L industrie minière en 2013 : transformer un risque élevé en un très grand potentiel pour le Québec Emilio B. Imbriglio Associé, président et chef de la direction de Raymond Chabot Grant Thornton Emilio B. Imbriglio De nombreux défis À court ou moyen terme, la conjoncture peut s avérer difficile pour les minières. Les économies évoluent au ralenti. Le prix des matières premières connaît d importantes chutes ces derniers mois, entrainant la valeur des actions du secteur en baisse. De nombreux enjeux de financement se font sentir, alors que les investisseurs deviennent craintifs et peu ouverts aux risques. Les coûts d exploitation, eux, demeurent en hausse, dépassant parfois le prix vendant des matières. Certaines mines ont repoussé dans le temps leurs décisions d investissements et d autres anticipent des fermetures. Dans ce contexte déjà épineux, les gouvernements cherchent, pour leur part, à taxer davantage le secteur minier tout en augmentant les fardeaux règlementaires, ce qui crée davantage d instabilité et d insécurité. Au Québec, la révision de la loi sur les mines et du système de redevances en sont de bons exemples. Enfin, les incertitudes au sujet de la propriété des actifs, qui retardent les projets et inquiètent les investisseurs, de même que les préoccupations au sujet des impacts environnementaux et de l éthique des affaires, sont autant de facteurs qui nuisent à l image et à la vitalité du secteur. 76 Le Point en Ressources naturelles / Point in Natural Resources
En dépit des défis : > Au Canada 91 % > Au Québec 86 % > À travers le monde 68 % incluant le Canada et le Québec Figure 1. Potentiel minier dans le pays de l actif principal. Pourcentage basé sur les dirigeants de sociétés minières ayant indiqué que leur actif principal est intérieur. Très bon 33 % Bon 35 % Faible ou très faible 9 % Moyen 20 % % d entreprises Les sociétés minières en exploration demeurent optimistes Malgré ces nombreux défis et un contexte particulièrement instable, le rapport sur l industrie minière en 2013 «Transformer un risque élevé en un très grand potentiel» mené par Grant Thornton International révèle que les sociétés minières demeurent optimistes. En effet, au Canada, 91 % des dirigeants de sociétés minières ayant répondu à cette étude estiment que le potentiel minier au pays est bon ou très bon. Ce pourcentage s élève à 86 % au Québec, alors qu il se situe à 68 % à travers le monde. De plus, 34 % des entreprises prévoient une augmentation de leur chiffre d affaires et de leurs revenus, contre 12 % qui prévoient une diminution et 54 % prévoient une augmentation du prix des matières premières de base de leur projet principal, alors que seuls 6 % envisagent une baisse. Néanmoins, 46 % des sociétés minières estiment que leurs dépenses d exploration augmenteront au cours de la prochaine année, 52 % estiment que les coûts de main-d œuvre augmenteront et 55 % envisagent une augmentation des coûts énergétiques. Or, les soldes de trésorerie des petites sociétés minières pourront difficilement faire face à ces dépenses, alors que 54 % des entreprises canadiennes qui ont participé à l étude de Grant Thornton International ont déclaré des soldes de moins de 2 millions de dollars américains. Il s agit du plus faible solde parmi les pays étudiés. Ainsi, 31 % des dirigeants de minières au Québec et au Canada auront besoin de collecter des fonds d ici trois mois. Les petites sociétés minières peuvent encore trouver ce financement, mais pour ce faire, elles doivent améliorer radicalement l efficacité de leurs exploitations, leur expertise en gestion, la façon dont elles présentent leurs occasions d affaires aux investisseurs et se montrer innovantes dans leur recherche de financement. Parmi les principaux éléments qu elles considèrent comme étant des contraintes à la croissance, les entreprises identifient l accès au financement, l augmentation de la participation gouvernementale ou de la règlementation, les procédures d obtention de permis ou de licences, la volatilité des prix des matières premières, les coûts d exploitation, l obtention du soutien des collectivités locales et le manque de travailleurs compétents et qualifiés. À l inverse, les principaux moteurs de croissance identifiés par les sociétés minières en exploration sont la capacité de se procurer des capitaux, l augmentation des prix des matières premières de leur actif principal, de solides contrôles des coûts, une présence de main-d œuvre qualifiée, l augmentation des acquisitions, des coentreprises et des partenariats avec les grandes sociétés, disposer d une chaîne d approvisionnement à haut rendement, l augmentation de la soustraitance des projets par les grandes sociétés et des opérations ou une automatisation à la fine pointe de la technologie. Il convient donc de miser sur ces facteurs et de chercher des solutions pour palier aux risques encourus actuellement par 78 Le Point en Ressources naturelles / Point in Natural Resources
Figure 2. Pourcentage d entreprises présentant divers niveaux de trésorerie. l industrie minière, afin d assurer un avenir brillant à l industrie du Québec et un maintien de l exploration qui permettra non seulement de découvrir les prochaines mines, mais qui permettra aussi au gouvernement d augmenter ses revenus provenant de sociétés minières, de s assurer que des mines continuent d être trouvées et exploitées pour nourrir une partie de l économie québécoise et de créer une importante demande en main-d œuvre, tant au nord qu au sud du 49 e parallèle. Transformer un risque élevé en un grand potentiel Relativement à ces différents risques auxquels sont confrontés les acteurs du secteur minier, de nombreuses mesures de mitigation sont envisageables pour leur permettre de tirer leur épingle du jeu. Ainsi, un plan d action structuré sur 25 à 50 ans, incluant un plan d infrastructures, permettra de compenser en partie l instabilité du prix des matières premières et les importants besoins en infrastructures pour le Nord. Ce besoin en infrastructures jumelé aux importantes distances du Nord et au coût des transports peut désavantager le Québec par rapport à d autres pays actifs dans le secteur. Toutefois, en misant sur la transformation des matières avant leur transport et en mettant en place des processus efficaces de chaînes d approvisionnement, le Québec peut se démarquer de la concurrence et réduire ses coûts de transport. Les demandes des communautés peuvent aussi créer de l incertitude et engendrer un climat instable. 56 % des dirigeants de sociétés minières québécoises voient les contestations de droits d exploration comme un problème important ou modéré, ce qui est beaucoup plus élevé que dans le reste du Canada. Les sociétés minières doivent travailler de concert avec les autorités locales pour obtenir les permis nécessaires, mais si elles ne tiennent pas compte des besoins et des droits des collectivités locales, leurs projets peuvent être mis en danger. L engagement et la participation des partenaires locaux sont essentiels et aident les entreprises à poser les bonnes questions. Pour favoriser ce dialogue, impliquer les communautés et instaurer un climat de confiance, il importe que les parties prenantes mettent le développement durable et la responsabilité sociale au cœur de leurs priorités. «La perception générale est que le partage des richesses entre les sociétés minières et les Premières nations est inégal, et c est un problème que les minières doivent reconnaître et s efforcer de régler. Les sociétés qui ont pris le temps d établir de bonnes relations avec les collectivités 80 Le Point en Ressources naturelles / Point in Natural Resources
Moteurs de la croissance Capacité de se procurer des capitaux 48 % Augmentation des prix des matières premières de votre actif principal 41 % Solides contrôles des coûts Main-d oeuvre compétente 36 % Augmentation des acquisitions, des coentreprises et des partenariats avec les grandes sociétés 26 % Chaîne d approvisionnement à haut rendement 19 % Augmentation de la soustraitance de projets par les grandes sociétés 15 % Opérations/automatisation/ mécanisation à la fine pointe de la technologie 14 % Contraintes à la croissance Accès au financement Augmentation de la participation gouvernementale ou de la réglementation 42 % Procédures d obtention de permis ou de licences 36 % Volabilité des prix des 34 % matières premières 34 % Coûts d exploitation Obtention du soutien des collectivités locales 25 % Manque de travailleurs compétents/qualifiés Diminution du pouvoir de négocier avec les fournisseurs 44 % 26 % 23 % 10 % Figure 3. Moteurs et contraintes à la croissance des sociétés minières qui en sont au premier stade de leur actif principal, soit l «exploration de terres vierges», l «exploration dans des régions connues» ou la «préfaisabilité». % de sociétés ayant indiqué 4 ou 5. locales ont été capables de conclure des ententes fructueuses», explique Anand Beejan, associé et leader du secteur minier chez Raymond Chabot Grant Thornton. Une partie des redevances pourrait aussi retourner directement aux communautés où les minières sont implantées afin de favoriser ce partage de richesses. Comme nous l avons aussi abordé précédemment, l augmentation potentielle des coûts d exploitation, liée notamment au prix des ressources énergétiques et à la main-d œuvre, est un facteur de préoccupation pour les sociétés minières. Toutefois, en améliorant les processus et la productivité, les entreprises pourront compenser la hausse des salaires. L automatisation, des techniques allégées et l amélioration des systèmes de gestion sont autant d éléments qui permettront de minimiser les dépenses. Au-delà de ces solutions, la présence de travailleurs de première ligne, qualifiés et formés aux plus hautes technologies, permettra de compenser la masse salariale par des aptitudes qui permettront, en contrepartie, à l entreprise de se démarquer. La collaboration des institutions d enseignement permettra de former ces travailleurs hautement qualifiés qui pourront créer de la valeur pour le Québec en jouissant d un savoir-faire unique et d une expertise exportable. Les difficultés à trouver du financement et à conclure les transactions pour leur part pourront être compensées en identifiant de nouvelles sources et de nouveaux modèles de financement, pensons notamment aux investissements directs étrangers, aux capitaux, aux fonds d investissement, aux partenariats, aux financements mixtes ou au concept d utilisateurs-payeurs. Les sociétés aujourd hui doivent chercher des solutions innovantes et s ouvrir aux diverses façons de trouver du financement, notamment par les fusions et les acquisitions. Le degré d intervention étatique crée, lui aussi, des incertitudes particulières au moment où les entreprises attendent les décisions du gouvernement québécois sur le nouveau système de redevances minières et où la loi sur les mines et en pleine révision. Or, «la stabilité gouvernementale, une législation claire et un système de redevances compétitif demeurent des éléments cruciaux pour permettre à l industrie minière québécoise de survivre quant à la compétition féroce des autres pays», précise Jean Gauthier, associé et directeur national de la fiscalité 82 Le Point en Ressources naturelles / Point in Natural Resources
chez Raymond Chabot Grant Thornton. En dirigeant leurs sociétés de façon à ce qu elles réussissent malgré les conditions d affaires ardues et un soutien public parfois défaillant, les entreprises pourront néanmoins s assurer un certain succès. Elles devraient, pour ce faire, mettre en place un cadre de conformité règlementaire solide, adapté et y inclure l évaluation de la conformité actuelle, l élaboration de stratégies de réduction des risques et la mise en place de structures rigoureuses pour la production de rapports et la surveillance. De plus, afin d éviter la corruption, la fraude ou le blanchiment d argent, au moment où le Québec est mis sur la sellette pour divers systèmes collusifs, les sociétés minimiseront les risques en élaborant des politiques et des procédures permettant de parcourir les dédales juridiques et en établissant des pratiques éthiques cohérentes et documentées. Maximiser les retombées Les sociétés minières évoluent dans un contexte présentant de grands défis et certaines incertitudes. Elles ont l avantage de planifier à très long terme. Pour être viables, les projets miniers québécois doivent nécessairement faire preuve de viabilité financière afin d avoir accès aux financements. Pour maximiser les retombées, les entreprises gagneront donc à profiter de l environnement propice au développement des ressources, à mettre le développement durable au cœur du dialogue entre les parties prenantes et à s ouvrir aux financements mixtes. Pour sa part, le gouvernement peut favoriser le développement des minières et assurer l exploration permettant la création de nouveaux chantiers qui susciteront des retombées économiques et des emplois pour tout le Québec, en adoptant une fiscalité minière concurrentielle, simple, stable et équitable autant envers les futurs investisseurs étrangers que ceux qui ont déjà pris les décisions d investissements les rendant, à leurs yeux, otages des nouvelles mesures. Le cadre réglementaire se doit d être autant responsable que clair. L élaboration d un plan d infrastructures sur 25 à 50 ans permet des prises de décisions mieux articulées, car sans accès aux ressources, il ne peut y avoir de projets miniers.