, fait partie des premières victimes du nouvel État français. Lui qui s était porté volontaire, en 1939, pour combattre comme ceux de son âge, il est arrêté pour prétendue désertion. Alexandre Varenne est son «avocat infatigable, ami incomparable». Jean Zay, à la maison d arrêt de Riom, reçoit la visite de Madeleine, son épouse, et de leurs deux filles, Catherine (à gauche) et Hélène. Les feuillets du manuscrit de Souvenirs & Solitude, écrit par Jean Zay, sont sortis dans le landau, sous le petit matelas d Hélène. Arhives privées Jean Zay. qu il y reçoit la première visite d Alexandre Varenne. Le procès politique, l internement et l assassinat de Carnets d Alexandre Varenne : 12 juillet «[Hier, au retour de Clermont], passé par Riom où j ai fait dans sa prison une courte visite à Jean Zay qui m a reçu, comme il le fait depuis un mois, en famille, avec son père, sa femme, ses deux fillettes. Je raconterai un jour l histoire de ce monstrueux procès. Pour l instant, je me félicite d avoir pu, grâce à l énormité même de la condamnation, toucher le cœur de certains ministres du Maréchal, moins féroces que les juges, et adoucir ainsi une captivité qui ne prendra fin qu avec un changement de régime.» 5 septembre «À Riom, rendu visite à Jean Zay, Jean Zay portent la marque de l acharnement des revanchards de l État français et de l arbitraire déguisé en justice pour raison d État. Le 5 juillet 1945, Jean Zay est réhabilité à titre posthume par la cour d appel de Riom. que j ai trouvé dans la petite cour attenante à sa cellule en train de faire une belote avec son vieux père. Tout à l heure, sa femme et ses deux fillettes entreront. Toute la famille a pris ainsi l habitude de passer auprès du prisonnier la plus grande partie de la journée. Les deux enfants jouent bruyamment dans la petite cour, transformée en jardinet par l ancien ministre qui y fait pousser des légumes et des fleurs. Je contemple non sans plaisir ce tableau domestique. Mais j ai quelque inquiétude de voir un de ces jours ce bonheur très relatif troublé par quelque indiscrétion d un de ces journalistes à tout faire qui ont la spécialité de dénoncer les faveurs octroyées aux canailles du Front populaire..../...il a été très bien dans cette affaire, Barthélemy [alors ministre de la Justice]. Il a reconnu devant moi que la condamnation prononcée contre Jean Zay était affreuse.» 7 octobre «... Je suis allé rendre visite à Jean Zay. Son père est auprès de lui. Sa femme est allée à Vichy porter à un éditeur un roman policier qu il vient d écrire dans sa prison. On a installé pour la plus jeune de ses fillettes un petit parc dans la cellule. L enfant joue et crie à son aise. On doit l entendre de toute la prison.» Outre Jean Zay, le général de Lattre de Tassigny a également cultivé un jardin à la maison d arrêt de Riom. Après son arrestation pour refus de se plier à l occupation allemande en zone sud, il est interné à Riom, le 2 février 1943, après une condamnation à 10 ans de prison. Dans la nuit du 2 au 3 septembre 1943, le général s en évade, avec plusieurs complicités. Pour Jean Zay et sa famille, les conditions de détention et de visite sont durcies. Le 20 juin 1944, sous le faux prétexte de le transférer dans une autre prison, des miliciens, aux ordres de Joseph Darnand, s emparent de Jean Zay et l assassinent dans une carrière abandonnée à Molles (Allier). EN GUERRE CONTRE LA CENSURE ET L INJUSTICE 74 75

39 EN GUERRE CONTRE LA CENSURE ET L INJUSTICE Les deux dernières rencontres avec Dormoy Le 10 juin 1940, Marx Dormoy offre l hospitalité, à Montluçon, à Léon Blum, son ancien président du Conseil. Tous deux votent, le 10 juillet 1940, «non» comme 78 autres parlementaires aux pleins pouvoirs à Pétain. Dans une dictature, ce genre de refus ne se règle pas à l amiable. Léon Blum est arrêté chez son ami Eugène Montel, à Colomiers, le 15 septembre Le 25, c est au tour de Marx Dormoy, arrêté à son domicile de Montluçon et interné à Pellevoisin (Indre), au Grand Hôtel Notre-Dame, avec Vincent Auriol, Jules Moch, Salomon Grumbach et Abraham Schramek, rejoints, quelques jours plus tard, par Charles Pomaret, ancien ministre de Pétain, et Eugène Montel, l ami de Blum. Ce dernier est interné au château de Chazeron, près de Riom. Opposants internés Après Pellevoisin, les détenus sont transférés, en janvier 1941, au Grand Hôtel des Bains de Vals-les-Bains. Marx Dormoy s y trouve avec d autres prisonniers politiques comme Paul Reynaud, Georges Mandel, Charles Pomaret, Vincent Auriol, Jules Moch, Salomon Grumbach, Eugène Montel, Raymond Philippe, mais aussi les industriels de l aéronautique Marcel Bloch (futur Marcel Dassault) et Paul-Louis Weiller... À la demande de Dormoy, convoqué chez le magistrat instructeur du procès Blum à Riom, et après des tractations, Alexandre Varenne rencontre, début février 1941, l ancien ministre de l Intérieur, qui lui fait part de «graves questions d intérêt général». Le 12 mars 1941, l avocat Alexandre Varenne rend visite aux détenus à Vals-les- Bains (il en parle dans sa rubrique du 27 juillet 1941) : à l hôtel des Bains, il rencontre Marx Dormoy, Grumbach, Jacques Moutet («qu on a emboîté à la place de son père [Marius Moutet] qui n a pas voulu se laisser prendre, [...] Paul Reynaud et Mandel. [...] Quand nous prenons congé, nos prisonniers sont tous aux fenêtres, agitant leurs mains à travers les barreaux pour nous dire adieu. Pour Dormoy, c était en effet l adieu suprême.» Huit jours plus tard, Marx Dormoy est transféré à Montélimar, où il est assigné à résidence. Il prend pension au Relais de l Empereur. Le 26 juillet 1941, Alexandre Varenne note : «Un coup de téléphone de Clermont m apprend que, d après une dépêche Havas, non encore autorisée par la censure, Marx Dormoy aurait été, à Montélimar, où il était en résidence forcée, victime d un attentat qui lui aurait coûté la vie. Une bombe dans son hôtel. On n a pas encore de détails.» Marx Dormoy, victime d un attentat, le 26 juillet Archives municipales de Montluçon. Reproduction Bruno Couderc. L enquête censurée d un journaliste Vincent Delpuech, directeur du Petit Provençal, faisait partie des confrères de Varenne, directeurs de journaux de la presse quotidienne régionale. Il lui fait passer l enquête d un journaliste sur l attentat qui a coûté la vie à Marx Dormoy. «La censure en a interdit la publication, écrit Varenne dans ses mémoires, comme elle s oppose à toute allusion au crime. Gardons ce papier.» On sait maintenant que cet attentat a été commandité par la Cagoule, association d extrême droite que le ministre Dormoy avait fait interdire. Voici l article, dans ses grandes lignes. nous sommes arrivés, au «Lorsque début de l aprèsmidi d hier, à Montélimar, «le Relais de l Empereur», tout volets clos, semblait dormir, accablé sous le poids de l air immobile et surchauffé. Aucune agitation, ni intérieure, ni extérieure, ne venait témoigner du drame qui s y était déroulé quelques heures auparavant. Le spacieux hôtel ne contenait que quelques clients, devenus pour la plupart des familiers de la maison.» Marx Dormoy occupait la chambre n 18, Mlle Dormoy, qui était venue passer quelques jours auprès de son frère, logeait au même étage, ainsi qu une jeune femme, arrivée l avant-veille et qui avait inscrit sur sa fiche : profession : mannequin ; venant de Paris ; née en 1914 ; nom, Gérodias.» Dans la nuit de samedi, à 2 heures précises, une violente détonation ameute les gens de l hôtel et les voisins. Le coup semble venir du deuxième étage La propriétaire de l établissement arrive la première et voit une épaisse fumée sortir de la chambre occupée par M. Marx Dormoy. Un spectacle affreux l attend : la porte a été arrachée, les vitres, les glaces et les meubles sont brisés ; le lit, déchiqueté, semble avoir été au foyer même de l explosion, et le corps de M. Marx Dormoy est dans l état horrible qu on peut deviner» Les premières constatations de police ont permis d établir qu il s agissait d un engin réglé par un mécanisme d horlogerie car on a retrouvé dans la chambre des rouages d une pendule» Vendredi après-midi, le valet de chambre, en faisant le lit de M. Dormoy, avait aperçu entre le sommier et le matelas une boîte ficelée en carton, de 25 centimètres environ au côté. Certains clients ont l habitude de cacher des objets dans leur lit, le valet de chambre trop discret, hélas! ne crut pas devoir avertir M. Dormoy de sa découverte.» Dans la soirée, à l heure du dîner, deux jeunes gens, porteurs d une gerbe de fleurs, se présentèrent au «Relais de l Empereur» et demandèrent à voir Mme Gérodias. Elle était à la salle à manger. Pour les remercier de leur envoi, elle les invita à monter afin de leur offrir, ditelle, des bonbons de chocolat qu elle avait apportés de Paris. Ils restèrent tous trois environ dix minutes dans la chambre qui était à l étage même de M. Dormoy.» Les jeunes gens s en allèrent aussitôt ; quant à la dame, après dîner, elle demanda sa note en disant qu elle repartirait pour Paris le soir même.» Procès de Riom ou des congés payés? Faire porter la responsabilité de la défaite de l armée française, en juin 1940, sur les responsables politiques et militaires des années Front populaire, telle a été la ligne de conduite de l État français, en lançant, dès l automne 1940, ce qui doit aboutir au procès de Riom. Mais ce délire judiciaire se retourne contre ses instigateurs. Les 40 heures de travail hebdomadaires, les deux semaines de congés payés, acquis grâce au Front populaire de 1936, sont restés en travers de la gorge de la droite la plus réactionnaire, arrivée au pouvoir grâce au vote du 10 juillet À chaque conquête de la République ou de la gauche, le gouvernement de l État français oppose une ligne dure. La revanche anti-dreyfusarde se matérialise par les lois antijuives de l automne Le vote des 80 parlementaires contre les pleins pouvoirs à Pétain se paie lourdement : révocations de mandats électifs, mises sous surveillance, assignations à résidence, internements par l État français. Pétain, son gouvernement et la presse de collaboration montrent du doigt les anciens présidents du Conseil, Léon Blum, Édouard Daladier et Paul Reynaud, les anciens ministres Georges Mandel et Guy La Chambre, le général En toute complicité avec deux caricaturistes Le dessinateur de presse Jehan Sennep caricaturait allègrement Alexandre Varenne et, le plus souvent, il ne le ménageait pas. Mais la dictature ne favorise pas ce genre d expression journalistique. Aussi Sennep, marqué à droite, et Gassier, marqué à gauche, se lancent-ils dans le dessin de carnets secrets où le régime de l État français est épinglé. Varenne, qui en a vent par Pierre Gaxotte, écrit : «Bonne chance à Sennep et à Gassier! Et qu ils vengent un peu la liberté par la satire!». Puis, le 21 novembre 1941, «je prends des nouvelles d amis repliés à Marseille. Que devient le dessinateur Gassier? Il fait comme nous : il prend des notes. Mais, lui, il les dessine. Son carnet clandestin, dont j ai parlé, il l a intitulé : Le carnet A. Un chef d œuvre d humour et de rosserie. Ainsi la caricature de Spinasse, avec sa figure Maurice Gamelin et le contrôleur général des armées Robert Jacomet. Alexandre Varenne suit l affaire de près. Le 18 octobre 1941, alors que le procès en est au stade de l instruction, il note : «Je reçois une visite intéressante, celle de quatre des avocats du procès de Riom, [André] Le Troquer et [Samuel] Spanien, avocats de Léon Blum, Maurice Ribet, avocat de Daladier, [André] Toulouse, avocat de Jacomet. Mes quatre confrères se rendent à Vichy où ils doivent être reçus par le garde des Sceaux, et ils ont tenu à me voir au passage.» Dès le 9 novembre 1941 (le procès de Riom débute le 19 février 1942), Varenne analyse la situation lucidement en juriste : «Mon confrère Spanien me communique la copie de l arrêt de la Cour suprême fixant au 15 janvier [1942] l ouverture du débat du procès de Riom. Cet arrêt est incontestablement un remarquable monument juridique. Habilement rédigé (parfois) pour dégager la responsabilité de la Cour dans les condamnations prononcées par le Maréchal. Deux poursuites parallèles : une, politique, celle du Maréchal ; une juridique, celle de Riom. Le Maréchal a condamné, la Cour peut absoudre. Si elle absout, les accusés resteront néanmoins condamnés. Mais à des peines qui ne figurent pas dans nos codes, qui ont été inventées tout exprès. Ainsi l intérêt du procès, en ce qui concerne au moins les accusés, disparaît presque complètement. «Le dessinateur Sennep a dessiné à mon intention une caricature qu il a fait remettre pour moi par Pierre Gaxotte, écrit Varenne le 11 novembre On y voit un Darlan [amiral et chef du gouvernement de l État français] enlevé comme une plume dans son rafiot par un souffle irrité de Neptune, sous les traits d un Varenne hirsute, toutes moustaches dehors. Le dessin, que je garde pour mon domicile privé, porte cette dédicace : À Monsieur Alexandre Varenne, en toute complicité». Les vrais responsables» Sauf pour ce qui est de l intérêt moral. De qui et de quoi fera-t-on le procès devant la Cour de Riom? C est tout le débat. S il était possible de discuter au grand jour et les responsabilités de la guerre et celles de la défaite, c est d abord l Allemagne hitlérienne qui serait prise à partie, c est ensuite le commandement militaire ; c est la cinquième colonne et peut-être quelques-uns des hommes qui, derrière Pétain, ont profité ou profitent encore de la défaite pour des fins politiques ou pour des fins personnelles.» La Cour a pris toutes précautions pour éviter ces débats, les seuls qui eussent été utiles. Voici la partie du dispositif qui concerne le huis clos :» Dit que les débats seront publics, que toutefois seront entendus à huis clos les témoins qui pourraient être amenés à s expliquer sur des questions d ordre diplomatique ou relations à la conduite des opérations militaires.» La Montagne et Varenne rencontrent régulièrement les avocats des prévenus et transmettent à Londres les comptes rendus d audience. M e Spanien est le plus fidèle informateur de Varenne. Dès décembre 1941, il l alerte sur la «répression antisémite en zone occupée». Finalement, le 14 avril 1942, Pétain suspend le procès qui tourne à son désavantage. de martyr, assis sur un pot de chambre, avec cette légende laconique : l Effort.» Le 16 octobre 1942, Varenne note : «Reçu la visite de Henri-Paul Gassier et de Jehan Sennep. Ensemble. L union sacrée des humoristes. Nous avons longuement parlé. Comme il se doit avec des humoristes, je leur ai raconté toutes les blagues que je possède et dont j ai reproduit quelques-unes dans ces carnets.» Gassier est fixé à Toulon et Sennep habite Cusset. Tous deux ont recueilli, dans des carnets qui verront le jour plus tard, de jolies collections de caricatures des gens en place. Gassier est devenu patriote et Sennep républicain. Ça les a naturellement rapprochés.» Henri-Paul Gassier a notamment publié ses caricatures au Canard Enchaîné et au Populaire. EN GUERRE CONTRE LA CENSURE ET L INJUSTICE 76 77

40 EN GUERRE CONTRE LA CENSURE ET L INJUSTICE Francisque Fabre et le réseau Phalanx Francisque Fabre a été très actif dans deux réseaux : Ali-Tir et surtout Phalanx créé par Christian Pineau dont il était un des chefs de secteur. Il a reçu la médaille de la Résistance. Ausweis! Le soldat allemand s adresse à un homme au chapeau mou, la quarantaine. La scène se passe au pont de Règemortes, sur l Allier (la rivière), séparant le quartier de la Madeleine, en zone non occupée, de la ville de Moulins, préfecture de l Allier (le département), en zone nord. Kommandantur et tracasseries quotidiennes sont garanties pour les habitants et les fonctionnaires qui doivent correspondre avec la souspréfecture de Montluçon et avec Vichy, devenu capitale de l État français. L homme au chapeau mou, très poli, présente son laissez-passer, valable seulement pour raisons professionnelles et pour la traversée à Moulins, établi au nom d Émile Faure, né le 10 février 1899 à Montferrand. Il habite Yzeure, dans l Allier, en rive droite occupée comme Moulins. Son ausweis, incessible, est valide un an à partir du 14 mars Il dispose également d une carte de presse établie le 25 septembre 1941 par La Montagne, le mentionnant inspecteur des dépôts de la région moulinoise (zone non occupée). Pas de chance : fouille de contrôle. Aujourd hui, Émile Faure transporte du courrier. C est interdit de servir de facteur. Direction la Kommandantur à Moulins. L air naïf Interdit? Je ne savais pas, argumente Émile Faure, l air naïf. On m a demandé de transporter ce paquet. Bon. Ça ira pour cette fois, lui dit l officier. Le paquet de lettres est conservé, mais Émile Faure peut repartir. Et quand il essaye, le lendemain, de demander qu on lui restitue son paquet, en se présentant au poste de la Kommandantur, le gardien, un Alsacien enrôlé dans la Wehrmacht, lui conseille vivement de partir. Ils ont ouvert le courrier, qui n avait rien de La fiche de Francisque Fabre, conservée par le bureau Résistance du ministère de la Défense. Son statut d agent P2 du réseau Phalanx est daté du 1 er mars Comme chef de secteur, il est mentionné «chef de mission 1 re classe». l anodin et qui révélait des textes codés. Ce jour-là, Francisque Fabre a eu chaud. Les vraisfaux papiers avaient ceci de vrai qu il travaillait à La Montagne, qu il était né un 10 mais janvier 1899 à Montferrand. Comme ce n est pas une commune mais seulement une section de Clermont-Ferrand, les recherches d identité risquaient de se perdre du côté de Montferrand, dans l Aude, en zone non occupée. Quant à la profession, faux : Francisque Fabre n était pas inspecteur des dépôts mais directeur général et numéro 2 du journal, mais il n en faisait jamais état. «Et ce jour-là, par chance, je ne transportais pas d argent pour le réseau», expliqua un jour, après guerre, Francisque Fabre à Louis Cottier, ancien directeur des ventes. Leurs bureaux étaient voisins au siège clermontois. Fini l alibi du logement à Yzeure. Francisque Fabre utilisera d autres moyens pour communiquer des informations secrètes et utiles pour la France libre à Londres, comme il l a fait d abord pour le réseau Ali-Tir, puis pour le réseau Phalanx, créé par Christian Pineau. Agents P2 Celui-ci a créé le mouvement Libération Nord. En mars 1942, il est le premier responsable de la Résistance intérieure à rencontrer, à Londres, le chef de la France libre, le général de Gaulle. Il revient de Londres avec mission de créer le réseau Phalanx, en zone sud. Issu du syndicalisme CGT et proche de Léon Jouhaux, secrétaire général alors en résidence surveillée, Christian Pineau savait que, à Clermont- Ferrand, il pouvait compter sur Raymond Perrier, secrétaire CGT de la Bourse du travail, lui aussi en contact avec Jouhaux. Sur une chemise de bureau de couleur rose délavé conservée par le bureau Résistance du ministère de la Défense, au château de Vincennes, est écrit «Récapitulation des états - Phalanx» en lettres calligraphiées ; sur une autre «États P2 - Phalanx». Un agent P2 s engageait pour la durée de la guerre plus trois mois à consacrer au service du réseau l essentiel de son temps. Outre le nom de Francisque Fabre, «chef de secteur», les listes P2 de Phalanx comportent le nom de Raymond Perrier «liaison échelon national, capitaine FFI homologué» (le document est établi par Christian Pineau lui-même, le 27 octobre 1947, après son retour de déportation). Le couple Moyse y figure également : Gabrielle, secrétaire et sténo à La Montagne, est inscrite comme agent de renseignement et codeuse. Elle a codé les comptes-rendus du procès de Riom. René Moyse est inscrit comme agent de liaison et de renseignement. Tous deux ont débuté leurs activités dans le réseau en mars 1942, comme Francisque Fabre. Ils étaient les pionniers du réseau monté par Christian Pineau, qui est allé à Londres en sachant qu il pouvait déjà compter sur ce noyau. Il importait de laisser le moins de traces possibles des activités, réservant les informations au BCRA (Bureau central de renseignements et d action) à Londres et en préservant le réseau des attaques des polices allemandes et françaises. Grâce aux notes d Alexandre Varenne, on sait que des membres du réseau Ali-Tir lui ont rendu visite (à l occasion d une rencontre «de travail» avec Francisque Fabre) : Maurice et Louis* Andlauer, gaullistes, ou encore Philippe Roques*, ancien responsable de l information de Georges Mandel. Jean Rochon* est assurément le plus connu des résistants de La Montagne. Secrétaire de rédaction et chroniqueur littéraire, il avait déjà fait connaître, en 1936, Alexandre Vialatte aux lecteurs du journal. Lucie Aubrac n a eu de cesse de raconter, chaque fois qu elle rencontrait des scolaires à Clermont-Ferrand, comment Jean Rochon a fait partie du petit noyau qui a créé le mouvement de Résistance Libération Sud, dont Jean Rochon est devenu le responsable régional. Raymond Aubrac le rappelle mieux que nous (voir page 83). Le journal Libération Sud a été, un temps, tiré plus discrètement à La Bourboule, boulevard Louis-Choussy, dans l imprimerie d un ami de Francisque Fabre, Maurice Denèfle. À la Libération, son fils Michel distribuait à ses camarades de travail des morceaux de «plomb» venant de ces tirages clandestins. Sur Gabriel Aufauvre, lui aussi membre de la rédaction de La Montagne et de Libération Sud, nous serons bref. Il a trahi Varenne en essayant de mettre le grappin sur le journal, à la Libération, et d en évincer son fondateur. Alexandre Varenne prend des précautions dans sa rédaction pour le cas où il serait arrêté, mais les recoupements et la chronologie ne font aucun doute. Maurice Andlauer fait part de ses craintes au vu de l arrestation de nombreux membres du réseau et demande à Alexandre Varenne d être, le cas échéant, son avocat. Francisque Fabre avait une maison de campagne à Bansat (Puy-de-Dôme). D après ses confidences à Louis Cottier, il y a caché Christian Pineau, vraisemblablement après sa première arrestation et son évasion. Le 21 mai 1942, Francisque Fabre et Alexandre Varenne effectuent le voyage de Clermont à Vichy en compagnie de Raymond Perrier, le secrétaire de la Bourse du Travail de Clermont, qui se rend à Lyon le soir même. Plus tard, des craintes d arrestation pèseront sur Francisque Fabre et sur Gabrielle Moyse. Alexandre La Montagne, foyer de Résistance De gauche à droite, Jean Rochon, Maurice Bayle, Maurice Felut et Raymond Perrier. Largage sur le plateau Toujours pour Libération Sud, un typographe aubiérois de La Montagne a joué un rôle stratégique : Maurice Bayle. Il s est occupé de la réception des parachutages, étant souvent le seul à connaître la lettre code à communiquer en morse à l avion, déclenchant le largage libérateur. Un article lui est consacré, dans Le Mur d Auvergne, décrivant la scène d une réception, une nuit de blizzard, sur le plateau de Saint-Genès-Champanelle, au-dessus de Clermont-Ferrand. Avec l unification des structures de la Résistance, Maurice Bayle, dit Philippe, a assuré la coordination régionale des parachutages. Quand Henry Ingrand, Varenne «trop sage ou trop vieux» Carnets d Alexandre Varenne, 24 juin «Si je tombais en ce moment entre les mains des Allemands, ils pourraient me demander de leur expliquer comment les organismes de combat de la Résistance ont pu recruter tant de gens dans mon entourage. Je leur répondrais, ce qui est d ailleurs la vérité, que ce n est pas moi qui ai poussé mes amis dans cette voie, que ceux qui y sont entrés ont tenu à me laisser en dehors de leur action et à ne pas me faire de confidences, me considérant comme trop sage ou trop vieux pour les y suivre» Varenne en est avisé par diverses sources, mais ils seront épargnés, le patron certifiant que sa «résistance» et celle de ses salariés n étaient que journalistiques. Mais, à partir de l occupation de la zone sud par l armée allemande, il juge plus prudent de cacher ses carnets chez un ami sûr. Il en reprend la rédaction le 15 juin (*) Louis Andlauer ( ) et Philippe Roques ( ), Compagnons de la Libération. pressenti pour diriger la Résistance auvergnate pour le mouvement Combat, arrive à Clermont-Ferrand, un de ses tout premiers contacts est Maurice Felut, qu il va voir à La Montagne, dont celui-ci est le rédacteur en chef. C est également Felut qui organise pour Ingrand la première réunion dans l arrière-salle d un café. Après le sabordage de La Montagne, Maurice Felut se rapproche du journal clandestin Défense de la France, dont il devient une des plumes, et, lorsque Pierre Lazareff crée France-Soir, Felut en devient le rédacteur en chef. Se joindra à Combat Louis Ferrand, journaliste de La Montagne, qui est «bombardé» (c est le terme employé par Alexandre Varenne) souspréfet de Vichy à la Libération. Bien qu il ne figure pas dans les effectifs du journal, Raymond Perrier y possède, comme on l a vu plus haut, des entrées et des amis haut placés. Militant syndicaliste CGT, mais pas dans la ligne communiste, Raymond Perrier lance le journal MOF (Mouvement ouvrier français), dont le numéro 1, daté de juin 1943, doit certainement beaucoup aux typographes de La Montagne. Les informations contenues concernent essentiellement l Auvergne. La plus ancienne employée de La Montagne est Simone Perret. Son mari, Nestor Perret, qui avait été pressenti pour devenir le maire de Clermont-Ferrand à la Libération, a été assassiné par le SD allemand (Siechereitsdienst). Mme Perret prend la clandestinité et va à Paris. Elle devient «Séverine». Elle est arrêtée, internée, finalement libérée et reprend sa place à La Montagne. (*) Maurice Mandon lui a consacré une biographie très fouillée, Une Plume contre Vichy, Publications de l Institut d études du Massif central. 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41 EN GUERRE CONTRE LA CENSURE ET L INJUSTICE Pourquoi La Montagne a eu du mal à reparaître À la Libération, La Montagne a failli ne pas reparaître. Varenne en a analysé les causes et a bataillé ferme, tant à Paris qu auprès du commissaire de la République, Henry Ingrand. Il explique les difficultés rencontrées. Le journal se saborde le 27 août À la libération de Clermont-Ferrand, le 27 août 1944, Alexandre Varenne est préoccupé par l autorisation de reparaître. Notes de Varenne, 30 août «La Montagne attendra par force. Car on m informe, ce matin, qu il y a opposition contre elle. Pas dans le public certes. Tout Clermont l attend avec impatience et s étonne qu elle n ait pas reparu. L opposition est à la préfecture, chez le commissaire de la République [Henry Ingrand, médecin de profession]. Elle est organisée par un tout petit groupe de militants SFIO à la tête duquel se trouve un de mes anciens rédacteurs qui, ayant réussi, dans ces derniers mois, à se glisser auprès de ce docteur Ingrand, a su, me dit-on, se faire apprécier et en profite pour intriguer contre la maison.» Le rédacteur, nommé Aufauvre*, n a jamais occupé dans notre rédaction qu un emploi de second plan. Il avait bien quelque talent, mais rien d exceptionnel. Il est demeuré en place jusqu à la fin, puis a continué, comme tout le personnel, à percevoir son traitement, même après 14 septembre «Une journée de fièvre. Il s agit de préparer le numéro qui va relancer La Montagne. Et depuis hier, nous avons cinq concurrents. Il faut faire passer le sixième en tête. Mon équipe de rédaction est toute nouvelle, juste un seul de nos anciens collaborateurs. Les autres sont journalistes à Paris ou déportés s ils sont encore vivants en Allemagne (1). L un d entre eux est devenu sous-préfet Il va me falloir en mettre un coup, comme dans ma jeunesse. Il est probable que je resterai au marbre jusqu à une heure du matin. Heureusement, on m affirme de tous côtés que notre Montagne va faire prime. Le public attend le premier article du vieux En mai 1945, le soufflé est retombé. Ambiance détendue entre Alexandre Varenne, Gabriel Montpied, maire de Clermont-Ferrand, Francisque Fabre, Robert Huguet (compagnon de la Libération) et Jean Curabet, président du Comité départemental de la Libération du Puy-de-Dôme. que, passé dans la Résistance, il recevait d elle de l argent. Et ce n est que dans les toutes dernières semaines, alors sans doute qu il avait déjà formé le projet de combattre La Montagne, qu il n a plus rien reçu.» Et que nous reproche ce Ambiance de fièvre vue par Varenne républicain qui avait brisé sa plume en juillet 40.» J en ai préparé deux. Le premier est un appel à l union et aussi à la sagesse. Je pense qu il portera. Et j ai écrit un papier de présentation pour la réapparition du journal, où je fais quelques allusions nécessaires aux intrigues du petit clan qui a tenté de le torpiller et, n ayant pas réussi, a obtenu du moins qu on ne nous donne pas assez de papier pour la clientèle qui nous attend. Bah! On s en tirera bien quand même, et les vieux routiers que nous sommes, l équipe du journal et moi, nous avons plus d un tour dans notre sac.» Le soir, à l heure du coup de feu, je constate que, parmi pur? D avoir continué à paraître après l entrée des Allemands en zone sud. C est moi qui ai pris cette décision. Et qui a protesté à ce moment? Personne à ma connaissance. Tout le monde au contraire me conseillait de tenir, tout le monde, notamment, [André] mes rédacteurs, quatre au moins connaissent le métier et le font bien. De mon côté, en dehors de mes articles signés, je donne çà et là quelque copie que je pense devoir plaire aux lecteurs.» À une heure du matin, le journal est tombé. Quatre éditions vont partir dans toutes les directions, transportés par des moyens de fortune, dans des autos de la maison Hachette, dont les services sont installés chez nous, et dans des voitures que j ai pu trouver.» 15 septembre «Les premières nouvelles sont bonnes. À huit heures du matin, plus de Montagne dans les kiosques. Les concurrents ont tous baissé et leur papier attend les acheteurs. Mon article, Le Troquer et [Louis] Jacquinot, membres du gouvernement gaulliste. [...] Intrigue politique» En réalité, de quoi s agitil? D un petit, d un quelconque ambitieux qui veut tenter sa chance en faisant disparaître le grand journal pour en publier un autre lequel, étant donné le talent qu il se donne, ne manquerait pas d avoir un succès étourdissant.» L intrigue n est pas seulement personnelle. Elle est aussi politique. Le petit groupe SFIO reconstitué à Clermont est en partie composé de gens qui m ont toujours tenu rigueur de mes infidélités d autrefois. Ils sont surtout des anticommunistes passionnés, alors que moi, qui ne suis et n ai jamais été communiste, je m obstine, depuis que la France est dans l épreuve, à prêcher l accord de tous les partis, communistes compris, pour sa libération et son relèvement, accord sans lequel nous allons, c est bien clair, aux pires désordres.» (*) Il sera rédacteur en chef de La Liberté, journal concurrent. m assure-t-on, a fait sensation. Et, dans la courte promenade que je fais en ville avant de déjeûner (*), je reçois beaucoup de saluts et de poignées de main. Les petits camarades avaient cru avoir aisément raison du vieux bonhomme. Il vient de leur prouver qu il faudra compter avec lui. Et aussi avec le public, qui n est pas aussi excité qu on le pensait et n est pas fâché de s entendre prêcher le calme et la sagesse.» (1) À cette date, Alexandre Varenne ne savait quel était le devenir de Jean Rochon, déporté en Allemagne. (2) Durant la guerre, il écrit «déjeûner» avec un accent circonflexe, comme «jeûner», à cause des rationnements alimentaires. Victoire sans triomphalisme et avec modération En obtenant la reparution de La Montagne, malgré les intrigues, Alexandre Varenne donne une nouvelle orientation. Il est avocat et journaliste, il sait trop ce qu est un État de droit. Il prône une modération et un recentrage sur ce que doit être la nouvelle Montagne : un journal d information. Le 8 septembre 1944, Alexandre Varenne reçoit un des hommes forts qui ont émergé de cette guerre pas encore finie. «Reçu dans l après-midi la visite du colonel [Émile] Coulaudon. Un beau gars, ma foi! et qui a l air d avoir du cran. Celui-là s est battu et bien battu [...]. Le colonel [...] n appartient à aucun parti et semble se méfier de tous. Que vient-il me demander? De soutenir, même en y venant siéger, les Mouvements unis de la Résistance. Je lui réponds et lui fais comprendre que je ne puis ni ne veux appuyer aucun des deux groupements rivaux, que je ne veux pas faire de choix entre eux et ne me mêlerai à leur action que quand toute rivalité entre eux aura disparu. Il n a pas l air offensé ni même déçu. Et il me laissa l impression d un caractère. C est un de ces hommes que les circonstances auront fait surgir de la foule et dont l énergie aidera à notre avènement.» C est sur les presses du journal que l hebdomadaire des Mouvements unis de la Résistance, le Mur d Auvergne, est tiré. Adversaire obstiné de la peine de mort L esprit de relative neutralité de Varenne s explique également par le fait que, lui, le républicain, ne supporte pas que des parcelles, voire des pans entiers de pouvoir soient détenus par des personnes qui ne possèdent pas une légitimité sortie des urnes. Le 16 septembre 1944, au lendemain de la reparution de La Montagne, Alexandre Varenne éprouve de la compassion pour les victimes des nazis, dont les corps exhumés sont enterrés. Il relève également la rapidité avec laquelle sont exécutés des criminels de guerre par la nouvelle cour martiale. Il n oublie pas qu il est avocat et militant de la Ligue des droits de l homme : «J en fais la confidence, je demeure, malgré la boutade 8 mai 1945 (La Montagne daté des 9-10 mai 1945). Alexandre Varenne est à la tribune officielle des cérémonies de la victoire sur l Allemagne nazie, aux côtés du général Duché, commandant la région militaire, de Jean Curabet et d Henry Ingrand, commissaire de la République. Derrière Varenne, Simone Perret, veuve de Nestor Perret. d Alphonse Karr, adversaire obstiné de la peine de mort.» Que disait donc Alphonse Karr ( )? «Si l on veut abolir la peine de mort, en ce cas, que messieurs les assassins commencent!». Dans la nuit du 9 au 10 octobre 1944, Alexandre Varenne lit l interrogatoire de Georges Mathieu (ancien responsable de la Résistance passé au service du SD, appelé communément la Gestapo). L original de l interrogatoire, mené par le commissaire Henri Philis, chef de la brigade de surveillance du territoire, est confié à Varenne par un commissaire Durant la période de la libération des camps de concentration et d extermination, en avril et mai 1945, La Montagne informe régulièrement les lecteurs des dernières nouvelles provenant des équipes de résistants envoyés en mission sur place ; de l hôtel Lutétia, à Paris, par où passaient les déportés à leur retour ou des arrivées de train avec des déportés, des prisonniers de guerre ou des travailleurs STO. Parmi les retours annoncés dans l édition du 8 mai 1945, ceux de Jean Villedieu, linotypiste à La Montagne, déporté à Dachau, et de Marcel Andanson, de la «compo», prisonnier de guerre. ami. Varenne note : «Les noms de plusieurs rédacteurs de La Montagne sont cités à plusieurs reprises comme appartenant de près ou de loin aux organisations résistantes. J y ai trouvé le mien...» Plus loin : «Le plus drôle en cette histoire est que je faillis être arrêté par les Allemands comme ami du Maréchal. Ils n étaient pas très tuyautés, les gens de la Gestapo.» Le général de Gaulle, chef du gouvernement provisoire de la République, a fixé la règle suivante : pour que les élections soient légitimes, il faut attendre le retour des prisonniers de guerre et des déportés, dont on ignore encore le sort à l automne Durant la période autour du 8 mai 1945, jour de la victoire sur l Allemagne nazie, La Montagne publie des nouvelles des déportés, les listes des prisonniers de guerre, de STO et de déportés arrivant à Clermont-Ferrand par le train. Les nouvelles tant attendues sont souvent douloureuses, cruelles, insupportables. Jean Rochon est mort en déportation, à Ellrich. Alexandre Varenne écrit sa nécrologie. Des témoignages de rescapés paraissent dans le journal. Les élections sont organisées peu à peu. Alexandre Varenne est membre de l Assemblée consultative provisoire, puis il est élu à deux reprises député du Puy-de- Dôme aux Assemblées nationales constituantes de la IV e République. Il a également retrouvé ses sièges de maire de Saint-Éloy-les- Mines et de conseiller général du canton de Clermont Sud- Ouest, dont il avait été dépossédé* par décision autoritaire du gouvernement de l État français, sous le prétexte qu il était franc-maçon. Même s il n a pas réoccupé ces sièges bien longtemps, il tenait à les retrouver, par principe. (*) «Démissionné d office», selon les termes d une brève parue en octobre 1942, faisant référence à une loi sur les sociétés secrètes. EN GUERRE CONTRE LA CENSURE ET L INJUSTICE 80 81

42 EN GUERRE CONTRE LA CENSURE ET L INJUSTICE GRAND TÉMOIN Raymond Aubrac Ancien dirigeant du mouvement Libération durant la Seconde Guerre mondiale, Raymond Aubrac savait, tout comme sa femme Lucie, qu ils pouvaient s appuyer sur Jean Rochon, à La Montagne. Regards d un jeune homme de 26 ans à l époque (94 ans aujourd hui) sur la presse, notamment clandestine, et sur les blancs de la censure. Raymond Aubrac résiste à l absence de Lucie en répondant présent aux sollicitations d interventions dans les établissements scolaires ou aux hommages rendus à son épouse, décédée en Photos Michel Wasielewski. Quel rôle a joué la presse durant la Seconde Guerre mondiale? Le rôle général de la presse a d abord commencé par la disparition du crédit accordé aux journaux. Tout de suite après la défaite, l ensemble de la presse française est plus ou moins passé sous le contrôle soit des autorités allemandes au nord, soit des autorités de Vichy au sud. Les lecteurs se sont très bien rendus compte que certains journaux essayaient de garder leur indépendance. Et naturellement, La Montagne était dans le peloton de tête. Elle manifestait par des blancs l intervention de la censure. Certains journaux cachaient la censure, et d autres la montraient. Cela a été le cas de La Montagne... Le journal avait d autant plus de crédit auprès des lecteurs qu il contenait moins de textes. Plus il y avait de blancs, plus il avait de crédit. Parce qu on comprenait qu il s efforçait de faire passer des nouvelles exactes et on comprenait aussi qu il n y arrivait pas. Les blancs dans les journaux à l époque, c était la démonstration évidente de l existence de la censure. La presse écrite, à partir de la défaite et à partir de l intervention du nouveau pouvoir à Vichy, avait, dans l ensemble, perdu beaucoup de son autorité. Dans certains journaux, on sentait la volonté démontrée de continuer à dire la vérité et d exclure le mensonge. Et c est à partir de ces quelques journaux, dans mon souvenir, qu on a pu commencer à démarrer les contacts les plus importants pour la Résistance. Car au fond, les premiers actes de la Résistance ont été des actes de communication et d information. Des tracts Cela a commencé par des graffitis, des tracts, et quand s est aperçu qu il importait de connaître un peu la vérité sur ce qui se passait, un très grand nombre d équipes ont entrepris de faire ce qui est devenue la presse clandestine, les journaux clandestins. «Actuellement, la Bibliothèque nationale est en train de numériser les journaux clandestins. Ils ont identifié titres. Certains d entre eux n ont vécu qu un ou deux numéros. Cela démontre la soif d informations qu avait l opinion.» C était déjà des actes de résistance civile et de prise de parole contre la parole officielle. Naturellement, comme les journaux étaient tous soumis à la censure, le fait d éditer et de distribuer des journaux non passés par la censure était illégal, poursuivi, réprimé par la police, allemande au nord, de Vichy au sud. Nous avons connu cette situation dès le début des activités de résistance du petit noyau qui va devenir Libération, en éditant, au début, une petite feuille qui s appelait La Dernière Colonne. À cet égard, je voudrais faire une petite remarque. Au moment de La Dernière Colonne, notre groupe a subi quelques répressions et quelques arrestations. À l époque, on était arrêté par la police française. On passait devant le tribunal et on prenait deux ou trois mois de prison. Puis on ressortait. Autrement dit, le jeu au début n était pas très dangereux. Finalement, je trouve qu on a tort d apprécier la qualité des résistants à partir du fait qu ils aient rejoint très tôt la Résistance. Très tôt la Résistance, ce n était pas très dangereux, surtout en zone sud, en zone non occupée. Par contre, les gens qui vont rejoindre la Résistance en 1943 ou début 1944 sont entrés dans un domaine très dangereux et tout le monde le sait, car les murs sont couverts d affiches annonçant la répression. La Montagne ne tient-elle pas une place particulière dans votre histoire personnelle et celle de Lucie, au début de la Seconde Guerre mondiale? Pour notre petit groupe, La Montagne a été extrêmement i m p o r t a n t e. La vraie naissance du petit m o u v e m e n t, La Dernière Colonne, a eu lieu à Clermont- Ferrand. C est une rencontre entre Jean Cavaillès, Emmanuel d Astier de la Vigerie, Georges Zérapha, et Lucie (voir l encadré p. 84) qui vient retrouver les autorités de l Université de Strasbourg repliée à Clermont. Et c est là que naît La Dernière Colonne. Très vite, ce groupe a besoin de s exprimer et le chemin d expression, c est La Montagne. Pas en tant que journal mais en tant que moyens d édition, par l intermédiaire de Jean Rochon. Ce dernier est très actif dès le début et, quand La Dernière «Les blancs dans les journaux à l époque, c était la démonstration évidente de l existence de la censure.» Colonne se transforme en mouvement Libération, Jean Rochon va être, pendant plusieurs mois, le responsable régional de ce mouvement pour la région de Clermont. C était la région Noire. C était la région Noire [en référence à la pierre de Volvic]. Jean Rochon a travaillé ainsi pendant des mois pour Libération mais aussi avec Henry Ingrand (responsable régional des MUR), qui deviendra plus tard commissaire de la R é p u b l i q u e dans la région Auvergne. Dès le début, pour le petit noyau qui va donner naissance au m o u v e m e n t Libération, La Montagne est une espèce de phare. Nous essayions de l acheter dès que possible. L aide matérielle de La Montagne, c était la participation de journalistes, de typographes et l utilisation du papier et du matériel? Bien sûr. Je ne me souviens plus du détail de la manière dont cela se passait pratiquement. Pour moi, un nom symbolisait La Montagne, c était Jean Rochon. On connaissait de nom Alexandre Varenne, naturellement, on savait qui il était, le rôle politique EN GUERRE CONTRE LA CENSURE ET L INJUSTICE

43 EN GUERRE CONTRE LA CENSURE ET L INJUSTICE qu il avait joué, à l époque, on connaissait sa mission en Indochine. Mais l homme qui concrétisait le travail pour notre petit groupe, c était Jean Rochon, mais avec ses collègues du journal. Je ne sais pas comment il s organisait avec les typographes. Le papier journal était très surveillé. Des complicités intérieures du journal étaient nécessaires. On dit souvent que Lyon était le phare de la Résistance en zone sud, mais que, chaque fois que ses résistants avaient besoin de trouver un secteur un peu plus calme, c était vers l Auvergne et Clermont- Ferrand qu ils se repliaient. Clermont-Ferrand avait d abord une position centrale géographiquement. Il s y trouvait les gens de Strasbourg. Le groupe de Strasbourgeois professeurs et étudiants augmentait l importance intellectuelle et politique de l Auvergne. Mais je suis incapable de «donner des notes» entre Clermont, Marseille, Lyon, Toulouse. Chaque région s est développée comme elle a pu. La Résistance, c est une entreprise entièrement décentralisée. L Université de Strasbourg était composée de personnes qui savaient ce qu était le nazisme. Elles avaient eu soit l obligation de se rallier au nazisme par leur université, soit de partir à Clermont- Ferrand pour ne pas être sous le joug nazi. Dans les universités en France, parmi les enseignants, se trouvait un mélange de collaborateurs, d attentistes et de résistants. Ce n était pas le cas à l université de Strasbourg repliée à Clermont-Ferrand. Pour elle, ceux qui avaient décidé de collaborer avec les Allemands étaient restés à Strasbourg. Autrement dit, l équipe qui était à Clermont-Ferrand avait décidé de ne pas coopérer avec l occupant C était un tri. On peut dire l université la plus «pure» de France, à cause de ce tri. Parmi les résistants dont on parle peu se trouvait Francisque Fabre, directeur de La Montagne. Il faisait partie du réseau Phalanx, qui donnait des renseignements à Londres. On retrouve, parmi ses membres, Jean Cavaillès, et d autres résistants. «Le journal avait d autant plus de crédit auprès des lecteurs qu il contenait moins de textes. Plus il y avait de blancs, plus il avait de crédit.» Photos Michel Wasielewski. Jean Cavaillès participe on peut dire qu il préside à la naissance de Libération Sud. Puis il est muté à Paris : il travaille tout de suite à la création de Libération Nord avec Christian Pineau. Et c est après qu il participe à la création d un réseau de renseignement et d action qui est Phalanx. À quel moment votre collègue de La Montagne travaille avec Cavaillès? Estce que c est dès le début, dans la préparation du journal Libération, plus tard dans le réseau Phalanx, je ne sais pas? Les historiens peuvent savoir. La réponse est que Francisque Fabre a dirigé le réseau Phalanx quand Christian Pineau a été arrêté la première fois. Ah bon. Christian Pineau a été arrêté avec Cavaillès et arrêté à Montpellier. C est peut-être à ce moment-là que Fabre a pris la relève. C est très compliqué d établir les chronologies. À votre avis, fallait-il que les journaux se sabordent dès 1940? Je n ai pas d opinion. Je ne peux pas répondre. Cela dépend du journal, de ce qu on y fait. C est quand même une entreprise de presse où des gens travaillent. Oui. Il s y trouve des cellules qui collectent l information. Finalement, si les journaux clandestins ont pu informer l opinion, c est presque toujours grâce à des journalistes. Les journalistes ont les dépêches d agence, les contacts, Quelques clés de décryptage ils connaissent les correspondants. Donc, je n ai pas de réponse à la question. En tant que lecteur comme j étais à l époque, j avais la plus grande méfiance envers tous les journaux, sauf quand on voit ou qu on sait qu à l intérieur, des efforts sont effectués pour faire comprendre la vérité. Le critère établi pour la reparution ou la non-parution des titres à la Libération a été : il fallait que les journaux se soient sabordés, auquel cas le titre pouvait reparaître. C est exact. La Montagne s est sabordée en Le Progrès de Lyon aussi, à un certain moment. Ces journaux ont pu reparaître immédiatement. Les gens qui avaient travaillé dans la presse clandestine ont eu des Lucie Aubrac ( ) était professeur à Strasbourg, en La rencontre avec Jean Cavaillès, lui-même professeur de l Université de Strasbourg repliée à Clermont- Ferrand, a eu lieu à l automne 1940, à Clermont-Ferrand. Le mouvement de Résistance Libération a été créé en Le premier numéro de Libération, paru en juillet 1941, a été tiré à exemplaires. contingents de papier journal et ont pu s engager dans un métier de presse. Comment était vécue la diversité des journaux clandestins, notamment Libération, Combat et Franc-Tireur? La pluralité des journaux clandestins a été un des détonateurs de l unité de la Résistance. Cela a l air paradoxal, mais ne l est pas tellement. À la manière dont la presse clandestine est diffusée, on s aperçoit que le réseau de diffusion d un journal clandestin est en même temps le squelette d un mouvement de Résistance. Les responsables distribuent des exemplaires, des paquets de journaux à leurs collègues dans la mesure où ces collègues ont des lecteurs qui attendent le journal. «Dès le début 1942, la base demande une unité» À la base de ce système qui est une espèce d arbre de distribution, on trouve presque toujours des gens qui reçoivent plusieurs journaux. Le destinataire de Libération à Grenoble reçoit aussi Combat. Le destinataire de Libération à Toulouse reçoit aussi Franc- Tireur. Ces journaux sont cousins germains, très voisins par leurs informations, par leur système de propagande, peut-on dire. Et on sent très bien que, dès le début 1942, la base demande une unité. «Pourquoi avons-nous tous ces systèmes différents? Ils sont tous pareils, ils doivent se mettre d accord, ils doivent se rejoindre.» L unité de la Résistance est ce qui distingue le plus la Résistance française de toutes les autres résistances des pays occupés. Cette unité est venue par deux pressions : à la base, en partie par les messages très voisins des différents journaux et, à la tête, parce que le général de Gaulle qui réfléchit en politique et en stratège sait très bien qu il faut un groupement aussi puissant que possible. Le travail est réalisé par Jean Moulin, qui vient en France à partir de début 1942 et qui va lui-même bâtir l unité. Il va la bâtir sous l égide de ces deux forces de pression : de Gaulle d un côté, et la base de la Résistance, de l autre, qui éprouve aussi le besoin de s unir. Ami de Hô Chi Minh et du Viêt Nam Raymond Aubrac a eu plusieurs vies. L une d elles est marquée par un amour du Viêt Nam et ses rencontres avec Hô Chi Minh. Alexandre Varenne a été gouverneur général de l Indochine durant les années Il a essayé d engager un certain nombre de réformes. Vous qui êtes membre du comité d honneur de l Association des amitiés franco-vietnamiennes, et qui avez côtoyé Hô Chi Minh (1), quel regard portez-vous sur la décolonisation et sur ce pays? Ce que je sais et que je ne savais pas quand j ai rencontré, par hasard, très rapidement Alexandre Varenne c est qu il a été, d après ce que me disent mes amis indochinois, le seul gouverneur général qui ait réellement commencé à aider le peuple indochinois. Je ne connais pas le détail de ses actes de gestion. Je crois qu il a donné un coup d accélérateur non seulement qualitatif mais aussi quantitatif à l enseignement public. Il a dû ouvrir les portes des écoles et probablement les lycées à des jeunes Vietnamiens. Il a dû aussi ouvrir les libertés publiques, marquer son action par le choix des fonctionnaires qu il nommait. En tout cas, il a laissé cette image. Est-ce qu il a nommé des Vietnamiens dans des postes administratifs? Il a donné la possibilité à des cadres indochinois d avoir accès à des fonctions en ayant le même salaire que les cadres français sans la prime d éloignement. Il a laissé l image d un homme qui amène un petit peu l air de la République. Il n est pas resté très longtemps. Il a dû probablement susciter des réactions de méfiance de la part des colons. Probablement, ils ont demandé son rappel. Je ne connais pas très bien cette histoire. Par contre, sur l amitié avec le peuple vietnamien, un moment très fort de votre vie a été quand vous avez hébergé, chez vous, Hô Chi Minh, durant les négociations de Fontainebleau (2). J ai une histoire vietnamienne très longue qui commence en 1944 et qui n est pas terminée, plus de soixante ans après. Les hasards de la vie ont fait que Hô Chi Minh a vécu avec nous durant six semaines, durant la négociation de Fontainebleau. J ai revu Hô Chi Minh un an après la fin de la guerre française, à Pékin. Puis j ai été mêlé aux négociations secrètes entre les Américains et les Vietnamiens pendant la guerre américaine du Viêt Nam. Ensuite, j ai travaillé comme envoyé du secrétaire général des Nations Unies, à la fin de la guerre américaine, pour apporter l aide humanitaire aux deux Viêt Nam. En bref, j ai effectué, l an dernier, mon quinzième voyage au Viêt Nam. Des voyages qui avaient des buts politiques ou techniques. J ai aussi conduit toute une série de projets de coopération bilatérale française, ou internationale, avec le Viêt Nam. Votre métier d ingénieur a été déterminant pour l apport de conseils pour la reconstruction. En fait, j ai pu intervenir un peu pour le déminage. Par hasard. J ai eu à m occuper du déminage de la France. Et j ai pu obtenir des Américains les plans des champs de mine que l armée américaine a posée entre le nord et le sud Viêt Nam, pendant la guerre. Ces plans des champs de mines ont été récupérés des archives militaires américaines par McNamara (3), ancien secrétaire d État américain à la Défense pendant la guerre du Viêt Nam, devenu président de la Banque mondiale. Elles ont été prises par la diplomatie française à Washington et transportées à Hanoi. J ai eu une longue histoire avec le Viêt Nam. C est pourquoi je peux tranquillement vous dire que, pour les Vietnamiens, Alexandre Varenne a été, dans leur imaginaire, le seul gouverneur général qu on pouvait dire républicain. (1) Hô Chi Minh ( ), fondateur de la République démocratique du Viêt Nam, il proclame l indépendance du pays, le 2 septembre (2) La conférence de Fontainebleau a eu lieu durant l été 1946, entre le gouvernement français et le Viêt-minh, pour trouver une solution à la guerre «française» d Indochine et à l indépendance du Viêt Nam. (3) Robert McNamara : né en Secrétaire à la Défense sous la présidence Kennedy, puis Johnson. Ce dernier le nomme à la Banque mondiale en avril «Pendant que Ho Chi Minh était dans notre maison de la banlieue nord, j ai eu mon anniversaire [le 31 juillet ; la scène se passe en 1946]. Voilà son cadeau d anniversaire. C est une maternité chrétienne peinte par un peintre vietnamien.» EN GUERRE CONTRE LA CENSURE ET L INJUSTICE 84 85

44 1946 : MINISTRE DE LA RÉPUBLIQUE Enfin ministre! 26 juin 1946 Ambroise Croizat Jules Moch Laurent Casanova Marcel Paul Francisque Gay René Arthaud Marcel- Edmond Naegelen François Billoux Félix Gouin François de Menthon François Tanguy- Prigent Georges Bidault Robert Schuman Marius Moutet Maurice Thorez Édouard Depreux Charles Tillon Alexandre Varenne Robert Prigent Jean Letourneau Pierre-Henri Teitgen André Colin Edmond Michelet Une cohabitation plutôt cocasse Alexandre Varenne est ministre d État. Enfin! À 75 ans et huit mois. Dans le gouvernement provisoire de la République dirigé par Georges Bidault, devenu pour la première fois président du Conseil (d où l appellation Bidault 1). Résistant, Georges Bidault l a été. Il a même été fait Compagnon de la Libération par le général de Gaulle (l autre Compagnon de la photo de ce gouvernement était François de Menthon). En juin 1943, il succède à Jean Moulin à la tête du Conseil national de la Résistance. C est lui qui fait signe à la foule (et aux photographes) de reculer lorsque le général de Gaulle descend les Champs Élysées, le 26 août Dans ce gouvernement Bidault 1, il est président du Conseil et ministre des Affaires étrangères. Chrétien démocrate, il est un des fondateurs du MRP. Mais ses positions lors de la guerre d Algérie l ont discrédité. Robert Schuman a voté pour les pleins pouvoirs à Pétain, en juillet Mais il est interné par la Gestapo à Metz et en Allemagne. Ici, il est ministre des Finances (MRP). Premier président du Parlement européen, de 1958 à 1960, il a reçu le titre de «Père de l Europe». Maurice Thorez a été secrétaire général du PCF de 1930 à Il est resté à Moscou de novembre 1939 à fin novembre À son retour en France, le général de Gaulle le prend à son gouvernement, avec rang de ministre d État, comme ministre de la Fonction publique. Dans ce gouvernement Bidault 1, il est vice-président du Conseil. Ce gouvernement comprend neuf ministres MRP, six SFIO, sept PCF et un PRS (Varenne)

45 1946 : MINISTRE DE LA RÉPUBLIQUE Hô sur l agenda du ministre À quoi peut donc ressembler un agenda de ministre d État en 1946? Alexandre Varenne, capable de gérer son emploi du temps depuis la fin du XIX e siècle, sait qu il lui faut compter sur lui-même, avec le minimum d intermédiaires, afin de mener à bien des négociations difficiles, notamment sur l Indochine. Alors, dans un style dépouillé et efficace, Varenne note au «mardi 2 juillet : Conseil Matignon», pour son deuxième Conseil des ministres. Le 3 juillet, parmi les sept rendez-vous notés pour la journée, il rencontre Maurice Felut. Ce dernier, ancien rédacteur en chef de La Montagne, jusqu au sabordage de l été 1943, a participé, dans la clandestinité, à la rédaction de Défense de la France, devenu France-Soir en novembre 1944, sous la direction de Pierre Lazareff. Le 4 juillet, à 16 h 45, Alexandre Varenne se rend à l Hôtel de ville de Paris, où est reçu Hô Chi Minh, président de la République démocratique du Vietnam, fondée le 2 septembre Indépendance en marche À la suite d un accord signé en mars entre Jean Sainteny et Hô, ce dernier est arrivé dans la capitale le 27 juin pour négocier avec la République française au cours de la conférence de Fontainebleau, qui s ouvre le 6 juillet. Il y est question de l intégration du Vietnam dans l Union française. La France accepte à la condition que le Tonkin, que contrôle Hô Chi Minh, soit indépendant, mais refuse que le Viet-minh étende ses prétentions sur l Annam (protectorat mixte) et sur la Cochinchine (colonie). Or, le 1 er juin, la République autonome de Cochinchine est proclamée, avec à sa tête le docteur Tinh et les encouragements de l amiral Thierry d Argenlieu. L entretien Varenne-Hô Chi Minh* du 10 juillet intervient la veille du Conseil des ministres, pour lequel Mercredi 10 juillet 1946 : Alexandre Varenne a rendezvous avec Hô Chi Minh, à 16 heures. Le lendemain, à 9 heures, il a Conseil des ministres. Juin-septembre 1946 : les négociations de Fontainebleau sont menées entre la France, représentée par Marius Moutet, ministre de la France d Outre-mer, et Hô Chi Minh, président de la République démocratique du Vietnam. Alexandre Varenne doit posséder ses propres renseignements précis et doit pouvoir étayer son point de vue, alors que son collègue et ami Marius Moutet, lui aussi ministre, baigne dans la conférence de Fontainebleau. Varenne siège également au comité de l Union française, dont les réunions se précipitent, fin juillet (les 22, 23, 25, 27, 29 et 31) afin de suivre pas à pas le déroulement des négociations de Fontainebleau. Celles-ci sont suspendues le 1 er août. Varenne met à profit cette période pour rencontrer les diplomates chinois (le 7 août) et soviétiques (le 9), tout en ayant des repas de travail au Quai-d Orsay (le 30 juillet et le 8 août). Alexandre Varenne a un nouvel entretien avec Hô Chi Minh le 21 août. Le 12 septembre, Varenne a un conseil de l Association nationale de l Indochine française. À 17 heures, il rencontre le prince du Cambodge, Norodom Sihanouk, alors âgé de 23 ans. Le 14 septembre, la conférence de Fontainebleau échoue et se termine par la signature d un modus vivendi provisoire entre Hô Chi Minh et Marius Moutet. La fin d un rêve Le 19 décembre 1946, avec l attaque de garnisons françaises par le Viet-minh, les accords passés s envolent comme les plumes d une colombe sous les assauts du faucon. C est le début de la guerre d Indochine. Nul doute que cette issue indochinoise a été mal vécue par Alexandre Varenne. En trois jours, il perd son portefeuille de ministre d État, après la démission du gouvernement Bidault, ainsi que son rêve d Indochine rattachée à la République par l Union française. (*) Durant la première partie des négociations de Fontainebleau, Hô Chi Minh avait reçu l hospitalité de Raymond et Lucie Aubrac. Voir l interview de Raymond Aubrac, page 85. La fin du voyage Alexandre Varenne ne pensait pas arriver à vivre si vieux. Il s éteint à son bureau, au 12 bis, boulevard de Port-Royal à Paris, le 16 février 1947, dans sa 77 e année. Il n a pas ménagé sa peine, entre son portefeuille de ministre d État poste qu il occupait encore deux mois auparavant, le suivi des dossiers indochinois et de la Constitution de la IV e République. La nouvelle de la mort d Alexandre Varenne lui vaut des hommages, venant des plus humbles jusqu au sommet de l État. Son décès est annoncé à l Assemblée nationale, le 18 février Édouard Herriot, qui la préside, prononce son éloge funèbre : «Il a mérité cette épitaphe, la plus belle de toutes : il fut un admirable Français.» Bien que Parisien depuis qu il préparait son droit, à part les intermèdes indochinois et bellerivois, Alexandre Varenne restait attaché à son Auvergne natale. Ce petit lopin de terre qu est la concession Varenne-Marc, dans le cimetière des Carmes à Clermont-Ferrand, est sa destination finale, pour rejoindre Joseph, son père, Françoise, née Marc, sa mère, et Jean- Baptiste, son frère. Marguerite présidente Le mercredi 9 avril 1947, 52 jours après le décès de son fondateur, le conseil d administration de La Montagne se tient à la villa du 28, rue Morel-Ladeuil. Francisque Varenne, cousin d Alexandre, préside la séance. Deux autres membres sont présents : Francisque Fabre, directeur général, et Georges Gilberton*, ingénieur, au conseil depuis le 31 décembre Le président rend hommage à Alexandre Varenne : «La Montagne reste son œuvre et son œuvre doit être continuée dans l esprit de son fondateur. Le nom d Alexandre Varenne figurera toujours à côté du titre du journal qu il a créé.» Comme Victor Buisson ne peut plus se déplacer, il est proposé les noms de deux nouveaux membres : Marguerite Varenne, veuve Le cercueil d Alexandre Varenne arrive à la gare de Clermont-Ferrand. Deux corbillards tirés chacun par une paire de chevaux caparaçonnés de couverture funèbre, des proches tenant un cordon pour montrer leur attachement. Le dernier voyage part du domicile du boulevard Duclaux, passe devant le 6 de la rue Blatin où La Montagne a vu le jour, devant Vercingétorix, place de Jaude, accompagné par la troupe, prend la rue Montlosier pour arriver au cimetière des Carmes. Parmi les discours, celui du préfet du Puy-de- Dôme, Gabriel Delaunay ( ), figure de la Résistance en Gironde qui, dès 1944, s était insurgé contre la promotion de Papon comme préfet. d Alexandre, et André Borie, entrepreneur en génie civil, l ami de Gannat en qui Varenne avait toute confiance, notamment durant la guerre. Ainsi Marguerite Varenne entre-t-elle au conseil d administration, y est nommé présidente directrice générale. Francisque Fabre est aussitôt maintenu dans ses fonctions de directeur général. Marguerite a vécu l épopée d Alexandre en Indochine ; elle a voyagé avec lui en Extrême-Orient en 1937 ; elle a partagé sa vie semiclandestine durant la guerre. Elle devient, à 42 ans, chef d une des entreprises qui comptent en Auvergne. Elle est décédée le 17 mars 2001, à l âge de 96 ans. (*) Par ailleurs délégué général de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies : MINISTRE DE LA RÉPUBLIQUE 88 89

46 GRANDS MONTAGNARDS Francisque Fabre, respect! Francisque Fabre ne fut pas seulement un résistant. Ce fut aussi un grand patron de presse, très confraternel et respectueux de l individu. C est lui qui a structuré le journal La Montagne, développé les éditions et créé le groupe Centre France. Francisque Fabre est né le 10 janvier 1899, avenue de la République à Montferrand, grosse section de Clermont-Ferrand. Son acte de naissance indique que Jacques, son père, était limonadier. Pas de numéro de l avenue, mais maison Delaire, manière, pour les habitants du quartier ou du bourg, de conserver la primeur du renseignement face au visiteur en quête d une adresse. Francisque Fabre avait un deuxième prénom, Émile, qu il a utilisé alors qu il avait, en , sa vraie-fausse carte d identité au nom d Émile Faure. Au recensement de la population de 1901, il n habite pas avec ses parents, Jacques et Françoise. Peut-être était-il chez une nourrice, car les horaires des cafetiers ne laissaient pas de temps pour s occuper d un bambin. Au recensement de 1911, Francisque a douze ans. Le café et le logement sont au 1 bis avenue de la République (la numérotation de la rue a, depuis lors, été inversée). Il a une sœur aînée, âgée de 20 ans en 1911, et qui devait aider au café, situé juste à côté de la place de la Fontaine. Ironie de l histoire, Francisque Fabre est né à un kilomètre à vol d oiseau de l actuel siège de La Montagne. Être attentif Parmi les petits métiers du jeune Francisque, on cite limonadier. Il est fort possible qu il l ait exercé tout simplement dans le café familial. Un métier qui ne consiste pas seulement à remplir des verres ou à rendre service : il faut beaucoup écouter, être attentif au client. Aux clients. Des conducteurs de tramway dont le terminus nom pris par le café abreuvait l établissement. Des militaires en poste dans les casernes du 92 e RI ou des Gravanches, des employés et cadres de la manufacture Michelin, même des ingénieurs étrangers, des artisans de tous les corps de métier. À eux tous, le petit peuple de cette nouvelle avenue de la République, anciennement route nationale n 9 de Paris à Perpignan. Bref, en plus de sa scolarité, les devoirs à la maison de Francisque Fabre étaient ouverts sur le monde. Il commence à La Montagne parce que militant socialiste SFIO, comme Varenne. Francisque Fabre ( ) reçoit Georges Pompidou à La Montagne, en décembre 1968, redevenu député du Cantal avant d être élu, six mois plus tard, président de la République. À gauche, Bernard Granet constitue un premier tournant. Des «amis» du député l ont trahi pendant ses missions en Indochine. Francisque Fabre tient bon le cap, passe du statut de serviable à celui d indispensable. Ce n est plus une cheville ouvrière, c est une âme de patron qu il se forge, patron qui n oublie pas ses racines. Durant la Seconde Guerre mondiale, les amis qui viennent le voir sont presque aussi nombreux que ceux de Varenne. Après la vague des journaux repliés sur Clermont-Ferrand et «hébergés» à La Montagne, vient le temps de la recherche des amis sûrs. Même Jean Moulin le rencontre. Mais Fabre préfère rester discret. Cette photo a, jusqu au début de 2009, illustré le salon Fabre, son ancien bureau au 28, rue Morel- Ladeuil. Il n appréciera pas, à la Libération, les galons arborés par les résistants trop victorieux. Des camarades de son réseau ont été fusillés, sont morts en déportation. L un, Marius Vivier- Merle, parmi les premiers de Phalanx, tué sous les bombes «amies», a maintenant son boulevard à Lyon. À la mort de Varenne, Francisque Fabre devient le véritable patron. Le journal doit devenir un quotidien d informations, au service d un lecteur qu il faut aller rattraper quand il avait l habitude de lire la Liberté ou l Éveil-la Dépêche dont les journalistes, les cadres et parfois les ouvriers du Livre ont été repris confraternellement par La Montagne. Paul Saigne et Michel Peuchot témoignent encore avec émotion de l esprit avec lequel Francisque Fabre les a accueillis. Négociateur Après les lancements épiques d éditions dans le Cantal, la Haute-Loire, la Creuse et la Corrèze, avec structuration de réseaux de correspondants, Francisque Fabre s attaque à des acquisitions : la première est Centre Matin à Montluçon. Les négociations avec le Populaire du Centre paraissaient en bonne voie. Elles capotent et Jean-Louis Servan-Schreiber devient PDG de ce titre et du Journal du Centre à Nevers. Fabre organise une riposte ferme qui lui permet de signer, en 1971, le rachat de ces deux titres, à partir du 1 er janvier Il suit de près les difficiles négociations avec Robert Hersant, en 1981, qui aboutissent à l achat du Berry Républicain, effectif au 1 er janvier Tous les anciens cadres du journal que nous avons interrogés sont unanimes : un «grand Monsieur», «beaucoup de respect pour lui», «une grande chance de l avoir connu». Un de ceux qui l accompagnait en Creuse ou en Haute-Vienne rappelle que Francisque Fabre saluait de son chapeau le nouveau département. Il en faisait de même pour le cantonnier rencontré en chemin : «Il faut toujours saluer quelqu un qui travaille», expliquait-il. Et pour le 1 er Janvier, chaque année, il parcourait tous les services pour serrer la main de chaque salarié. Respect! René Bonjean, convivial Connaissez-vous Chabreloche? Vous devriez car, comme ne manquait jamais de le rappeler René Bonjean, c est le premier village d Auvergne. Le premier quand l on entre dans le Puy-de-Dôme en quittant le département de la Loire. À vrai dire, il tenait cette boutade du truculent coiffeur de Chabreloche. Chabre pour la chèvre et loche pour l oie. Vous ne pouvez pas vous tromper, vous baignez enfin dans l Auvergne généreuse, dans un de ces centres du monde où René Bonjean est né, le 31 juillet Son père, Mécano pour les intimes, garagiste des Bois-Noirs, a pensé aux jours ensoleillés de son fils, en le mettant, à la rentrée , pensionnaire à l institution Saint-Pierre de Courpière, dans la plaine. Une solide bâtisse qui en a élevé dans tous les sens du terme plus d un. René Bonjean y passe son baccalauréat philo-lettres en En terminale, il rafle tous les prix d excellence, sauf en chorale et en éducation physique. Il concourt au prix de l éloquence organisé par une association d anciens combattants qu il emporte brillamment. René Bonjean entre à l École supérieure de journalisme de Lille, une des premières écoles de journalisme en Europe. Il ne sort pas major de sa promotion c est Hervé Bourges, mais il effectue son stage à La Montagne où il est très vite remarqué pour sa plume et sa rapidité de rédaction. Francisque Fabre lui propose de l embaucher. Mais je dois d abord finir mes études, répond-il. Diplômé, il commence à la rédaction locale à Clermont-Ferrand en Parmi les tâches formatrices qu il a remplies, il effectue les remplacements en agence, durant les congés des journalistes souvent seuls. Il a ainsi connu, dans ses moindres détails, tous les aspects du fonctionnement d une agence où le journaliste effectuait les reportages, prenait les photos, quelquefois la publicité, les commandes pour l agence de voyages de La Montagne, les avis d obsèques et recrutait des correspondants. Faire ses preuves Un épisode, raconté par Henri Bernier, ancien chef d agence à Guéret et Brive, illustre la détermination de René Bonjean. Quand La Montagne rachète le Populaire du Centre à Limoges, René, le littéraire en est nommé secrétaire général. Des bruits avaient couru sur la non-solvabilité de La Montagne, sur sa capacité à rester à Limoges. Fabre avait bien assuré René Bonjean que s il avait besoin d un appui financier, il suffisait qu il en fasse la demande. L achat de nouvelles rotatives et d un atelier figurait parmi les priorités d investissement. Vivant dans des conditions spartiates, René Bonjean épluche la comptabilité du Une des rares photos de René Bonjean ( ), par Michel Wasielewski. journal dont il a la charge, des nuits entières. Arrivé au terme de son enquête, satisfait d avoir déniché, par lui-même, une coquette somme au travers du maquis des lignes comptables, il convoque individuellement, presque au même moment, chaque banquier de Limoges. Pour un prêt, que me proposezvous? Paul Simons est né le 28 août 1918 à Mantes (alors en Seine-et-Oise, aujourd hui Mantes-la-Jolie, en Yvelines). Ingénieur agricole, il a travaillé aux Messageries Hachette, juste avant la guerre. Celles-ci avaient été structurées avec des méthodes tayloriennes de productivité. Réquisitionnées en zone nord par l armée allemande, le 30 juin 1940, elles se replient à Clermont-Ferrand et s installent au 23, rue Morel-Ladeuil. Le directeur général des Messageries en est alors Guy Lapeyre, né à Paris mais ayant des attaches familiales à Salers (Cantal). Après le sabordage de La Montagne, la Kommandantur allemande veut en réquisitionner les locaux. Guy Lapeyre aide Francisque Fabre à monter un stratagème pour empêcher cette occupation. Quand La Montagne reparaît, en septembre 1944, des camionnettes des Messageries Hachette acheminent les journaux chez les dépositaires. Paul Simons connaît donc le journal et le fonctionnement de la distribution de masse dans la presse. Il est engagé à La Montagne, le 16 juillet 1945, pour structurer les ventes. L augmentation du tirage et le succès du journal ( exemplaires en janvier 1945, en décembre) réclament davantage de rigueur. Monsieur Bonjean, mais tout ce que vous voudrez? répondent-ils unanimement. Il laisse chaque banquier proposer. Je crois que vous ne m avez pas compris, répond le malicieux de Chabreloche. C est moi qui vous propose de vous prêter de l argent. Les bruits malveillants ont été vite dissipés. Il a pu solliciter un petit emprunt, construire les bâtiments et installer les nouvelles rotatives. Le compagnonnage en agence, qui a constitué le mode de formation des journalistes et des cadres-ossatures du journal, l a ainsi préparé à être un pilier du groupe Centre France. Mais malgré les postes gravis comme autant de marches d escalier menant, en 1982, avec Jean- Pierre Caillard, au palier de «directeur général» du groupe Centre France, René Bonjean est resté d une grande simplicité apprise dans la montagne thiernoise. Il est direct, ne mâche pas ses mots tout en adorant savourer une bonne fricassée ou une spécialité de la région qu il l accueille ou qui l a adopté. Ce goût de la convivialité et de l amitié est si tenace dans la mémoire de celui qui l a côtoyé qu il éclaire encore d un sourire ou d une larme l évocation de René Bonjean. Paul Simons, discret Paul Simons seconde Francisque Fabre, d abord comme attaché de direction, puis comme directeur général adjoint. En 1982, il lui succède à la direction générale du journal La Montagne et du groupe Centre France. Son mandat ne dure que deux ans, jusqu à son départ à la retraite, en 1984, date à laquelle il est nommé vice-président du conseil d administration. Il est aussi un des premiers administrateurs de la Fondation Alexandre et Marguerite Varenne pour la presse et la communication. Paul Simons est décédé le 10 janvier 2002, dans sa 83 e année. GRANDS MONTAGNARDS 90 91

47 GRANDS MONTAGNARDS Et c est ainsi que Vialatte est devenu grand Alexandre Vialatte publie une première chronique dans La Montagne le 9 décembre D autres suivront, sur un rythme hebdomadaire, d abord le mardi, puis le dimanche, jusqu au 25 avril 1971, quelques jours avant sa mort, le 3 mai. Soit 900 textes en presque vingt ans. Une œuvre! Les connaisseurs ne s y sont pas trompés, qui très vite en ont vanté les qualités, l esprit et l humour, les souplesses d écriture. Les grincheux non plus ne les ont pas ratées, pour abreuver le journal de lettres courroucées et demander la tête de ce pitre qui osait ainsi se moquer d eux. En 1952, Alexandre Vialatte n est guère connu. Bien que salué par Malraux à sa parution en 1928, Battling le ténébreux connaît un succès de courte durée. Après guerre, Le Fidèle Berger passe quasi inaperçu, comme la plupart de ses écrits. Comble de malheur, en 1951, il rate le Goncourt face à Julien Gracq qui refuse le prix. On négligea Les Fruits du Congo qui, pourtant, avait ses partisans face au Rivage des Syrthes. Dans le brouhaha du scandale, Vialatte subit le triste sort des seconds. Il revint à ses projets, la plupart resteront en l état : La Dame du Job, La Maison du joueur de flûte, etc. Il fallut donc que La Montagne lui ouvre ses colonnes pour qu il s exprime et s impose. Peaufine ce style qui lui était naturel, organise dans ses phrases les rencontres les plus étranges entre le savant et l incongru, le souvenir et l actualité, l enfance et la gravité. Profitant pleinement de la liberté qui lui est offerte, il invente des cocasseries sur le temps et l Homme, fait l éloge de Dubuffet, son ami, quand tout le monde le hait, ou de Fellini à ses débuts, de Chaval, de Kaepplin et tant d autres. Car, il ne faut pas l oublier, Vialatte est alors parisien et, depuis longtemps, très introduit dans les milieux artistiques de la capitale. C est de là-haut qu il adresse ses missives, ce qui lui permet encore d imaginer une Auvergne de légende, celle dont il dira qu elle est «plus un secret qu une province». Cette Auvergne où il a peu vécu. Quelques années pendant la guerre, sombres et solitaires ; d autres à l adolescence qui furent radieuses, le temps des découvertes et de l amitié dont il fera un inépuisable gisement. En 1971, Alexandre Vialatte, un auteur «notoirement méconnu», quitte ce monde en laissant derrière lui une cohorte d admirateurs. Des fidèles, au premier rang desquels Ferny Besson, qui n auront de cesse d exhumer son œuvre, de la faire lire. C est désormais chose faite et Vialatte est à sa place, celle d un auteur. Daniel Pouzadoux : «Faire rayonner la fondation» Président de la Fondation Varenne depuis décembre 2005, après en avoir été administrateur depuis l origine, Daniel Pouzadoux met au service de la Fondation ses compétences en matière de journalisme et de coopération internationale, ainsi que son carnet d adresses. Vous n êtes pas un inconnu pour des anciens du journal La Montagne? En effet, je suis arrivé en 1968 et j en suis parti en J ai débuté à la rédaction locale de La Montagne à Clermont-Ferrand. Après une phase reportages à la locale, Francisque Fabre et Pierrot Tounzé m ont notamment affecté à la mise en page. J étais assis à côté de Jean-Pierre Caillard, que je connaissais depuis le lycée, et avec lequel nous montions les éditions Thiers-Ambert, Issoire, Riom et Haute-Loire. Comme je préparais mon DESS d économie politique, j ai proposé à La Montagne, qui l a acceptée, d assurer une page économique. Je crois être l initiateur de la rubrique hebdomadaire économique de La Montagne, confiée ensuite à mon excellent ami scout et de lycée Bernard Teyssier. J ai démissionné pour entrer à la Caisse centrale de coopération économique (devenue ensuite l Agence française de développement), qui s occupait du financement de l aide publique de codéveloppement de la France à l Afrique et aux Départements et territoires d outremer. Quel est votre rôle à la Fondation Varenne? J ai la charge de faire vivre la fondation, d en gérer avec Philippe Page, chargé de mission les activités, tant celles déployées par mes Paraissant discrète au sein de La Montagne, dont elle est un des principaux actionnaires, la Fondation Varenne étoffe ses activités depuis l aide aux journalistes, la presse à l école, la publication de thèses de doctorat jusqu au soutien de projets internationaux. Daniel Pouzadoux, son président, en donne les clés. Daniel Pouzadoux devant le 45, rue du Clos-Four, à Clermont-Ferrand, siège de la Fondation Alexandre et Marguerite Varenne pour la presse et la communication, l intitulé complet. prédécesseurs, M e Henry Meyzonnade et Paul Saigne, et celles que j ai initiées moimême, tout cela dans le respect des statuts. Nous intervenons sur quatre grands axes : les prix des journalistes, les prix de thèses, la presse à l école et les relations internationales. [Voir aux pages 95 et 96.] Pouvez-vous expliquer les imbrications de la fondation avec le journal? Une de nos missions est de développer tout ce qui peut concourir à accroître la synergie entre la fondation et le groupe La Montagne Centre France. Nous n oublions pas que nous sommes actionnaires de référence du groupe La Montagne, mais que nous devons aussi tout au groupe. Chaque fois que nous voyons des possibilités de réaliser des opérations communes, de nous appuyer l un sur l autre, nous le faisons. Ce magazine Varenne pour les 90 ans de La Montagne en est un exemple, tout comme les manifestations H2O ou encore les contacts que nous avons apportés pour réaliser la page européenne durant la présidence française, au travers du témoignage d Européens et d activités de l Europe dans la région. Quelle stratégie avezvous pour l international? Sur la presse à l école, la fondation a opéré par strate, du local au national. Quand je suis arrivé, le conseil d administration m a dit que ce ne serait pas une mauvaise idée d avoir une vocation internationale. Mais la fondation obéit à une règle qu elle applique sans faiblir : elle essaye de ne jamais agir seule. Nous sommes d autant plus intelligents que nous sommes plus nombreux dans ce genre d affaires. Par exemple? À partir de l exposition itinérante Inventomobile, créée par la Cité des sciences et de l Industrie avec laquelle nous sommes en par- Daniel Pouzadoux Origines. Trois quarts auvergnat, un quart polonais. Né le 1 er mars 1946 à Chamalières (Puyde-Dôme). Métiers. Journaliste, de mai 1968 à avril Retraité de l Agence française de développement. Président de la Fondation Varenne depuis décembre Passions. Chant grégorien ; liturgie slavonne ; philosophie ; romans policiers historiques. Fan de Salut les Copains (l émission et le magazine). Bon marcheur. Signe particulier. Amitié quarantenaire et indéfectible pour Jean- Pierre Caillard. Souvenir inoubliable. Alors qu il était en poste à Papeete (Tahiti), il a été invité par Marlon Brando sur son atoll de Tetiaroa. UNE FONDATION TRÈS ACTIVE EN HÉRITAGE

48 UNE FONDATION TRÈS ACTIVE EN HÉRITAGE tenariat sur la thématique de l eau, nous essayons de montrer aux enfants et à leurs parents, grâce à des éducateurs formés par la Cité des sciences, quelles sont toutes les conséquences de l eau, sa rareté, son utilisation rationnelle, etc. «Un DVD pour vous, un pour nous» La Fondation Varenne a acheté à la Cité des sciences des expo-dossiers (des DVD extrêmement chers) sur des thèmes tels que les volcans, la maladie d Alzheimer, le suicide des jeunes, l Afrique s éveillera, le cannabis, les produits dopants. L expo est résumé dans le DVD et, dans n importe quel endroit, on peut déployer une exposition, en fonction de ses moyens. On y trouve des affiches et des tracts préformatés, des dossiers de presse, des quiz, des reportages, des interviews. À partir de là, nous favorisons des partenariats entre des établissements scolaires français et des pays en voie de développement. Et cette démarche est suivie? En Auvergne, en Bretagne, au Pays basque, et dans le Sud de la France, nous remettons un DVD, dont le thème est choisi par les élèves et sur lequel ils vont travailler avec Daniel Pouzadoux au bureau de la Fondation. Derrière, un portrait d Alexandre Varenne peint à Hanoï par Victor Tardieu en juin Photo Frédéric Marquet. un établissement à l étranger. Un DVD pour eux, pour qu ils remuent leur commune, leurs camarades, et l autre DVD à l école dont ils sont correspondants, remis souvent au cours d un voyage organisé pour que, sur place, les écoles puissent travailler avec ce DVD, avec l aide éventuelle des agences françaises ou des services culturels de l ambassade de France. Mais cela nécessite des moyens énormes. La Fondation n intervient jamais pour des gros montants. Nous essayons de maximiser l effet de levier de nos ressources. Chaque fois que nous mettons un euro sur la table, nous essayons de faire en sorte qu il y ait 8 ou 10 euros au final. Lorsque nous avons participé à la formation de journalistes Web, avec l École supérieure de journalisme de Lille, à Rue89, nous sommes intervenus avec sept ou huit autres partenaires. Avec 10 ou versés, nous avons participé à une opération de D autre part, nous essayons de mettre nos relations à la disposition de ceux qui en ont besoin. C est le networking dans le bon sens du terme. En fait, nous pouvons être très actifs en étant attentifs au budget. C est plus une question de perception des besoins qu une question d argent. Partenaire du Prix Bayeux «Nous sommes partenaires du Prix Bayeux des correspondants de guerre, rappelle Daniel Pouzadoux. Durant une semaine, la ville de Bayeux est dévolue aux productions des correspondants de guerre, de toutes les misères du monde durant l année (guerres, famines, pays sous la botte d une tyrannie, victimes de tsunamis et autres cataclysmes...). Nous assurons la présence du groupe La Montagne Centre France dans ce monde de la presse internationale (CNN, BBC, les grandes radios et télévisions du monde). Nous accordons un prix au journaliste dont le reportage a été reconnu par l ensemble des lycéens de l Académie de Caen.» Nous ne sortons jamais indemnes de ce Prix Bayeux, avec des images horribles, émouvantes, douloureuses. Nous avons été étonnés de l exigence des lycéens dans leur choix. Ils ne se voilent pas la face. Nous sommes très fiers d avoir pu, grâce à cela, couronner des journalistes qui ont mouillé la chemise et qui ont été reconnus par les jeunes. Cela porte la marque de l ouverture d esprit sur le monde que prônait Alexandre Varenne.» Coups de pouce aux journalistes Plus de 500 journalistes ont été, depuis le début, déclarés lauréats des concours organisés par la Fondation Varenne pour soutenir l écriture, le reportage, bref, la qualité journalistique, qu elle soit écrite, parlée ou télévisée. «Les prix du journalisme de la Fondation Varenne sont attribués, explique Daniel Pouzadoux, aux membres de la profession, jeunes et confirmés (presse quotidienne régionale, presse hebdomadaire, JRI (journalistes reporters d images), radio, écoles de journalisme et jeunes journalistes.» Le jury comprend des personnalités du monde de la presse. Nous avons des représentants d à peu près tous les médias, nationaux, télévisuels, radios, journaux, et régionaux (Syndicat de la presse quotidienne régionale, Fédération de la presse). La Fondation est reconnue pour avoir couronné des journalistes dont certains occupent des postes visibles dans le monde audiovisuel. Lorsque les reportages sont excellents, les journalistes sont remarqués. De plus, lors des remises de prix, les lauréats côtoient des patrons de presse invités.» Philippe Page fait remarquer que, pour le prix JRI, «quand les entreprises ont besoin d une sélection, au lieu d avoir à choisir parmi une centaine de candidats, ils peuvent recruter grâce au concours. Et cela, les journalistes le savent : chaque année, entre 80 et 100 participations au concours sont enregistrées.» «En tant que président de la Fondation Varenne, je suis administrateur de l École de journalisme de Lille, rappelle Daniel Pouzadoux. Nous entretenons des relations étroites avec les grandes écoles de journalisme françaises avec lesquelles, à un moment ou un autre de la vie de la Fondation, nous avons eu des relations partenariales, en France ou à l étranger.» Les statuts de la fondation prévoient également d apporter une aide matérielle à ces écoles (appareils photos, bancs de montage, etc.). Une Rachida El Azouzi est la lauréate du Concours 2008 de journalistes, organisé par la Fondation Varenne. Photo Michel Wasielewski. salle de l ESJ de Montpellier porte le nom d Alexandre Varenne. Daniel Pouzadoux et Philippe Page rendent visite régulièrement aux écoles de journalisme pour parler de la fondation, des titres du groupe Centre France et pour leur signaler qu ils prennent des stagiaires. Des thèses de doctorat publiées UNE FONDATION TRÈS ACTIVE EN HÉRITAGE Philippe Page, actif chargé de mission Issu du service promotion de La Montagne, Philippe Page est chargé de mission de la Fondation Varenne. Avec Daniel Pouzadoux, ils forment un binôme efficace. La fondation est reconnue et respectée dans de nombreux domaines, sur les traces du fondateur de La Montagne. Philippe Page rappelle que le nom d Alexandre Varenne a été donné à une salle de l ESJ de Montpellier ; à un centre de recherches de la faculté de droit de Clermont- Ferrand ; au collège d Olliergues (exemple d ouverture au monde à travers les médias et d insertion de jeunes de banlieues, encadrés pour se restructurer) et à la médiathèque de Puy-Guillaume. Il insiste sur l aspect social Philippe Page, chargé de mission de la Fondation Varenne. de la fondation. «Elle aide les étudiants journalistes en difficulté. Nous réglons une dizaine de cas par an et, généralement, nous prenons en charge une, voire deux années d études. Les directions des écoles attirent notre attention sur des cas.» Philippe Page gère la totalité des dossiers de la Fondation, assume l ensemble des tâches administratives (téléphone, courrier), met en place les missions, les actions, qui lui sont confiées par le président ou par le conseil d administration. Il parcourt environ km par an. Lorsqu un(e) stagiaire vient en aide, il (ou elle) a pour tâche une mission complète à mener à bien, enrichissante pour son CV. «Avec Jean-Pierre Massias, l ancien doyen de la faculté de droit de Clermont- Ferrand, se souvient Daniel Pouzadoux, nous avons eu une démarche visant à ne plus être seulement dans l immédiateté, mais aussi dans la réflexion, comme le faisait Alexandre Varenne. Il se documentait. Nous avons cherché un moyen de favoriser le travail des personnes qui réfléchissent. Nous avons ainsi créé le Prix de thèse, qui récompense des docteurs qui publient une thèse sur une thématique qui relève, de près ou de loin, des réflexions d Alexandre Varenne.» Ce concours organisé à l échelon national depuis trois ans vise à financer la publication des thèses. Une collection a été créée, distribuée par LGDJ, librairie spécialisée en France. Cette collection comporte, à ce jour, 25 ouvrages. La collection de thèses éditées par la librairie LGDJ s étoffe d année en année. Le premier prix a été remis par Jean-Louis Debré et le dernier par Jacques Barrot. Les ouvrages sont vendus et cela procure des ressources à la Fondation. «Grâce à cette collection, poursuit Daniel Pouzadoux, nous avons constitué un vivier de professeurs de droit, de doyens, de chercheurs, d étudiants, dans toute la France. La plupart de nos lauréats sont reconnus après avoir reçu ce prix. L un d eux a reçu ensuite le prix de thèse de l Académie française. «Nous ne donnons pas de chèque, précise Philippe Page. Pour un docteur, c est important de publier sa thèse. Il n en a pas forcément les moyens. Cela coûte » Et ça marche. «On nous demande des retirages, cinq à ce jour, reprend le président de la Fondation Varenne. Nous sommes désormais ancrés dans le paysage universitaire et juridique français.» Qui peut participer? Le concours s adresse à tous les docteurs en droit, sciences politiques, lettres ou histoire, sciences de l information et de la communication ayant soutenu leur thèse depuis deux ans maximum avant la date de lancement du concours annuel

49 UNE FONDATION TRÈS ACTIVE EN HÉRITAGE La presse s apprend à l école Comment faire en sorte que les jeunes lisent le journal, s intègrent dans un monde en perpétuel mouvement, aient une attitude responsable vis-à-vis de la presse? La Fondation Varenne participe activement aux opérations de la Presse à l école, mais aussi à des projets internationaux liés à la presse et à la communication. Quels sont les objectifs de la Fondation Varenne vis-àvis de la jeunesse? «Tout ce qui permet aux jeunes d appréhender le monde de la presse et de se former, vis-àvis de l information, d avoir une attitude responsable, détaille Daniel Pouzadoux. Nous essayons de leur montrer, grâce aux professeurs, aux éducateurs, comment on fait un journal et, avec cela, de réfléchir sur l information, sur sa hiérarchisation, sur sa vérification et sur le recul par rapport aux faits. Nous sommes très attentifs à ce que soient véhiculés ces éléments-là.» Au travers des concours académiques «Presse à l école», journaux scolaires, concours de maquettes de Unes, etc., leurs éducateurs et parfois aussi des intervenants de La Montagne* leur apprennent à synthétiser, à ne pas dépasser tant, à réfléchir à ce qui est écrit, à ce qui est essentiel. «Les éducateurs nous disent que c est extrêmement formateur, poursuit le président de la fondation. Cet exercice est très exigeant et les élèves en gardent un enseignement. Depuis 20 ans qu existe la fondation, nous avons eu des centaines de journaux scolaires, des centaines de maquettes de Unes.» Ce concours annuel a été organisé d abord au niveau de l Auvergne, puis du journal, puis par académie et enfin à l échelon national. (*) Coordonnés par Jean-Marie Blanc, Daniel Ruiz et, à présent, Rémi Bouquet des Chaux, délégués successifs de l Arpej. La fondation ouverte sur le monde La Fondation Varenne noue des partenariats avec des structures qui interviennent à l international. «C est le cas d un partenariat que nous avons signé, explique Daniel Pouzadoux, avec le ministère des Affaires étrangères et l Organisation internationale de la francophonie (OIF). Nous engageons des opérations avec des ONG relayées par les ambassades de France, avec des associations qui ont vocation à intervenir à l étranger, ou des écoles de journalisme dans le cadre de leurs opérations à l étranger.» Ainsi, la Fondation Varenne a participé à la re-création de l École supérieure de journalisme au Kosovo, avec l ESJ de Lille et le Conseil régional d Auvergne ; ou Organisé par la Fondation Varenne, le concours des maquettes de Unes mobilise et réunit, chaque année (ici, lors de la remise des prix, le 13 juin 2008), de nombreuses classes de toute l académie de Clermont-Ferrand. Cette activité apprend aux élèves à synthétiser et organiser l information. Photo Richard Brunel. Opération H2O, soutien au site Internet Afrik.com, partenariat avec l Imfa (International médias formateurs associés), etc. La Fondation Varenne participe activement à des projets internationaux, mais jamais seule. Photo Fondation Varenne. encore à des activités de formation de cadres de presse, de graphistes de presse pour l Afrique de l Ouest, au Niger ; à des formations de journalistes, notamment de journaux télévisés, à Rabat (Maroc) ; à une opération d appui à la profession avec une ONG qui travaille au Mali (commercialisation des journaux, routage, régie publicitaire)... Grâce aux contacts avec le collège de professeurs de droit, à l OIF et à Reporters sans frontières, un ouvrage sur la dépénalisation des délits de presse a été rédigé. La Fondation est aidée dans ses démarches par le réseau des journalistes de l Arpej (Association Régions Presse Enseignement Jeunesse) et par l Éducation nationale, pour ne citer qu elles. D où est venue cette idée? De mon métier. En dirigeant Marie-Claire, je vois passer des reportages très durs sur la condition des femmes dans le monde, sur les crimes d honneur, les mutilations et l esclavage sexuel... Ces horreurs ont un dénominateur commun : les femmes n ont pas assez accès au savoir. J avais envie de faire une école pour les petites filles. Pourquoi elles? De tous les enfants scolarisés dans le monde, il n y a qu un tiers de petites filles, qui sont donc plus vulnérables. Si elles vont à l école, ces horreurs et ces barbaries cesseront un jour, parce qu elles transmettront leur savoir. Elles sauront se défendre et, en plus, éduquer leurs enfants en les sortant de l obscurantisme, etc. Le levier pour aider les pays émergents, c est d éduquer les femmes. Tâche très vaste. Vous avez dû commencer par un pays? Effectivement. C est une très grande responsabilité vis-à-vis des petites filles. Nous changeons leur vie. Il ne faut pas les abandonner au milieu du gué, mais les suivre jusqu à ce qu elles aient un métier. On a débuté par un pays et par une école. Pourquoi le Cambodge? Les petites filles y sont particulièrement vulnérables. De plus, ce pays a besoin de se reconstruire au niveau des métiers de responsabilités intellectuelles ; il a été décimé par les Khmers rouges. Les intellectuels ont été massacrés. Le Cambodge a un déficit en professeurs, en médecins, en ingénieurs. On y souffre de faim. Notre ambition est l alphabétisation. Nous voulons accompagner celles qui pourront vers un métier de prof, d ingénieur, etc. pour reconstruire «l élite» intellectuelle au Cambodge. Toutes ne pourront pas? Qu elles soient douées ou qu elles arrivent à suivre sans forcément faire de grandes études, nous nous engageons à les accompagner jusqu à ce «Toutes à l école» avec Tina Kieffer La Fondation Varenne a été séduite par le projet de «Toutes à l école», association humanitaire loi 1901 à but non lucratif fondée et présidée par la journaliste Tina Kieffer, qui permet à des petites Cambodgiennes d accéder à l éducation, à «Happy Chandara», près de Phnom Penh. Tina Kieffer explique. Tina Kieffer au milieu des élèves de l école pilote «Happy Chandara», dans la région de Prek Tmey, à 13 km de Phnom Penh (Cambodge). Photo Stéphane Remael. qu elles aient un métier, par une formation professionnelle ou universitaire, type BTS. Les parents acceptent-ils que leur fille soit scolarisée? Oui. On leur donne des sacs de riz pour compenser le manque à gagner de la petite qui allait travailler aux champs. Sinon, cela déstabiliserait l économie de la famille. Combien d élèves avez-vous? Actuellement 307. Et une promotion de 100 de plus à la rentrée prochaine. Le chef du village, qui connaît bien les familles depuis trente ans, nous aide pour les inscriptions. Il s agit de scolariser les plus vulnérables. Elles ont trois heures de langue khmère par jour, avec des professeurs khmers. Elles ont des cours d anglais, d informatique, de dessin et, la troisième année, initiation au français. Elles apprennent les arts traditionnels. Comment continuerez-vous à les suivre? Du secondaire à la terminale, à «Happy Chandara». Dans deux ou trois ans, nous allons construire un collège. Le projet s étoffe? C est sûr. Avec cent nouvelles petites filles chaque année, cela fera un millier d élèves. D ici un an ou deux, nous aurons un internat. Ce sera beaucoup plus lourd au niveau financier. Et pour l université? Par des bourses. Phnom Penh a une fac de médecine, une bonne école d ingénieurs. Les universités de Singapour et de Bangkok ne sont pas loin. Les petites filles ont des cours de valeurs, sur la tolérance, la générosité. Ces valeurs ont explosé au Cambodge, dans la survie immédiate. Il ne s agit pas qu une fois archi diplômées, elles s expatrient. A priori, elles vont rester sur l Asie. On fait en sorte qu elles aiment leur pays. Nous avons envie qu elles sortent la tête pleine, mais pas avec le cœur sec. Cela nécessite des moyens. Des entreprises ou des institutions, comme la Fondation Varenne, nous aident. Certaines parrainent une classe ( par an, avec des déductions fiscales). Individuellement, on peut parrainer une petite fille avec 30 par mois. Tous les trimestres, nous donnons des nouvelles de la petite fille avec le bulletin scolaire. En dehors des dons pécuniaires, de quoi «Toutes à l école» a besoin? De matériel, acheminé aux frais du donateur. Des entreprises peuvent également nous faire livrer du matériel. «Toutes à l école» 9, rue Cail Paris Tél Site Internet : Mail : toutesalecole@yahoo.fr UNE FONDATION TRÈS ACTIVE EN HÉRITAGE 96 97

50 UNE FONDATION TRÈS ACTIVE EN HÉRITAGE GRAND TÉMOIN Premier lauréat du prix Alexandre Varenne pour la presse quotidienne régionale, en 1989, Denis Trossero*, 45 ans, du quotidien La Provence, poursuit une carrière de faitdiversier, de chroniqueur judiciaire et d auteur. Qu est-ce que le prix Varenne a changé pour vous, jeune journaliste en 1989? J ai eu ma carte de presse en «Voyage au centre des Baumettes», qui a été primé, était une enquête de deux pages sur l intérieur de la maison d arrêt de Marseille. J avais essayé de décrypter ses silences, ses bruits, ses chuchotements, tous les non-dits. Mon regard était sûrement un peu ingénu. J avais pris l angle psychologique de la prison et essayé d en donner les codes. La reconnaissance de la profession a été un encouragement un déclic même à persévérer dans l esprit de ce reportage. Mes études de droit ne m avaient pas spécialement marqué, mais le concret des faits divers et de la chronique judiciaire me passionne. En se confrontant au droit tous les jours, on arrive à en cerner toutes les nuances. Avec cette expérience acquise sur le terrain, il m arrive de comprendre des aspects que des avocats non spécialisés ne connaissent pas. Le droit est évolutif, on apprend tous les jours. Vous relatez des faits divers, c est donc logiquement que vous en assurez ensuite la chronique judiciaire? Au départ, nous disposons de peu de sources, par exemple celle du policier sur le terrain. À l audience, cela devient plus contradictoire. La justice et le monde judiciaire sont une belle école du contradictoire mais aussi du journalisme, car cela permet d écouter l ensemble des opinions. Pour autant, la vérité judiciaire n est pas toujours la vérité, difficile à atteindre. Comment est venue votre vocation? À neuf ans, j avais affirmé dans un devoir de rédaction vouloir être journaliste pour une quête de vérité. Mon instituteur a retrouvé le cahier et l a placé dans la boîte aux lettres de mes parents, une fois que je suis devenu journaliste. En 20 ans d expérience, avez-vous constaté de profonds changements du métier de faitdiversier? Avec la médiatisation des affaires et les lois de protection de l individu, le journaliste doit mesurer ce qu il écrit pour éviter les demandes de droit de réponse ou les procès en diffamation. Nous devons être plus vigilants.... et de chroniqueur judiciaire? Denis Trossero Denis Trossero : «Pour être journaliste, il faut douter, tout le temps, et soigner son écriture.» Le pionnier a été Frédéric Pottecher. Les chroniqueurs judiciaires forment un petit groupe qui se retrouve dans les grands procès. Les émissions sur les grands procès passionnent un large public. Quels conseils donneriezvous à un jeune voulant devenir journaliste? Il faut douter, tout le temps. C est un métier de doute permanent. Cela nous protège contre les certitudes. Ensuite soigner son écriture et en avoir le goût. Faut-il une spécialisation? Oui. Il vaut mieux en avoir une petite. Un journaliste qui dirait : «Un procureur a mis Photo Édouard Coulot / La Provence en examen M. X» ne serait pas crédible. Il faut un minimum de connaissances. Et comment arrivez-vous à conjuguer ce métier avec l art de vivre? Je dirai à un journaliste qui commence que s il n a pas la foi, il est préférable qu il fasse un autre métier. Un rédacteur en chef disait : «Journaliste, ce n est pas un métier, mais un état». Une source m a appelé récemment vers 22 h Vous ne lui avez pas dit que vous aviez éteint votre ordinateur? J ai donné l info car j avais peur que cela sorte ailleurs. C est vrai que les relations de la famille en pâtissent. Il faut que l entourage accepte de vivre avec un journaliste. (*) Denis Trossero est chef du service «justice-police» au quotidien La Provence, à Marseille. Denis Trossero Racines. Naissance à Marseille le 8 février Italien (du Piémont) «par mon arrière grand-père, le plus beau pays du monde, qui sait conjuguer art de vivre et travail». Journaliste. Depuis janvier 1988 (Le Méridional, puis La Provence à partir de 1997). Passions. Lecture, écriture, tennis de table. Bibliographie. Peut-on rire de tout? (Ed. Favre) ; Les meilleures perles de la justice (Ed. Michel Lafon), Tout foot (Ed. Michel Lafon) et Procureur de la République : la vérité et quelques ouvrages collectifs avec des confrères, dont 25 ans à Marseille par 25 journalistes (Ed. du Club de la Presse). La Fondation Varenne pour la Presse et la Communication Une exigence morale et éthique L influence et la forte implication d Alexandre VARENNE, dans le monde de la Presse, son combat permanent pour la tolérance, la démocratie, la justice sociale et les droits de l Homme, sont toujours au cœur des exigences de ceux qui, autour de son épouse, ont participé à la création et au fonctionnement de la Fondation Alexandre et Marguerite VARENNE pour la Presse et la Communication, reconnue d utilité publique. Au nombre des actions de la Fondation, deux axes s inscrivent dans les préoccupations actuelles : - Promouvoir la communication pour favoriser l émergence et l échange des idées, des connaissances, des avancées culturelles et intellectuelles - Contribuer à la formation de la jeunesse aux métiers et aux disciplines de la communication. Promouvoir Encourager Former PRIX AUX JOURNALISTES Les journalistes de la PQR, PHR, Radio, JRI et jeunes journalistes sont récompensés par des jurys composés de grands noms de la profession. Depuis 2008, un prix est attribué à des journalistes scientifiques. Les prix de thèses de droit seront complétés dès 2009 par un prix de droit européen. L ÉDUCATION AUX MÉDIAS La Fondation participe au développement du site de l ARPEJ «pressealecole.fr». Elle contribue à la réalisation d un DVD sur la PQR. Elle organise des nombreux concours de maquettes de «Une», de journaux scolaires, etc. ACTIONS AVEC LE GROUPE CENTRE-FRANCE Réalisation d un magazine sur Alexandre VARENNE, qui complétera la biographie écrite par Jean-Pierre CAILLARD et d un DVD institutionnel. Appui aux manifestations organisées ou soutenues par La Montagne : «eau vergne eau monde» dans le cadre d un partenariat avec la Cité des sciences, etc. ACTIVITÉS INTERNATIONALES La Fondation participe avec différentes écoles de journalisme, des ONG professionnelles, le ministère des Affaires étrangères à la formation de journalistes étrangers, appuie des écoles de journalismes, concourt à la structuration de la profession notamment en Afrique. Elle est active dans le projet H2O, parrainée par Audrey PULVAR et de nombreuses personnalités nationales et internationales qui vise à familiariser les populations africaines et auvergnates aux thématiques de l eau (hygiène et santé, agriculture, énergie renouvelable, etc.). La Fondation aide à la réalisation de journaux scolaires sur cette thématique en Auvergne et en Afrique, ainsi qu à la réalisation de sites web informatifs dans des écoles en Afrique en collaboration avec RFI et les services culturels des Ambassades de France. Siège Social : 78, avenue Raymond Poincaré Paris Tél. : +33 (0) Fax : +33 (0) Administration : 45, rue du Clos Four Clermont-Ferrand Cedex 02 Tél. : +33 (0) Fax : +33 (0) Fondation reconnue d utilité publique Studio FDC

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