Par. _Yvan Allaire, président exécutif du conseil. _Michel Nadeau, directeur général, Institut sur la



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Transcription:

Mémoire de l Institut sur la gouvernance (IGOPP) Projet de loi n 10, Loi modifiant l organisation et la gouvernance du réseau de la santé et des services sociaux notamment par l abolition des agences régionales _ Commission de la santé et des services sociaux Par _Yvan Allaire, président exécutif du conseil d administration, Institut sur la gouvernance (IGOPP) _Michel Nadeau, directeur général, Institut sur la gouvernance (IGOPP) _Gaston Bédard, président du Groupe de travail sur la gouvernance des établissements de santé et des services sociaux de l IGOPP 29 octobre 2014 1

TABLE DES MATIÈRES AVANT-PROPOS 3 I. «Une gouvernance transformée pour le système de santé québécois» :.4 1. La forme et la nature des relations entre les CISSS et les entités fusionnées d'une région: la mise en place d'une gouvernance stratégique 6 2. Autonomie versus centralisation : un paradoxe... 9 3. La composition des conseils d administration des CISSS... 11 4. Autres suggestions... 13 5. Conclusion... 13 6. À propos de l IGOPP... 14 - Conseil d'administration..15 - Prises de positions 16 2

AVANT-PROPOS Le 9 octobre 2014, la Commission de Commission de la santé et des services sociaux a invité le président exécutif de l Institut sur la gouvernance (IGOPP), le professeur Yvan Allaire, à participer à une consultation publique sur le projet de loi n 10, Loi modifiant l organisation et la gouvernance du réseau de la santé et des services sociaux notamment par l abolition des agences régionales. L IGOPP souhaite remercier la Commission pour cette invitation à transmettre ses observations et commentaires sur ce projet de loi. 3

I. «UNE GOUVERNANCE TRANSFORMÉE POUR LE SYSTÈME DE SANTÉ QUÉBÉCOIS» : MÉMOIRE DE L IGOPP SUR LE PROJET DE LOI 10 1 Le modèle de gouvernance actuel, mis en place par la loi de 2011, n a pas donné les résultats attendus. Des changements mineurs ne suffiront pas. Une gouvernance plus vigoureuse, imputable et responsable dans l ensemble du réseau devient un préalable à la transformation de notre système de santé de façon à le rendre plus efficace et économe et placer vraiment le patient au centre de sa mission et de son activité. Le projet de loi 10 propose donc une transformation radicale de l organisation et de la gouvernance du système de santé québécois. Cette transformation semble s appuyer sur quatre constats, que partage le Groupe de travail sur la santé de l IGOPP qui a rendu public son rapport le 17 septembre 2014 («Faire mieux autrement», www.igopp.org) : 1. Les Agences de santé ne jouent pas le rôle prévu de coordination et de rapprochement entre les établissements de services d une région mais sont devenues à l usage des filiales du Ministère de la santé et des services sociaux; 2. La multiplicité de conseils d administration, quelque 200, dans le système ainsi que les règles de gouvernance qui leur sont imposées mènent à une gouvernance bric-à-brac faite de responsabilité sans autonomie et de membres de conseil qui n ont pas une connaissance suffisante des enjeux du secteur pour gouverner efficacement; 3. Quel que soit le partage des responsabilités entre les différents niveaux, le ministre et le ministère sont soumis à la pression critique de l'opinion publique et des partis d opposition dès lors qu'un événement, voire un incident, survient dans l'un ou l'autre des établissements. Un problème local devient vite un enjeu incontournable pour le décideur politique. Pour l'opinion publique et les partis d opposition, «le ministre et son ministère répondent de tout, tout le temps, tout de suite» (IGOPP, Rapport du Groupe de travail sur la santé, septembre 2014). 1 Ce mémoire reprend certaines analyses et recommandations du rapport intitulé «Faire mieux autrement» par le Groupe de travail sur le système de santé québécois créé par l IGOPP (rendu public le 17 septembre 2014). 4

4. Un système de santé qui place le patient au cœur de son fonctionnement devra: - accorder suffisamment d autonomie aux entités responsables de la prestation de soins et services; - assurer une étroite coordination entre les diverses entités dans une même région; - s appuyer sur une abondante et opportune information clinique et financière disponible pour ceux qui en ont le plus besoin: les professionnels soignants et les professionnels gestionnaires. En conséquence, le Ministre, par le projet de loi 10, propose une série de changements de grande importance : 1. L abolition des 18 Agences de santé et de services sociaux et la création de 20 Centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS); les CISSS deviennent des centres opérationnels, des organismes d exploitation et de coordination et non pas des intermédiaires, des courroies de transmission bureaucratiques; les CISSS seront dotés de conseils d administration formés majoritairement de membres indépendants et, possiblement, rémunérés; 2. L abolition des conseils d'administration des hôpitaux et des autres établissements; le nombre de conseils d'administration dans le réseau passera de quelque 200 à une vingtaine; cette parcimonie de conseils permettra d en assurer une composition de gens crédibles, capables d affirmer leur autorité sur les gestionnaires d un CISSS; 3. La mise en place d un réseau de relations et de coordination entre les différentes entités d un CISS ainsi qu entre les dirigeants de ces entités et les dirigeants du CISSS d attache; le Groupe de travail de l IGOPP fait référence au concept de «gouvernance stratégique» (Allaire et Firsirotu, 1993, 2004) pour décrire l équilibre essentiel entre l autonomie des entités et leur imputabilité envers le CISSS. A ce sujet, il aurait été utile, nous semble-t-il, de maintenir le vocable de «établissement» pour toutes les entités qui sont en contact direct avec les patients et usagers et celui de «Centre» pour les CISSS. Ces propositions rejoignent dans l ensemble les recommandations du Groupe de travail sur la gouvernance du secteur de la santé qui fut mis sur pied par l IGOPP. 5

1. LA FORME ET LA NATURE DES RELATIONS ENTRE LES CISSS ET LES ENTITÉS FUSIONNÉES D UNE RÉGION : LA MISE EN PLACE D UNE GOUVERNANCE STRATÉGIQUE Le modèle de gestion proposé par le projet de loi 10 s apparente au système de gestion mis en place par toute entreprise privée devant orchestrer et contrôler les activités de multiples divisions réparties géographiquement. Ce modèle est bien rodé dans le secteur privé où il porte le nom de «gouvernance stratégique» ou «gouvernance interne». Toutefois, ce modèle de gestion est rare et méconnu dans le secteur public. Il faudra donc devenir clair et explicite quant à son fonctionnement et fournir aux dirigeants des CISSS la formation appropriée. Il faut bien noter et comprendre que c est en cela que le projet de loi 10 innove et tente de trancher les nœuds Gordiens qui ont paralysé le système de santé québécois. Dans ce modèle, le ministre et le ministère conservent le rôle de décideur ultime des priorités et des budgets, mais ne gère pas le système de santé. À la gouvernance institutionnelle effectuée par les conseils d administration des CISSS, vient se greffer une démarche de gouvernance stratégique sous la responsabilité des dirigeants des CISSS. Dans ce système les «divisions», soit les entités en contact direct avec les patients/usagers, (on devrait d ailleurs leur conserver le nom d «établissement») ne sont plus chapeautées par un conseil d administration. La direction d une «division» (entité) jouit d une autonomie réelle, mais enchâssée dans un système de gouvernance stratégique géré par la direction du CISSS. Les dirigeants de chaque CISSS devront mettre en place une démarche et un échéancier pour maintenir un dialogue continu entre la direction des entités et la direction du CISSS, pour s assurer de la qualité des services et soutenir la coordination entre les entités. Cette gouvernance stratégique comporte des échanges sur le plan stratégique, le budget et les objectifs de performance de chaque entité tant d un point de vue financier que de la qualité et promptitude des services. C est ainsi que le patient/usager devient au centre de toute cette organisation. L approbation éventuelle des plans et budgets relève de la direction du CISSS. Il est de la plus haute importance que les dirigeants des CISSS soient perçus comme hautement légitimes et crédibles par les dirigeants des entités. 6

La Figure 1 ci-après tente d esquisser les relations dans un nouveau système de gouvernance comme ce qui est proposé au projet de loi 10. FIGURE 1 : SYSTÈME DE SANTÉ ET GOUVERNANCE Un CISSS ne devrait pas employer plus de 30 à 50 personnes, dont des dirigeants et cadres de haut calibre. Ceux-ci sont responsables de répartir équitablement, dans le respect des enveloppes allouées par programme-service, les ressources humaines, matérielles et financières mises à sa disposition et de s assurer de leur utilisation économique et efficiente. (Article 25). Plusieurs aspects du fonctionnement du système actuel devront être modifiés pour réaliser cette transformation. Par exemple, les dirigeants des CISSS auront-ils l autorité pour nommer ou remplacer les directeurs généraux des entités de leur région? Auront-ils l autorité d établir leur rémunération? Ils devraient en être ainsi. 7

Budget et ressources-article 94 Dans le cadre d une gouvernance stratégique, les dirigeants des entités opérationnelles et les dirigeants des CISSS doivent tenir des discussions sur leurs budgets, leurs plans stratégiques, leurs objectifs opérationnels, les mesures de leur performance. Pour réaliser cette étape essentielle à toute la démarche, le ministère doit informer de trois à six mois avant le début d une année financière le montant des sommes et les ressources allouées à chaque CISSS ainsi que les orientations et priorités ministérielles. Or, le projet de loi 10, en son article 94, semble indiquer que cette information ne sera divulguée aux CISSS qu en début d une année financière. Il faut absolument mettre en place des mécanismes qui permettent aux entités opérationnelles de préparer et de soumettre leurs plans et budgets et en obtenir l approbation (avec ou sans modifications) en temps opportun pour élaborer et exécuter les plans d action qui en découlent. LES QUATRE PILIERS DE LA GOUVERNANCE STRATÉGIQUE Un système de gouvernance stratégique s appuie sur quatre piliers, comme le montre la Figure 2. D abord, il est essentiel que la crédibilité (amalgame de compétence, de fiabilité et d intégrité) des PDG et autres cadres supérieurs des CISSS soit irréprochable au vu et au su des dirigeants des entités opérationnelles. FIGURE 2 : LES QUATRE PILIERS DE LA GOUVERNANCE «STRATÉGIQUE» 8

Puis, le CISSS doit élaborer une démarche efficace de planification et de budgétisation qui devra servir à structurer le dialogue et le processus d approbation entre les unités opérationnelles et le CISSS. Troisième pilier : les dirigeants des entités opérationnelles et des CISSS ainsi que les membres des conseils d administration doivent compter et s appuyer sur une abondante et opportune information clinique et financière. Des pratiques reconnues de gestion telles les sondages de mobilisation du personnel et de satisfaction de la clientèle, la rétroaction auprès des groupes clés, la mesure des résultats en regard d'indicateurs moins nombreux, mais plus éloquents devraient faire partie de l information disponible aux dirigeants des entités opérationnelles et des CISSS ainsi qu aux membres des conseils d administration. Enfin, le système doit valoriser, reconnaitre, célébrer les bonnes performances réalisées en regard d objectifs de qualité du service et d efficacité administrative. La rémunération variable bien calibrée peut jouer un rôle utile à cet égard. 2. AUTONOMIE VERSUS CENTRALISATION : UN PARADOXE La transformation proposée comporte un mélange d autonomie pour les CISSS et de centralisation accrue de pouvoirs pour le Ministre et le ministère. Ce choix de centralisation ministérielle est la conséquence du jeu politique, de ses règles et ses coutumes. Dès qu une décision prise par un organisme quelconque de l État met le gouvernement dans l embarras, les partis d opposition sautent sur l occasion, et les médias aidant, le gouvernement est pressé d agir pour que le «scandale» s estompe au plus vite. Ce phénomène est-il incontournable? Est-ce une conséquence inévitable de notre système démocratique? Tant que l on répond oui à ces questions, une propension à la centralisation ministérielle s ensuit mais il faut en baliser l étendue. Nomination des PDG des CISSS Évidemment, un paradoxe s ensuit également : comment accorder une véritable autonomie à un conseil d administration de CISSS mais lui retirer toute autorité sur l embauche et le remplacement du PDG et du président-directeur-général adjoint ainsi que sur l établissement de leur rémunération. Ces rôles constituent la pierre d assise d une gouvernance efficace. [Nous sommes sceptiques toutefois quant à la nécessité de prévoir, dans la loi, la nomination d un président-directeur-général adjoint] 9

On peut comprendre que pour mettre en place de façon rapide et coordonnée une si vaste réforme alors que les conseils d administration des CISSS ne sont pas encore constitués, le ministre s attribue la responsabilité de nommer les premiers PDG des CISSS. Le projet de loi devrait refléter cette circonstance mais stipuler clairement que par la suite, les conseils d administration seront responsables de la nomination des PDG et PDG adjoints, de leur évaluation et de leur remplacement, s il y a lieu. La rémunération des PDG des CISSS En ce qui concerne leur rémunération, pourrait-on au moins adopter le libellé inscrit à la Loi sur la gouvernance des sociétés d État (article 11) : Le conseil d administration doit approuver, conformément à la loi, les politiques de ressources humaines ainsi que les normes et barèmes de rémunération, incluant une politique de rémunération variable, le cas échéant, et les autres conditions de travail des employés et des dirigeants nommés par la société, lorsque ceux-ci ne sont pas assujettis à la Loi sur la fonction publique. Or, en son article 31, le projet de loi 10 élimine toute possibilité de rémunération variable et comporte même des amendes pour quiconque contrevient à cette disposition. Établir des règles universelles pour prévenir un certain type d incident isolé dans le passé n aboutit que rarement à une gouvernance de qualité. La même motivation semble inspirer l article 33 du projet de loi. Cet article stipule que les PDG et le PDG adjoint doivent travailler exclusivement pour l établissement qui les emploie. Le conseil d administration doit, dès qu il constate une contravention à cette disposition en aviser le ministre. Mais [l]e PDG et le PDG adjoint...peuvent toutefois, avec le consentement du ministre, exercer des activités didactiques rémunérées et, auprès d un organisme sans but lucratif, des activités non rémunérées (Article 33, emphase ajoutée). Ce genre de disposition infantilise le conseil d administration. Autres exemples de centralisation inopportune À l article 130, le Ministre se voit également octroyer des pouvoirs qui ne semblent pas nécessaires pour mener à bien sa mission mais qui risquent de banaliser l autonomie dont devrait jouir les conseils des CISSS : Le projet de loi accorde de nouveaux pouvoirs au ministre à l égard des établissements régionaux et suprarégionaux, notamment le pouvoir de prescrire des règles relatives à la 10

structure organisationnelle de la direction! (Projet de loi 10, article 130; emphase ajoutée). La réforme proposée du système doit se fonder sur l attribution de plus d autonomie à des gens responsables. Un conseil d administration soigneusement constitué de personnes compétentes aurait certes la sagesse et le discernement pour prendre ce genre de décisions! À son article 59, alinéa 15, le projet de loi stipule que «le ministre doit développer des outils d information et de gestion pour les établissements et les adapter aux particularités de ceux-ci.» Des systèmes d information universels et centralisés doivent être mis en place, s ils ne le sont pas déjà, pour fins de comparaison et d évaluation de la performance financière et clinique du système de santé. Toutefois, les établissements devraient définir leurs besoins spécifiques d information et les systèmes qui leur sont nécessaires. Les excès de centralisation du projet de loi peuvent, et devraient, être corrigés. Sinon, toute la démarche encoure deux risques : 1) Les gens sérieux et compétents que l on souhaiterait nommer aux conseils des CISSS pourront être rebutés par une autonomie de fonctionnement trop circonscrite, trop assujettie à la bureaucratie du ministère, même pour des décisions qui devraient de toute évidence relever du conseil; 2) quelle que soit la capacité de travail du ministre, les autorisations, approbations, nominations, interventions qui lui incombent dans le projet de loi sont si nombreuses qu elles nécessiteraient que le ministre soit appuyé par un appareil bureaucratique encore plus considérable au ministère. 3. LA COMPOSITION DES CONSEILS D ADMINISTRATION DES CISSS Le projet de loi 10 comporte bon nombre de choix judicieux en ce qui concerne la composition et la nomination des membres des conseils, par exemple une représentation des parties prenantes, une nette majorité de membres indépendants, une démarche de nomination structurée pour identifier des candidats de qualité et imperméabiliser le processus autant que faire se peut à la partisannerie politique. Le projet de loi propose aussi en son article 11 des profils de compétence pour les membres indépendants. L intention est louable mais le projet de loi fait fausse route en attribuant un critère de compétence pour chaque administrateur. Ces profils de compétence et d expérience, une norme de la gouvernance 11

contemporaine, visent à rassembler au conseil des individus qui, collectivement, possèdent ces compétences recherchées. Il est inapproprié d associer une personne à une compétence. De plus, alors que les compétences identifiées aux alinéas 1 à 5 de l article 11 sont pertinentes et usuelles (vérification, risques, ressources humaines, gouvernance et éthique), il est difficile de comprendre à quelle compétence font référence les alinéas 6 (jeunesse) et 7 (services sociaux). Une représentation équilibrée d hommes et de femmes aux conseils des CISSS est un objectif incontournable que le ministre doit atteindre par ses nominations. Toutefois, d exiger, comme le fait l article 13, que «toutes les listes de noms fournies en vue d une nomination doivent être constituées en parts égales de femmes et d hommes» n est pas souhaitable et inutilement contraignant. Ce qui compte, c est que le ministre reçoive suffisamment de propositions de candidats et de candidates de haute compétence pour atteindre l objectif souhaité. Les membres des conseils des CISSS seraient nommés pour une période de trois ans mais on ne précise pas le nombre de renouvellements de mandats qui seraient permissibles. Nous suggérons que la loi limite à deux renouvellements (soit 9 ans) le terme maximal d un administrateur. Nous ne voyons pas l utilité pour les membres du conseil d élire parmi eux le secrétaire du conseil. Cette fonction, fort spécialisée, est assumée dans les grandes organisations par un cadre supérieur aux compétences appropriées, qui participe sans droit de vote aux réunions du conseil et de tous ses comités. 12

4. AUTRES SUGGESTIONS Des réunions du conseil ouvertes au public? Le projet de loi 10 retient cette façon de faire, laquelle entretient la confusion entre un conseil d administration, une instance décisionnelle, et des instances conçues pour consulter, informer et renseigner les publics pertinents des décisions de l administration. Le projet de loi 10 comporte par ailleurs, en son article 26, une obligation de tenir au moins une fois par année une séance publique d information sur l'état et l'évolution du système de santé et des services sociaux dans son territoire, pour rendre compte de l'administration de certaines politiques (ex.: traitement des plaintes) et répondre aux questions et échanger avec le public. Nous suggérons fortement que les réunions du conseil et de ses comités se tiennent à huis clos. Corridors de services interrégionaux L article 37 devrait préciser que les corridors de services spécialisés et surspécialisés doivent être établis après consultation du réseau des établissements suprarégionaux (définis à l article 7) et non pas seulement «le réseau universitaire intégré de santé». 5. CONCLUSION Le projet de loi 10 sur la réforme du système de santé québécois constitue un grand pas vers un système qui place le patient au cœur de son fonctionnement et met les responsabilités au bon endroit. Les quelques suggestions formulées dans ce mémoire pourraient bonifier cette réforme essentielle de notre système de santé. FIN 13

6. À PROPOS DE L IGOPP LA RÉFÉRENCE EN GOUVERNANCE Créé en 2005 par deux établissements universitaires (HEC Montréal et l Université Concordia-École de gestion John-Molson) ainsi que par la Fondation Stephen Jarislowsky, l Institut sur la gouvernance (IGOPP) est devenu un centre d excellence en matière de gouvernance. Par ses activités de recherche, ses programmes de formation, ses prises de position et ses interventions dans les débats publics, l IGOPP s est affirmé comme référence incontournable pour tout sujet de gouvernance tant dans le secteur privé que dans le secteur public. NOTRE MISSION - Renforcer la gouvernance fiduciaire dans le secteur public et privé ; - Faire évoluer les sociétés d une gouvernance strictement fiduciaire vers une gouvernance créatrice de valeurs MD ; - Contribuer aux débats et à la solution de problèmes de gouvernance par des prises de position sur des enjeux importants ainsi que par une large diffusion des connaissances en gouvernance. NOS ACTIVITÉS Les activités de l Institut portent sur les quatre domaines suivants : - Prises de position - Formation - Recherche - Diffusion des connaissances 14

CONSEIL D ADMINISTRATION DE L IGOPP 15

PRISES DE POSITION DE L IGOPP Les actions multivotantes : Quelques modestes propositions 2006 Droits de vote et citoyenneté dans l entreprise ouverte : Une proposition 2006 L indépendance des administrateurs : Un enjeu de légitimité 2008 La place des femmes au sein des conseils d administration : Pour faire bouger les choses 2009 Vote consultatif sur la rémunération des dirigeants («say on pay») : Un pas en avant vers une meilleure gouvernance? 2010 Payer pour la valeur ajoutée : Trancher le nœud gordien de la rémunération des dirigeants 2012 Le rôle préoccupant des agences de conseil en vote («proxy advisors») : Quelques recommandations de politiques 2013 16