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Commentaire Décision n o 2012-290/291 QPC du 25 janvier 2013 Société Distrivit et autres (Droit de consommation sur les tabacs outre-mer) La chambre commerciale de la Cour de cassation a renvoyé au Conseil constitutionnel le 15 novembre 2012 (arrêt n 1232) une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par les sociétés Distrivit et Sodipam et portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l article 268 du code des douanes, dans ses versions successives résultant de la loi n 2008-1425 du 27 décembre 2008 de finances pour 2009, puis de la loi n 2010-1658 du 29 décembre 2010 de finances rectificative pour 2010. Elle a également renvoyé au Conseil constitutionnel le même jour (arrêt n 1233) une QPC posée par la société PHP Trading et portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du même article dans sa version résultant de la loi n 2008-1425 du 27 décembre 2008 de finances pour 2009. Les deux QPC contestant la même disposition législative, elles ont été jointes par le Conseil constitutionnel dans sa décision n 2012-290/291 QPC du 25 janvier 2013 (cons. 1), par laquelle il a déclaré l article 268 du code des douanes dans ses deux versions contestées conforme à la Constitution. I. Dispositions contestées A. Le contexte des dispositions contestées L imposition du tabac en droit français est ancienne puisqu elle remonte à 1629 avec la création d un droit d entrée 1. Elle n est à l heure actuelle pas uniforme sur le territoire de la République. Les tabacs manufacturés sont soumis à un droit sur la consommation, dont les règles diffèrent selon qu ils sont vendus en France continentale (articles 575 à 575 D du code général des impôts - CGI), en Corse (article 575 E bis du CGI) ou dans les départements d outre-mer (article 575 E du CGI et articles 268 et 268 ter du code des douanes). Le tableau ci-dessous récapitule les principales différences relatives à l assiette et au taux de ce droit. 1 Max Boucard et Gaston Jèze, Éléments de la science des finances et de la législation financière, V. Giard et E. Brière, t. 2, 2 e éd., 1902, p. 1086.

2 Assiette Taux d imposition des cigarettes Taux d imposition des cigares France continentale Corse 2 DOM Prix de vente au détail 3 Taux normal : 64,25 % Taux spécifique 4 : 12,5 % Taux normal : 28 % Taux spécifique : 5 % 75 % du prix de vente au détail en France continentale pour les cigarettes 66 % pour les autres tabacs 85 % pour les cigares Taux normal : 45 % Taux spécifique : 6,5 % Taux normal : 10 % Fixée par le conseil général et comprise entre 66 % et 110 % du prix de vente au détail en France continentale Fixés par le conseil général dans la limite des taux prévus en France continentale Idem Taux d imposition des tabacs fine coupe Taux d imposition des autres tabacs à fumer Taux d imposition des tabacs à priser Taux normal : 60 % Part spécifique : 30 % Taux normal : 27 % Idem Taux normal : 55 % Taux normal : 22 % Idem Part spécifique : 10 % Taux normal : 50 % Taux normal : 15 % Idem Tabacs à mâcher Taux normal : 35 % Taux normal : 13 % Idem Minimum de perception 195 euros pour 1 000 cigarettes 125 euros par kg pour les tabacs fine coupe 70 euros par kg pour les autres tabacs à fumer 90 euros pour 1 000 cigares Non Fixé de manière facultative par le conseil général. Ne peut excéder l application du taux fixé par le conseil général au prix de vente au détail des cigarettes de la classe de prix de référence 2 Régime actuellement en vigueur, qui doit être modifié au 1 er juillet 2013 en vertu des dispositions de l article 54 de la loi de finances rectificative pour 2012 n 2012-1510 du 29 décembre 2012. 3 Le droit de consommation sur les tabacs se calcule à rebours, à partir du prix incluant les taxes. 4 La part spécifique résulte de l application du taux spécifique au prix de vente de la classe de prix de référence. Le taux de la part spécifique vient en déduction du taux normal, lequel s applique au prix de vente au détail. Par conséquent, pour la classe de prix de référence, l existence d une part spécifique n a pas d incidence.

3 B. Le droit sur la consommation des tabacs en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique et à la Réunion Les tabacs manufacturés destinés à être consommés dans les départements d outre-mer (DOM) que sont la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et la Réunion sont soumis à un droit de consommation dont le régime fiscal est établi par les dispositions contestées. Historiquement, lorsque le droit de consommation a été instauré par une loi du 28 décembre 1966 5, l intention du législateur était de tenir compte des spécificités des DOM, des problèmes de compétitivité et de vie chère, raisons pour lesquelles il avait fixé ce droit à un prix inférieur au prix national. Le droit de consommation était alors considéré comme une variable d ajustement pour maintenir, nonobstant l octroi de mer, le tabac à un prix plus modéré dans ces départements qu en métropole. Avec la loi n 2000-1207 du 13 décembre 2000 d orientation pour l outre-mer, le législateur a souhaité rapprocher le droit de consommation sur les tabacs des DOM de celui applicable en France métropolitaine. Il a souhaité dans le même temps offrir aux DOM la faculté d augmenter le montant du droit de consommation du tabac, dans le but d augmenter leur ressources financières et, indirectement, de dissuader les consommateurs de tabac. Depuis 2011, à l initiative du conseil général de Mayotte, il existe également un droit de consommation sur les tabacs dans ce nouveau DOM. Celui-ci est déterminé par la délibération du conseil général n 022/2010/CG du 15 février 2010 relative à l évolution de la réglementation et de la fiscalité douanière applicable dans la collectivité départementale de Mayotte 6. Il s inspire très largement de celui prévu, pour les quatre autres DOM, par les dispositions contestées. 1. La compétence des conseils généraux pour fixer l assiette et le taux du droit de consommation En application du deuxième alinéa de l article 268 du code des douanes, tant l assiette du droit de consommation que le taux d imposition sont fixés par délibération des conseils généraux des départements. C est la loi du 13 décembre 2000 précitée qui a transféré à ces assemblées délibérantes le pouvoir de déterminer ces deux éléments. 5 Loi n 66-1011 du 28 décembre 1966 portant réforme du régime fiscal particulier des tabacs consommés dans les départements de la Guyane, de la Martinique et de la Réunion. 6 Cette délibération a été rendue applicable, en application de l article L.O. 6161-22 du code général des collectivités territoriales, par le paragraphe I de l article 73 de la loi n 2010-1658 du 29 décembre 2010 de finances rectificative pour 2010.

4 Dans les deux cas, le législateur a néanmoins limité la marge de manœuvre de la collectivité départementale. D abord, il a encadré la façon dont la base imposable de cette taxe sur les tabacs peut être déterminée par l assemblée délibérante. Deux hypothèses alternatives sont prévues par les dispositions contestées. La première, prévue par le troisième alinéa de l article 268 du code des douanes, concerne les tabacs dont le prix de vente au détail a fait l objet d une homologation en France continentale en application de l article 572 du CGI. Il est prévu que la base imposable du droit de consommation ne peut être modulée que dans une fourchette définie par référence au prix de vente au détail en France continentale : entre 66 et 110 % de ce prix de vente. La seconde, prévue par le quatrième alinéa des dispositions contestées, vise les tabacs n ayant pas fait l objet de l homologation. Dans ce cas de figure, il est prévu que la base imposable du droit de consommation ne peut être modulée que dans une fourchette définie par référence à la moyenne pondérée des prix homologués : entre 66 et 110 % de ce prix moyen. À l origine, la fourchette était comprise entre 66 et 100 %. Elle a été relevée par la loi de finances pour 2009 précitée à 110 % dans le but de permettre aux DOM d augmenter leurs recettes fiscales tout en renchérissant le prix du tabac sur leur territoire, notamment afin d en rendre plus difficile l accès aux jeunes. En application du deuxième alinéa de l article 268 du code des douanes, le taux d imposition est également fixé par délibération des conseils généraux des départements. Le cinquième alinéa de cet article limite néanmoins la liberté de ces assemblées délibérantes en prévoyant que ce taux ne peut être supérieur à ceux prévus par l article 575 A du CGI applicables aux produits de même catégorie en France continentale. En revanche, les dispositions contestées ne déterminent pas un taux minimum de taxation. Cela contribue à expliquer que le prix de vente des produits du tabac varie sensiblement entre la France continentale et les DOM et entre ces derniers. 2. Le minimum de perception décidé par les conseils généraux Depuis la loi n 2003-1312 du 30 décembre 2003 de finances rectificative pour 2003, les conseils généraux de la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et la Réunion peuvent fixer, par délibération, un minimum de perception spécifique sur les cigarettes. Le législateur a néanmoins encadré cette faculté : le minimum de perception ne peut être supérieur au droit de consommation résultant de l application du taux fixé par le conseil général au prix de vente au détail en France continentale des cigarettes de la classe de prix de référence (ou, avant 2011, de la classe de prix la plus demandée).

5 En outre, depuis la loi n 2007-1822 du 24 décembre 2007 de finances pour 2008, les conseils généraux de la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et la Réunion peuvent établir un minimum de perception fixé pour 1 000 grammes pour les tabacs fine coupe destinés à rouler les cigarettes. Ce minimum de perception ne peut excéder les deux tiers du minimum de perception fixé par le conseil général pour 1 000 unités de cigarettes. L objet de ce minimum de perception est identique à celui applicable en France continentale. Il vise à maintenir une pression fiscale élevée sur les produits de tabacs les moins chers en dissuadant les opérateurs de «casser les prix» pour attirer de nouveaux consommateurs ou augmenter la consommation des fumeurs. 3. L affectation du produit du droit de consommation au budget des collectivités départementales Afin d accroître les ressources des départements de la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et la Réunion, les dispositions contestées prévoient que le produit du droit de consommation perçu dans ces territoires sur les produits du tabac est affecté au budget de ces départements. À l origine, seul le produit du droit de consommation perçu à la Réunion était affecté au budget de ce département. Pour celui perçu dans les autres DOM, l État en était le destinataire. La loi n 74-1114 du 27 décembre 1974 de finances rectificative pour 1974 a permis à la Guyane de bénéficier de ce régime et la loi du 13 décembre 2000 précitée l a étendu aux départements antillais. Les recettes issues de ce droit représentaient, en 2011, 211 millions d euros pour les quatre DOM. 4. Le prix minimum de vente au détail du tabac décidé par les conseils généraux Les dispositions contestées s achèvent par un alinéa qui habilite les conseils généraux de la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et la Réunion à fixer un prix minimum de vente au détail du tabac sur leur territoire. Le législateur a néanmoins encadré cette prérogative : dans la version issue de la loi du 27 décembre 2008 précitée, il est prévu que ce prix de seuil doit être supérieur à 66 % et au plus égal à 110 % du prix de vente au détail déterminé pour la France continentale en application du premier alinéa du même article L. 3511-3 du code de la santé publique (CSP) qui interdit la vente du tabac à un prix promotionnel ; dans la version issue de la loi n 2010-1658 du 29 décembre 2010 de finances

6 rectificative pour 2010, il est prévu que ce prix minimum doit être compris entre 66 % et 110 % de la moyenne pondérée des prix homologués. C est la loi n 2006-1666 du 21 décembre 2006 de finances pour 2007 qui, dans le but de renforcer les outils dont disposent les DOM dans la lutte contre le tabagisme, particulièrement le tabagisme des jeunes, a mis en place l interdiction de la vente de produits du tabac à un prix promotionnel. Pour ce faire, elle a fixé un prix minimum comme il en existe en métropole depuis 2004 pour les cigarettes et tabacs à rouler. L article 38 de la loi n 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique a en effet inscrit dans les articles 572 du CGI et L. 3511-3 du CSP un prix seuil pour les cigarettes et le tabac fine coupe, en deçà duquel ceux-ci ne peuvent être légalement vendus, fixé initialement à 95 % du prix de vente moyen de ces produits. Saisie par la Commission européenne, la Cour de justice de l Union européenne a, dans un arrêt du 4 mars 2010, sanctionné la France pour violation du droit communautaire de la concurrence 7. En effet, elle a estimé que «l imposition d un prix minimal de vente au détail par les autorités publiques de l Union européenne a pour effet que le prix maximal de vente au détail déterminé par les producteurs et les importateurs ne pourra pas, en toute hypothèse, être inférieur à ce prix minimal obligatoire. Une réglementation imposant un tel prix minimal est donc susceptible de porter atteinte aux relations concurrentielles en empêchant certains de ces producteurs ou importateurs de tirer avantage de prix de revient inférieurs afin de proposer des prix de vente au détail plus attractifs» (point 37). À la suite de cette condamnation, la France a modifié les articles 572 du CGI et L. 3511-3 du CSP par l article 73 de la loi du 29 décembre 2010 précitée, sans pour autant supprimer l existence d un prix minimum. Sous la pression des députés, le Gouvernement a fait marche arrière par rapport à son projet initial qui consistait à supprimer purement et simplement le prix minimum. Désormais il est prévu que le prix de vente au détail ne peut être inférieur «à la somme du prix de revient et de l ensemble des taxes» (art. 572 du CGI). C est cette même loi qui a adapté la rédaction des dispositions contestées relatives au prix minimum de vente dans les DOM, en supprimant la référence à l article L. 3511-3 du CSP pour la remplacer par une référence à la moyenne pondérée des prix homologués. 7 Cour de justice de l Union européenne, 4 mars 2010, Commission c. France, C-197/08.

7 II. Examen de constitutionnalité des dispositions contestées Selon les sociétés requérantes, les dispositions contestées méconnaissaient plusieurs droits et libertés constitutionnellement garantis : le principe d égalité devant la loi et les charges publiques, la liberté d entreprendre et le principe de libre administration des collectivités territoriales. A. Le principe d égalité devant la loi et les charges publiques Selon les sociétés requérantes, les dispositions contestées méconnaissaient le principe d égalité à deux titres : d une part, en ce qu elles instituaient une différence de traitement entre le régime fiscal applicable en France continentale et celui applicable dans les départements de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique et de la Réunion ; d autre part, en ce qu elles instituaient une différence de traitement injustifiée entre les tabacs manufacturés vendus dans les départements d outre-mer selon qu ils ont fait ou non l objet d une homologation en France continentale. Les dispositions contestées instaurent effectivement une différence de traitement entre la France continentale et les départements précités, laquelle est de trois ordres : d abord, l assiette du droit de consommation n est pas définie de la même manière ; ensuite, la compétence pour fixer les taux du droit de consommation appartient pour la métropole à l État et pour les départements précités à leurs conseils généraux ; enfin, l affectation du produit du droit de consommation se fait dans le premier cas au bénéfice de l État et dans le second à celui des collectivités départementales. Les deux premiers alinéas de l article 73 de la Constitution accordent au législateur le pouvoir d adapter les normes législatives applicables sur ces territoires au regard des caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités. Or, en l espèce, en prévoyant des règles distinctes de fixation de l assiette et des taux du droit de consommation sur les tabacs dans ces départements d outremer, le législateur a souhaité accroître les ressources des collectivités départementales d outre-mer et favoriser dans le même temps l alignement du prix du tabac dans ces départements sur ceux applicables en France métropolitaine. Ce faisant, il a pris en compte les écarts historiques entre la fiscalité sur les tabacs dans ces départements et celle applicable en France continentale ainsi que la situation financière particulière de ces collectivités. Le Conseil constitutionnel a considéré que ces éléments constituent des «caractéristiques et contraintes

8 particulières» au sens du premier alinéa de l article 73 de la Constitution, qui permettaient au législateur d instituer des dispositions différentes, relatives à l assiette et au taux du droit de consommation sur les tabacs ainsi que sur l affectation de son produit, sans méconnaître le principe d égalité (cons. 8). En ce qui concerne la différence de traitement entre les tabacs manufacturés selon qu ils ont fait ou non l objet d une homologation en France continentale, elle réside dans la détermination de l assiette du droit de consommation. L article 268 du code des douanes prévoit que pour les produits de tabac ayant fait l objet d une homologation en France continentale en application de l article 572 du CGI, le montant du droit est déterminé par application du taux fixé par le conseil général concerné à un pourcentage fixé par ce même conseil général, supérieur à 66 % et au plus égal à 110 % du prix de vente au détail en France continentale. Pour les produits de tabac n ayant pas fait l objet d une homologation en France continentale, le montant du droit est déterminé par application du taux fixé par le conseil général à un pourcentage fixé par ce même conseil général, supérieur à 66 % et au plus égal à 110 % du prix de vente au détail en France continentale correspondant à la moyenne pondérée des prix homologués. Cette différence de traitement permet de limiter les différences entre les montants du droit de consommation perçus sur les produits homologués et ceux perçus sur les produits qui ne le sont pas. Ainsi, le Conseil constitutionnel a considéré qu en retenant des critères de fixation de l assiette du droit de consommation distincts pour les produits homologués et les produits non homologués, le législateur fait reposer la différence de traitement entre ces produits sur un critère objectif et rationnel en lien avec l objectif poursuivi (cons. 11). Le Conseil constitutionnel a donc jugé que le principe d égalité n était pas méconnu par l article 268 du code des douanes dans les deux rédactions successives contestées. B. La liberté d entreprendre Les sociétés requérantes reprochaient aux dispositions contestées de méconnaître la liberté d entreprendre, en ce que le dernier alinéa de l article 268 du code des douanes permet à l organe délibérant de la collectivité territoriale de fixer un prix minimum de vente au détail du tabac. Les impératifs de santé publique, qui répondent à une exigence constitutionnelle résultant du onzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946,

9 constituent un motif d intérêt général pouvant justifier une atteinte à la liberté d entreprendre. De ce point de vue, le Conseil constitutionnel a déjà jugé qu il pouvait être apporté des restrictions à cette liberté par la réglementation de la publicité pour le tabac et les boissons alcoolisées 8. Il en va de même s agissant de l établissement d un prix de consommation minimum pour un produit connu pour ses effets néfastes sur la santé. En effet, la décision du législateur de fixer un prix de vente minimum des tabacs constitue un moyen de lutter contre la consommation excessive de tabac. Le Conseil constitutionnel a donc considéré «qu en permettant que soit fixé un minimum de prix de vente des produits du tabac et en encadrant la détermination de ce minimum par les conseils généraux, le législateur a assuré une conciliation, qui n est pas manifestement déséquilibrée, entre l exercice de la liberté d entreprendre et les exigences du onzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, relatives à "la protection de la santé"» (cons. 16). C. La libre administration des collectivités territoriales Les sociétés requérantes faisaient grief aux dispositions contestées de méconnaître le principe de libre administration des collectivités territoriales, parce qu elles établissent comme base de l assiette du droit de consommation un élément exogène au marché du tabac dans les départements d outre-mer, à savoir le prix de vente en France continentale. Elles contestaient également les conséquences de cette taxation sur les recettes de l octroi de mer portant sur les mêmes produits. Le prix de vente du tabac au détail en France continentale constitue seulement l un des paramètres de détermination des caractéristiques de l assiette du droit de consommation dans les départements d outre-mer. En effet, le conseil général définit une assiette en fixant un taux compris entre 66 % et 110 % du prix de vente au détail en France continentale. Le pourcentage ainsi fixé est alors appliqué aux tabacs importés ou fabriqués par les entreprises locales. L assiette dépend donc in fine d une consommation locale, à laquelle est apporté un correctif combinant le choix d un taux par le conseil général et le prix pratiqué en France continentale. Par ailleurs, le fait que d autres impositions portent sur le prix à la consommation de ce produit, et notamment l octroi de mer, conduit effectivement en pratique à ce qu une hausse du prix à la consommation 8 Décision n 90-283 DC du 8 janvier 1991, Loi relative à la lutte contre le tabagisme et l alcoolisme, cons. 14 et 15.

10 résultant de l augmentation de l une des impositions sur la consommation de tabac se traduise sur l assiette des autres impositions. Pour autant, il s agit là d un effet induit, qui ne saurait être considéré comme portant atteinte à la libre administration des collectivités auxquelles le produit des autres impositions est affecté. Le Conseil constitutionnel a donc considéré que la «définition de l assiette de ce droit ne porte aucune atteinte à la libre administration des communes, départements et régions d outre-mer» (cons. 18). Un second grief relatif à la libre administration des collectivités territoriales concernait le fait que, pour la Martinique et la Guadeloupe, le produit du droit de consommation soit perçu par le département d origine et versé à l autre département pour des cigarettes importées dans ce département. Ce grief portait sur une version de l article 268 du code des douanes qui n était pas renvoyée en l espèce. Par conséquent, le Conseil constitutionnel a considéré que le grief manquait en fait (cons. 19). Le Conseil constitutionnel a donc déclaré les dispositions de l article 268 du code des douanes, dans les deux versions successives contestées, conformes à la Constitution.