THESE. Tablettes mathématiques de Nippur (Mésopotamie, début du deuxième millénaire avant notre ère)



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Table des matières 1 Introduction...5 1.1 Définitions...11 1.2 Notations...14 2 Les sources...17 2.1 Les fouilles...17 2.2 La collection d Istanbul...30 2.3 Délimitation du corpus...35 3 Les écoles de scribes...43 3.1 Sources littéraires...44 3.2 Données archéologiques...45 3.3 Le cursus scolaire...47 4 Nombres et unités de mesure...53 4.1 Système métrologique...53 4.2 Système sexagésimal positionnel...62 5 Description des tablettes...69 5.1 Aspects matériels...70 5.2 Types de tablettes...73 5.3 Unités de texte...82 5.4 Styles et modèles...84 5.5 Marques de structure...86 6 Niveau élémentaire...89 6.1 Séries métrologiques...89 6.2 Tables numériques...110 6.3 Les séries mathématiques élémentaires dans le cursus...138 6.4 Architecture des séries mathématiques élémentaires...144 6.5 Ordres de grandeur...152 7 Niveau avancé...159 7.1 Multiplication / division...161 7.2 Factorisation...167 7.3 Paires d inverses et suites géométriques...174 7.4 Calcul des surfaces...190 7.5 Tableaux de calculs...203 7.6 Calcul des volumes...207 7.7 Le problème de l arête du cube...219 7.8 Les trois problèmes de Nippur...222 7.9 Exercices et textes de référence...239 8 Les mathématiques à Nippur...243 8.1 Enseignement...243 8.2 Structure des listes...249 8.3 Nombres abstraits et nombres concrets...251 2

Annexes...257 Annexe 1 : Programme Mathematica pour la mise en ordre du cursus...259 Annexe 2 : Suites géométriques et puissances...267 Annexe 3 : Données statistiques...271 Annexe 4 : Systèmes métrologiques...283 Annexe 5 : Carte...287 Annexe 6 : Chronologie...288 Annexe 7 : Glossaire...291 Annexe 8 : Prisme AO 8865...297 Références des tablettes publiées et citées dans le texte...307 Sigles...311 Bibliographie...313 Tableaux et illustrations Tableau 1: campagnes de la BE...19 Tableau 2: campagnes de la JE...25 Tableau 3: collections de tablettes scolaires de Nippur...38 Tableau 4 : cursus de Nippur d'après N. Veldhuis et E. Robson...49 Tableau 5 : nombres et unités de mesure...55 Tableau 6 : exemples de nombres cardinaux...62 Tableau 7: exemples de notation des nombres...64 Tableau 8: unités de textes (liste provisoire)...83 Tableau 9: style plein et style abrégé...85 Tableau 10: liste métrologique de capacités et poids...90 Tableau 11 : fins de listes et tables de capacités...94 Tableau 12 : fins de listes et tables P...95 Tableau 13 : fins d extraits de listes et tables P...95 Tableau 14 : fins de listes et tables de surfaces...95 Tableau 15 : fins de listes et tables de longueurs...96 Tableau 16 : fins de sections métrologiques...96 Tableau 17: tables des hauteurs à Nippur...100 Tableau 18 : table des hauteurs en Mésopotamie...101 Tableau 19 : tables néo-babyloniennes...104 Tableau 20: nombres principaux et tables d'inverses...125 Tableau 21 : tables de multiplication en Mésopotamie...126 Tableau 22: tables de racines carrées de Nippur...130 Tableau 23: tables de racines carrées en Mésopotamie...134 Tableau 24 : tables numériques et tablettes de type II...136 Tableau 25 : répartition des séries mathématiques dans les tablettes de type II...141 Tableau 26 : listes de capacités et listes lexicales...143 Tableau 27 : tables numériques et listes lexicales...143 Tableau 28 : catégories et unités de texte...145 3

Tableau 29 : exemples d ordres de grandeur usuels...156 Tableau 30 : exercices de calcul d inverses à Nippur...184 Tableau 31 : exercices de calcul d inverses en Mésopotamie...185 Tableau 32 : format des briques dans YBC 4607...212 Tableau 33 : catégories de textes et types de tablettes pour le sumérien et les mathématiques...245 Figure 1 : colophon de Ni 3703 + N 3901 + UM 29-15-483, planche 14...14 Figure 2 : plan de Nippur...18 Figure 3 : Carte topographique de Nippur [Gibson, et al. 2001, p. 547]...21 Figure 4 : orientation des tablettes...70 Figure 5: texte sur la tranche...75 Figure 6 : prisme...75 Figure 7 : tablette de type II...76 Figure 8 : nombre de listes et de tables C selon le type de tablettes...107 Figure 9 : nombre de listes et de tables P, L, S selon le type de tablettes...107 Figure 10: cursus mathématique...146 Figure 11 : répartition des tables numériques...148 Figure 12 : répartition des listes métrologiques...150 Figure 13 : répartition des tables métrologiques...151 Figure 14 : AOT 304 [Thureau-Dangin, RTC 413]...213 Figure 15 : YBC 7284 [MCT p. 97]...217 Figure 16 : interprétation de CBS 11681...224 Figure 17 : interprétation de CBS 12648...229 Figure 18 : interprétation de Ni 5175 + CBS 19761...235 Figure 19 : signe šid...255 Figure 20 : carte du «Pays de Sumer et d Akkad»...287 4

1 Introduction C est en Turquie qu est né le projet qui prend aujourd hui la forme d une thèse. Les Musées de Turquie, et notamment le Musée Archéologique d Istanbul, sont remarquables pour leur exceptionnelle richesse, mais surtout se distinguent des autres Musées sur un point : toutes leurs collections proviennent de fouilles légales et sont d origine connue. Ainsi, l origine des tablettes cunéiformes est indiquée par un simple préfixe sur le numéro d inventaire. C est donc assez naturellement que, cherchant un ensemble de sources de provenance et de datation identifiées et homogènes, je me suis intéressée à ces tablettes étiquetées «Ist Ni», c est-à-dire aux tablettes de Nippur conservées à Istanbul. Ainsi a commencé en 1998 ma collaboration avec Veysel Donbaz, le conservateur des archives cunéiformes du Musée d Istanbul. Dans un premier temps, nous nous sommes limités aux collations de tablettes déjà éditées (matériau de base de mon DEA, soutenu en 1999, Activités mathématiques dans la Nippur paléo-babylonienne, sous la direction de Christian Houzel). Puis nous avons identifié en juillet 2001 un lot de plus de 300 tablettes mathématiques inédites parmi les textes scolaires de Nippur. Simultanément, Eleanor Robson avait entrepris de son côté l étude des tablettes mathématiques de Nippur conservées à Philadelphie, soit l autre partie des mêmes archives que des circonstances historiques récentes avaient dispersées. En mai 2002, nous avons rassemblé les deux principaux lots de la collection des tablettes mathématiques de Nippur exhumées à la fin du XIX ème siècle, et réalisé de nombreux joints. Eleanor Robson m a alors autorisée à exploiter des données qu elle avait récoltées à Philadelphie, et sa générosité a donné une toute autre dimension à mon entreprise initiale. Ainsi, cette étude s appuie sur un ensemble de sources exceptionnellement abondant (plus de 800 tablettes et fragments), homogène (de même provenance et de même période), clairement identifié (Nippur à l époque paléo-babylonienne), accessible (presque toutes les tablettes dont il sera question dans les pages qui suivent ont été examinées soit par Eleanor Robson, soit par moimême), en très grande partie inédit. * * * 5

J ai reçu un soutien important de la part de tant de personnes que j ai quelque scrupule à signer cette étude de mon seul nom. Outre Eleanor Robson et Veysel Donbaz qui m ont non seulement permis l accès aux sources, mais aussi formée à l épigraphie, je remercie tous ceux qui ont contribué d une façon ou d une autre à l exploitation de ces archives exceptionnelles. Je dois d abord dire ma gratitude envers les responsables turcs qui m ont aidée dans les différentes missions à Istanbul : Nadir Avcı, Directeur Général du Patrimoine, Halil Özek, Directeur des Musées Archéologiques d Istanbul, Veysel Donbaz, Conservateur des Archives Cunéiformes. L appui de l IFEA, Institut Français d Etudes Anatoliennes, et de ses directeurs, Paul Dumont puis Pierre Chuvin, ainsi que de ses archéologues, Aksel Tibet, Catherine Kuzucuoğlu et Garance Fiedler, a été d un grand secours. Je voudrais également chaleureusement remercier tous ceux qui m ont accueillie en Turquie : Feza Günergün, Nadia et Samuel Murat, Sakina et Sacit Önen, ainsi que Muazzez Çığ, dont les conseils m ont été particulièrement précieux. Une partie du travail d exploitation des sources n a été possible, dans un domaine qui n est pas celui de ma formation initiale, que grâce à l aide d assyriologues et archéologues qui ont bien voulu m accorder beaucoup de leur temps : Eleanor Robson, Antoine Cavigneaux, Niek Veldhuis et Bertrand Lafont pour le déchiffrement des textes sumériens ; Françoise Rougemont qui a entièrement traduit de l allemand les fiches descriptives des tablettes d Istanbul établies par Kraus et à qui je dois beaucoup pour ses conseils en archéologie. Dans le domaine de la bibliographie, je remercie Dominique Charpin, grâce à qui j ai pu notamment travailler plusieurs mois sur la thèse de Niek Veldhuis (qui m a lui-même généreusement envoyé son livre par la suite). Toujours patientes et disponibles, Brigitte Lion, Cécile Michel et Théodora Seal ont bien voulu me conseiller et répondre a mes questions. C est grâce à l aide enthousiaste de Catherine Muhlrad-Greif et Maryvonne Teissier que j ai découvert et utilisé cet outil puissant qu est le logiciel Mathematica, aussi bien pour programmer le calcul sexagésimal, que pour établir les tables numériques, identifier les textes fragmentaires, construire des graphiques et modéliser les cursus. Le travail fastidieux de relecture, de critique et de correction assuré avec tant de gentillesse et de patience par Micheline Duffaud, Agathe Keller, Brigitte Lion, Cécile Michel, Jacques Quillien, François Proust, Françoise Rougemont, Luc Trouche est ici à saluer avec une chaleureuse reconnaissance. L encadrement scientifique assuré au fil des années par Christian Houzel, Karine Chemla, Eleanor Robson, Jens Høyrup et Jöran Friberg et a été indispensable pour acquérir une méthodologie adaptée à l étude de textes mathématiques très anciens. En assyriologie, l enseignement passionnant de Dominique Charpin et Bertrand Lafont, l aide et les critiques de Cécile Michel, Francis Joannès et Antoine Cavigneaux m ont apporté les bases nécessaires à ce travail. Je remercie tout particulièrement Eleanor Robson pour son infinie patience durant les longues heures qu elle a passées à tenter de m apprendre à lire dans l argile. L équipe CNRS (REHSEIS) dirigée par Karine Chemla, qui m a accueillie deux ans en détachement, a constitué un cadre de travail extrêmement stimulant. En particulier le séminaire «Histoire des Sciences Histoire du Texte» animé par le linguiste Jacques Virbel m a apporté des éléments de méthode pour l analyse textuelle, et le programme de recherche (ACI) «Corpus de textes scientifiques: Histoires et perspectives théoriques» dirigé par Florence Bretelle-Establet m a fourni les moyens scientifiques et matériels de mener à bien le travail de collecte des sources. La mise au point des 6

outils de travail (base de données, programmes Mathematica, numérisation) m ont demandé un important effort de formation qui n a pu être accompli que grâce aux dispositifs du CNRS, répondant de façon efficace et ciblée à ces besoins. * * * Nippur est la grande capitale religieuse et culturelle de la Mésopotamie antique. Son rôle politique est très important à la fin du troisième et au début du deuxième millénaire, puisque c est là qu est légitimé le titre de roi du «Pays de Sumer et d Akkad» 1. Pourtant, cette cité n a jamais été le siège de la royauté. Son gouvernement, où une «assemblée» semble avoir occupé une place centrale, est original et encore mal connu 2. Les activités judiciaires et scolaires constituent une part importante de la vie sociale de Nippur, réputée dans toute la Mésopotamie pour son tribunal et ses écoles 3. C est le lieu par excellence de la transmission de l héritage culturel sumérien ; on y apprend le sumérien à l époque paléo-babylonienne, alors qu il a disparu comme langue vivante au profit d une langue sémitique venue du nord et de l ouest, l akkadien. Les normes d éducation des scribes de Nippur sont devenues le standard dans toute la Mésopotamie antique. Les archives de ses écoles sont la principale source nous permettant aujourd hui d avoir accès à la littérature sumérienne. L éducation des scribes est un domaine de recherche qui s est considérablement développé en assyriologie ces dernières années. L intérêt s est notamment porté sur un type de sources qui n avait été que très partiellement pris en considération auparavant : les tablettes d écoliers. Ces «brouillons» d argile sont des témoins de la vie quotidienne des écoles et permettent d en reconstituer des éléments essentiels : l organisation du cursus, les méthodes et le contenu de l enseignement. M. Civil, A. Cavigneaux, S. Tinney ont mis en évidence l importance d établir une typologie des tablettes pour comprendre la fonction de ces textes 4. Exploitée de façon systématique dans son étude de textes lexicaux, cette typologie a permis à N. Veldhuis de reconstituer le cursus d enseignement du sumérien dans les écoles paléo-babyloniennes 5. A sa suite, E. Robson a engagé une étude des archives scolaires de la Maison F de Nippur 6, sous une forme qui se rapproche d une monographie, pour donner un panorama plus complet de la formation des scribes, incluant les mathématiques. S. Tinney a attiré l attention sur l importance 1 W. Hallo et M. van de Mieroop ont montré l importance du rôle des scribes de Nippur dans la reconnaissance d un roi (Hallo 1989 ; van de Mieroop 1999). 2 Une importante bibliographie se rapporte aux institutions politiques de Nippur ; concernant plus particulièrement l existence d un gouvernement de Nippur par une «assemblée» (puhrum), voir Jacobsen 1943 et 1970 ; Cassin 1973 ; Finet 1980, 1982 ; Lambert 1992 ; Lieberman 1992 ; van de Mieroop 1999. 3 Au sujet du tribunal de Nippur, voir : Lieberman 1992 p.134 ; Lafont S. 2000 ; au sujet de la fonction idéologique des écoles de Nippur, voir Michalowski 1987. 4 Civil & al. 1969 ; Cavigneaux 1983 ; Tinney 1999. La question des écoles de scribes et la bibliographie correspondante sont développées au chapitre 3. 5 Veldhuis 1997. 6 Robson 2001b, 2002b. 7

de l étude des archives scolaires pour avancer dans la compréhension de la culture mésopotamienne : In particular, rigorous publication of school texts from museums and excavations is a principal desideratum if we are to formulate meaningful statements on education in ancient Mesopotamia. It hardly needs pointing out that an understanding of educational systems is a key component of an understanding of the society, ideology, religion and politics of Mesopotamia a key component, in other words, of an understanding of any aspects of the uses of literacy in a cultural complex which is in many ways defined by its use of the technology of writing. [Tinney 1999, p. 170] La présentation des textes mathématiques de Nippur développée ici s inscrit dans ce mouvement. Elle s appuie en très grande partie sur les travaux de N. Veldhuis et E. Robson cités ci-dessus. L étude est limitée à une époque et un cadre géographique bien définis. Elle prend en considération l ensemble des tablettes mathématiques accessibles, aucun fragment, aussi pitoyable soit-il, n étant négligé. L essentiel du travail présenté dans ces pages est consacré à l étude des sources. J ai exposé en détail mes observations, menées de la façon la plus minutieuse possible, sans sélectionner systématiquement les seules informations pertinentes au regard des problèmes que j ai ensuite voulu résoudre. Ce choix peut rendre la lecture fastidieuse, mais devrait faciliter l utilisation plus tard de ce matériau brut dans des perspectives différentes de celles qui ont été privilégiées ici. Une place particulièrement importante a été accordée aux listes et tables métrologiques, catégorie de textes qui n avait jamais été auparavant l objet d une étude systématique, appuyée sur un corpus étendu 7. Les textes scolaires de Nippur renouvellent ce type de documentation de façon spectaculaire. Les principaux problèmes que j ai essayé de traiter dans la présente étude s articulent autour de trois thèmes : le cursus scolaire, l architecture des textes, la conception des nombres. La question du cursus scolaire est au cœur du travail de N. Veldhuis sur les listes lexicales, et une partie de ses résultats et de sa méthodologie sera exploitée ici pour tenter de préciser la place des mathématiques dans l enseignement, principalement du point de vue de l ordre chronologique de succession des listes lexicales et mathématiques. L existence d un tel ordre, qui suppose une organisation linéaire, sera la première des questions soulevées. L observation des marques de structure des listes élémentaires (lignes d appel, doxologie) et du contenu des tablettes mixtes (contenant des textes de catégories différentes) montre qu un tel ordre est fréquemment mis en défaut. E. Robson a émis l hypothèse de l existence de variations locales dans le déroulement du cursus. On explorera ici d autres hypothèses, en particulier l existence d une organisation plus complexe de l enseignement des mathématiques, où plusieurs listes sont étudiées en même temps 8. La question des méthodes pédagogiques, à laquelle la typologie des tablettes apporte d importants éléments de réponse, sera également soulevée en prolongement des travaux d E. Robson sur la «Maison F». Les textes mathématiques s insèrent dans l ensemble plus vaste des textes scolaires. L unité profonde de cet ensemble provient de sa structure, c est-à-dire de son organisation en 7 Robson 2002 p. 9 ; Michel 1998 p. 253. J. Friberg est l auteur qui s est le plus intéressé aux tables métrologiques (voir par exemple Friberg 1993), mais ses travaux à ce sujet sont restés des études de textes isolés, faute de sources suffisamment complètes. 8 Cette hypothèse est avancée par A. Cavigneaux pour les listes lexicales (Cavigneaux 1983 p. 611) 8

énumérations. Plus généralement, J. Bottéro, à la suite de von Soden 9, a caractérisé l organisation des connaissances en Mésopotamie par une formule qui est restée fameuse : «la science des listes». Les listes lexicales sumériennes, qui constituent l essentiel de la formation élémentaire des jeunes scribes, illustrent ce type de pensée : Lists of words are a characteristic feature of ancient Mesopotamian culture. In fact, the whole of its «science» consists in the enumeration and classification of all natural and cultural entities. [Civil 1995 p. 2305] Les listes mathématiques 10 constituent un champ idéal d étude de la structure des énumérations en Mésopotamie. Un des premiers problèmes auxquels cette étude sera confrontée est la définition même du mot «texte». En effet les tablettes de niveau élémentaire, qu elles soient mathématiques ou lexicales, sont constituées de centaines de tablettes et fragments répétitifs, comprenant de nombreux duplicata, à partir desquels on peut reconstituer une sorte de texte théorique appelé «texte composite», rassemblant toutes les entrées rencontrées au moins une fois dans les différentes sources (voir introduction du «Tome 2»). Ce texte composite est probablement assez proche de celui qui devait être mémorisé par les apprentis scribes. Cependant, on ne le rencontre dans son intégralité dans aucune tablette. Il conviendra donc de distinguer systématiquement le «texte composite», qui n est qu une reconstitution, des textes réellement inscrits sur les différentes tablettes. On cherchera à analyser la façon dont le «texte composite» se répartit sur les tablettes, et à distinguer plusieurs niveaux d unités de textes. On s intéressera particulièrement à toutes les marques, textuelles ou visuelles, qui permettent de comprendre l architecture générale des listes mathématiques. Les tablettes de Nippur constituent un ensemble assez complet de textes d apprentissage des mathématiques, depuis l initiation aux mesures de capacité jusqu aux problèmes de volumes et aux algorithmes numériques avancés. Cette documentation permet d aborder sous plusieurs angles les questions relatives à la reconstitution des méthodes de calcul et à la conception des nombres dans les textes cunéiformes. J ai cherché, tout au long des études de texte qui suivent, à poser et résoudre ces questions de façon cohérente et homogène. Plus précisément, il s agit de déterminer la fonction des différents systèmes numériques dans l expression des mesures d une part, et dans l exécution des calculs (multiplication et division) d autre part. Les tables métrologiques, qui contiennent une correspondance entre des mesures et des nombres sexagésimaux sans unité, sont au cœur de ces questions. L analyse de leur structure et de leur utilisation est un des principaux enjeux de cette étude. Les conséquences de ces analyses sur la notation des nombres dans les commentaires modernes seront discutées. * * * 9 Von Soden 1936 ; Bottéro 1974, 1987. 10 Les «listes» mathématiques sont entendues ici, par opposition aux listes lexicales, dans le sens large de toutes les énumérations métrologiques et numériques du niveau élémentaire. 9

Cette étude comporte deux parties : le premier fascicule (Tome 1) contient la présentation des textes (chapitres 2 à 8) et les outils de la recherche (Annexes 1 à 8, index, bibliographie) ; le deuxième fascicule (Tome 2) contient l édition des tablettes d Istanbul, incluant les planches de copies (à l échelle 1/1) et les photos numériques sur CD. L importance de l histoire matérielle des tablettes dans l interprétation des textes a été soulignée ci-dessus ; en conséquence, les premiers chapitres (2 et 3) retracent l histoire des tablettes depuis leur production dans les écoles de scribes jusqu à leur conservation dans les musées aujourd hui. Des choix méthodologiques sont exposés dans les chapitres 4 (notation des nombres) et 5 (système descriptif). Les textes proprement dits sont groupés en deux ensembles selon le niveau scolaire : élémentaire (chapitre 6) et avancé (chapitre 7). Une synthèse finale (chapitre 8) tente d apporter des réponses aux questions soulevées dans cette introduction, et de brosser un tableau général des activités mathématiques à Nippur. Les annexes contiennent les outils dont il sera fait constamment usage dans le cours de l étude, et auquel le lecteur sera fréquemment invité à se référer (statistiques, systèmes numériques, carte, chronologie, glossaire, index, références bibliographiques). Les définitions et notations utilisées dans le texte sont données dès l introduction (page suivante) pour faciliter la lecture. En raison du caractère interdisciplinaire du sujet traité, certains développements n intéresseront qu une catégorie de lecteur ; ceux-ci sont signalés par un style différent (retrait et police de caractères plus petite). Ainsi, le lecteur non spécialiste pourra facilement sauter les passages qu il juge trop techniques. 10

1.1 Définitions La description des tablettes et fragments de Nippur portera sur deux aspects à la fois distincts et en étroite relation : l état matériel des tablettes et les textes qui y sont inscrits. Ces derniers seront abordés du point de vue de leur contenu et du point de vue de leur structure. Pour chacune de ces différentes approches, un vocabulaire spécifique doit être mis en place. Mais, en raison des liens multiples existant entre les textes et leur mise en forme sur l argile, il est très difficile de présenter une de ces parties sans faire référence à l autre, et même de choisir d aborder l aspect matériel avant l aspect textuel ou l inverse. D autre part, dès les premiers chapitres, la présentation des conditions de découverte des tablettes et du contexte de leur production dans les écoles de scribes fait référence à ces typologies. Pour éviter de faire appel à un nombre excessif de références croisées qui risqueraient de rendre l exposé confus, je donnerai dès cette introduction une liste de définitions sommaires, non justifiées, mais suffisantes en première approche, et j inviterai le lecteur à se reporter au chapitre 5 où ces définitions sont présentées avec plus de détails et justifiées. Pour les noms géographiques et les noms de périodes historiques, on pourra se reporter à la carte et à la chronologie (Annexes 5 et 6). La majorité des définitions suivantes sont couramment utilisées dans les publications concernant les textes scolaires, et plus particulièrement les listes lexicales (voir bibliographie dans l introduction du chapitre 5) ; les définitions concernant les «catégories de texte» et les «unités de texte» sont plus personnelles. Types de tablettes On distingue plusieurs types de tablettes selon le nombre de colonnes, la relation entre le texte de la face et du revers, le niveau scolaire. Les types I, II, III sont utilisés dans la formation de niveau élémentaire, les types S et M sont utilisés dans la formation de niveau avancé, les types IV sont utilisés dans les deux niveaux (voir définition des niveaux scolaires ci-après). Type I Grande tablette écrite sur plusieurs colonnes ; le texte du revers est la suite du texte de la face. Voir Ni 2733, planches 6 et 7 (toutes les planches se trouvent dans le Tome 2). Type II Tablette de taille moyenne, écrite sur plusieurs colonnes. Les textes de la face et du revers sont indépendants. La face contient un modèle du maître et une ou plusieurs copies d élèves. Type II/1 : face d une tablette de type II. Type II/2 : revers d une tablette de type II. Voir Ni 3711, planche 14. 11

Type III Petite tablette, de présentation en général soignée, écrite sur une seule colonne ; le texte du revers est la suite du texte de la face. Voir Ni 2208, planche 3 ; Ni 3703, planche 13. Type IV Petite tablette carrée ou ronde, de profil plan-convexe, en général anépigraphe sur le revers. Voir Ni 18 et Ni 763 planche 1. Type S Tablette écrite sur une seule colonne (analogue au type III), utilisée dans la formation de niveau avancé. Type M Tablette écrite sur plusieurs colonnes (analogue au type I), utilisée dans la formation de niveau avancé. Voir Ni 5175 + +CBS 19761 planche 26. Liste métrologique Catégories de textes Enumération de mesures de capacité (C), poids (P), surface (S) ou longueur (L) dans l ordre croissant. Voir Ni 3711 revers, planche 14. Table métrologique Enumération identique à celle des listes métrologiques, mais chaque mesure est accompagnée d un équivalent numérique placé en vis-à-vis et écrit en notation sexagésimale positionnelle. Table numérique Table d inverses, ou table de multiplication, ou table de carrés, ou table de racines carrées, ou tables de racines cubiques. Voir Ni 2733, planches 6 et 7. Exercice de calcul Calcul numérique de quelques lignes destiné à résoudre un problème dont l énoncé n est en général pas précisé sur la tablette (sauf dans le cas particulier du calcul des surfaces de carrés). Série Unités de textes La série est l unité de texte la plus vaste rencontrée dans les tablettes de niveau élémentaire ; elle est en général complètement écrite dans les grandes tablettes multi-colonne de type I. Chacune des trois premières catégories citées ci-dessus (liste métrologique, table métrologique, table numérique) constitue une série. 12

Section Chaque série contient plusieurs sections. Par exemple, la série des listes métrologiques contient 4 sections : une liste de capacités, une liste de poids, une liste de surfaces, une liste de longueurs. Séquence Une séquence est un extrait quelconque de section, de 3 à 10 lignes. Items L item est un élément d énumération ; il est en général écrit sur une ligne, parfois deux, ou occupe une case. Pour illustrer ces définitions, on peut comparer la structure des listes mathématiques élémentaires aux tables de multiplication qui se trouvent au dos des cahiers de brouillon d écoliers modernes : la série correspond à l ensemble des 9 tables de multiplication ; la section à une table de multiplication ; la séquence à un extrait d une table ; l item à une ligne d une table. Niveaux scolaires Deux niveaux dans le déroulement du cursus se distinguent, tant dans le contenu que dans la typologie des tablettes. Niveau élémentaire Ce sont les premiers apprentissages de l écriture et du calcul. Les textes de ce niveau ont tous la forme de listes, que ce soit en sumérien ou en mathématiques. Les listes mathématiques de niveau élémentaire sont constituées des 3 séries citées ci-dessus (liste métrologique, table métrologique, table numérique) et sont écrites sur des tablettes de type I, II ou III. Les listes sumériennes sont constituées de syllabaires, de listes lexicales (vocabulaire et signes complexes), de modèles de contrats et de collections de proverbes. Niveau avancé En mathématiques, le niveau avancé est constitué d exercices de calcul, de problèmes rédigés en sumérien ou en akkadien, de suites d algorithmes numériques. En sumérien, il est constitué d un ensemble de textes littéraires de complexité croissante. Les tablettes sont de type IV, S ou M. Colophon Marques de structure Petit texte additionnel de quelques signes (date, signature, indication sur le contenu, etc.) écrit à la fin de la tablette ou sur une tranche. Incipit Premier item d une liste, ou plus généralement première ligne d un texte. 13

Ligne d appel A la fin d une section, la première ligne de la section suivante. Doxologie Formule de louange qui, dans les textes scolaires, est adressée à Nisaba, la divinité des scribes et des calculateurs ; cette formule est écrite à la fin d un texte. d nisaba za 3 mi 2 Gloire à Nisaba Figure 1 : colophon de Ni 3703 + N 3901 + UM 29-15-483, planche 14 1.2 Notations Translittération des textes cunéiformes col. colonne l. ligne # section / passage à la ligne mise en forme texte [ ] signe cassé ou effacé x signe présent mais illisible signe abîmé mais identifiable < > signe omis? identification du signe incertaine! sic (le signe identifié est fautif) sumérien et akkadien La translittération des idéogrammes sumériens est notée en caractères droits ; concernant l akkadien, la translittération des signes phonétiques et la transcription des mots sont notées en italique. a-ša 3 = champ en sumérien eqlum = champ en akkadien Les signes cunéiformes sont transcrits phonétiquement en petits caractères quand la prononciation est connue et par leur nom en capitales quand la prononciation est incertaine. 14

Déterminatif (ou classificateur) Les lettres en exposant devant un mot sont des translittérations de signes cunéiformes qui identifient la classe de ce mot : d nisaba l élément classificateur «dingir» (dieu), noté «d» en exposant indique que «Nisaba» appartient à la classe des divinités. homophones Les numéros en indice permettent de distinguer les signes homophones, c est-à-dire des signes de forme différente, mais de même prononciation. Exemple : ra ra 2 Citation des tablettes Je cite les tablettes dans un style normalisé (selon le même principe que les références bibliographiques), sous la forme suivante : numéro d inventaire (type) contenu Dans le cas des tablettes de type II, les contenus de la face et du revers sont précisés et séparés par un point virgule : numéro d inventaire (type II) contenu de la face ; contenu du revers Des codes et abréviations sont utilisés dans les citations de tablettes : * la copie de la tablette est donnée dans les planches du Tome 2. + les numéros des fragments d une tablette recollée sont reliés par un + («join»)? élément non identifié ou identification incertaine NP = nom propre Numéro d inventaire des tablettes provenant de Nippur Ni tablettes conservées au Musée d Istanbul, issues des fouilles de la Babylonian Expedition CBS, N, UM 29- tablettes conservées au Musée de Philadelphie, principalement issues des fouilles de la Babylonian Expedition 2 N-T, 3 N-T tablettes conservées au Musée de Philadelphie, issues des fouilles de la Joint Expedition HS, H. tablettes conservées au Musée d Iéna, issues des fouilles de la Babylonian Expedition 15

Périodes J éviterai les sigles pour désigner les périodes historiques. Cependant, il sera parfois commode de les utiliser dans les tableaux où la place est réduite. OB NB paléo-babylonien (Old Babylonian) = début du deuxième millénaire néo-babylonien = début du premier millénaire Les dates antérieures à la fin du deuxième millénaire ne sont pas connues de façon absolue, seule la chronologie relative est sûre. Il sera fait usage de la chronologie dite «moyenne», c est-à-dire de celle qui bénéficie d un consensus dans le milieu des assyriologues. 16

2 Les sources Les textes mathématiques de Nippur constituent un ensemble d un millier de tablettes et fragments, disparate du point de vue des conditions de fouille et de conservation. Cette abondance permet des observations de nature statistique, mais l hétérogénéité des contextes de découverte rend difficile l interprétation de ces données quantitatives. En particulier, les tablettes issues des premières campagnes de fouilles de l Université de Philadelphie sont à la fois les plus nombreuses et les plus mal documentées sur le plan archéologique. Elles constituent néanmoins l essentiel des sources de la présente étude, et toutes les informations même partielles concernant l histoire de ces tablettes depuis leur découverte seront d autant plus précieuses. Les conditions matérielles et humaines dans lesquelles les tablettes ont été exhumées puis conservées ont eu des conséquences importantes sur l état actuel du lot étudié ici, en particulier sur l éclatement des collections entre divers pays. On insistera sur deux épisodes historique particulièrement importants : du côté Ottoman la loi des antiquités de 1883 ; du côté Américain la dite «controverse Hilprecht-Peters». Il conviendra ensuite de d identifier certains des processus de sélection qui ont été à l œuvre depuis la découverte des tablettes jusqu à aujourd hui, de façon à repérer d éventuelles distorsions qui pourraient affecter les résultats statistiques. Ce chapitre sera donc consacré aux fouilles américaines, principalement celles de la fin du 19 ème siècle, au partage des tablettes entre les musées américains et turcs, et aux conditions actuelles de conservation. Quelques hypothèses concernant la localisation et la datation des tablettes seront proposées en conclusion. 2.1 Les fouilles L occupation du site de Nippur a été presque continue sur une très longue période, depuis la période Obeid (début du cinquième millénaire), jusqu à la période abbasside (9 ème siècle ap. J.C.), avec une période d abandon probable entre le 18 ème et le 14 ème siècle (de la fin de la période paléo-babylonienne au début de la période cassite). La ville est construite sur les bords de l Euphrate 11, au centre de la plaine mésopotamienne ; elle se trouve au contact entre le Pays de Sumer au sud et le Pays d Akkad au nord. D après les vestiges des remparts et le plan d époque 11 Voir les reconstitutions récentes du cours des fleuves aux troisième et second millénaires dans Steinkeller 2001 ; Gasche, Tanret, Cole et Verhoeven 2002. 17

cassite qui a été retrouvé par Haynes et Hilprecht (voir Figure 2 ci-dessous), la ville intra-muros occupe une surface d environ 135 ha ; la population a pu atteindre un maximum de 50 000 habitants à l époque d Ur III 12. Plan de Nippur, tablette d époque cassite conservée à Iéna (Kramer 1956, p. 274, Zettler 1992a, p. 9). Cette tablette en très bon état, très soignée, de grandes dimensions (21x18 cm), est une représentation de Nippur respectant les échelles, portant des mesures de distance et la représentation des édifices de Nippur (temples, murailles, portes, canaux) avec leur nom écrit en idéogrammes sumériens. Elle a été trouvée par la Babylonian Expedition (4 ème campagne) dans une jarre enfouie dans les couches récentes du «Quartier des scribes». Cette jarre néobabylonienne contenait des objets datant de diverses périodes de l'histoire de Nippur, évoquant une sorte de "Musée" constitué par un "historien" de l'époque. Figure 2 : plan de Nippur Nippur est aujourd hui un des plus grands tells 13 d Irak, qui s élève à 20 m au-dessus de la plaine désertique et s enfonce à plus de 6 m de profondeur sous le niveau de la plaine. Le site est partagé en deux zones par une dépression, actuellement appelée Shatt-en-Nîl, qui est la trace d un ancien cours d eau, probablement un bras de l Euphrate (voir carte topographique du site, Figure 3 page 21). La partie du tell située à l est du canal représente environ un tiers de la surface du site ; elle est composée de deux collines distinctes : le «quartier religieux» ou «colline des temples» dominé par la ziggourat 14, et, plus au sud, le «quartier des scribes» ou «colline des tablettes», avec des maisons de dimensions modestes où ont été retrouvées plus de 20 000 tablettes 15. C est à cet endroit que devaient se trouver les écoles de scribes. La fouille de Nippur a connu deux grandes périodes : - De 1888 à 1900, la Babylonian Expedition a mené quatre campagnes sous la direction de l Université de Philadelphie. Les 50 000 tablettes et fragments exhumés pendant ces campagnes ont été partagées entre Américains et Ottomans, et ont pris le chemin de Philadelphie et d Istanbul; une partie du lot américain a ensuite été emportée à Iéna par Hilprecht à la suite de son expulsion de l Université de Philadelphie (voir fin du 2.1.1 au sujet de la «controverse Hilprecht Peters»). 12 Zettler 1992a, p. 6. 13 Colline artificielle formée de restes archéologiques. 14 Temple en forme de tour à étages, à l image de la mythique «Tour de Babel». 15 Gibson, Hansen et Zettler 2001. 18

- De 1948 à 1990, la Joint Expedition a mené 19 campagnes, d abord sous la direction conjointe des Universités de Philadelphie et Chicago, puis de Chicago seule à partir de 1953. Les tablettes exhumées par la Joint Expedition ont été partagées entre les Américains et les Irakiens, et sont actuellement à Philadelphie, Chicago et Bagdad. On trouvera dans ce chapitre une présentation relativement détaillée des premières expéditions de l Université de Philadelphie et de la constitution de la collection d Istanbul, sur laquelle s est concentré mon travail, en collaboration avec le conservateur du Musée Archéologique d Istanbul, Veysel Donbaz. Les tablettes scolaires issues des fouilles de la Joint Expedition, ainsi que la description des collections américaines, ont fait l objet des travaux d E. Robson 16, auxquels on se reportera ; les conditions de découverte de cette partie de la collection de Nippur ne seront que brièvement rappelées dans ce chapitre. 2.1.1 La Babylonian Expedition En entreprenant la fouille de Nippur, l Université de Philadelphie s est inscrite dans la tradition ouverte au milieu du 19 ème siècle par les grands explorateurs français et anglais de la Mésopotamie antique. Les campagnes de fouilles sont pilotées depuis les Etats-Unis par le comité exécutif du Babylonian Expedition Fund composé de souscripteurs et de membres de l Université de Philadelphie, qui finance les expéditions et dispose du fruit des fouilles. Quatre campagnes se sont déroulées de 1888 à 1900 : dates campagne direction de fouille 1888-1889 1 Peters 1889-1890 2 Peters 1893-1896 3 Haynes 1898-1900 4 Haynes et Hilprecht Tableau 1: campagnes de la BE Le cahier des charges est très simple : rapporter le maximum d antiquités et surtout de tablettes pour enrichir le tout nouveau Musée qui vient d être créé à Philadelphie et satisfaire la curiosité du public 17. Les équipes de fouilleurs sont composées d une main d œuvre locale très abondante et d un encadrement scientifique réduit, voire inexistant, situation normale à cette époque. Les fouilleurs creusent tranchées, tunnels, puits en tous sens pour trouver des filons de tablettes. Ils déplacent des montagnes de débris, et les couches supérieures sont détruites pour atteindre directement les profondeurs les plus anciennes. Les trouvailles sont rarement accompagnées d une description du contexte. La présence d architectes capables de faire relevés et dessins ou de 16 Robson 2000; Robson 2001 ; Robson 2002c. 17 Westenholz 1992. Westenholz essaie d atténuer le jugement généralement sévère porté sur les dommages causés par les méthodes peu scientifiques des premiers fouilleurs en insistant sur l énorme pression exercée sur les expéditions par le Comité pour que le Musée soit approvisionné en antiquités (p. 292). 19

photographes est sporadique ; pourtant leur trop bref travail est d une qualité remarquable 18. Les rapports de fouille sont des plus vagues. Hilprecht, très critique dès les premières expéditions sur ces méthodes destructrices, note avec une certaine ironie que les rapports de fouilles étaient euxmêmes des chantiers de fouilles, des puzzles aussi incohérents que le site lui-même 19. Il cite par exemple le journal de Haynes (directeur de fouille), qui constitue la seule source d information sur le contexte archéologique de la découverte des tablettes : «Janv. 18, 1900 : 33 sound tablets from a low level on Tablet Hill. A multitude of imperfect tablets on "Tablet Hill". Three most beautiful days! And the nights with full moon are days in shadow, the air soft and balmy. Jan. 19, 1900 : 49 sound tablets from low level "Tablet Hill". Many fine fragments of tablets.» [Hilprecht 1903, p. 510]. Les efforts de la Babylonian Expedition se sont concentrés sur trois zones : - le tumulus nord-est, où ont été découverts les grands temples de Nippur : Temple d Enlil (Ekur et Ziggourat), appelé Temple de Bêl par Hilprecht, et Temple d Inanna ; - le tumulus sud-est où a été trouvée une énorme quantité de tablettes, en particulier scolaires, appelé pour cette raison «colline des tablettes» ou «quartier des scribes» (aire TB de la carte cidessous voir Figure 3) ; d après Hilprecht, il s agissait de la «Bibliothèque du Temple» ; - la rive ouest du canal central (Shatt-en-Nîl) où se trouve notamment l ensemble que Hilprecht nomme «les maisons cassites», et d où provient une partie des tablettes scolaires. 18 Les dessins et photos sont l œuvre principalement du jeune architecte Joseph Meyer, qui se joint à Haynes en juin 1894. A la fin de l'été, Meyer attrape la typhoïde ; il meurt à Bagdad en décembre. Ces quelques mois de collaboration seront, d après Hilprecht, les seuls qui donneront un travail archéologique de qualité. Les rapports de fouille de cette période sont précis et détaillés ; ils redeviennent vagues et approximatifs après la mort de Meyer. 19 Hilprecht 1903, p. 363. 20

Shatt-en-Nîl Zone est Zone ouest Ancien cours d eau qui sépare les tumulus est et ouest Tumulus Nord-Est : quartier religieux ou complexe des temples (Ekur, Ziggourat, Temple d Inanna) Tumulus Sud-est : quartier des scribes ou colline des tablettes (TA, TB, TC) Tumulus Sud-est : maisons cassites Figure 3 : Carte topographique de Nippur [Gibson, et al. 2001, p. 547] 21

Les épisodes des campagnes de la Babylonian Expedition ont fait l objet d une large diffusion auprès du public par les récits de Hilprecht et Peters 20. Les tempéraments des deux rivaux de la BE étaient très différents. Hilprecht avait une bonne connaissance de l Orient et ses relations avec les Ottomans, notamment le Sultan Abdul Hamîd et son directeur des affaires archéologiques Osman Hamdi, étaient empreintes de respect réciproque ; pour Peters, à l inverse, comme pour la plupart des occidentaux présents à Istanbul à son époque, passer de l occident à l orient, c est passer «de la civilisation à la semi-barbarie» 21. Les conséquences dans la conduite des fouilles ont été dramatiques : la première campagne, dirigée par Peters, s est terminée dans un climat d hostilité puis de violence ouverte entre fouilleurs et population locale. De ce point de vue, on peut comparer l attitude respectueuse de Hilprecht à celle de Layard. 22 Compte tenu de l imprécision voire de l absence des rapports de fouilles et de l hostilité qui a opposé dès ses débuts les principaux acteurs de cette aventure (voir ci-dessous), les témoignages de Hilprecht et de Peters ne sont peut-être pas toujours totalement fiables. Ils permettent néanmoins de fixer quelques éléments du contexte de découverte des tablettes. Presque toutes les tablettes scolaires exhumées par la BE proviennent de deux zones : le «quartier des scribes» et les «maisons cassites», le long de la bordure ouest du Shatt-en-Nîl. Aucune ne provient du quartier des temples : les activités scolaires et cultuelles se déroulent dans des lieux nettement séparés. Au moment de leur découverte, les tablettes scolaires étaient souvent mêlées à des textes administratifs ; elles étaient soit entassées au milieu d une pièce «comme tombées d une étagère», soit retrouvées entre deux niveaux de sol, utilisées comme remblai. La plupart du temps, elles sont non cuites 23. A titre d exemple, voici un bref résumé fait des passages du récit de Hilprecht concernant les tablettes scolaires. Les numéros de pages entre crochets renvoient à [Hilprecht 1903]. Première expédition 2000 tablettes ont été découvertes au bord ouest du quartier des scribes (zone TB de la carte topographique Figure 3). La plupart sont paléo-babyloniennes, non cuites, cassées, abîmées ; ce sont des documents administratifs relatifs aux temples, et des textes scolaires : littérature, syllabaires, listes, mathématiques. Un peu moins d une centaine sont néo-babyloniennes. Une dizaine sont grandes et en bon état. Deuxième expédition Plusieurs endroits du quartier des scribes ont de nouveau été fouillés et ont livré 2000 tablettes. Elles sont du même type que celles de la première expédition : textes administratifs, littéraires et scientifiques (mathématiques, astronomiques et médicaux). Dans son rapport, Peters précise que les tablettes ne sont pas déposées en grand nombre au même endroit, mais éparpillées sur le sol ou mêlées à des matériaux de construction [p. 342]. A l Ouest du Shatt-en-Nîl (tumulus SE, zone WB de la carte topographique Figure 3) se trouvent les «maisons cassites» ; les fouilleurs y ont trouvé un lot de 5000 tablettes. D après Peters, une des pièces était entièrement remplie de tablettes mélangées à de la terre et à des «figurines d argile grotesques» [p. 342]. Il y avait tant de tablettes qu il a fallu 30 ou 40 hommes pendant trois jours pour les dégager et les ramener au camp. La plupart sont non cuites, fragmentaires et ont été trouvées répandues sur le sol. Leur position et la 20 Ibid et Peters 1897. 21 Kuklick 1996, p. 35. 22 Larsen 2001. 23 Les tablettes ne sont en général pas cuites aux III et II millénaires ; si elles le sont, c est qu elles ont brûlé accidentellement à la suite d un incendie (communication personnelle de C. Michel). 22

présence de cendres indique, d après Hilprecht, qu elles étaient à l origine rangées sur des étagères de bois le long des murs de cette pièce. Troisième expédition Les efforts se sont concentrés sur différents endroits de la bordure ouest du Shatt-en-Nîl, et ont permis la découverte de 20 000 tablettes. Pour Hilprecht, il s agit en majorité de listes d époque cassite ; 2000 ou 3000 sont d époques Ur III, Isin-Larsa, Babylone et sont constituées de lettres et de textes littéraires ; il y a aussi 1200 contrats plus récents (néo-babyloniens, néo-assyriens et perses) [p. 408]. Les tablettes d époque paléobabylonienne ont été trouvées répandues sur le sol dans une grande confusion, souvent enfouies entre deux niveaux de sol ; elles sont en majorité non cuites, cassées, attaquées par des sels. Quatrième expédition Les efforts se sont une fois de plus tournés vers le quartier des scribes : 30 000 tablettes ont été exhumées. Une telle masse de tablettes, scolaires et administratives, dans une zone restreinte, est la preuve, selon Hilprecht, de l existence d une école de scribes et d une bibliothèque. Une importante couche de débris recouvre les niveaux anciens où ont été trouvées la plupart des tablettes, datées d Ur III et de l époque paléobabylonienne. Cela semble indiquer une rupture soudaine à la fin de l histoire de la «bibliothèque». En revanche, la démarcation entre les époques d Ur III et paléo-babylonienne n est pas nette [p. 545]. Dans une des pièces où le nombre de tablettes était particulièrement grand, Haynes les a trouvées «entremêlées, imbriquées, posées à plat, sur la tranche, à l envers, par épaisseur de 2, 3, 4, si bien qu elles paraissaient être tombées d étagères quand la maison s est écroulée.» [p. 513]. Les tablettes exhumées de l ancienne «bibliothèque» ont un contenu littéraire et scientifique, et sont en général non cuites. Les tablettes de l aile nord du tumulus (aire TB de la carte topographique figure 1) sont à dominante scolaire (facture grossière, écriture maladroite) et celles de l aile sud à dominante administrative [p. 520-525]. Les datations de Hilprecht ont été largement réévaluées. Hilprecht pensait que les tablettes du quartier des scribes dataient de l époque d Isin-Larsa, les autres de l époque cassite. J. Oelsner a montré que l ensemble de ces tablettes date de l époque paléo-babylonienne au sens large (époque d Isin-Larsa incluse) 24. La localisation des tablettes est, dans les récits de Hilprecht et de Peters, assez vague. Elles semblent provenir principalement de deux locus : le «quartier des scribes» et les «maisons cassites». Il est très difficile aujourd hui de savoir duquel de ces deux sites provient chaque tablette. En effet, la numérotation des tablettes s est faite à Istanbul et à Philadelphie longtemps après leur découverte, et, l étiquetage sur place étant souvent inexistant, il est impossible de connaître la date d exhumation de chaque tablette et la campagne concernée. Les tablettes mathématiques et métrologiques qui ont été copiées et publiées par Hilprecht en 1906 sont plus nettement localisées : Hilprecht précise le lieu de découverte par des chiffres romains (V pour le quartier des scribes, IX pour les maisons cassites) et la campagne de fouille. Mais les autres tablettes rapportées à Philadelphie et à Istanbul par la BE, en particulier celles qui sont publiées par Neugebauer et Sachs dans MCT et MKT, n ont en général pas de locus de découverte identifié. A Istanbul, pour seulement 6 tablettes mathématiques (sur 319) on connaît la campagne de fouilles, dont 5 ont un locus identifié 25 : 3 ème BE, maisons cassites: Ni 894 (type III) table de multiplication par 7.30 Ni 927 (type III) table de multiplication par 2.30 24 Oelsner 2001 ; les aspects chronologiques sont développés plus loin ( 2.1.4). 25 Pour les éléments de description des tablettes (type et contenu), se reporter aux définitions en introduction et, pour plus de détails, au chapitre 5 ; les tablettes marquées d un astérisque figurent dans les planches de copies (Tome 2). 23