BULLETIN DROIT & BANQUE



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Transcription:

BULLETIN DROIT & BANQUE Articles de Fond Les hypothèques légales occultes en droit luxembourgeois Jean-Luc Schaus La protection juridique du consommateur dans le domaine bancaire et financier : morceaux choisis quant à son évolution récente au Luxembourg Jean Brucher Les structures «double luxco» et leur effet sur la structuration des garanties financières luxembourgeoises Franz Fayot, Mathilde Lattard Jurisprudence commentée CJUE, 12 mai 2011, aff. C-144/10, Berliner Verkehrsbetriebe (BVG) c. JPMorgan Chase Bank NA, Frankfurt Branch Commentaire : Arrêt BVG - la Cour de justice de l Union européenne précise la portée de l article 22 point 2 du Règlement Bruxelles I sur la compétence en matière de sociétés et de personnes morales Grégory Minne Arrêt n 63/11 de la Cour constitutionnelle luxembourgeoise du 1er avril 2011 Commentaire : Le régime atténué de responsabilité prévu en faveur de la CSSF n est pas contraire au principe constitutionnel d égalité devant la loi Marc Elvinger Chronique de jurisprudence DE droit bancaire et financier européen (Septembre 2011-Mars 2012) Philippe-Emmanuel Partsch Chronique de jurisprudence fiscale 2011 Jean Schaffner, Flora Castellani EXTRAIT 49 2012 Association Luxembourgeoise des Juristes de Droit Bancaire a.s.b.l.

Conseil d administration de l ALJB Philippe Bourin, Crédit Agricole Luxembourg (Président) Christiane Faltz, State Street Bank Luxembourg (Vice-Présidente) Cosita Delvaux, Notaire (Trésorière) Haiko Heymer, ING Luxembourg (Secrétaire) Catherine Bourin, ABBL Sandrine Conin, KBL European Private Bankers Philippe Dupont, Arendt & Medernach André Hoffmann, Elvinger, Hoss & Prussen Nicki Kayser, Linklaters LLP, Luxembourg Morton Mey, Société Générale Bank & Trust Elisabeth Omes, CSSF Daniel Postal, BGL BNP Paribas Nicolas Thieltgen, Brucher Thieltgen & Partners, Luxembourg Andéol du Trémolet de Lacheisserie, Banque Européenne d Investissement Henri Wagner, Allen & Overy Luxembourg La reproduction d articles parus dans cette revue n est permise que moyennant autorisation de l ALJB et indication de la source ( Bulletin Droit & Banque 49, ALJB, 2012 ). Les articles sont publiés sous la seule responsabilité de leurs auteurs.

BULLETIN DROIT & BANQUE N 49 Mai 2012 Editeur: Association Luxembourgeoise des Juristes de Droit Bancaire a.s.b.l. www.aljb.lu Comité de rédaction: Christiane Faltz State Street Bank Luxembourg S.A. Tel. 46 40 10-910 e-mail : cfaltz@statestreet.com Sandrine Conin KBL European Private Bankers S.A. Tel. 47 97-3114 e-mail : sandrine.conin@kbl-bank.com Nicki Kayser Linklaters LLP, Luxembourg Tel. 26 08 8235 e-mail : nicki.kayser@linklaters.com Elisabeth Omes Commission de Surveillance du Secteur Financier Tel. 2625 1653 Henri Wagner Allen & Overy Luxembourg Tel. 44 44 5 5312 e-mail : henri.wagner@allenovery.com Secrétariat, Inscriptions: e-mail: secretariat@aljb.lu House of Finance B.P. 13 L-2010 Luxembourg

Les structures «double luxco» et leur effet sur la structuration des garanties financières luxembourgeoises Mathilde Lattard et Franz Fayot Avocats Elvinger, Hoss & Prussen Si la jurisprudence «Cœur Défense» a été largement commentée en France, surtout sous l angle des conditions d ouverture de la procédure de sauvegarde de justice, personne ne s est encore penché à ce jour, à notre connaissance, sur les aspects de droit luxembourgeois de cette affaire et ses retombées dans la pratique juridique des financements d acquisition de groupes français. La jurisprudence «Cœur Défense» 1 est en effet à l origine de la création par les praticiens de la structure dite «double luxco» qui a été utilisée dès 2009 dans nombres d opérations françaises de LBO 2. La structure «double luxco» est une ingénierie juridique créée pour protéger les banques face au risque de sauvegarde de leur débiteur dans des opérations d acquisition et de financement de groupes français. Il s agit d un exemple intéressant de structuration juridique multi-juridictionnelle tirant profit de certaines particularités du droit luxembourgeois et 1 Tribunal de Commerce de Paris, 3 novembre 2008, 1ère Chambre A, RG : 2008077996 pour Dame Luxembourg et Tribunal de Commerce de Paris, 3 novembre 2008, 1ère Chambre A, RG : 2008077997 pour Heart of La Défense ; Cour d appel de Paris, 25 février 2010 ; Cass.com., 8 mars 2011 ; Cour d appel de Versailles (sur renvoi) 19 janvier 2012 ; parmi les nombreux commentaires et articles de doctrine concernant ces décisions, ou les analysant dans un contexte plus large, citons notamment les études suivantes : R. Dammann, M. Robert «La sauvegarde, un outil pour protéger les associés du débiteur?», Bull. Joly Sociétés, 1 décembre 2009, n 12, p.1116 ; G. Teboul «L affaire «Cœur Défense» : du nouveau (à propos de C.A. Paris, 25 février 2010), Petites Affiches, 9 mars 2010, n 48, p.12 ; M. Menjucq «Affaire Heart of La Défense : incertitudes sur le critère d ouverture de la procédure de sauvegarde», Rev. Proc. Coll., mai-juin 2010, p.13 ; G. Teboul «La sauvegarde reprend des couleurs : le nouvel arrêt Cœur Défense», commentaire de Cass. Com., 8 mars 2011, P.A. 14 mars 2011, n 51, p.6. 2 Voir divers articles publiés sur les opérations de LBO français en 2010 sur le site de l AGEFI www.agefi.fr.et notamment : Fabrice Anselmi, «Les sûretés portent de plus en plus sur des actifs tangibles», 8 avril 2010, Fabrice Anselmi, «un test pour la «double luxco»», 14 octobre 2010. prenant appui sur le Règlement européen 1346/2000 relatif aux procédures d insolvabilité, tel que modifié (ci-après, le «Règlement Insolvabilité») afin de remédier aux risques se présentant dans des opérations de financement du fait d une application extensive (y compris dans les financements de LBO) par les tribunaux français des conditions d ouverture d une procédure de sauvegarde protectrice des intérêts des débiteurs. Bien que certains émettent des doutes sur sa pérennité, la structure «double luxco» ne peut donc être ignorée car elle a une réalité économique avérée et un impact juridique fort sur la structuration des sûretés luxembourgeoises dans les opérations d acquisition et de financement de groupes français. Avec la récente confirmation par la Cour d appel de Versailles le 19 janvier 2012 3 de la possibilité d ouvrir une procédure de sauvegarde s agissant de sociétés luxembourgeoises de détention de participation financière dans des opérations de financement structuré, on peut s attendre à ce que les structures «double luxcos», continuent d être réclamées par les banques du moins dans les opérations d envergure justifiant le recours à ce type de mécanisme complexe. 1. Les origines de la structure «double luxco» : la jurisprudence «Cœur Défense» De manière simplifiée, la structure «Cœur Défense» était la suivante. Un immeuble situé dans le quartier des affaires de la Défense à Paris avait été acheté via la mise en place d une société par actions simplifiée française, la société Heart of La Défense 3 La Cour d appel de Versailles a statué sur renvoi de l arrêt de la chambre commerciale la Cour de cassation du 8 mars 2011. Cour d appel de Versailles, 13 ième Chambre R.G. N 11/03519. Pour un premier commentaire sur l arrêt de C.A. Versailles, 19 janvier 2012, «Coeur Défense : la cour d appel de Versailles donne gain de cause au propriétaire», M. Pauwels, Dow Jones Newswire, sur www.zonebourse. com, 19 janvier 2012. ALJB - Bulletin Droit et Banque N 49 Mai 2012 31

(ci-après «HoLD»), détenue par une SOPARFI 4 luxembourgeoise, la société Dame Luxembourg S.à r.l. Le seul actif de Dame Luxembourg S.à r.l. était les actions détenues dans HoLD. Pour les besoins de l acquisition et du refinancement, divers prêts avaient été souscrits par HoLD auprès de banques du groupe Lehman Brothers. Ces emprunts firent l objet d un ensemble de sûretés comprenant une cession Dailly sur les baux conclus par HoLD, une hypothèque sur l immeuble et un nantissement de droit français de l intégralité des titres détenus par Dame Luxembourg S.à r.l. dans HoLD. HoLD avait par ailleurs conclu deux contrats de couverture auprès d une entité du groupe Lehman Brothers. Schéma simplifié de la structure «Cœur Défense» Dame Luxembourg S.à r.l. (SOPARFI luxembourgeoise) 100% HEART OF LA DEFENSE SAS SCI Karanis Immeuble Cœur Défense Contrat de nantissement de comptes d instruments financiers en garantie de la dette bancaire soumis au droit français signé en France par le Président de Heart of La Défense Dette bancaire SCI Karanis : Dissolution sans liquidation avec transmission universelle du patrimoine Immeuble situé dans le quartier des affaires de La Défense à Paris A la suite de la faillite des sociétés du groupe Lehman Brothers en septembre 2008 aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, les créanciers de HoLD exigèrent la conclusion d un nouveau contrat de couverture auprès d une banque dont la notation financière serait conforme aux critères convenus dans les contrats de prêt. Dans le contexte économique de l époque, HoLD fut dans l incapacité de conclure un tel contrat. 4 SOPARFI est l abréviation pour désigner une société de participations financières. Une SOPARFI est une société commerciale, en règle générale, non réglementée ayant pour objet la détention de participations financières dans d autres entités ainsi que la gestion, le contrôle et le développement de ces participations à l exclusion de toute activité commerciale opérationnelle. Devant la menace de la déchéance du terme du contrat de prêt, Dame Luxembourg S.à r.l. et HoLD sollicitèrent et obtinrent en date du 3 novembre 2008 du Tribunal de commerce de Paris l ouverture d une procédure de sauvegarde française à leur encontre. 5 Après avoir constaté que «la société Dame Luxembourg SARL est une société de droit luxembourgeois ayant son siège social au Luxembourg», le Tribunal de commerce de Paris retient néanmoins sa compétence pour statuer à l égard de Dame Luxembourg S.à r.l. en se fondant sur l article 3 du Règlement Insolvabilité aux termes duquel le tribunal compétent pour ouvrir une procédure principale d insolvabilité est celui où se situe le centre des intérêts principaux du débiteur. L article 3 du Règlement Insolvabilité prévoit une présomption simple que le centre des intérêts principaux d un débiteur est le lieu de son siège statuaire. Le considérant 13 du Règlement Insolvabilité indique que «le centre des intérêts principaux devrait correspondre au lieu où le débiteur gère habituellement ses intérêts et qui est donc vérifiable par les tiers». Le Tribunal de commerce de Paris, s appuyant sur une jurisprudence communautaire bien établie 6, jugea qu un faisceau d indices concordants et vérifiables par les tiers démontre que le centre des intérêts principaux de Dame Luxembourg S.à r.l. n était pas au Luxembourg (situation de son siège statutaire) mais en France et plus particulièrement à Paris aux motifs que 7 : la direction stratégique et opérationnelle de Dame Luxembourg S.à r.l. se confond avec celle de la société détentrice du patrimoine immobilier; qu elle est exercée par des personnes de nationalité française et se situe à Paris au siège de la société HoLD, le siège social de HoLD est à Paris, Dame Luxembourg S.à r.l. n emploie aucun salarié, Dame Luxembourg S.à r.l. a pour seul réel actif 100% des actions émises par HoLD, société 5 En vertu de l article L620-1 du Code de commerce français, «Il est institué une procédure de sauvegarde ouverte sur demande d'un débiteur [ ] qui, sans être en cessation des paiements, justifie de difficultés qu'il n'est pas en mesure de surmonter. Cette procédure est destinée à faciliter la réorganisation de l entreprise afin de permettre la poursuite de l activité économique, le maintien de l emploi et l apurement du passif». 6 Voir notamment : CJCE, 2 mai 2006, Eurofood IFSC Ltd, aff.c-341/04 et CJUE, 20 octobre 2011, Interedil Srl, aff. C-396/09. 7 Le raisonnement du Tribunal de commerce de Paris, s appuyant sur un faisceau d indices concordants et vérifiables, est reproduit ici quasiment in extenso. 32 ALJB - Bulletin Droit et Banque N 49 Mai 2012

de droit français dont le principal actif est l immeuble Cœur Défense, Dame Luxembourg S.à r.l. a réalisé principalement deux actes juridiques depuis sa constitution : la constitution de HoLD et la constitution du gage de compte d instruments financiers. Les deux actes sont des instruments en langue française, négociés à Paris, régis par le droit français, et soumis à la compétence des juridictions françaises, le gage de compte d instruments financiers sur les actions de HoLD a été signé par le président de HoLD pour compte de Dame Luxembourg S.à r.l., et les négociations sur la mise en place de la structure d acquisition et de financement de HoLD comme celles en cours ont eu lieu à Paris. Selon le Tribunal, cette situation semblait parfaitement connue des créanciers de Dame Luxembourg S.à r.l. et des prêteurs de HoLD, bénéficiaires du gage de compte d instruments financiers, qui étaient tous impliqués dans le processus d acquisition et de refinancement par HoLD. Le Tribunal de commerce de Paris justifiait encore l extension de la sauvegarde à Dame Luxembourg S.à r.l. par la considération d une bonne administration de la justice. La localisation du centre des intérêts principaux de Dame Luxembourg S.à r.l. en France et plus particulièrement à Paris fut confirmée par le Tribunal de commerce de Paris dans un jugement du 7 octobre 2009 rendu à la suite d une tierce opposition faite par un créancier des deux sociétés 8. Les jugements du 3 novembre 2008 ouvrant les procédures de sauvegarde furent rétractés par un arrêt de la Cour d appel de Paris du 25 février 2010 9. La Cour d appel retint en substance que Dame Luxembourg S.à r.l. n avait pas éprouvé de difficultés à poursuivre son activité de gestionnaire 8 Tribunal de commerce de Paris, 7 octobre 2009, RG : 2008089778 pour Dame Luxembourg S.à r.l. et Tribunal de commerce de Paris, 7 octobre 2009 RG : 2008089840 pour Heart of la Défense. La Cour d appel de Versailles dans son arrêt du 19 janvier 2012 a, sur la base des critères retenus initialement par le Tribunal de commerce de Paris et sur d autres éléments factuels versés aux débats devant elle, confirmé que des faits et actes, objectifs et vérifiables par les tiers, constituant un faisceau d indices concordants démontraient que le centre des intérêts principaux de Dame Luxembourg S.à r.l. se situait à Paris où étaient gérés ses principaux intérêts et a donc confirmé le centre des intérêts principaux de Dame Luxembourg S.à r.l. à Paris et la compétence du Tribunal de commerce de cette ville pour statuer sur la demande de sauvegarde présentée par cette société. 9 Cour d appel de Paris, 25 février 2010, Chambre 9, RG : 09/22756. de portefeuille de titres et qu elle ne devait donc pas solliciter l ouverture d une procédure de sauvegarde à seule fin de faire échec à l exécution du pacte commissoire concernant les titres sociaux qu elle détenait dans le capital de HoLD. L arrêt d appel du 25 février 2010 fut interprété par les commentateurs 10 comme un désaveu du jugement du Tribunal de commerce quant aux conditions d ouverture de la procédure de sauvegarde, donc y compris dans des circonstances où la mise sous sauvegarde relevait surtout et manifestement de la volonté d empêcher le recours de créanciers privilégiés à la réalisation de leurs sûretés dans un contexte d échec imminent des discussions sur un plan de restructuration. La procédure de sauvegarde de justice ouverte à l encontre des deux sociétés fut annulée suite à cet arrêt. La Cour d appel ne s est plus prononcée sur la question de la compétence à statuer à l égard de Dame Luxembourg S.à r.l. mais s est limitée à analyser les conditions d ouverture de la procédure de sauvegarde, considérées comme non réunies en l espèce. Par un arrêt de cassation en date du 8 mars 2011, la chambre commerciale de la Cour de cassation a cassé et annulé l arrêt de la Cour d appel de Paris et a renvoyé les parties devant la Cour d appel de Versailles 11, marquant un risque de retour vers une admission plus large des cas d ouverture des sauvegardes de justice 12 y compris dans le cadre d opérations de financement d envergure et mettant en péril le bénéfice des sûretés obtenues par les banques pour sécuriser les prêts octroyés. La Cour d appel de Versailles statuant sur renvoi a confirmé cette tendance dans son arrêt du 19 janvier 2012 en confirmant le centre des intérêts principaux de Dame Luxembourg S.à r.l. à Paris et la compétence du Tribunal de commerce de Paris à ouvrir une procédure de sauvegarde à son encontre et en jugeant que les sociétés HoLD et Dame Luxembourg S.à r.l. remplissent les conditions d ouverture d une procédure de sauvegarde. 2. Les enjeux de la jurisprudence «Cœur défense» et la réponse des praticiens : la structure «double luxco» La conséquence immédiate de la mise sous sauvegarde française des deux sociétés fut 10 Stéphane Cavet, «Cœur Défense : et la Cour de cassation créa le droit du débiteur en difficulté», Revue Lamy droit des affaires mai 2011 n 60 et Alain Couivet et Bruno Dondero, «l arrêt Cœur Défense, ou la sauvegarde de la sauvegarde», Semaine Juridique Entreprise et Affaires n 11 17 mars 2011. 11 Cass. Com. 8 mars 2011, n de pourvoi : 10-13988, 10-13989 et 10-13990. 12 Pierre-Michel le Corre, «La Restauration jurisprudentielle du climat de confiance à l égard de la sauvegarde» Recueil Dalloz 2011, p.919. ALJB - Bulletin Droit et Banque N 49 Mai 2012 33

l incapacité pour les banques ayant consenti le prêt à HoLD de réaliser notamment le nantissement sur les titres de HoLD, l un des effets principaux de la procédure de sauvegarde française étant de suspendre immédiatement toute possibilité de réaliser des sûretés. 13 Face à une jurisprudence incertaine et changeante 14 concernant les conditions d ouverture de la sauvegarde, les banques prêteuses se trouvèrent exposées à une incapacité légale de réaliser leurs sûretés dans l hypothèse où la direction de l emprunteur décide de se réfugier derrière une procédure de sauvegarde française. Au-delà du risque réel de s enliser dans une sauvegarde, la menace même d une telle procédure brandie comme dernier recours par les emprunteurs lors de négociations de restructuration de dette était souvent suffisante pour obtenir d importantes concessions de la part des banques créancières. Les praticiens ont répondu aux inquiétudes des banques en leur proposant la mise en place d une structure dite «double luxco». A priori, cette structure est simple car consistant dans la superposition d une seconde holding luxembourgeoise et d une sûreté de droit luxembourgeois: l emprunteur acquéreur (bidco) français est détenu par une société luxembourgeoise (Luxco 2), elle-même détenue par une autre société luxembourgeoise (Luxco 1). Pour garantir les obligations financières de l emprunteur, Luxco 1 donne un gage de droit luxembourgeois sur les actions qu elle détient dans Luxco 2. Les banques réclament bien entendu encore d autres sûretés en garantie de leurs risques, mais dans le cadre du sujet qui nous intéresse, seul le contrat de gage luxembourgeois sur les actions de Luxco 2 sera envisagé. Schéma simplifié d une structure «double luxco» Investisseurs Luxco 1 Luxco 2 Entité française Gage de droit luxembourgeois 13 L article L 622-7 du Code de commerce français dispose que le jugement ouvrant la procédure de sauvegarde fait obstacle notamment à la réalisation d un pacte commissoire. Il s agit d une exception à la validité des pactes commissoires en matière de sûretés. 14 Voir notamment aussi, outre les affaires Cœur Défense, les jugements «Technicolor» (Tribunal de commerce de Nanterre, 17 février 2010. P.A. 1.4.2010 note G. Teboul) et «Belvédère», (Tribunal de commerce de Beaune, 16.7.2008 Revue soc. 2008 p.984, note M. Menjucq). Contrairement à la constellation des sociétés «Cœur Défense», la structure «double luxco» repose sur une sûreté de droit luxembourgeois portant sur les actions de Luxco 2. Ce gage se trouve au cœur du dispositif «double luxco» et vise à permettre aux banques prêteuses de prendre le contrôle de la société faîtière de la société-mère française en cas de menace de mise sous sauvegarde de justice de celle-ci. Ce dispositif d isolement et de protection de la sûreté sur Luxco 2 repose sur deux piliers : D une part, il faudra s assurer que tous les éléments pertinents pour la détermination du centre des intérêts principaux de Luxco 2 (et de Luxco 1) soient et demeurent au Luxembourg, ceci afin de minimiser le risque qu un Tribunal de commerce français se déclare compétent pour ouvrir une procédure de sauvegarde en faveur des sociétés luxembourgeoises. (1) D autre part, il conviendra de faire en sorte que les actions de Luxco 2 soient, avec un maximum de certitude, situées au Luxembourg. La finalité de cet exercice étant de bénéficier, en cas de mise sous sauvegarde de Luxco 1 des dispositions de l article 5 du Règlement Insolvabilité. 15 (2) Pour le surplus, la sûreté luxembourgeoise bénéficiera de la protection qui lui est accordée en cas de faillite de ses contreparties en vertu de la loi du 5 août 2005 modifiée sur les contrats de garantie financière 16 (la «Loi Garantie Financière»). En théorie donc, le montage «double luxco» viserait (i) à prévenir l ouverture d une procédure de sauvegarde par une localisation du centre des intérêts principaux des sociétés luxembourgeoises au Luxembourg et (ii) au cas où un tribunal français ouvrirait néanmoins une procédure de sauvegarde à l encontre de toutes les sociétés de la chaîne, à pouvoir réaliser le gage sur les actions de Luxco 15 L article 5 du Règlement Insolvabilité selon lequel «l ouverture d une procédure d insolvabilité n affecte pas le droit réel d un créancier ou d un tiers sur des biens corporels ou incorporels, meubles ou immeubles ( ) appartenant au débiteur, et qui se trouvent, au moment de l ouverture de la procédure sur le territoire d un autre État membre». En d autres termes il faut que les actions gagées (celles de Luxco 2) en vertu du contrat de gage luxembourgeois constituent des biens réels au sens de ce règlement et se trouvent au Luxembourg avant qu une procédure d insolvabilité principale soit ouverte dans un autre pays. 16 Voir l article 20 de cette loi qui dispose que «les contrats de garantie financière d avoirs ainsi que les faits entraînant l exécution de la garantie, les contrats de compensation et les modalités d évaluation et d exécution convenues entre les parties conformément à la présente loi sont valables et opposables aux tiers, commissaires, curateurs, liquidateurs et autres organes similaires nonobstant l existence d une mesure d assainissement, d une procédure de liquidation ou la survenance de toute autre situation de concours, nationale ou étrangère.» 34 ALJB - Bulletin Droit et Banque N 49 Mai 2012

1, actions localisées au Luxembourg, afin de prendre, in fine, le contrôle de la société française faîtière pour rabattre ou éviter une procédure de sauvegarde. Une banque pourrait ainsi réaliser la sûreté luxembourgeoise nonobstant l existence d une mesure d assainissement, d une procédure de liquidation ou la survenance de toute autre situation de concours, nationale ou étrangère, en ce compris une procédure de sauvegarde française. Cela signifie que ni la faillite de Luxco 1 ou de Luxco 2 au Luxembourg, ni une procédure de sauvegarde française à l encontre de l emprunteur ne pourraient empêcher les banques de réaliser leur gage sur les actions de Luxco 2. Si la finalité de la structure «double luxco» est bien identifiée, sa traduction dans la réalité a soulevé certaines discussions qui se sont traduites dans la structuration des garanties financières luxembourgeoises et des statuts des sociétés luxembourgeoises. 3. Effets de la structure «double luxco» sur la structuration des garanties financières luxembourgeoises Comme on vient de le voir, l objectif de la structure «double luxco» est de permettre aux banques prêteuses soit d éviter la survenance d une procédure de sauvegarde, soit d en limiter les effets en réalisant leur sûreté y compris en cas d ouverture d une procédure de sauvegarde ou autre procédure assimilée nationale ou étrangère. Il n est donc pas surprenant que la structure «double luxco» a essentiellement eu un effet sur la structuration des contrats de gage sur actions qui peuvent permettre aux banques de prendre le contrôle des sociétés luxembourgeoises pour remplir cet objectif. Il a fallu imaginer des clauses visant, d une part, à assurer le maintien du centre des intérêts principaux des sociétés luxembourgeoises à Luxembourg et, d autre part, à permettre in fine la prise de contrôle de l emprunteur français par le bénéficiaire du gage. a. Les clauses de maintien du centre des intérêts principaux au Luxembourg Dans l affaire «Cœur Défense», le Tribunal de commerce de Paris a pu, sur base d un faisceau d indices (parmi lesquels la seule détention par Dame Luxembourg S.à r.l. d avoirs localisés en France a sans doute joué un rôle important, ce qui a été confirmé par la Cour d appel de Versailles en janvier 2012), considérer que le centre des intérêts principaux de Dame Luxembourg S.à r.l. était en France et ouvrir ainsi une procédure de sauvegarde à son encontre sur la base de l article 3 du Règlement Insolvabilité. Dans une structure «double luxco», Luxco 1 est une société de participation financière luxembourgeoise dont le seul actif direct est la détention d actions dans Luxco 2, une autre société luxembourgeoise. La probabilité qu un Tribunal français considère que le centre des intérêts principaux de Luxco 1 soit situé en France serait ainsi réduite. Il est cependant à notre sens incertain si ces clauses suffisent à elles seules à ancrer la Luxco faîtière à Luxembourg en cas de menace d insolvabilité. En se référant aux indices retenus par le Tribunal de commerce de Paris en 2008, il existe un risque qu un Tribunal français conclura néanmoins que la direction stratégique et opérationnelle de Luxco 1 se confond avec la direction (française) du groupe et que les négociations pour la mise en place de la structure d acquisition et du financement qui l accompagne ont eu lieu en France et sont soumis au droit français. Les clauses de maintien du centre des intérêts principaux devront dès lors s accompagner de mesures concrètes visant à assurer, selon les critères jurisprudentiels identifiés, la localisation de la société au Luxembourg : administrateurs résidant au Luxembourg, ou du moins hors de France, tenue de réunions régulières du conseil d administration au Luxembourg, soumission des contrats concernant la société luxembourgeoise au droit luxembourgeois. Pour asseoir la protection recherchée contre la mise sous sauvegarde, la garantie de la localisation des actions de Luxco 1 au Luxembourg jouera à notre sens également un rôle primordial. b. La localisation des actions de Luxco 1 et Luxco 2 au Luxembourg Selon une opinion majoritaire, largement reflétée lors des opérations de LBO françaises de 2010, le maintien au Luxembourg des titres gagés en vue de l application de l article 5 du Règlement Insolvabilité, est assuré de la manière la plus certaine par un dépôt d actions au porteur d une société anonyme auprès d une banque dépositaire luxembourgeoise. Les alternatives impliquant des actions nominatives d une société anonyme ou encore de parts sociales de société à responsabilité sont à éviter. En effet, s agissant des parts sociales de S.à r.l., la pratique était longtemps partagée quant à leur qualification en tant que titres ou créances. On peut aujourd hui estimer que ce débat est tranché, alors que la Loi sur les Garanties Financières assimile les parts sociales d une S.à r.l. aux instruments financiers notamment pour ce qui est de la réalisation d un gage 17. Si une qualification différente était néanmoins retenue, le risque serait que les créances constituées par les parts de S.à r.l. soient localisées au lieu du débiteur (article 2 du Règlement Insolvabilité) et si la société 17 Voir article 12 de la Loi sur les Garanties Financières. ALJB - Bulletin Droit et Banque N 49 Mai 2012 35

luxembourgeoise arrivait à démontrer que son centre des intérêts principaux est en France et non au Luxembourg, les créances (parts sociales de S.à r.l.) seraient considérées comme étant localisées en France et non au Luxembourg. Dans ce cas, les banques ne pourraient pas bénéficier de l article 5 du Règlement Insolvabilité qui a vocation à ne s appliquer qu à des droits réels situés dans un état membre différent de l état membre de l ouverture de la procédure principale d insolvabilité et se trouveraient dès lors exposées à un risque du type «Cœur Défense». S agissant des actions nominatives de société anonyme et en raison de l absence d un registre public au Luxembourg (condition requise par les articles 2 (g) et 5 du Règlement Insolvabilité) il peut y avoir un doute sur la localisation de ce registre d actions nominatives engendrant également un risque pour les banques de ne pas pouvoir exercer leur gage. La solution préférée est dès lors un gage sur des actions au porteur d une société anonyme luxembourgeoise. Les actions au porteur constituent sans nul doute des «biens corporels» visés à l article 2 (g) du Règlement Insolvabilité et, pour autant que ces titres papiers restent localisés au Luxembourg, le bénéficiaire du gage pourra, sur la base de l article 5 du Règlement Insolvabilité, exercer son gage en conformité avec le droit luxembourgeois nonobstant l ouverture d une procédure de sauvegarde ou autre procédure assimilée française. Ceci devrait rester vrai même au cas où un Tribunal de faillite français refuserait de reconnaître l efficacité, dans le cadre d une procédure collective française, des dispositions de l article 20 de la Loi Garantie Financière. Pour assurer le maintien des actions au porteur au Luxembourg, celles-ci sont confiées à un dépositaire convenu entre les parties au contrat de gage. Les contrats de gage de structure «double luxco» contiennent donc une clause de nomination d un dépositaire et de fonctionnement de ce dépôt. Dans une situation idéale, le dépositaire sera une banque luxembourgeoise car seul un établissement bancaire peut garantir la ségrégation des avoirs en dépôt par rapport à ses propres avoirs. Dans le cas où pour une raison ou une autre, la solution des actions au porteur n a pu être retenue, c est le registre nominatif qui sera déposé auprès d un dépositaire qui sera un domiciliataire luxembourgeois. Le dépositaire sera donc partie au contrat de gage et prendra l engagement principal de maintenir pendant toute la durée du gage les titres au porteur / le registre d actions nominatives au Luxembourg. Comme toute partie au contrat, le dépositaire fera les déclarations et représentations d usage quant à son existence, sa validité, sa capacité ainsi que certaines déclarations spécifiques relatives à son propre maintien au Luxembourg et à l application du principe de ségrégation des avoirs s agissant d un établissement bancaire. c. Les clauses de prise de contrôle L objectif de ces clauses est de permettre au bénéficiaire du gage de prendre le contrôle de Luxco 2 (qui est immédiatement au-dessus de la société faîtière française) en cas de survenance de certains évènements 18 afin d éviter ou de limiter les effets d une procédure de sauvegarde et de manière générale de prévenir toute décision qui pourrait ébranler la structure «double luxco» et notamment le maintien du centre des intérêts principaux au Luxembourg. Concrètement, la clause du contrat de gage relative au droit de vote sera aménagée pour prévoir qu en cas de survenance de certains événements le bénéficiaire du gage pourra prendre le contrôle de la société luxembourgeoise afin d exercer les droits de vote mais uniquement pour voter sur des décisions nécessaires à l évitement d une procédure de sauvegarde et/ou au maintien de la structure «double luxco». Ces «événements» peuvent être les suivants : l ouverture d une procédure de sauvegarde ou de sauvegarde financière accélérée affectant les sociétés françaises du groupe et/ou Luxco 2 à moins que le bénéficiaire des sûretés ait donné son accord à une telle procédure ; à la suite de l ouverture d une procédure de sauvegarde ou de sauvegarde financière accélérée conformément à l autorisation donnée par le bénéficiaire des sûretés, la soumission d un plan de restructuration sans l accord préalable du bénéficiaire des sûretés ; la modification des statuts des sociétés luxembourgeoises de sorte à modifier les droits des bénéficiaires des sûretés, la nationalité des sociétés ou tout autre élément substantiel pour la structure «double luxco» ; la modification des règles de nomination des membres des organes de direction des différentes sociétés de la structure. Si un de ces événements survient, le bénéficiaire du gage doit être autorisé à prendre le contrôle de Luxco 2, mais uniquement dans le but de limiter les effets ou d éviter une procédure de sauvegarde et/ou de maintenir la structure «double luxco». Les établissements bancaires n accepteraient pas et devraient d ailleurs, pour ne pas être qualifiés de 18 Ces événements sont dénommés en anglais «trigger events». 36 ALJB - Bulletin Droit et Banque N 49 Mai 2012

gérants de fait, soigneusement éviter de s immiscer davantage dans la gestion des groupes de sociétés. 4. Effets de la structure «double luxco» sur la rédaction des statuts des sociétés luxembourgeoises Les effets de la structure «double luxco» sur la rédaction des statuts des sociétés luxembourgeoises ne sont que le parallèle des impératifs de structuration que l on vient d analyser en rapport avec les contrats de garantie financière. Les objectifs demeurent d assurer le maintien du centre des intérêts principaux au Luxembourg et la prise de contrôle du bénéficiaire du gage. a. Les clauses des statuts relatives au maintien du centre des intérêts principaux au Luxembourg La notion de centre des intérêts principaux étant au cœur de la structure «double luxco», la première clause des statuts à laquelle il faudra veiller est celle relative au siège social. Il faudra par exemple s assurer que les sociétés luxembourgeoises, contrairement à ce qui est généralement admis, ne puissent ouvrir des établissements à l étranger, ni transférer leur siège social en dehors de Luxembourg. Pour donner toute son efficacité à la nomination d un dépositaire dans le contrat de gage, les statuts vont également refléter le maintien des actions au porteur / du registre des titres nominatifs auprès d un dépositaire demeurant au Luxembourg. b. Les clauses des statuts relatives à la prise de contrôle Le contrat de gage doit permettre au bénéficiaire du gage de prendre le contrôle de la société luxembourgeoise en cas de survenance d un «événement» (voir ci-avant) de sorte à éviter ou limiter les effets d une sauvegarde française et de maintenir la structure «double luxco». Pour que ce mécanisme fonctionne pleinement, celui-ci va être inséré dans les statuts par référence au contrat de gage. 5. Conclusion : quel avenir pour les structures «double luxco»? Nées de la crise de 2008, les «double luxco» ont révélé de nombreux avantages et sont désormais bien établies comme structure privilégiée dans le cadre de financements d acquisitions de grande envergure en France. 19 Pour les praticiens, la mise en place des structures «double luxco» a exigé un effort de structuration prenant en compte les contraintes législatives françaises, luxembourgeoises et européennes et un travail conséquent de rédaction. Ces efforts ont permis aux parties, banques et acquéreurs, de mener ensemble une réflexion en amont de la transaction avec pour objectif la recherche d un équilibre tant pendant la durée de vie de leur collaboration que lors d une éventuelle rupture. La confirmation de la mise sous sauvegarde de Dame Luxembourg S.à r.l. par la Cour d appel de Versailles devrait présager une attraction continue des banques pour les structures «double luxco» celles-ci leur permettant de sécuriser leur risque de crédit. Avec l apparition de régimes semblables à celui de la sauvegarde dans d autres pays européens, il est possible que ce montage perdure et soit, pourquoi pas, répliqué lors d opérations d acquisition dans d autres pays. 19 La pratique analyse désormais d autres développements jurisprudentiels importants en France également quant à la lumière des structures «double luxco». Voir notamment, quant à l incidence de la reconnaissance par la Cour de cassation française des clauses de «parallel debt» dans l arrêt Belvédère du 13 septembre 2011 : «The theory is that the topluxco, by the nature of its business, cannot have a centre of main interest (within the meaning of Council Regulation 1346/2000 of May 29 2000 on insolvency proceedings) anywhere other than its registered office, since its sole activity is to own a company incorporated there and everything else about the topluxco is local. Clearly, the validity of the parallel debt is critical as it enables the creditors to take control of the equity of the luxco and hence replace the directors of the luxco, bidco and target and its subsidiaries with directors more amenable to taking into account the creditors interest.» D. Chijner, N. Ankri «Certainty at last», IFLR, novembre 2011, p. 43. ALJB - Bulletin Droit et Banque N 49 Mai 2012 37

2012 Association Luxembourgeoise des Juristes de Droit Bancaire a.s.b.l. WWW.ALJB.LU B.P. 13, L-2010 Luxembourg C.C.P.L. IBAN LU19 1111 0754 4576 0000