PRATIQUE DU TRAVAIL COLLABORATIF EN COMMUNAUTéS VIRTUELLES D'APPRENTISSAGE



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Transcription:

PRATIQUE DU TRAVAIL COLLABORATIF EN COMMUNAUTéS VIRTUELLES D'APPRENTISSAGE Guy Casteignau et Isabelle Gonon C.N.R.S. Editions Hermès, La Revue 2006/2 - n 45 pages 109 115 ISSN 0767-9513 Article disponible en ligne l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2006-2-page-109.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Casteignau Guy et Gonon Isabelle, Pratique du travail collaboratif en communautés virtuelles d'apprentissage, Hermès, La Revue, 2006/2 n 45, p. 109-115. -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution ectronique Cairn.info pour C.N.R.S. Editions. C.N.R.S. Editions. Tous droits rerv pour tous pays. La reproduction ou reprentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autoris que dans les limites des conditions gales d'utilisation du site ou, le cas hnt, des conditions gales de la licence souscrite par votre ablissement. Toute autre reproduction ou reprentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manie que ce soit, est interdite sauf accord prlable et rit de l'iteur, en dehors des cas prus par la lislation en vigueur en France. Il est prisque son stockage dans une base de donns est alement interdit.

Guy Casteignau et Isabelle Gonon Université de Limoges PRATIQUE DU TRAVAIL COLLABORATIF EN COMMUNAUTÉS VIRTUELLES D APPRENTISSAGE 1 Le campus virtuel de la filière TIC de Limoges existe depuis 1998. En 2000, lors de l appel à projet du ministère de l Éducation nationale, il a été retenu comme campus numérique. Il rassemble 600 étudiants qui se forment aux métiers des services sur Internet. Il s agit de formations pour les TIC et par les TIC. Les étudiants francophones, dispersés dans le monde entier, suivent, via Internet, des formations diplômantes. La filière propose trois diplômes d université et quatre diplômes nationaux (Deust, Licence pro, MST et DESS), qui vont de l initiation aux usages de l Internet à un DESS sur le Management de l intelligence collective, en passant par l ingénierie de projets TIC (maîtrise Chef de projet). Il s agit soit de formations professionnelles préparant à un métier, soit de formations professionnelles de seconde compétence permettant d acquérir en une année maximum la compétence pour intégrer les TIC dans son métier d origine. Ces diplômes sont proposés en formation initiale et continue. Le modèle de la communauté virtuelle d apprentissage (ComVir) Le modèle de la communauté virtuelle d apprentissage (ComVir) et la pratique du travail collaboratif se sont imposés assez rapidement dans ce campus virtuel ciblant la thématique générale «TIC et création de valeurs». Cela est venu à la fois de la volonté de l équipe d enseignants qui prônait la pédagogie de projet et de la stratégie de l université qui souhaitait faciliter l accès au savoir pour tous ceux qui ne peuvent HERMÈS 45, 2006 109

Guy Casteignau et Isabelle Gonon se rendre physiquement sur les campus. Lorsque les étudiants ne peuvent se rencontrer physiquement dans un amphi ou une salle de TP, il faut trouver des solutions utilisant les fonctionnalités offertes par le réseau Internet, pour rassembler les individus et leur permettre de travailler sans souffrir de l isolement. Ces solutions doivent prendre en compte les disponibilités et les conditions de vie des étudiants qui, pour la plupart, travaillent et qui, bien souvent, ne vivent pas sous les mêmes fuseaux horaires. Pour cette dernière raison, la plupart des moyens de communication utilisés sont de mode «asynchrone», sauf lorsqu on a ponctuellement besoin de «synchrone». Pour éviter le sentiment d isolement que peut ressentir l étudiant seul derrière l écran de son ordinateur, nous avons opté pour le travail de groupe, en constituant des sortes de communautés d étudiants partageant des intérêts communs et ayant des interactions fortes. Ces communautés sont virtuelles, c est-à-dire déterritorialisées: les membres ne se trouvent pas en un même lieu ou territoire, ils se rencontrent au travers d un écran et de l une des possibilités qu offre Internet (messagerie, chat, etc.). Ces communautés virtuelles sont dites d apprentissage car elles ont pour objectif de favoriser l acte d apprendre, ce qui est aussi le but que poursuivent les étudiants : réussir leurs études. La communauté virtuelle d apprentissage répond donc aux contraintes de la distance, mais elle correspond aussi à un modèle pédagogique : le travail de groupe comme facilitateur des apprentissages (on n apprend jamais sans les autres, on apprend des autres, on apprend des pairs). Enfin ce modèle s est imposé et perdure parce que la communauté virtuelle est une forme de socialisation propre à Internet. Les recherches actuelles sur «l Intelligence collective» nous confortent dans ces choix comme les écrits des spécialistes du Knowledge Management et des communautés de pratique qui voient, dans ce type de communauté, de véritables communautés d apprentissage. Les étudiants du campus virtuel appartiennent à différents niveaux de communautés, ils sont au cœur d une constellation de communautés virtuelles. L organisation du campus virtuel de Limoges en communautés virtuelles d apprentissage Chaque étudiant du campus virtuel appartient simultanément à plusieurs communautés: la communauté globale des étudiants TIC ; la communauté formée des étudiants de sa promotion ; une ou plusieurs communautés d unités d enseignement (UE) s il suit plusieurs enseignements en parallèle et, dans chacune d entre-elles, une communauté de travail collaboratif. Tous les étudiants d une même promotion, compte tenu des systèmes d options ou des aménagements de leur cursus en formation permanente, ne suivent pas forcément les mêmes UE. Ils peuvent dans certains cas rencontrer des étudiants d autres promotions, préparant d autres diplômes. Une représentation graphique de ces multiples appartenances ferait penser à un ciel étoilé : chaque communauté est un ensemble d étudiants comme les constellations sont des ensembles d étoiles. 110 HERMÈS 45, 2006

Pratique du travail collaboratif en communautés virtuelles d apprentissage Ainsi, les étudiants appartiennent à différents niveaux de communautés : la communauté globale des étudiants TIC (600 étudiants inscrits au campus virtuel) ; la communauté des étudiants appartenant à la même promotion (entre 20 et 80 étudiants) ; la communauté des étudiants inscrits à une même unité d enseignement (de 10 à 200 personnes) ; la communauté de travail (6 à 8 étudiants) c est-à-dire les sous-groupes de la précédente communauté. La communauté virtuelle de travail (inspirée de la communauté de projet ou équipe-projet) est le niveau de «proximité». C est une communauté non pérenne, constituée, au minimum pour la durée d une unité d enseignement (UE), au maximum pour la durée de deux ou trois UE (soit de 5 à 16 semaines). C est essentiellement à ce niveau qu est pratiqué le travail collaboratif dans l objectif d apprendre. L organisation des groupes (composés de 6 à 8 étudiants) est parfois définie autoritairement par l enseignant lui-même, parfois laissée à la discrétion des étudiants. La communauté utilise un groupware et plusieurs logiciels de travail collaboratif. Les relations sont intenses, des liens très forts sont noués. L enjeu est grand, la motivation avérée : la note obtenue par le groupe compte pour l obtention de l UE, donc du diplôme. La communauté virtuelle d UE réunit tous les étudiants inscrits pour une durée de quelques semaines dans une même UE : une communauté d UE est composée de plusieurs groupes de travail. Les étudiants ont en commande le travail à réaliser au sein de leur communauté de travail et une liste de diffusion pour les échanges entre sous-groupes, ce qui leur permet de partager leurs questions et leurs réponses. Cette communauté possède le caractère d une communauté de pratique. À ce titre elle a un fort impact dans les apprentissages. Cependant, du fait de sa courte durée de vie, les étudiants s identifient peu à ce groupe. Le système des unités d enseignement créditables (crédits ECTS européens), bâti dans une optique de validation individuelle des connaissances, a un peu trop parcellisé les apprentissages et les communautés qui y sont liées. La communauté virtuelle de promotion est plus pérenne (on en fait partie pour toute la durée de la formation qui, pour certaines, durent plusieurs années). La promo a une identité, elle porte un nom, elle est unique, elle possède sa propre liste de diffusion et les membres y sont réunis par un intérêt commun : suivre un même programme et se soumettre aux mêmes épreuves en vue d obtenir un même diplôme. La communauté de promotion est du type communauté de pratique. La solidarité y est grande, c est la communauté à laquelle l étudiant s identifie le plus. La communauté virtuelle globale des étudiants TIC, le campus virtuel, constitue le cercle le plus large. C est un groupe permanent d environ 600 étudiants ou plus selon les années, dont les membres se renouvellent. On y participe entre 4 mois et 3 ans, ou plus pour ceux qui poursuivent leurs études en changeant de niveaux. C est une communauté d intérêt. L intérêt partagé par tous est la résultante des raisons qui les ont conduits à s inscrire au campus virtuel de l université de Limoges : qualification pour les usages et les métiers de l Internet, nécessité de suivre une formation à distance. Ils possèdent donc des centres d intérêt et des besoins communs. Les étudiants partagent un espace numérique commun et un espace de publication. L animation de cette grande communauté n est pas chose aisée, mais la contrepartie en est la richesse du campus virtuel. Les formateurs participent à tous les niveaux de ces communautés. Il s agit des professeurs responsables des unités d enseignement, des assistants et des tuteurs, des experts et professionnels qui interviennent HERMÈS 45, 2006 111

Guy Casteignau et Isabelle Gonon comme personnes ressources. Ils sont particulièrement responsables de l animation et du suivi du comportement des groupes et des individus. La nature des échanges varie selon le type de communauté. Néanmoins dans ces communautés réunissant des apprenants et leurs formateurs, la plupart des échanges sont l occasion de transmettre des savoirs, des savoirs établis (notamment lorsque l échange implique un enseignant dans son rôle) mais aussi des savoirs tacites que l étudiant va pouvoir s approprier à force de fréquenter ses pairs. Petit à petit, au cours de la formation, se créent des pratiques similaires, des expériences identiques et un vocabulaire partagé. Les communautés virtuelles d apprentissage fonctionnent parce que chacun possède des savoirs (qu il ignore ou qu il est capable d expliciter) liés à son expérience individuelle. L animateur d une communauté s emploie à les faire s exprimer et à les mobiliser lorsqu il y a un problème à résoudre. Les échanges ont lieu dans les forums et au moyen des espaces de publication. Ce partage des connaissances est très important au niveau de la communauté globale et au niveau des communautés d UE où les étudiants ont à résoudre les mêmes problèmes. Les communautés de projet ou de travail, quant à elles, offrent l occasion d apprendre dans l action. C est à ce niveau que le travail collaboratif est pratiqué. Le travail collaboratif c est à la fois : partager (et publier), communiquer, (se) coordonner, (s ) organiser, produire. Pour collaborer il faut donc un projet et une équipe pour le mener à terme : pas de travail collaboratif sans un intérêt commun ou un enjeu partagé. La confiance, la réciprocité, le respect, la solidarité sont indispensables. Dans une communauté virtuelle d apprentissage le projet c est à la fois atteindre les objectifs de connaissances et de compétences et c est réaliser le travail demandé dans le temps imparti. Le respect des échéances est en effet une donnée essentielle d une pédagogie de projet. Les membres des communautés virtuelles de travail mutualisent leurs compétences et coordonnent leurs actions pour mener à bien les apprentissages programmés. L enseignant joue le rôle de médiateur. Des rôles peuvent être définis et attribués aux membres, des tâches peuvent être réparties, toutefois la responsabilité est collective et chacun intervient à toutes les étapes. Il ne s agit donc pas d un travail coopératif ou, après division du travail, l étudiant réalise seul sa partie, avant la mise en commun finale. Dès son inscription au campus virtuel, l étudiant reçoit un «guide du travail collaboratif» et apprend à le pratiquer au cours d une des premières UE, aidé par des tuteurs qui «coachent» leur communauté de travail. Une fois dépassés les problèmes d organisation et les difficultés techniques, cette découverte est toujours un moment fort qui suscite beaucoup d enthousiasme : les individus sont toujours étonnés de l efficacité du travail d équipe pour peu que chacun joue le jeu, et de l intensité, de la convivialité, de la solidarité dont est porteur ce mode de fonctionnement en virtuel. Ces règles ont été élaborées peu à peu par l équipe des formateurs, en intégrant les expériences passées. Mais elles peuvent être améliorées, discutées, renégociées par chacun des groupes. 112 HERMÈS 45, 2006

Pratique du travail collaboratif en communautés virtuelles d apprentissage Les critères de réussite des communautés virtuelles d apprentissage Pour réussir le travail collaboratif en ComVir, il faut composer avec soin les groupes en prenant en compte à la fois l homogénéité et la complémentarité : les conditions de travail des uns et des autres doivent être suffisamment homogènes pour favoriser les échanges, par contre les compétences des membres doivent être complémentaires pour être enrichissantes et pour mieux remplir la diversité des tâches et des rôles. Lorsque la composition des groupes est réussie, au bout d un certain temps, chaque groupe a ses rites, ses propres codes et ses habitudes de travail. Si l équipe est performante, il peut être intéressant de la faire travailler sur plusieurs projets successifs. Cependant, au bout d un certain temps, l avantage devient inconvénient. L intérêt s inverse, la routine l emporte sur la créativité. Il vaut mieux alors induire la redéfinition des groupes (y compris librement) et chaque fois que cela est possible, initier des échanges entre différentes communautés de travail. Le nombre d étudiants a également son importance. À six, l organisation peut encore être informelle : les membres de l équipe se connaissent bien et communiquent beaucoup, ils peuvent en principe travailler et s organiser spontanément, chacun peut s impliquer. À moins de six, les forces ne sont pas assez nombreuses pour des tâches complexes. Par contre, le trinôme est une bonne solution entre l équipe et le travail individuel si la tâche est précise et ciblée. Entre sept et douze (à neuf par exemple), les compétences variées permettent de conduire un projet relativement complexe, il y a matière à capitaliser les compétences, mais il faut une animation, une régulation forte, une organisation (coordination) quelque peu formalisée. Le guide énumère les méthodes de travail, les modes de validation et de décision conseillés pour leur efficacité. Pour ce qui est du choix des outils techniques de l Internet, ils sont selon les cas, conseillés aux étudiants ou laissés à leur libre choix (rarement imposés). Toutefois le travail collaboratif est facilité par l usage d un logiciel de travail collaboratif appelé groupware ou «collecticiel». L avantage d un groupware est qu il réunit différentes fonctionnalités : le mailing, l agenda partagé, le sondage, la notification, la base de données, les signets, le dépôt de fichiers, la publication partagée, la fonction commentaires, etc. Ces fonctionnalités existent aussi séparément. Il n est pas toujours besoin d une plate-forme sophistiquée généralement sousutilisée, il suffit parfois, lorsque le groupe est petit, de la messagerie et d un éditeur partagé. Comme condition de réussite du travail collaboratif en communautés virtuelles d apprentissage, il faut mentionner la «nétiquette» : néologisme qui signifie qu à tous les niveaux, il est nécessaire de respecter à la fois ses interlocuteurs et les règles de fonctionnement. Le mode de communication sur Internet (rapide voire instantané) demande de s exprimer par écrit de manière claire, précise et sans ambiguïté : l humour et le «second degré» passent mal par écrit. Par exemple, si l on doit faire une remarque désagréable, mieux vaut s adresser uniquement à son destinataire et ne pas l envoyer au groupe : un mail adressé à une liste de diffusion est une forme de publication qui donnera une ampleur démesurée à un mouvement d humeur et impliquera de manière gênante tous ceux qui la reçoivent. C est une précaution à respecter si l on veut HERMÈS 45, 2006 113

Guy Casteignau et Isabelle Gonon éviter d être dépassé par l ampleur des réactions que l on aura ainsi suscitées ; il faut savoir qu une liste de diffusion est un terrible amplificateur. Voici quelques règles qu il importe de respecter : répondre aux mails de ses coéquipiers si possible quotidiennement ; ne pas oublier de faire part de ses disponibilités et prévenir de ses absences ; tenir ses engagements afin de ne pas mettre le groupe en difficulté ; veiller à ce que l échange soit équitable, entre ce que l on apporte aux autres et ce que l on retire des échanges. S agissant de publications ou de débat public, le respect de la légalité demande de toujours se soucier de la propriété intellectuelle : citer systématiquement l auteur, lui demander le droit de publier (même en groupe restreint) un document trouvé sur Internet. Lorsqu on incorpore à son travail des éléments d une autre provenance, mieux vaut s assurer que l auteur vous cède bien ses droits (contrat de cession). On remarque ainsi l importance de la sensibilisation au droit sur Internet lors de la mise en œuvre des ComVir. Conclusion Les règles du savoir-vivre en communautés ne sont pas propres aux communautés virtuelles d apprentissage. On les retrouve partout où l on trouve des communautés virtuelles et du travail en réseau, c est-à-dire de plus en plus dans les diverses activités de la vie sociale ou professionnelle. Nous sommes déjà dans une société de la connaissance où la mise en réseau des individus permet de développer l intelligence collective, créatrice de valeur : une valeur qui naît du travail en commun lorsque les membres de la communauté vivent «en bonne intelligence», lorsque leurs relations harmonieuses et fécondes produisent de la richesse. L Internet apporte un «plus» au concept de campus : la gestion du temps et de l espace qui permet à des partenaires distants de travailler ensemble depuis leurs lieux de vie et d être évalués à ce niveau. C est assez rare en situation universitaire où les évaluations diplômantes sont individuelles, pour que cela mérite d être signalé! 114 HERMÈS 45, 2006

Pratique du travail collaboratif en communautés virtuelles d apprentissage NOTES 1. Ce texte est volontairement circonscrit à un compte-rendu d expériences et de pratiques portant sur plusieurs centaines d étudiants en formation initiale et continue [www-tic.unilim.fr] qui se sont déroulées sur une période de huit années (1997-2006). Cette forme de publication inhabituelle peut s avérer utile aux praticiens et aux chercheurs car elle traite des comportements des acteurs des diverses communautés virtuelles, incontournables dans la cyberculture d aujourd hui. L article est centré sur l analyse du vécu, la bibliographie est donc strictement limitée aux «basiques» permettant de comprendre le phénomène émergeant des communautés virtuelles. Les auteurs se proposent d élargir la discussion par courriel avec les lecteurs de cette analyse d expérience, du point de vue des sciences sociales et au regard de certains habitus émergeant sur Internet. 2. Pierre Lévy, docteur en philosophie, s intéresse depuis le début des années 1980 au cyberespace et à la signification des technologies numériques dans nos sociétés. Il est actuellement professeur à l Université d Ottawa ou il détient une chaire d Intelligence collective, rattachée aux départements de Communication et de Psychologie cognitive. Penseur original et auteur prolifique, Pierre Lévy a publié une douzaine d ouvrages dont un ouvrage précurseur de 1997, intitulé l Intelligence collective. 3. Etienne Wenger est un chercheur suisse qui enseigne en Californie. Il a proposé dès 1988 le concept de community of practice. Pour lui, une «communauté de pratique» est une communauté d apprentissage car on apprend en partageant ses connaissances, en discutant lorsqu on est confronté au même problème. C est ce qu il appelle la «négociation de sens». RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES GONON, I., Guide pratique du travail collaboratif en communautés virtuelles d apprentissage, novembre 2003. Disponible sur [http://www-tic.unilim.fr/article.php3?id_article=101]. HARVEY, P.-L., Cyberespace et communautique : appropriation, réseaux, groupes virtuels, Lyon, PUL, 1995. LEVAN, S. K., Travail collaboratif sur Internet : concepts, méthodes et pratiques des projets, Paris, Vuibert, 2004. LÉVY, P., Cyberculture, Paris, Odile Jacob, 1992. LÉVY, P., L Intelligence collective, Paris, La Découverte, 1994. MCDERMOTT, R., WENGER, E., SNYDER, W., Cultivating Communities of Practice : A Practical Guide to Managing Knowledge, Boston, Harvard University Press, 2002. PENALVA, J.-M., COMMANDRE, M., «Typologie du travail collaboratif : variations autour des collectifs en action», Journées Intelligence collective : partage et redistribution des savoirs, Nîmes, 2004. WENGER, E., Communities of Practice : Learning, Meaning and Identity, Cambridge University Press, 1998. HERMÈS 45, 2006 115