Les Chinois d Île-de-France et l infection à VIH. savoirs, vulnérabilités, risques et soins

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Transcription:

Les Chinois d Île-de-France et l infection à VIH savoirs, vulnérabilités, risques et soins

Les Chinois d Île-de-France et l infection à VIH Savoirs, vulnérabilités, risques et soins Décembre 2003

Étude initiée par Arcat et réalisée en 2002 par Chloé Cattelain et Sébastien Ngugen. Coordination : Christine Etchepare et Te-Wei Lin Secrétariat d édition : Sylvie Cohen Maquette et diffusion : Presscode Financement : Cramif Remerciements Cette étude a bénéficié des conseils de : Laetitia Atlani dont les compétences tant en ethnologie qu en expertise de lutte contre le sida nous ont été précieuses ; Janine Pierret, sociologue, directeur de recherches au CNRS, exerçant au sein du Cermes (CNRS-Inserm-EHESS) qui a eu la gentillesse de nous offrir ses éclairages et son temps pour nous aider à structurer cette recherche. Elle n aurait pu se faire en des temps aussi courts sans les efforts et l implication des professionnels et des militants. Ils ont su trouver le temps pour répondre à nos questions, nous ont ouvert les portes de leurs structures, permis d accéder à leurs données et de nous entretenir avec les Chinois ayant recours à leurs services. Sans pouvoir les citer tous nommément, nous espérons qu ils le comprendront, nous voudrions saluer l aide apportée par : les intervenants et responsables du programme d échange de seringues et du Bus méthadone de Médecins du Monde, de l association Boréal et du PAMS (programme d accès au matériel d injection stérile) de Médecins sans frontières ; les responsables de la prévention de l Amicale du Nid, du Bus des femmes et d Aides ; les médecins et les attachés de recherche clinique des services de médecine interne ; les équipes de coordination et d information auprès des malades usagers de drogues de l Assistance-publique/ hôpitaux-de-paris ; les sages-femmes et médecins de PMI, de maternité, de centres de santé ou de CDAG de Seine-Saint-Denis, de Paris et du Val-d Oise ainsi que leurs interprètes ; les militants et administrateurs de Fant Asia et du Long Yang Club ; et, bien sûr et surtout, les Chinois qui ont accepté de s entretenir avec nous sur un sujet aussi sensible. Les Chinois d Île-de-France et l infection à VIH - Arcat 3

Sommaire INTRODUCTION 6 Une étude limitée aux Chinois originaires de Chine Populaire 6 Méthodologie et récolte des données 6 1. LE BAGAGE DES MIGRANTS CHINOIS : MAIGRE EN INFORMATION, LOURD EN CRAINTES ET PRÉJUGÉS 8 1.1. Ampleur de l épidémie et principaux modes de contamination en Chine 8 1.2. Une réponse idéologique à l épidémie 9 1.2.1. Un corpus général de lois : entre volontarisme et répression 9 1.2.2. Manque de prise de conscience gouvernementale et société civile bâillonnée 10 1.2.3. La peur et la discrimination comme obstacles à la prévention 11 1.2.4. Les limites du diagnostic et de la prise en charge 12 1.3. Des migrants exposés? 13 1.3.1. Les Chinois du sud du Zhejiang 13 1.3.2. Les Dongbei ou Chinois du Nord et des mégalopoles 15 2. LES VULNÉRABILITÉS EN CONTEXTE DE MIGRATION 16 2.1. Légalité, logement, emploi et remboursement de la dette : des soucis plus pressants 16 2.1.1. Remboursement de la dette et légalité 16 2.1.2. Emploi et logement : dépendance envers la communauté 17 2.2. Des comportements sexuels modifiés par la migration? 17 2.2.1. Statut familial et situation dans le cycle de vie 18 2.2.2. Le tabou de la sexualité 18 2.2.3. La difficulté à maîtriser la contraception 19 2.2.4. Perception des risques et connaissance des IST 19 2.3. Organisation communautaire : monopole de l information et déficience de l intégration 20 2.3.1. Des intermédiaires exerçant un monopole de l information 20 2.3.2. Les petites annonces des interprètes chinois 21 2.3.3. Brève typologie des intermédiaires 21 2.3.4. Des associations et leaders peu concernés 22 3. POPULATIONS PARTICULIÈREMENT VULNÉRABLES : QUELLE CONNAISSANCE DU VIH? 24 3.1. Les prostituées 24 3.1.1. Des «mères de famille conservatrices» 24 3.1.2. Santé, protection et connaissance du VIH 26 3.2. Usagers de drogue 27 3.2.1. La collecte des données 27 3.2.2. Une «carrière» originale? 27 3.2.3. Mortalité et sida 28 3.3. Les homosexuels 29 3.3.1. Une communauté homosexuelle à Paris? 29 3.3.2. Tabou et stigmate 29 3.3.3. Une population vulnérable? 29 4 Les Chinois d Île-de-France et l infection à VIH - Arcat

4. ACCÈS AUX SOINS, SOINS ET DÉPISTAGE 31 4.1. Itinéraires thérapeutiques 31 4.1.1. De l articulation de la médecine clinique avec la médecine traditionnelle 31 4.1.2. Les tradi-praticiens 31 4.1.3. Le médecin sinophone : un interlocuteur idéal? 32 4.1.4. Les «pharmaciens» chinois 32 4.1.5. La rareté des suivis en médecine de ville 33 4.2. Freins à l accès aux soins 33 4.2.1. Une relation malade/médecin sans compréhension réciproque 33 4.2.2. Le discours des malades chinois 34 4.3. Conséquences sur le dépistage et la prévention 36 4.3.1. Les dépistages prescrits ou obligatoires 36 4.3.2. Les dépistages volontaires 36 4.3.3. Les prises en charge hospitalières des Chinois infectés par le VIH 36 5. PROPOSITIONS 37 5.1. Outils et méthodologie : analyse de l existant 37 5.1.1. Documents recensés : liste non exhaustive 37 5.1.2. Les critiques constructives recueillies 37 5.2. Propositions 38 5.2.1. Adapter les programmes et les outils 38 5.2.2. Travailler avec les relais et leaders 38 5.2.3. Élargir le champ des interventions, des brochures 39 6. CONCLUSION 40 7. ANNEXES 41 7.1. Bibliographie 41 7.1.1. La migration chinoise en Europe 41 7.1.2. Chinois de France et santé 41 7.1.3. Santé, VIH et Chinois de Chine 42 7.1.4. Sociologie 42 7.1.5. Anthropologie 42 7.1.6. Usages de drogues 42 7.1.7. Articles et ouvrages sur la Chine 43 7.2. Tableaux 43 Tableau 1 : répartition hospitalière des suivis ECIMUD usagers de drogues chinois 43 Tableau 2 : répartition des suivis hospitaliers de Chinois infectés par le VIH en Île-de-France 43 Tableau 3 : usagers de drogues chinois sous méthadone à Médecins du monde 44 7.3. Dépliant 45 Mieux connaître l infection par le VIH/sida d Arcat 45 Les Chinois d Île-de-France et l infection à VIH - Arcat 5

Introduction Une étude limitée aux Chinois originaires de Chine Populaire Dans un contexte où le VIH et le sida connaissent en Chine Populaire un développement et une ampleur «dramatique» (ONUSIDA, 2001), où les autorités chinoises annoncent, en avril 2002, le chiffre de 30 736 cas répertoriés tout en estimant le nombre de personnes infectées par le VIH à 850 000 (AP, 2002) et que l ONUSIDA affirme que ce chiffre serait supérieur à 1 million en 2001 et pourrait atteindre les 5 millions en 2005, les interrogations surgissent sur la situation, en France, des migrants originaires de Chine populaire. On sait fort peu de choses de la situation sanitaire et sociale des Chinois de Chine Populaire résidant en Îlede-France. Si ces populations chinoises ont fait l objet de recherche par Estelle de Parseval (Parseval, 2002) et Sébastien Ngugen (Ngugen, 2001, 2002), ces études sont centrées sur la santé et l accès aux soins et ne permettent pas de répondre à l ensemble des interrogations et demandes des travailleurs sanitaires et sociaux qui se déclarent dépourvus de savoirs, d outils et de méthodologies dans leurs relations professionnelles avec ces migrations originaires de la Chine Populaire, en progression continue. De plus, les précédentes recherches ont permis de mesurer la précarité sociale et l importance quantitative et qualitative de vulnérabilités individuelles, sociales et culturelles chez de nombreux individus face à la maladie. Ce nouveau rapport s inscrit dans une volonté de développer la recherche sur ces sujets et dans une démarche de constitution de descriptions et d analyses permettant de mieux comprendre les rapports des Chinois à l infection à VIH, et d étayer les actions à venir. Afin de répondre au mieux à cette demande, il nous a fallu faire des choix. Le premier fut de centrer notre étude sur les vagues migratoires récentes. D une part, celle issue des bourgs ruraux situés dans les environs du port de Wenzhou, dans la province du Zhejiang et, d autre part, celle originaire des provinces du nord-est de la Chine et des mégalopoles du Nord, couramment appelée «Dongbei» 1. Si une étude sur les Chinois d Île-de-France et le VIH paraît pertinente en regard de ces arguments, notre travail de terrain auprès des migrants chinois nous conduit à constater que le VIH ne semble pas être un problème pour la communauté comme pour les individus. En effet, associations franco-chinoises ou chinoises communautaires semblent peu sensibilisées. Les individus rencontrés dans un cadre thérapeutique ne montrent aucune inquiétude envers la maladie. Existet-il donc une problématique relative au VIH pour les Chinois d Ile-de-France? Si la situation en Chine a été qualifiée par ONUSIDA de «dramatique», qu en estil de ces migrants en France? En quoi la migration les fragilise-t-elle? Les Chinois d Île-de-France ont-ils une perception d un risque? Ont-ils des pratiques à risque? Quelles sont leurs stratégies de protection? Face à ces questions, nous posons comme hypothèse de départ que les Chinois d Île-de-France cumulent à des vulnérabilités héritées du contexte socio-politique chinois, des vulnérabilités individuelles, sociales, économiques et sociétales liées à un parcours migratoire qui précarise les individus et à un cadre déficient dans l accueil des migrants. Méthodologie et récolte des données Afin d analyser les déterminants socioculturels face à l infection à VIH et à l accès aux soins nous avons mené une étude sociologique, essentiellement qualitative, basée sur l oralité, l observation et l entretien. Nous avons cependant essayé de donner quelques éléments statistiques permettant d avoir des indicateurs, même partiels, sur les phénomènes observés. De ce fait, nous avons choisi des modes de recueil de données complémentaires qui permettent développements, confrontations et recoupements : 1 Dans la présente recherche, nous qualifierons de «Chinois» ces deux groupes étudiés. 6 Les Chinois d Île-de-France et l infection à VIH - Arcat

revues de la littérature scientifique et journaux chinois concernant l infection à VIH-sida en Chine et les rapports entre migration et VIH-sida ; entretiens avec des «portiers de réseaux 2» chinois et des personnes ressources : responsables associatifs, intervenants de terrain en réduction des risques (RDR) travaillant auprès de Chinois ; médecins et soignants, notamment dans les PMI ou en maternité ; publics cibles («grand public» hétéros jeunes/adultes, prostituées, usagers de drogue, homosexuels) : entretiens non directifs ou semi directifs. Ces catégories de publics ne sont pas étanches, et sont de ce fait quelque peu artificielles. Il n y a pas, nous le verrons, en leur sein de sentiment d appartenance à une sous-communauté homosexuelle ou d usagers de drogue. Cette catégorisation permet cependant d aborder les comportements et représentations spécifiques en œuvre dans ces groupes. Cette méthode a néanmoins montré ses limites. La limite du temps (3 mois) est évidente. Elle s ajoute à l objet même de l étude qui touche des problèmes tabous comme la sexualité, alors que dans de précédentes études (Ngugen, 2001, 2002 ; Cattelain et al., 2002), les liens anciens avaient facilité l évocation de sujets comme le passage ou la clandestinité. Les problèmes relatifs à l infection à VIH sont déniés par les Chinois même au sein des groupes concernés (tabou de la sexualité, illégalité de l usage de drogue, interdits sociaux liés à l homosexualité ). Nous étudierons tout d abord en quoi le développement de l épidémie du sida en Chine et son mode de traitement politique et social par les autorités influencent le rapport à l infection à VIH des migrants chinois présents en Île-de-France. Nous verrons ensuite en quoi la situation migratoire en Île-de-France renforce les vulnérabilités. Face aux problèmes de santé, quel est le parcours thérapeutique emprunté par les migrants? En quoi ces éléments constituent-ils des freins au dépistage et à la prévention? Enfin, nous formulerons des propositions afin de lever ces freins. République populaire de Chine Heilongjiang Xinjiang Xizang Qinghai Tianjin Hebei Ningxia Shanxi Shandong Gansu Shaanxi Henan Jiangsu Sichuan Hubei Anhui Yunnan Guangxi Neimenggu Beijing Hunan Guizhou Liaoning Zhejiang Jiangxi Fujian Jilin Guangdong Taïwan Hong Kong DONGBEI Hainan 2 Personnes ressources ayant la capacité à réaliser des interfaces entre un investigateur et un groupe. Les Chinois d Île-de-France et l infection à VIH - Arcat 7

1 Le bagage des migrants chinois : maigre en information, lourd en craintes et préjugés Avec quel bagage les migrants arrivent-ils en France en termes de risque d infection, de connaissances sur les modes de transmission du VIH, de perception des risques, de pratiques de prévention? Adolescents ou familles Wenzhou, quadragénaires licenciés des usines du nord de la Chine, les migrants qui arrivent en France ont vécu leur âge adulte en Chine où y ont reçu la majeure partie de leur éducation. L étude de la situation en Chine s avère donc un passage nécessaire pour mieux comprendre les migrants qui arrivent en Île-de-France. Nous n avons relevé ici que les éléments qui nous paraissaient avoir une influence sur les migrants chinois présents en Île-de-France. Nous verrons en quoi les réponses du gouvernement chinois à l épidémie mais, aussi, l organisation du système de soins, déterminent les croyances et les comportements des migrants. 1.1. Ampleur de l épidémie et principaux modes de contamination en Chine En 2001, l ONUSIDA a publié un rapport intitulé «Le sida en Chine : un nouveau millénaire, un défi titanesque» dans lequel l organisation affirme que la Chine est «au bord d une catastrophe» (ONUSIDA, 2001). Le premier cas d infection à VIH a été détecté en 1985. L infection s est ensuite propagée parmi les toxicomanes au début des années 1990 dans les provinces du sud du pays, proches du Triangle d or. Aujourd hui, les experts en santé estiment que la Chine réunit toutes les conditions propices à une épidémie massive : une importante population mobile, une prostitution très répandue et une promiscuité sexuelle accrue parmi les jeunes (OMS, 2001). Les chiffres «très incertains» présentés par ONU- SIDA oscillent, en 2001, entre 800 000 et 1,5 million de personnes infectées, soit une prévalence supérieure à 0,2 %, avec un ratio homme/femme de 4 pour 1 (ONUSIDA, 2001 : 11). L ONUSIDA a recueilli des données dans 101 sites sentinelles, visant cinq populations cibles : les patients des cliniques traitant les infections sexuellement transmissibles (IST), les prostituées, les usagers de drogue, les conducteurs de camion longue distance et les femmes enceintes (OMS, 2001). Selon les autorités chinoises, 68 % des cas de contamination seraient causés par le partage de seringues parmi les usagers de drogue par voie intraveineuse, 9,7 % par la vente illégale de sang et 7,2 % par des relations sexuelles non protégées. Cette prépondérance des contaminations par partage des seringues est un choix politique qui permet de minimiser les contaminations dues au trafic de sang contaminé. L usage de drogues a lieu principalement dans les provinces du sud-ouest et de l ouest de la Chine. La prévalence du VIH va de 1 à 80 % parmi les usagers de drogue dans les provinces du Yunnan, Xinjiang, Guangxi et Sichuan. Les usagers de drogue en intraveineuse partagent leur matériel à 73 % dans le Hunan, 81 % dans le Jiangxi, et 100 % dans le Xinjiang. En 2001, le ministre de la Santé chinois a affirmé que le nombre de personnes infectées par le virus du sida connaissait une progression annuelle de 30 % due à une augmentation des infections parmi les usagers de drogue en intraveineuse (AP, 2001). Le trafic de sang contaminé arrive en deuxième position comme mode de contamination. En effet, la vente de sang constitue, pour les paysans pauvres et les ouvriers au chômage, un moyen de subsistance et, pour les industriels fabriquant des produits à base de sang, une voie d enrichissement rapide. Dans le Henan, province particulièrement pauvre du centre de la Chine, le sang du paysan était prélevé puis mélangé à d autres prélèvements du même rhésus. Une fois le plasma extrait, les globules rouges provenant de plusieurs personnes 8 Les Chinois d Île-de-France et l infection à VIH - Arcat

différentes étaient réinjectés au vendeur de sang. Entre 600 000 et 1 million de paysans pauvres des zones rurales du Henan auraient été infectés. Malgré son interdiction en 1998, le commerce du sang continue. Des épidémies similaires dues à des dons de plasma ont été rapportées dans d autres provinces comme le Hebei, l Anhui, le Shanxi, le Shaanxi, le Hubei, le Guizhou Les transmissions par voie sexuelle seraient un mode de contamination en particulier chez les prostituées et les travailleurs migrants. Parmi les prostituées, dont les autorités estiment le nombre à 3 millions, l usage du préservatif n est pas systématique. Selon l OMS, 49 % des prostituées n utilisent jamais de préservatif, plus de 31 % à Pékin et 70 % dans l Anhui (OMS, 2001). Parmi les autres modes de contamination, citons la transmission par le matériel médical (problèmes de stérilisation, manque de formation, absence de destruction des seringues et des aiguilles). La progression des infections sexuellement transmissibles est également un facteur accroissant la propagation de l infection à VIH. Celles-ci connaissent une augmentation continue. Selon le ministre de la Santé chinois, cet accroissement est dû à des changements dans les normes sociales, à l augmentation de la promiscuité sexuelle et au bas niveau de conscience du problème (AP, 2001). Qu en est-il de la contamination hétérosexuelle? Selon l OMS (OMS, 2001), il n existe pas de données montrant une propagation extensive dans la population hétérosexuelle. Cependant, l ONUSIDA insiste sur le fait que l expansion du VIH par voie sexuelle s accroît (ONUSIDA, 2001 : 4) et que tout le monde est touché : «En Chine, les millions de personnes qui sont vulnérables face au VIH-sida n appartiennent pas à des poches ou groupes petits et isolés. Au contraire, les populations vulnérables sont en relation avec la population générale et, dans de nombreux cas, constituent la population générale.» Les migrants présents en Île-de-France ont pu être en contact avec l infection à VIH en Chine. Mais les outils de compréhension et de lutte que le gouvernement chinois leur a légués n en font pas pour autant des personnes qui s estiment concernées. 1.2. Une réponse idéologique à l épidémie Si le gouvernement central investit de plus en plus de moyens dans la lutte contre le sida, l approche de l épidémie reste idéologique : la discrimination et la peur entourent les malades, la morale imprègne la prévention et les groupes à risque sont réprimés. La connaissance de l infection à VIH et la perception des risques s en trouvent limitées. Enfin, le dépistage reste essentiellement institutionnel, et exercé dans un cadre carcéral ou hospitalier. 1.2.1. Un corpus général de lois : entre volontarisme et répression Des lois passées par le gouvernement central définissent les politiques générales de lutte contre l infection à VIH. En 1998, les «Principes pour l éducation et la communication sur le VIH-sida», stipulent que les messages de prévention du préservatif doivent être diffusés parmi les groupes à risque. La possession d un préservatif ne doit pas être considérée comme une preuve de prostitution. En 1999, les «Principes sur la gestion des personnes infectées par le VIH et les patients du sida» (ONUSIDA, 2001 : 33) prévoient : La confirmation des tests du VIH et la dispense de conseils ; La lutte contre la discrimination ; La confidentialité des informations individuelles ; L éducation du public. Le «Plan d action pour contenir, prévenir et contrôler le VIH-sida», publié par le ministère de la Santé en 2001, définit les stratégies, ressources et politiques à mettre en place : accent sur la sécurité du sang ; amélioration de la prise de conscience du public et de la prise en charge des malades ; mobilisation des médias pour diffuser l information sur le VIH-sida. À côté de ce corpus général, des lois concernant les usagers de drogue et les prostituées définissent un traitement répressif des groupes les plus concernés. Le caractère illégal de l usage de drogue et de la prostitution rend difficile tout travail de prévention auprès de ces populations. La «Décision du Comité permanent du Congrès national du peuple sur l Interdiction des drogues» de 1990, complétée par les «Procédures pour une réhabilitation obligatoire de l addiction à la drogue» de 1995 et la «Décision du Comité permanent du Congrès national du peuple sur l interdiction de la prostitution» rappellent que l usage de drogue, le trafic de drogue et la prostitution sont illégaux en Chine (ONUSIDA, 2001 : 30-31). La lutte contre l usage de drogue se concentre Les Chinois d Île-de-France et l infection à VIH - Arcat 9

sur la proposition d un sevrage volontaire aux usagers de drogue quand ils sont arrêtés par la police. Les usagers qui refusent de se sevrer volontairement sont transférés dans des centres de réhabilitation et soumis à une désintoxication obligatoire. Les usagers qui continuent à se droguer après un traitement obligatoire sont envoyés dans des centres de rééducation par le travail, gérés par les départements judiciaires. Ils y suivent un traitement forcé ainsi qu une «rééducation par le travail physique», mais reçoivent peu d information sur le VIH-sida. Or, le taux de rechute est de 90 % dans les 5 ans. Ainsi, les politiques de réduction des risques ne sont pas prioritaires. En conséquence, les usagers de drogue craignent d être arrêtés, envoyés en centre de réhabilitation et cachent leur consommation. La prostitution étant illégale, les prostituées sont envoyées en centre de rééducation quand elles sont arrêtées par la police. En revanche, l homosexualité n est plus illégale et a été effacée de la liste officielle des désordres mentaux en 2001. La pression sociale, elle, demeure. 1.2.2. Manque de prise de conscience gouvernementale et société civile bâillonnée «Malgré les mesures législatives (et parfois à cause d elles), la prise de conscience de l importance de la prévention et du soin du VIH-sida ont fait peu de progrès en Chine» (ONUSIDA, 2001 : 35). Le manque d ouverture dans la gestion de l épidémie et l insuffisance de l engagement politique à tous niveaux du gouvernement sont soulignés à plusieurs reprises (ONUSIDA, 2001 : 5). La gravité et le potentiel de propagation de l épidémie sont sous-estimés. Les plans de lutte contre le sida sont essentiellement médicaux et ne considèrent pas l épidémie comme un plus large problème de développement. Le contexte socio-économique, en particulier les inégalités sexuelles, la migration et la pauvreté ne sont pas pris en compte (ONUSIDA, 2001). Les lois et règles nationales qui existent ne sont souvent pas appliquées au niveau local. Les autorités locales ont tendance à minimiser la présence de l infection à VIH sur leur territoire afin de ne pas en donner une image négative au public et d afficher de bons résultats auprès du gouvernement central : «Beaucoup de gouvernements locaux ne veulent pas savoir, ou ne veulent pas que les autres sachent, ce qui se passe chez eux en matière de sida. Certaines autorités censurent l information et parfois même s opposent activement à toute recherche sur le sida.» Ce manque de prise de conscience se double d une crainte du potentiel de contestation politique que contient une lutte contre le sida prise en charge par la société civile. Celle-ci n a pas été mobilisée dans la lutte contre l infection à VIH. Et pour cause : le droit d association et la liberté d expression restent lettre morte en Chine. Il est donc impossible à de véritables organisations de terrain d émerger de la base. Seules les organisations non gouvernementales (ONG) occidentales interviennent dans ce domaine. En revanche, des départements gouvernementaux ont mis en place des ONG, les fameuses «organisations non gouvernementales organisées par le gouvernement» ou GONGOS 3 pour lutter contre l épidémie. Ainsi, le docteur Gao Yaojie, qui avait porté assistance médicale, information et réconfort psychologique aux villageois contaminés du Henan, a été intimidée et s est vu refuser la délivrance d un passeport pour aller chercher le prix Jonathan-Mann à Washington, en présence de Koffi Annan. Elle a également été accusée par les autorités d «aider les forces anti-chinoises». En août 2002, le militant Wan Yanhai a été arrêté pour avoir divulgué des documents concernant le trafic de sang contaminé dans le Henan. Ses distributions de préservatifs lui avaient déjà valu une arrestation. Enfin, certains médecins et épidémiologistes ont été intimidés et menacés (ONUSIDA, 2001 : 35), malgré leur approche apparemment non militante. Il ne faut pas sousestimer la crainte du gouvernement chinois face à toute forme d organisation citoyenne indépendante. Le sida constitue un sujet sensible pour le gouvernement chinois à plusieurs titres. Tout d abord par ce que l épidémie révèle de la société. Le gouvernement accepte qu on parle du VIH, de ses modes de transmission en termes techniques et médicaux, mais refuse que ses causes sociales soient interrogées. La propagation de l épidémie met en lumière des aspects de la société que le gouvernement voudrait cacher. Si le journaliste Zhang Jicheng qui avait révélé l ampleur de la contamination par le sang dans la province du Henan a été licencié, c est parce que le trafic de sang contaminé révèle l extrême pauvreté des campagnes chinoises et l appât du gain d autorités locales corrompues. Les mesures de censure qui ont été prises à l encontre des auteurs Wei Hui et Mian Mian pourraient ici être mises en parallèle. Leurs romans respectifs, Shanghai Baby et Les Bonbons chinois ne critiquent nullement le régime chinois, mais montrent une Chine urbaine dans laquelle la drogue et le sexe sont des produits de consommation. 3 Government - organised NGOs 10 Les Chinois d Île-de-France et l infection à VIH - Arcat

1.2.3. La peur et la discrimination comme obstacles à la prévention «En Chine, la peur et la discrimination constituent un sérieux obstacle à la mise en œuvre des programmes de prévention.» (ONUSIDA, 2001 : 51) Des lois nationales affirment que les personnes infectées par le VIH ne sauraient être victimes de discrimination. Cependant, les autorités locales continuent à voter des lois discriminatoires. Le rapport d ONUSIDA précise qu en mai 2001, les autorités de la ville de Chengdu ont rédigé des réglementations obligeant les personnes travaillant dans les bars, les hôtels, les agences de voyage, les salons de beauté, les bains publics et les piscines à passer une batterie de tests pour repérer les porteurs d infections sexuellement transmissibles. Les personnes séropositives au VIH devaient quitter leur travail et il leur était interdit de se marier. À Pékin, les employeurs doivent signaler aux autorités sanitaires les personnes suspectées d être infectées. Les réglementations locales préconisent des formes diverses de discrimination : interdiction de se marier, exclusion de la scolarité et du travail, des piscines, etc. Les cas de pratique de discrimination ne sont également pas rares. Par exemple, des unités de travail ont été prévenues de la séropositivité de leur employé. Cependant, des procès ont été intentés contre ces unités de travail, procès gagnés par les victimes. Une prévention chaste et vague Si l État chinois a pris des engagements en termes d investissement dans la prévention, celle-ci reste technique et imprégnée de chasteté. Elle a cependant considérablement évolué. La prévention, axée sur la peur, a tout d abord relayé l idée que la maladie concernait les étrangers et les populations à risques. Une étude de textes publiés dans la presse médicale officielle chinoise, en 1997 (Cattelain, 1998), montrait qu il était encore fait référence au sida comme une maladie exportée par la décadence occidentale. Dans les années 1990, les spots de prévention du sida montraient un désert désolé. En revanche, la diffusion en 2001 de soirées spéciales mobilisant des vedettes chinoises à la télévision nationale a été considérée comme un signe important. La première conférence nationale sur le sida et les MST a eu lieu à Pékin en novembre 2001. Cependant, la même année, un spot télévisé mettant en scène un préservatif a été censuré. Ce qui amène ONUSIDA à commenter : «La censure et les restrictions concernant le VIH et le sida compromettent sévèrement une réponse efficace.» Parler de sexualité hors de toute référence morale demeure problématique, malgré les bouleversements que les mœurs sexuelles chinoises ont connus depuis la politique de réforme et d ouverture initiée en 1979. La promotion nationale du préservatif reste à faire et la prévention promeut le sexe dans le cadre des relations maritales comme meilleure protection. Ainsi, en juin 2001, le ministre de la Santé chinois, Zhang Wenkang, détaillait les mesures du plan quinquennal de lutte contre le sida. Les personnes seront encouragées à prendre des mesures préventives contre la maladie, «par exemple, à développer un mode de vie sain, sans trop de partenaires sexuels, et deuxièmement, sans prendre de drogue. Nous encourageons le sexe dans le mariage, et décourageons le sexe hors mariage.» (AP, 2001). Une pruderie illustrée par les propos d un médecin chinois, éduqué à Shanghai, travaillant en milieu hospitalier à Paris : «La prévention est axée sur le sida, ils font des affiches sur la maladie sans rentrer dans les détails pour la contamination. Ils parlent surtout des usagers de drogue, les drogués sont envoyés en centre de rééducation. Je suis toujours surprise quand je passe dans les couloirs du service de gynécologie [en France], il y a des affiches, des brochures où l on parle de sexe. Il n y aura jamais ça en Chine, même à l hôpital.» Ces choix de prévention paraissent décalés face à l évolution des mœurs chinoises. Ainsi, les adolescents ont des relations sexuelles avant le mariage de plus en plus jeunes et de plus en plus de personnes ont plusieurs partenaires avant de se marier. Mais, à cause des valeurs traditionnelles, l accent est mis sur la chasteté avant le mariage, et peu d éducation sexuelle est dispensée en Chine. Manquent les informations de base sur la sexualité, la reproduction et l usage du préservatif (ONUSIDA, 2001 : 54). Même les étudiants en médecine sont peu sensibilisés aux infections sexuellement transmissibles, le VIH notamment, comme en témoigne le médecin chinois que nous avons interrogé à Paris : «Il y a une ignorance totale des MST et du sida, même chez les étudiants en médecine. Les professeurs n en parlent jamais en cours. Au mieux, ils nous disent de lire le chapitre du livre chez nous le soir.» De même, le planning familial réserve la dispense d informations et la distribution de préservatifs aux femmes mariées (ONUSIDA, 2001 : 58). Information et perception des risques dans le public Les résultats de cette politique de prévention sont sans surprise : «Beaucoup de gens continuent de penser qu il est plus facile d être contaminé par une piqûre de moustique ou une poignée de main que par des injections intraveineuses ou le sexe non protégé.» «Il manque Les Chinois d Île-de-France et l infection à VIH - Arcat 11

à la vaste majorité des personnes non infectées une connaissance de base, les pratiques pour se protéger d une future infection et pour gérer les relations avec les personnes infectées.» (ONUSIDA, 2001 : 7). La prévention reste dominée par une approche en termes de groupes à risques, visant particulièrement les prostituées, les usagers de drogue et les travailleurs mobiles à l intérieur de la Chine. L illusion est ainsi entretenue que la population générale reste à l abri de l infection à VIH. Les sondages et études sur les connaissances, attitudes et pratiques prouvent un manque de connaissance «alarmant» concernant les modes de transmission. Ces mêmes études ont montré que, de manière générale, les femmes pensaient que la fidélité à un seul partenaire sexuel était la meilleure façon de se protéger. Dans une étude réalisée à Jining dans la province du Shandong, 40 % des hommes interrogés considéraient qu il était acceptable d avoir des relations extraconjugales et 95 % affirmaient que la monogamie était la meilleure protection contre le sida. 1.2.4. Les limites du diagnostic et de la prise en charge En quoi le système d accès aux soins et le mode de dépistage en Chine, marqués par l inégalité et la logique de rentabilité, influencent-ils le rapport des Chinois à la médecine en France? Le système de soins Aujourd hui, la majorité des Chinois se soigne par la médecine occidentale. On dénombre 3 millions de médecins à l occidentale, contre 300 000 traditionnels. De plus, ces derniers utilisent en complémentarité des outils diagnostiques occidentaux (scanner, rayons X). De ce fait, moins de 5 % des hôpitaux restent uniquement spécialisés dans la médecine traditionnelle chinoise (MTC). Toutefois, dans le processus actuel de privatisation des soins, la MTC demeure selon Haski (2001) un recours pour les pauvres, car ses soins sont financièrement accessibles. Selon divers témoignages recueillis lors d une précédente étude (Ngugen, 2001), l accès aux soins hospitaliers en Chine serait des plus réduits pour la grande majorité de la population. La ségrégation en vigueur s exprimerait, d une part, par la grande hétérogénéité qualitative des soins dispensés et, d autre part, par le coût financier. Le système de soins étant, par pans entiers, privatisé. En fonction du métier de chacun et donc du statut social, les lieux de soins sont différents. Il existe des cliniques réservées du fait de leur coût aux étrangers et aux Chinois les plus riches. Les auteurs d un célèbre recueil de reportages pour les Chinois de l étranger (Zhang et Ye, 1986 : 98) interrogent un médecin exerçant dans l un de ces établissements : «Le centre gagne beaucoup, parce qu il ne pratique pas les soins gratuits, c est un joint-venture avec Hong Kong. Nos interventions sont de bonne qualité et efficaces. Même les salariés qui bénéficient des soins gratuits préfèrent venir ici et payer de leur poche.» Sur l échelle qualitative, suivent les établissements hospitaliers dispensant des soins corrects. Ils seraient gratuits pour les fonctionnaires des administrations et entreprises publiques et pour les membres du Parti communiste. Ces privilégiés possèdent une carte spécifique d accès. Pour les salariés de droit privé, les soins sont officiellement à la charge de l entreprise. Mais, en fait, elle ne rembourse, et bien souvent des années plus tard, qu une partie des frais, après le paiement des soins par le salarié. Les agriculteurs et petits commerçants doivent systématiquement payer de leurs deniers. S il est vrai que ces derniers gagnent parfois dix fois plus qu un ouvrier, ils n ont droits ni à une retraite ni à l assurance maladie. Les paysans pauvres, malades, doivent dépenser tous leurs revenus au détriment des autres postes comme l éducation des enfants. Ainsi, la pauvreté accroît les opportunités d être malade et la maladie fait basculer les familles dans la pauvreté. En plus du prix officiel des soins fixé par l établissement, tous ces non privilégiés doivent distribuer «beaucoup d enveloppes», sinon «tu n as jamais une consultation correcte» (Ngugen, 2001). Enfin, il existerait exceptionnellement des «hôpitaux» pour ceux qui n ont pas d argent ou qui viennent illégalement d une autre province. Selon une patiente chinoise de Beijing, les soins seraient si médiocres «que même si l on y entre pour une maladie bénigne, on n en sort pas vivant». Le matériel serait ancien, le personnel peu qualifié. De plus, «on doit amener nos médicaments, le couchage et l alimentation. Tout est, là aussi, à notre charge». Les Chinois ne s y rendraient donc qu en dernière issue mais «de toute façon, quand on n a pas d argent, on reste à la maison» (Ngugen, 2001). Le traitement des infections sexuellement transmissibles (IST) Ces caractéristiques de l accès au soin se retrouvent dans le traitement des IST en Chine. Le rapport d ONU- SIDA relève plusieurs facteurs qui contribuent à rendre le système de traitement des IST «chaotique» et qui obligent les malades à se tourner vers des «cliniques» privées ou à dissimuler leur maladie : le manque de programmes de prévention ; les mauvais diagnostics et traitements ; 12 Les Chinois d Île-de-France et l infection à VIH - Arcat

les frais élevés voire extrêmement élevés ; le manque de respect de la confidentialité et de l anonymat ; les jugements de valeur de la part du personnel médical. Le rapport explique que les hôpitaux louent leurs services de traitement à des groupes commerciaux qui prescrivent donc des traitements non recommandés. Cette logique de rentabilité ne favorise pas le conseil et la prévention, non générateur de revenu. Le dépistage du VIH et l accès aux traitements Actuellement, le dépistage du VIH est essentiellement effectué auprès de personnes incarcérées ou hospitalisées. Il est généralement obligatoire et systématique dans des institutions, comme les centres de réhabilitation pour les usagers de drogue et les centres de rééducation pour les prostituées. Cette forme de criminalisation potentielle de la séropositivité est un frein réel et important au dépistage. Quant au dépistage volontaire, il n est pas anonyme et son coût est élevé. Le rapport onusien souligne le manque de personnel médical qualifié, le manque de tests volontaires et de services de conseil. Dans le cas du VIH, les seuls programmes de traitement sont initiés à petite échelle souvent par des ONG internationales comme Save the Children et Australian Red Cross. Pratiquement aucun soutien psychologique ou social n est dispensé. La trithérapie commencerait à être dispensée à titre expérimental dans certaines provinces au moment où nous rédigeons ce rapport. Accès aux soins inégalitaire, dépistage institutionnalisé et sous contrôle d un pouvoir judiciaire et/ou médical, faiblesse des moyens en termes de traitements sont autant d obstacles qui freinent le dépistage volontaire et n incitent pas à se faire soigner. Cette description de la situation de l infection à VIH et la réponse que lui apportent les autorités nous donnent quelques pistes de réponse à la question : avec quels bagages les migrants arrivent-ils en France? Schématiquement, ils se sentent peu concernés par le sida car la prévention, axée sur une approche en termes de groupes à risques, reste vague et technique. Ils ont donc une faible perception des risques. Les futurs migrants ont une connaissance sommaire des modes de transmission de l épidémie et ne savent pas très bien comment s en protéger, accordant une place de choix à la fidélité et à la croyance en la «pureté des mœurs chinoises». Le dépistage est vécu comme un risque potentiel, car effectué dans une situation de rapport de pouvoir (hôpital ou incarcération), et pouvant entraîner des conséquences fâcheuses (renvoi de l unité de travail, interdiction de se marier ). Les traitements étant peu disponibles, et l accès aux soins inégalitaires, l intérêt de se faire dépister et soigner reste faible. Enfin, les réponses à l épidémie sont gérées par le gouvernement ou des émanations de structures gouvernementales, et non par de véritables associations locales issues de la société civile. 1.3. Des migrants exposés? Quelles sont les populations chinoises qui arrivent en Île-de-France? Quelles sont leurs spécificités vis-à-vis de l infection à VIH par rapport au reste de la population chinoise décrite précédemment? 1.3.1. Les Chinois du sud du Zhejiang La migration du sud de la province du Zhejiang est la plus ancienne migration chinoise en France. Elle s est intensifiée depuis les années 1990. Une migration ancienne structurée autour de l entreprenariat et de la famille La région dite de Wenzhou se situe sur le littoral, au Sud de Shanghai. Très enclavée, montagneuse, elle n est reliée aux grandes villes du pays par le chemin de fer que depuis 1995. C est une zone traditionnelle d émigration, notamment vers l Europe : elle compte 8 millions d habitants, un million d «émigrés de l intérieur», c est-à-dire ayant quitté leur province pour s installer ailleurs en Chine, et 400 000 à l étranger. On trouve des traces de cette migration en Europe dès la fin du XIX e siècle. Dans le district de Li Ao, à 16 km de la ville de Wenzhou, 60 % de la population vit outremer (MA MUNG, 2000). Cette migration est communément dite «Wenzhou», bien qu elle ne se limite pas au port de Wenzhou, mais comprenne des villages et bourgs ruraux des districts de Qingtian et Wencheng. Elle est étroitement liée au dynamisme économique de Wenzhou. Durant l ère maoïste même, pourtant hostile à l entreprenariat économique et au commerce, Wenzhou profite de son éloignement du centre pour créer des petits ateliers privés afin de sortir de la pauvreté. L ère des réformes transforme le dynamisme économique de la région en «modèle Wenzhou» : entreprise privée, réseau de distribution performant, industrie de Les Chinois d Île-de-France et l infection à VIH - Arcat 13

main-d œuvre, parfois à domicile (boutons, textile, chaussures, électronique bas de gamme ). Une promenade dans les villages dont sont issus les migrants en atteste : certains rez-de-chaussée d habitations sont occupés par les machines à coudre, à couper le tissu, les ouvrières transformant des fils de fer en cintres Les habitants de Wenzhou qualifient désormais leur ville de «petit Hong Kong». Pour les paysans et petits entrepreneurs qui n ont pas pu s insérer dans le développement économique de Wenzhou, la ville avoisinante, la migration est une forme possible d ascension sociale et une perspective de réussite. La migration Wenzhou est familiale. Tout d abord parce qu elle fonctionne «selon un modèle de migration familiale en chaîne» (Beja, 1999 : 62), un membre de la famille en faisant venir plusieurs autres et ainsi de suite. Si les migrants viennent en France, c est parce qu un ou plusieurs membres de leur famille s y trouvent déjà. De plus, la famille procure ce que la chercheuse Daniele Cologna nomme un «capital migratoire» (Cologna, 1998), c est-à-dire un ensemble de «ressources matérielles, sociales et culturelles» disponibles pour un individu né dans une famille issue d un qiaoxiang 4 afin qu il puisse quitter la Chine (légalement ou pas) et s installer à l étranger. Un système de solidarités familiales structure la migration autour de prêts réciproques d argent et d échange de services, sources de dettes financières et morales. Schématiquement, ce sont des couples ou de jeunes célibataires qui migrent. Les couples partent ensemble ou à quelques années d intervalle, après s être mariés et avoir conçu un enfant. Celui-ci reste en Chine et ne rejoint ses parents que plusieurs années après, quand ceux-ci sont plus stabilisés. De nombreux adolescents rejoignent donc leurs parents. Des jeunes paysans ou petits commerçants, peu éduqués Les données recueillies dans des recherches récentes (Guerassimov ; Cattelain et al., 2002) nous permettent de décrire les migrants primo-arrivants du sud du Zhejiang. Ils sont relativement jeunes, avec une forte proportion de 25-29 ans. La proportion hommes/femmes est équilibrée. Ils exerçaient en Chine des professions peu qualifiées, paysans, petits entrepreneurs. Leur niveau scolaire n est pas très élevé. On peut estimer qu environ la moitié des adultes a un niveau primaire. Bien que nous n ayons pas de données précises dans ce domaine, nous pensons que la proportion de personnes analphabètes et ne maîtrisant pas le mandarin, la langue nationale, mais le dialecte local, est plus élevée chez les femmes. Ces données doivent être complétées par les chiffres d arrivée de mineurs dont l accroissement est constaté par l Éducation nationale et les instances de protection de l enfance. Depuis 1997, les Chinois constituent environ 30 % des élèves des structures d accueil de l académie de Paris, leur nombre ne cesse d augmenter depuis 1995. À l Aide sociale à l enfance (ASE) de Paris, le nombre absolu de jeunes Chinois augmente de manière constante pour atteindre plus d un quart des sollicitations en 2001. Ces mineurs sont aux 2/3 des garçons. Ils sont, en grande partie, âgés de 16 à 18 ans. Ils quittent la Chine à la fin de leurs études au collège, n ayant pas de véritable perspective d emploi en Chine. La question de l usage de drogue Nous verrons plus loin que les usagers de drogue chinois en Île-de-France sont originaires de la région de Wenzhou. Il convient ici de poser la question de l usage de drogue et de la prévalence du VIH parmi les usagers dans cette région en Chine. Le rapport d ONUSIDA détaille la progression géographique de l épidémie. Voici en quelle année, l épidémie de sida a commencé parmi les UDVI (ONUSIDA, 2001 : 15) : 1989 : Yunnan 1996 : Xinjiang 1997 : Guangxi, Sichuan 1998 : Guangdong 1999 : Gansu 2000 : Jiangxi Le rapport d ONUSIDA cite également 9 provinces qui peuvent être considérées au bord d une épidémie de VIH parmi les UDVI, car le taux de partage de seringues est élevé (ONUSIDA, 2001 : 16), parmi lesquelles le Jiangsu et le Fujian. Les migrants du sud du Zhejiang ne sont pas issus des provinces les plus touchées par l épidémie. Mais, toutes les provinces sont touchées par la consommation de drogue. Le taux de partage de seringueest partout élevé et l épidémie se propage rapidement. En l état, nous n avons pas de données sur la consommation de drogue et le partage de seringue dans la région de Wenzhou. Le développement économique de la ville de Wenzhou y a créé une classe moyenne qui possède les caractéristiques de celle décrite par l ONUSIDA : «Les personnes influentes ont de l argent à dépenser en alcool, drogue et sexe commercial. Cela place la classe moyenne chinoise en développement dans une position vulnérable pour attraper le VIH/sida.» (ONUSIDA, 2001 : 49). Cependant, nous verrons qu il nous est impossible d affirmer que les jeunes migrants usagers de drogue sont issus de ces classes 4 Village dont la majorité des résidants ont des proches à l étranger. 14 Les Chinois d Île-de-France et l infection à VIH - Arcat

moyennes, alors que la migration Wenzhou est majoritairement rurale. 1.3.2. Les Dongbei ou Chinois du Nord et des mégalopoles En chinois, Dongbei signifie «Nord-Est». Cette région de Chine a été la terre d élection des grandes entreprises d État, des énormes conglomérats de l industrie lourde, des mines ou du textile, pouvant employer jusqu à 100 000 personnes. Dans le cadre du passage de la Chine à l «économie socialiste de marché», cette région a subi de plein fouet la politique de restructuration des entreprises d État largement déficitaires. Le taux de chômage y atteint par endroits 30 %. Il touche en priorité les 40-50 ans et les femmes. Depuis 1997, cette région constitue un foyer migratoire à destination des pays industrialisés. Le terme de Dongbei sous lequel cette migration est connue en France paraît cependant limitatif : outre les trois provinces du Dongbei (Liaoning, Jilin, Heilongjiang), quelques grandes villes du Nord (Tianjin, Qingdao dans la province du Shandong, Zhengzhou, dans la province du Henan) ou plus au Sud (Shanghai, Nankin, Nanning dans le Guangxi) fournissent un contingent important de nouveaux migrants. Des migrants âgés, éduqués et déqualifiés Les études publiées récemment (Guerasimov et al., 2002 ; Cattelain et al., 2002) nous permettent de brosser un portrait type des migrants du Nord et des mégalopoles. Ce sont des migrants âgés, parmi lesquels la tranche des 40-49 ans est la plus représentée. Nés à la fin des années 1950 ou au début des années 1960, ils étudient pendant la période troublée de la Révolution culturelle. La majorité a étudié jusqu au lycée, et plus d un tiers est diplômé de l université. Ils ont cependant reçu une éducation négligeant les connaissances techniques, dévalorisant les intellectuels, à fort accent idéologique et politique. Une fois diplômées, ces personnes travaillent pendant plusieurs années dans une entreprise d État en tant que techniciens, cadres, employés ou ouvriers. Mariés, les Chinois du Nord ont un enfant unique. Sans être particulièrement nantis, ils jouissent d un système social qui protège ses employés. Ils sont soignés gratuitement dans les hôpitaux publics. Cette migration connaît un taux de féminisation important, d environ 60 %, jusqu à 73 % dans certaines provinces du Nord. Il est très difficile d évaluer le niveau de vie en Chine des migrants du Nord. La migration est à la fois le signe d une richesse toute relative (les plus pauvres n ont pas les moyens de payer les frais de départ) et d une pauvreté comme facteur incitant au départ. Un migrant interrogé dans une précédente recherche, répondait à la question de savoir si les personnes qui partaient étaient riches ou pauvres (Cattelain et al., 2002 : 57) : «Ni l un ni l autre. Personne n ose prêter de l argent aux pauvres, car ils n ont pas la capacité de le rendre. Ceux qui ont beaucoup d argent vivent très bien en Chine. Ils ne viennent pas ici. Ils peuvent voyager. Ce sont ceux qui peuvent rendre l argent qui viennent ici.» Les personnes qui arrivent en Île-de-France ne sont donc pas nécessairement les plus démunies de richesse matérielle ou de relations sociales. Cependant, ce réseau ne suffit pas à réparer les fractures qu elles subissent avant de migrer. Des fragilités cumulées En effet, les migrants du Nord et des mégalopoles ont connu au cours des années 1990, des ruptures, parfois cumulées qui les fragilisent considérablement : perte d emploi due aux restructurations du secteur étatique et dégradation des relations avec le conjoint pouvant aboutir au divorce. Le marché de l emploi saturé procure peu d opportunités aux personnes de cet âge, la concurrence à outrance et la corruption limitent les chances de réussite de l entreprenariat. Ces personnes connaissent donc une chute de leur niveau de vie, un déclassement social sans aucune perspective. Il devient difficile de payer les frais de scolarité de leur enfant unique, d autant plus élevés qu il est au collège ou au lycée. La migration est alors envisagée comme voie de reclassement social et affectif. Ces personnes sont donc particulièrement isolées quand elles décident de migrer. Imprégnées toute leur vie de l idéologie communiste peu ouverte sur l étranger, et conservatrice, elles connaissent mal le monde extérieur et la modernité. Ainsi, en plus des failles concernant la population chinoise générale, il convient de souligner les spécificités suivantes parmi les migrants venant en France faiblesse du niveau d étude et migration familiale induisant de fortes pressions sociales pour les populations du Zhejiang, idéologie conservatrice et accumulation de fragilités (divorce, chômage, déclassement social ) pour les migrants du Nord et des mégalopoles. Les Chinois d Île-de-France et l infection à VIH - Arcat 15