2003-01 Les représentations sociales sur l argent, la banque et l épargne. Jale Minibas-Poussard 1



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IAE de Paris (Université Paris 1 Panthéon - Sorbonne) - GREGOR - 2003-01 - 1 2003-01 Les représentations sociales sur l argent, la banque et l épargne Jale Minibas-Poussard 1 Université Galatasaray Département de Gestion Résumé : Les représentations sociales sont devenues un sujet important en 1961 après les travaux de Moscovici. Les chercheurs qui ont succédé ont révélé la relation entre la représentation et le comportement. Spécifiquement, pour expliquer les comportements économiques, il est nécessaire d étudier les représentations sociales. Cette recherche a pour but d analyser les représentations sociales de l argent, de la banque et de l épargne en relation avec des variables démographiques. Les résultats montrent les petites différences des représentations selon l âge, le sexe, l éducation et la profession. Ces représentations reflètent la situation socioéconomique et culturelle de la Turquie Mots Clés : Représentations sociales, argent, banque, épargne, Turquie Abstract : Social representations became an important subject since 1961 by Moscovici's studies. Further researches have revealed that there is a relationship between social representation and behavior- individuals realize and react concepts or phenomenon with their social representations. Specifically, when economic behavior is to be explained, it is also necessary talk about its relationship with social representation. The present study aims to analyze the social representations in relation to concepts such as money, banking and savings. It also investigates the differentiation of social representations according to demographic variables. The results show that there are some differences between the representations of money, banking and saving in relation to age, gender, education and profession. Besides, the representations of money, banking and savings reflect the socio-economic and cultural situations of Turkey. Key words : Social representations, money, bank, saving, Turkey. 1 Introduction Les problèmes actuels de la paupérisation, de la précarité et de l exclusion ne peuvent qu inciter les chercheurs en sciences humaines à analyser les nouvelles relations autour de l argent. Il n est pas suffisant de prendre des décisions au niveau des gouvernements, la participation à l application de ces décisions par les populations joue également un rôle complémentaire. Quand il s agit d un pays en situation précaire, il est primordial pour l économie que l épargne individuelle soit encouragée et que cette épargne soit investie dans les banques. Pour ce qui est de la consommation, l argent constitue un des éléments essentiels. La perception de l argent en lui-même est aussi importante que la perception des produits ou des services. Aujourd hui, les banques proposent plusieurs services; la consommation dépendra de leurs représentations aussi bien que des représentations de l argent. Cette recherche menée à Istanbul en 1999, a pour but d étudier à travers une approche structurale, les représentations sociales de l argent, de la banque et de l épargne, et de les comparer selon l âge, le sexe, le niveau d études et le travail. 1. Univresité Galatasaray, Çiragan cad. 102 80840 Ortaköy-Istanbul Turquie. jminibas@gsu.edu.tr

IAE de Paris (Université Paris 1 Panthéon - Sorbonne) - GREGOR - 2003-01 - 2 2 Fondements théoriques Le marketing est un domaine difficile, qui cherche à jeter des ponts entre un produit ou un service et un consommateur. Il se situe entre la réalité contrôlable grâce aux outils économétriques et les comportements des consommateurs qui n entrent pas dans le cadre rationnel. Les théories psychologiques ont d abord contribué à la formation de modèles qui n expliquent pas totalement le comportement du consommateur. Depuis peu, la psychologie appliquée s implique beaucoup plus dans le marketing pour expliquer le comportement d achat et faire avancer la recherche commerciale. En effet il est admis aujourd hui qu une vision strictement rationaliste est réductrice. Le point de départ du processus de décision d achat est l apparition du besoin. Celui-ci existe si le consommateur constate un écart entre son état actuel et un état souhaité. Dans la mesure où l individu veut réduire l écart entre état actuel et état souhaité, il entre dans une phase de recherche d information sur les solutions existantes. La troisième étape consiste en l évaluation des informations collectées. Le consommateur traite ces informations en se fondant sur des critères acquis qui auront des effets sur la représentation des produits ou des services. Les critères qui amènent le consommateur aux attributs déterminants permettent la décision d achat. La dernière étape aboutit chez le consommateur à une évaluation après l achat. Si le consommateur est satisfait, cela le conduira certainement à un processus d achat répétitif et à une certaine fidélité envers le produit ou la marque (Peter et Olson, 1996). Dans ce processus, la perception joue un rôle important. Elle a pour fonction de donner un sens à tous les éléments de l environnement, c est à dire que le consommateur perçoit tous les facteurs internes et externes grâce à cette fonction psychologique. La perception est donc un processus par lequel le consommateur prend conscience de son environnement de marketing et l interprète de telle façon qu il soit en accord avec son cadre de référence. Compte tenu de la complexité et surtout de la quantité d information de cet environnement, la perception sert à simplifier la représentation de l environnement en ne retenant que certaines informations. La perception est organisée à partir d un cadre de référence préexistant ; une information qui provoque chez l individu un état de déséquilibre par rapport au cadre de référence aura peu de chance d être perçue ou mémorisée. La catégorisation permet la concordance entre les connaissances antérieurement stockées et les informations perçues (Filser, 1994). Les individus comprennent et interprètent différemment la situation où ils se trouvent et ne se comportent pas de manière semblable ; ils s organisent selon leurs représentations. La représentation sociale est le produit et le processus d une activité mentale par laquelle un individu ou un groupe reconstitue le réel auquel il est confronté et lui attribue une signification spécifique (Abric, 1987). Les représentations rendent l étrange familier et l invisible perceptible. Ce qui est inconnu ou insolite comporte une menace parce que nous n avons pas de catégorie où le ranger. Donc, elles sont des blocs organisés d idées, de croyances et d attitudes qui fonctionnent comme des dogmes dans la vie sociale et servent de principe de différenciation (Morin, 1989). C est un système d interprétation dont découlent les significations attribuées aux informations mais également les attentes développées par le sujet. C est aussi un système de catégorisation qui aboutit à la constitution pour le sujet d une typologie des personnes ou des événements permettant d organiser et de structurer l environnement dans un cadre cognitif et idéologique cohérent avec celui du sujet (Abric, 1987). La notion de représentation sociale a été élaborée à la base par Moscovici en 1961. Son propos était de montrer comment une nouvelle approche scientifique est diffusée dans une culture donnée, de quelle manière elle change la vision que les gens ont d eux-mêmes et du monde dans lequel ils vivent. Moscovici a choisi comme objet de sa première recherche la psychanalyse qui était entrée dans la société française après la guerre et qui a laissé des traces dans la vie quotidienne (Moscovici, 1976). Cette théorie a longtemps été négligée par la communauté scientifique, mais aujourd hui elle constitue une référence incontournable non

IAE de Paris (Université Paris 1 Panthéon - Sorbonne) - GREGOR - 2003-01 - 3 seulement en psychologie sociale mais également dans d autres sciences sociales, dans des domaines interdisciplinaires comme la psychologie économique. Les représentations sociales jouent un rôle fondamental dans la dynamique des relations sociales: elles permettent de comprendre et d expliquer la réalité; elles guident les comportements et servent à justifier les prises de position et les comportements; elles définissent l identité en permettant de situer les individus et les groupes dans le champ social (Abric, 1994). Il existe plusieurs études qui montrent la relation entre les comportements et les représentations sociales. Par exemple, d après Abric (1987), les représentations sociales de situation peuvent expliquer les comportements de coopération ou de compétition. Doise (1973), montre comment les représentations intergroupes ont pour fonction essentielle de justifier les comportements adoptés vis-à-vis de l autre groupe. L étude d Abric (1971) remarque que la représentation de la tâche détermine le type de démarche cognitive adopté dans un groupe et la communication entre ses membres. Les représentations sociales sont certes cognitives mais elles sont aussi sociales. L analyse et la compréhension des représentations sociales supposeront donc un double éclairage: la composante cognitive dont les règles régissent les processus cognitifs dans la formation des représentations; la composante sociale qui est déterminée par les conditions sociales dans lesquelles s élabore une représentation. La coexistence de ces deux composantes permet de comprendre les éventuelles incohérences dans une représentation (Abric, 1994). Toute représentation est constituée de trois éléments fondamentaux: un noyau central, un ensemble d informations, d attitudes et de croyances organisées autour de ce noyau central et un système de catégorisation. Le noyau central est le fondement de la structure de la représentation et définit la nature des liens qui unissent les éléments de la représentation (Abric, 1987). Deux processus caractérisent généralement la genèse des représentations sociales: l objectivation et l ancrage. L objectivation s explique par le fonctionnement de la pensée sociale qui tend à simplifier, réduire, schématiser et résumer et qui transforme un concept en une image ou en un noyau figuratif. L ancrage permet d incorporer quelque chose qui n est pas familier dans la représentation déjà présente. Ces processus d objectivation et d ancrage seront actualisés lors d une confrontation avec l inattendu ou l inexplicable (Palmonari et Doise, 1986). La science économique a mis en place un ensemble de concepts, de notions et de constructions explicatives. La connaissance économique mène à un langage économique. Celui-ci se transforme en représentations sociales de l économie. Dans la vie courante, on n utilise pas ce langage économique avec les mêmes référents: les termes économiques ne correspondent pas exactement à la définition scientifique. Le raisonnement économique des représentations sociales fait appel à des causes ou conséquences non économiques ou renforce une argumentation sociale en lui donnant des attributs scientifiques. Toutes ces transformations sont nécessaires pour que l homme de la rue comprenne les phénomènes économiques. Les représentations sociales de l économie empruntent leurs notions aux sciences économiques, mais ne les interprètent pas de la même manière. Elles sont ancrées dans une connaissance préalable et dans une contextualisation nécessaire. Elles sont à la fois sociales (collectives et associées à des objets sociaux précis) et cognitives (connaissances, traitement de l information et stratégies) (Vergès, 1998). Le concept de représentation sociale a un triple avantage dans les recherches de psychologie économique: il permet de tenir compte du contexte dans lequel se situe un objet donné et une situation particulière; il admet la prise en charge des processus sociaux de création et d utilisation d une connaissance économique; il donne toute sa place aux dimensions cognitives qui relèvent de la nature psychologique du raisonnement et de la nature abstraite de la théorie économique (Vergès, 1998). L économie suppose le découpage d un objet économique au sein de la réalité et son autonomisation au sein d une modélisation. Or les individus articulent dans leurs présentations, les éléments économiques et sociaux. Il existe en effet un rapport étroit entre les représentations et leur pratique (Vergès, 1989).

IAE de Paris (Université Paris 1 Panthéon - Sorbonne) - GREGOR - 2003-01 - 4 On peut donc faire plusieurs recherches à partir des représentations sociales dans la psychologie économique. Par exemple, analyser les représentations sociales liées à un comportement économique (endettement, épargne) ou à un objet économique (argent) ou bien encore à une décision économique (décision d achat d un produit ou d un service), les attitudes envers l activité de marketing; comparer les différents niveaux socio-économiques et les cultures à partir des représentations sociales; déterminer les différences des représentations sociales selon l âge, le sexe et l expérience professionnelle. D ailleurs, quelques études récentes ont mis en évidence ces relations. Par exemple, Vergès (1992) a analysé les représentations sociales de l argent en terme de noyau central. Roussiau (1998) a étudié les représentations sociales de l argent auprès de trois groupes d échantillon. Roland-Lévy (1998) a fait une recherche sur les représentations de l endettement et de la banque. Sakalaki (2001) a analysé les représentations de la confiance dans trois pays ayant des structures économiques différentes. L étude de Bougeat (1999) qui a pour but d analyser les représentations sociales concernant le chauffage économique, démontre bien la relation entre la représentation et la pratique. Goubert- Seca (1998), dans son étude sur les représentations sociales que les étudiants ont des cadres moyens et supérieurs, a constaté que l argent est une représentation discriminatoire. Toutes ces recherches mettent en exergue le lien entre la représentation et les attitudes ou les comportements dans le domaine de l économie. Ce lien peut être utilisé pour découvrir la réflexion derrière les comportements afin de les changer. 3 Méthodologie 3.1 Echantillon Cette recherche est réalisée à partir de 150 sujets qui ont été interrogés individuellement par écrit. La composition de l échantillon est la suivante : Sexe 52 % femmes 48 % hommes Age 62 % 25-35 ans 22 % 36-45 ans 16 % 46-55 ans Education 47 % lycée 53 % université Profession 56 % salariés 44 % profession libérale 3.2 Instrument Les représentations sociales de l argent, de la banque et de l épargne ont été recueillies selon la technique d association libre, qui consiste à proposer aux sujets un mot inducteur et à leur demander de produire tout ce qui leur vient à l esprit lorsqu ils pensent à ce mot. C est une technique souvent utilisée dans les recherches sur les représentations sociales car la spontanéité permet de voir les éléments de la représentation. Les données ont été évaluées par la méthode de Vergès (1994). Cette méthode consiste à tenir compte simultanément de la fréquence du mot et de son rang d apparition. Ces deux critères permettent d établir un tableau à quatre cases où les mots sont placés à partir de leur fréquence et de leur rang moyen selon l ordre d apparition. La case où il y a une congruence positive entre les deux critères (très fréquent et dans les premiers rangs de l ordre d apparition), est susceptible d abriter les éléments du noyau central de la représentation. Les autres cases sont constituées d éléments périphériques. Mais deux cases sont ambiguës : celle où le rang d apparition est important et la fréquence faible et l autre où c est l inverse. Cette ambiguïté est la source d un changement possible au sein de la représentation.

IAE de Paris (Université Paris 1 Panthéon - Sorbonne) - GREGOR - 2003-01 - 5 4 Résultats L analyse des données fait apparaître les catégories des représentations sociales de l argent, de la banque et de l épargne. Les résultats sont illustrés dans les tableaux 1,2,3. Tableau 1 : Les représentations sociales de l argent Rang Moyen Fréquence RM < 1,8 RM > 1,8 Elevée F > 14,6 Faible F < 14,6 Nécessaire pour vivre (78) Pouvoir / être puissant (46) Nécessaire pour atteindre ses objectifs (31) Dont l absence est problématique (10) Revenu / travail (10) Richesse (7) Crédit / dette (7) Investissement / capital (5) Liquide (5) Napoléon (4) Porte-monnaie (1) Vivre comme on veut (35) Bonheur / plaisir / tranquillité (22) Pouvoir d achat / faire des achats(19) Etre en sécurité (16) Source de problème / perturbe la personnalité (16) Banque (10) Prestige (8) Epargne (7) Economie (6) Budget (5) Discrimination des classes (4) Liberté (5) Caisse (2) Les éléments du noyau central des représentations sociales de l argent sont : «nécessaire pour vivre», «nécessaire pour atteindre ses objectifs» et «pouvoir / être puissant». Dans les cases qui sont définies comme étant ambiguës où se trouvent des représentations ayant tendance à changer, on voit les représentations suivantes : «bonheur / plaisir / tranquillité», «vivre comme on veut», «pouvoir d achat / faire des achats, «être en sécurité». Ce qui signifie les apports de l argent. L association argent-travail n est pas fréquente. En outre, on met l accent sur une double problématique : la présence de l argent peut engendrer des problèmes et l absence de celui-ci crée d autres difficultés. Parmi les éléments périphériques, les représentations telles que «banque», «épargne, «économie», «budget» peuvent être considérées comme des concepts économiques. Tableau 2 : Les représentations sociales de la banque Rang Moyen Fréquence RM < 1,8 RM > 1,8 Elevée F > 15,2 Faible F < 15,2 Argent (37) Service / facilitation / support (28) Epargne (28) Corruption / usurier (27) Investissement (16) Sécurité (15) Où on garde l argent (14) Institution médiatrice (13) Où on fait fructifier l argent (12) Caisse (6) Compte (5) Technologie (2) Salaire (2) Intérêt (58) Crédit / dette (48) Queue / stress / grogne (26) Carte de crédit (11) Ressource / capital (10) Opérations (7) Chèque (7) Economie (7) Machine automatique (7) Publicité (4) Devise (2) Quant aux représentations de la banque ; «argent», «service / facilitation / support», «épargne», «investissement» se trouvent dans le noyau central. Contradictoirement, «corruption / usurier» situés dans les éléments centraux attire particulièrement l attention.

IAE de Paris (Université Paris 1 Panthéon - Sorbonne) - GREGOR - 2003-01 - 6 Dans les cases ambiguës, se placent «intérêt», «crédit / dette» qui sont familiers dans l activité bancaire. Mais la représentation «queue / stress / grogne» se distingue curieusement. De plus, «sécurité» n est pas fréquent. Les représentations concernant les procédures bancaires sont dans la périphérie. Tableau 3 : Les représentations de l épargne Rang Moyen Fréquence RM < 1,9 RM > 1,9 Elevée F < 15,1 Nécessité / urgence (52) Mettre de côté (46) Avenir / vieillesse (35) Econome / économiser (30) Difficile d épargner aujourd hui (24) Investissement (19) Sentiment de sécurité / garantie (33) Faible F > 15,1 Monnaie (15) Différence entre le revenu et les dépenses (12) Banque (6) Economie (3) Richesse (2) Immeuble (9) Vivre confortablement (8) Revenu supplémentaire (6) Tirelire (4) Devise (2) Or (2) Concernant les représentations de l épargne, «nécessité / urgence» et «avenir / vieillesse sont des éléments centraux. Deux présentations centrales, «économe / économiser» (les attributs de la personnalité) et «difficile d épargner aujourd hui» (mise en évidence des difficultés économiques sont contradictoires. La représentation «sentiment de sécurité / garantie» se situe dans les derniers rangs dans l ordre d apparition, cela peut signifier la méfiance vis-à-vis de l épargne qui peut s expliquer par les conditions inflationnistes. Les éléments périphériques concernent les apports de l épargne tels que «immeuble», «revenu supplémentaire», «vivre confortablement» et deux moyens d épargne en Turquie «devise» et «or». La comparaison des représentations à partir des facteurs socio-démographiques montre que le noyau central ne change pas mais qu il y a quelques différences de fréquences surtout dans les éléments périphériques selon l âge, le sexe, le niveau d études, la profession. Si l on compare les différentes tranches d âge, le concept de sécurité lié aux représentations de l argent, est beaucoup plus fréquent chez les personnes âgées que chez les jeunes. La banque est plus fréquemment représentée avec l idée «investissement» et «faire fructifier l argent» chez les jeunes mais «sécurité» est une représentation plus fréquente chez les personnes âgées. Le sexe a des effets sur certaines représentations sociales. Parmi les représentations de l argent, «pouvoir d achat» est plus fréquent chez les hommes par rapport aux femmes. Concernant la banque, les représentations «ressources / capital» et «faire fructifier l argent» sont plus fréquentes chez les hommes alors que la représentation «sécurité» est plus fréquente chez les femmes. On remarque la même chose dans les représentations de l épargne ; «investissement» est plus fréquent chez les hommes mais les femmes évoquent plus fréquemment «banque». La comparaison selon le niveau d études s est faite entre les diplômés de lycée et les diplômés d universités. Les résultats montrent que les représentations concernant l argent, «dont l absence est problématique» et «sources de problèmes / perturbe la personnalité», sont plus fréquemment évoquées chez les diplômés d université. La banque est beaucoup plus représentée par «sécurité» par les personnes qui ont fait des études universitaires. En revanche chez les diplômés de lycée, la représentation «corruption / usurier» est plus fréquente. Quant à l épargne, l évocation de l argent est plus fréquente chez les diplômés de lycée mais «immeuble» est évoqué plus fréquemment chez les diplômés d université.

IAE de Paris (Université Paris 1 Panthéon - Sorbonne) - GREGOR - 2003-01 - 7 La comparaison des salariés et des professions libérales fait apparaître également quelques différences. Dans les représentations de l argent, «pouvoir / être puissant» et «bonheur / plaisir / tranquillité» est souvent exprimé chez les salariés alors que «sécurité» est plus fréquent chez les personnes qui exercent une profession libérale. La banque est plus fréquemment représentée par «sécurité» chez les salariés mais l évocation «corruption / usurier» est beaucoup plus fréquente chez les professions libérales. Concernant l épargne, les salariés accentuent plus «différence entre le revenu et les dépenses». L épargne est représentée plus fréquemment par «argent» chez les salariés mais avec «investissement» chez les professions libérales. 5 Discussion Les résultats de la recherche montrent que les représentations de l argent sont plus souvent associées aux idées de pouvoir et d objectifs à atteindre. Les idées d être heureux, de se sentir en sécurité, de vivre comme on le souhaite et d acheter comme on veut prennent la suite dans l ordre d importance. Au contraire, dans les recherches de Vergès (1992) et Roussiau (1998) faites en France, l association «argent-salaire» et «argent-travail» se placent dans le noyau central mais «argent-pouvoir» se situe dans la périphérie. En fait ce résultat n est pas étonnant si l on tient compte des conditions socio-économiques de la Turquie. Souvenons-nous que l échantillon est constitué de personnes de la classe moyenne ; en Turquie la difficulté de préserver les acquis socio-économiques en ce qui concerne la classe moyenne, peut expliquer l association «argent-pouvoir». Durant les dernières années, les banques ont fait beaucoup d efforts pour améliorer la technologie et les relations avec la clientèle. Ce type d innovations a pour but de mettre au premier plan l aspect de service des banques. D ailleurs, l évocation «service / facilité / soutien» dans les éléments centraux des représentations de la banque prouve la perception de cet effort par les consommateurs. De toute façon, la représentation «corruption / usurier» montre qu on n a pas oublié le passé corrompu de quelques banques privées. De plus, la banque est associée à l image «queue/ stress /grogne» pour certaines personnes, il y a là matière à réflexion. Dans la recherche de Roland-Lévy (1998), «nécessité intermédiaire» se trouve dans les éléments centraux des représentations de la banque. En France, les gens font leurs règlements au quotidien en utilisant les chèques ou cartes, l utilisation des espèces est rare. Or, en Turquie on peut ne pas ressentir cette nécessité et on utilise souvent les espèces. Les représentations de l épargne ont mis en évidence un conflit ; la nécessité d épargner pour l avenir et la difficulté d épargner dans les conditions économiques actuelles. Les représentations concernent rarement les moyens d épargne. Cela peut s expliquer par par ce conflit qui n encourage pas la reflexion sur les moyens à mettre en oeuvre. Les différences des représentations selon l âge, le sexe, le niveau d étude et la profession se trouvent dans les représentations périphériques qui ont tendance à changer. Il faut prendre en compte ce type de différence dans l activité bancaire moderne et le marketing financier où l individualisme est devenu important. L autre point important pour l application bancaire est de tenir compte de l association «argent-pouvoir» surtout pour la classe moyenne. Les conditions stressantes comme par exemple faire la queue ou être confronté à un employé ayant une attitude négative peuvent engendrer un sentiment d inégalité parce qu à la base le manque d argent peut signifier le manque de pouvoir. Ce sentiment pourrait inciter les gens à dissimuler leurs petites économies dans des bas de laine. Or, les petites épargnes restées hors circuit ne sont pas favorables à l économie. En fait, les banques font des efforts en ce sens ; d une part l amélioration des conditions physiques dans les agences et d autre part l incitation à utiliser la carte bancaire ont pour objectif de changer l image traditionnelle de la banque. De plus, le développement de la formation dans le domaine des relations interpersonnelles permettrait la transmission efficace et chaleureuse de l information afin d encourager les gens à venir à la banque même s il s agit de petites opérations.

IAE de Paris (Université Paris 1 Panthéon - Sorbonne) - GREGOR - 2003-01 - 8 6 Conclusion Plusieurs chercheurs ont mis en évidence le fait que les individus perçoivent et réagissent au monde extérieur selon leur processus de cognition. Cela est valable pour le monde économique. Cette recherche montre que l individu perçoit le terrain économique sous l influence de la structure socio-économique du pays ainsi que des facteurs sociodémographiques. Par conséquent, les individus se comportent vis-à-vis des concepts, phénomènes et institutions économiques selon leur perception. Leurs comportements peuvent renforcer ou modifier la structure existante. Aujourd hui, l où on vit intensément les changements économiques, il est primordial de connaître les représentations sociales qui peuvent contribuer positivement aux changements. Cette recherche a été réalisée en 1999. En 2001, on a vécu une dévaluation importante (plus de 100%) en Turquie, plusieurs banques ont fait la faillite et l on a planifié des réformes économiques. Il serait opportun de refaire cette recherche et de comparer avec les données antérieures. 7 Références [1] Abric, J.C. (1971) Experimental study of group creativity: task representation, group structure and performance, European Journal of Social Psychology, I, 311-326. [2] Abric, J.C. (1987) Coopération, Competition and Représentation Sociales, DelVal, Cousset. [3] Abric, J.C. (1994) Les représentations sociales:aspects théoriques, Pratique Sociale et Représentations, J.C. Abric(Ed), PUF, Paris, 11-36. [4] Bougeat, G. (1999) Prédictivité, efficacité et centralité des elément d une représentation sociale, Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale, 42, 75-89. [5] Doise, W. (1976) L Articulation Psychologique et les Relations entre Groupes, De Boeck, Bruxelles. [6] Filser, M. (1994) Le Comportement du Consommateur, Dalloz, Paris. [7] Goubert-Seca, D. (1998) Représentation sociale du groupe «cadres» chez des étudiant d IUT : Approche Quasi-Expérimentale Bulletin de Psychologie, 51, 4, 441-448. [8] Morin, M.(1989) Psychologie sociale appliquée et bruit au travail, Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale, no 1, 31-51. [9] Moscovici, S. (1976) La Psychanalyse. Son Image et Son Public, PUF, Paris. [10] Palmonari, A. ; Doise W. (1986) Caracteristiques des représentations sociales, L Etude des Représentations Sociales, W.Doise, A. Palmonari (Eds), Delachaux et Niestlé, Neuchatel, 12-33. [11] Peter, P. J. ; Olson J. C. (1996) Consumer Behavior and Marketing Strategy, Irwin, New York. [12] Roussiau, N. (1998) Représentation sociale de l argent, Psychologie Economique, C. Roland-Lévy, P. Adair (Eds), Economica, Paris, 69-79. [13] Roland-Lévy, C.(1998) Psychologie economique de la consommation et de l endettement, Psychologie Economique, C. Roland-Lévy, P. Adair (Eds), Economica,Paris, 299-315. [14] Sakalaki, M. (2001) La confiance.approche structurale de ses représentations chez les jeunes de trois capitales Européennes, Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale, 49, 48-60.

IAE de Paris (Université Paris 1 Panthéon - Sorbonne) - GREGOR - 2003-01 - 9 [15] Vergès, P.(1989) Représentations sociales de l économie: une forme de connaissance, Les Représentations Sociales, D.Jodelet (Ed), PUF, Paris, 407-428. [16] Vergès, P.(1992) L évocation de l argent: une méthode pour la definition du noyau central d une représentation, Bulletin de Psychologie, XLV, no 405, 203-209. [17] Verges, P. (1994) Approche de noyau central : propriétés quantitatives et structurales, Structures et Transformations des Représentations Sociales, C. Guimelli (Ed), Delachaux et Niestlé, Neuchatel, 233-254. [18] Vergès, P. (1998) Représentations sociales en psychologie économique, Psychologie Economique, C. Roland-Lévy, P. Adair (Eds), Economica, Paris, 19-33.

IAE de Paris (Université Paris 1 Panthéon - Sorbonne) - GREGOR - 2003-01 - 10 Les représentations sociales sur l argent, la banque et l épargne Jale MINIBAS-POUSSARD Université Galatasaray Département de Gestion