État, Associations et Entreprises sociales Financement et nouvelles logiques



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Transcription:

État, Associations et Entreprises sociales Financement et nouvelles logiques Pierre Artois * Cécile de Préval ** Viviane Ska *** * Université Libre de Bruxelles (ULB) ** Union des entreprises à profit social (UNIPSO) *** Haute école Louvain en Hainaut (HELHA-HENALLUX) L analyse des modalités de financement des prestataires de politiques sociales est le parent pauvre des recherches menées dans le monde francophone. Pourtant, ces modalités de financement apparaissent comme un facteur important de différenciation. Certains auteurs l abordent à travers la question de la gouvernance (Hoarau & Laville, 2008), d autres en se centrant sur «l utilité sociale» (Hély, 2010) de ces organismes. Ce numéro souhaite ouvrir un espace de réflexion afin de mettre en lumière des enjeux liés aux transformations des pratiques et référentiels du monde associatif dans ses relations avec les pouvoirs publics en matière de financement, mais aussi en situant cette réflexion dans le cadre plus large des rapports Etat, associations et entreprises sociales. 4

Présentation Pierre Artois, Cécile de Préval et Viviane Ska En Belgique, comme dans bon nombre d autres pays européens, les associations occupent une place toujours plus importante dans la société, que ce soit en remplissant des missions d intérêt général ou en apportant des solutions novatrices aux nouveaux défis sociaux. Leur participation aux politiques sociales, tout comme les pratiques développées, paraissent de plus en plus normalisées. En effet, avec l adoption de nouveaux cadres au sein des politiques publiques, la place accordée aux associations et aux entreprises sociales, leur mission, leur fonctionnement ainsi que leur mode d organisation et leurs fonctions s en trouvent pleinement modifiées. Le référentiel d utilité sociale traduisant une désétatisation progressive de l intérêt général permet de comprendre l arrivée de normes gestionnaires. L analyse de ces dernières permet d aborder la qualité des services proposés et les conditions de travail des professionnels, ainsi que d émettre des critères de performances et de modalités d évaluation. Dès lors, ces nouveaux modes de financement sont-ils inévitables ou doivent-ils être considérés comme des instruments de gestion à distance par les pouvoirs publics? La collaboration entre l État et les associations fut basée sur le système de la liberté subsidiée mais glisse vers un mode de régulation tutélaire, de par le progressif encastrement des associations dans le secteur public (Eme, 2001) ; cet encastrement, double en réalité, comprend une dimension politique mais également technico-fonctionnelle. Politique car les associations par leurs objets, participent aux politiques publiques alimentant le débat de cité ; technique et fonctionnel car une rationalité instrumentale se crée à mesure que la production des associations est régie par les règles, procédures et contraintes émanant de l Etat. Autrement dit, cette forme de participation à la production d activités économiques engendre une gestionnarisation (de Gaulejac, 2010) du fait associatif qui suivrait une évolution économique rationnelle. En conséquence, la survie des associations est assurée par la recherche de fonds dans les nouvelles formes de l action publique. Ce phénomène a été amplifié par la reconfiguration de l action publique à l aune du développement du New Public Management (Hamel et Muller, 2007) poussant les associations vers une construction isomorphe marchande mettant en avant le fonctionnement par projet sur base des critères d efficacité et de coûts/résultats, au 5

niveau du financement, de l activité même, ou encore de la prise en charge des bénéficiaires,... Parallèlement, un discours de remise en cause générale des prestations sociales (Vrancken, 2010) se fait jour au sein de la classe politique en Europe, visibilisant la question en termes de transferts monétaires et non de plus-values collectives. Les modes d existence des associations ont donc été ébranlés par divers changements de paradigme politique, de la décentralisation à la territorialisation des politiques publiques plaçant alors les initiatives sous l égide des pouvoirs locaux ou supra-locaux (Bureau et Sainsaulieu, 2011). Les subventions se fondent dans des logiques de marchés mettant les prestataires en concurrence à travers le fonctionnement par projet. De plus, cette logique introduit la coexistence entre différents types de prestataires de services entrainant une porosité entre finalités non marchande et marchande. Ainsi, cette publication propose d aborder ces enjeux à partir de l analyse de trois illustrations du déploiement actuel des nouvelles logiques de financement : la normalisation des appels à projets comme mode de financement, le développement d une bureaucratie à l aune de la nouvelle gestion publique et enfin l individualisation des allocations. Ce numéro est en partie le fruit d un cycle de conférences organisées par l Union des entreprises à profit social (Unipso) et le Master en Ingénierie et Action Sociale Louvain-la-Neuve/Namur. Il s adresse en grande partie aux acteurs du secteur (cadres, directions d entreprises sociales, responsables politiques, travailleurs ) afin de leur permettre de se saisir des enjeux qui traversent le champ associatif aujourd hui. Le développement de ces trois axes précités sera précédé d une première partie, qui posera les cadres théoriques nécessaires, et analysera le fait associatif et ses évolutions. Jean-Louis Laville proposera une lecture de l associationnisme comme projet d actions collectives productif de liens sociaux et de richesses économiques, dont la place est à envisager dans une économie plurielle au service des populations. Cette vision rejoint celle qui place le secteur comme un facteur de démocratie qui organise des espaces publics de délibérations contradictoires (Habermas et al, 1997). Sybille Mertens et Michel Marée s attaquent, eux, à une réflexion comparative sur le déploiement de l espace associatif dans le contexte économique actuel et la 6

Présentation Pierre Artois, Cécile de Préval et Viviane Ska porosité croissante entre marchand et non marchand. Marthe Nyssens, sur base d une perspective historique, met en évidence les enjeux sociaux-économiques et les différentes formes que prend le secteur en termes d intérêt général et d externalités positives, en lien avec l évolution des modes de régulation vers les quasi-marchés dans les secteurs sociaux. Patrick de Bucquois, quant à lui, pose le débat au niveau européen. Il interroge la place que le secteur à profit social pourrait occuper sur la scène politique en tant qu acteur démocratique et de changement. Une deuxième partie s intéressera aux trois effets identifiés comme caractéristiques de ces changements. Nous commencerons par aborder la normalisation de l instabilité des modes de financement à travers la figure des appels à projet. Jean Blairon, à partir d une approche critique, aborde cet instrument de politique publique comme un mécanisme de sujétion qui institue une réalité, distribue des rôles et donc façonne des conséquences structurelles pour le secteur. A contrario, Marie-Claire Sépulchre illustre les productions des appels à projets pour le secteur de l aide à domicile. Entre opportunités d innovation, d anticipation, d expérimentation et difficultés de pérennisation, elle montre combien il est possible de se saisir de ce mécanisme en restant critique et vigilant à son égard. Ensuite, Monica Battaglini et Christophe Dunand identifient les impacts possibles des modalités de financement technocratiques mises en place en Suisse sur le fonctionnement associatif. Il s agira d analyser l avènement d une forme de «bureaucratie libérale» suite aux transformations des relations entre pouvoirs publics et prestataires à profit social dans le cadre de la «nouvelle gestion publique» (Mercier, 2001). Enfin, un article co-écrit par l UNIPSO et le Master en Ingénierie et action sociales LLN/Namur, présente le résultat d une conférence qui a porté sur un troisième effet de cette reconfiguration du financement du secteur à profit social : le versement d allocations directes aux usagers. Ce phénomène est étudié à partir de l exemple de la politique d aide aux personnes handicapées mise en place en Flandre actuellement et en regard de ce qui se dessine dans le reste de la Belgique. Cette mise en perspective permet de poser une série de questions essentielles auxquelles les acteurs du secteur seront confrontés à l avenir. 7

Bibliographie BurEau M-C, SainSauLiEu i. (eds), 2011, Reconfiguration de l Etat social en pratique, Villeneuve d ascq, Septentrion. DE GauLEjaC V., 2010, La société malade de gestion: idéologie gestionnaire, pouvoir managérial et harcèlement social, Paris, Editions du Seuil. éme B., 2001, «Les associations ou les tourments de l ambivalence» in Laville j-l et al, 2001, Association, démocratie et société civile, Paris, La Découverte, pp. 35-51. HaBErMaS j., BouCHinDHoMME C., rochlitz r., 1997, Droits et Démocratie, entre faits et normes, Paris, Gallimard. HaMEL M-P., MuLLEr P., 2007, «L accès aux droits sociaux : un compromis entre performance gestionnaire et justice sociale», Politiques et management public, vol. 25, n 3, pp. 131-149. HéLy M., 2010, «Le travail «d utilité sociale» dans le monde associatif», Management et Avenir, n 40, pp. 206-217. Hoarau C., LaViLLE j-l., 2008, La Gouvernance des associations, toulouse, Editions Eres. MErCiEr j., 2001, L administration publique: De l école classique au nouveau management public, Québec, Presses de l université de Laval. VranCkEn D., 2010, Le Nouvel Ordre protectionnel. De la protection sociale à la sollicitude publique, Lyon, Editions Parangon/Vs. 8