Festival «Les Créatives», Onex, 9 Novembre 2010



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Transcription:

Festival «Les Créatives», Onex, 9 Novembre 2010 Table ronde : «La microfinance, outil d émancipation des femmes?» Participants :Maria Teresa Zappia, Blue Orchard Finance Daniel Fino, FIG Michaëlle de Cock, Terres des Hommes Avec la participation de la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED) Modératrice : Nadège Chell, RESO-Femmes À l occasion du festival «Les Créatives» 1, qui se déroule chaque année à Onex depuis 2005, une table ronde a été organisée autour de la question de la microfinance et de son rôle dans les processus d émancipation des femmes. Plus particulièrement, c est la question du micro-crédit qui a focalisé l attention des différents participants à cette table ronde. Le micro-crédit, qui ne constitue qu un des nombreux éléments de la microfinance, n en demeure pas moins son aspect le plus médiatisé, le plus connu, le plus utilisé aussi lorsque l on parle de soutien financier à des projets d entreprenariat dans le Sud. Depuis le Prix Nobel de la Paix de Muhammad Yunus, en 2006, le microcrédit symbolise aux yeux du public le nouvel outil de référence d un effort humanitaire désormais plus orienté vers le thème de l émancipation. Et c est justement de ce thème qu il était question lors du débat et de la problématique de l émancipation des femmes et du rôle du micro-crédit dans ce processus. Le choix de ce thème prend tout son sens lorsque l on sait que dans les pays du Sud, 85% des demandeurs de micro-crédit sont des femmes. Un chiffre pas étonnant lorsque l on connaît l importance de la femme dans l économie familiale, en Asie du Sud Est et en Amérique du Sud. Comme nous le rappelle la Women s World Summit Foundation (WWSF) dans son rapport d activité 2010 et l élaboration de son programme de micro-crédit au Mali 2 : «Si, dans les couches populaires de la population (80% des habitants) les hommes se mettaient en grève en Afrique subsaharienne, il y aurait quelques difficultés d ajustement mais au bout de 72 heures, les choses se remettraient sur les rails (avec peut-être quelques problèmes dans un ou deux secteurs comme le transport et la sécurité public). Si les femmes se mettaient en grève, ce serait la désorganisation complète et la catastrophe totale en moins de 24 heures. Car en milieu populaire, la femme est l épine dorsale de l Afrique. Sans elles, rien ne marche.» 3 1 http://www.lescreatives-onex.ch/index.php 2 http://www.woman.ch/index.php?page=women_malisheep&hl=fr_fr 1

De nombreux projets de micro-financement ont permis, au Sud mais aussi au Nord, de permettre à des femmes courageuses de sortir des familles, des communautés, des villages entiers de la misère. Cependant, les bouleversements socioéconomiques entraînés par la réalisation de divers projets par des femmes provoquent souvent des tensions très importantes au sein de sociétés plus ou moins fortement dominées par les hommes. Comme en témoigne la récente vague de suicide en Inde 4, la micro-finance peut s avérer être un élément déstabilisateur et dévastateur pour des femmes mal conseillées, mal soutenues ou mal encadrées. Les différents acteurs de cette table ronde avaient donc été sélectionnés en fonction de leurs connaissances et de leurs expériences personnelles de l exercice de la micro-finance afin qu ils puissent toutes et tous apporter leur réflexion concernant son rôle dans le processus d émancipation des femmes. La diversité des intervenants choisis pour cette table ronde, leurs expériences personnelles dans le domaine de la microfinance et les impératifs liés au format exigeaient un effort particulier de la modératrice. Il fallait en effet amener chaque intervenant à parler d un aspect précis du thème de la soirée qui corresponde au mieux à ses connaissances. Il fallait aussi pouvoir aborder, à travers ces quatre interventions, le plus large éventail possible de thématiques en lien à la question de la micro-finance et à l émancipation des femmes. Enfin, Mme Chell devait s assurer de l intérêt du public pour ces questions et intervenir pour recentrer le débat. Elle a donc par son expertise, en la matière assurée une modération efficace et réalisée un effort constant d articulation qui visait à rendre les débats accessibles à un public varié et surtout qui suscitent de nombreuses interrogations du public. Ses questions aux intervenants permirent ainsi de donner une direction précise à la soirée : aborder le plus largement possible cette question de la relation entre micro-finance et émancipation des femmes, en mettant la dimension de l être total au centre du débat et en invitant (au préalable) le panel à donner des exemples concrets et précis de leur intervention. Ainsi, le public venu nombreux, a pu bénéficier des regards croisés sur le thème et des efforts d émancipation entrepris grâce à la diversité des intervenants : ONG, monde universitaire, institutions financières, Nations Unies. Première intervenante, Mme de Cock, qui s exprime au nom de l association «Terre des Hommes». Son intervention prend la forme d un compte-rendu clair et synthétique d une expérience très intéressante menée par «Terre des Hommes» en Inde. Ayant pour souci de toujours travailler pour 3 Section Femmes, rapport d activité, 18A Septembre 2010, disponible en pdf au http://www.woman.ch/uploads/newsletter/nlwoman2010_enfr.pdf 4 http://www.economist.com/node/17420202?story_id=17420202 2

l émancipation des femmes et de les faire bénéficier de ses programmes de micro-crédit, «Terre des Hommes» a mis fin à l un de ses projets dans un village. L objectif était de permettre aux femmes de ce village ayant menées à bien leurs projets grâce au soutien de l ONG de passer à l étape suivante : l autogestion. En effet, comme l a sans cesse rappelé Mme de Cock, le micro-crédit, et les outils de la microfinance, ne doivent jamais constituer une finalité, mais bien un moyen vers l émancipation des populations visées. Après 10 ans de soutien, les femmes de ce village avaient appris à gérer leur revenu, et elles n ont donc pas eu de mal à mettre en place leur propre programme de micro-crédit avec leurs propres fonds. 10 ans après la fin de son programme, «Terre des Hommes» a rendu visite aux femmes de ce village pour s apercevoir qu elles avaient pris en main leur destin économique et qu elles s étaient assurées d une autonomie réelle. Cet exemple a également permis à Mme de Cock d aborder l importance des programmes de micro-crédit pour des groupes de femmes. Premièrement, de tels programmes permettent à de nombreuses femmes de sortir de la maison, de participer à des tâches différentes et de s émanciper dans des espaces associatifs. Dans le cas des villages de la région de Calcutta qui ont bénéficié de l aide des programmes de «Terre des Hommes», c est particulièrement vrai. Deuxième point, qui découle du premier, le phénomène de réunion de groupe. En effet le lieu de distribution de l argent et de tenue des comptes devient rapidement le lieu de rendez-vous des femmes du village (bien souvent la maison d une des femmes impliquées dans le projet). Entre-elles, loin des hommes, elles peuvent ainsi discuter, se confier, se soutenir. Divers problèmes touchant la vie de ces femmes souvent isolées par les murs de leurs maisons trouvent soudain un écho différent dans ces espaces lorsqu ils sont partagés avec d autres femmes qui peuvent être dans la même situation. Mme de Cock a noté lors de sa visite en Inde combien la situation des femmes avait pu changer dès lors qu elles ont pu se voir régulièrement à la «banque». Partageant leurs problèmes, ces femmes ont pu agir ensemble, de manière coordonnée et organisée, afin de trouver des solutions à des problèmes récurents de violence domestique par exemple. C est le troisième aspect : la constitution d un véritable levier d action pour ces femmes qui, en apprenant à gérer ensemble un projet de micro-crédit, ont aussi appris à réagir ensemble à l oppression des hommes. En guise de conclusion, Mme de Cock a tenu à rappeler que le micro-crédit ne répond pas qu à un besoin d investissement au sein d un projet d entreprenariat. On prête aussi pour répondre à des urgences familiales, telles que le décès ou la maladie. Enfin, elle a amené un thème très intéressant dans la discussion, celui de la démocratie. En effet, en rendant le projet totalement autonome, «Terre des Hommes» a laissé ces femmes s organiser hiérarchiquement pour gérer au mieux leurs sommes, et donc se choisir une chef, une trésorière, etc Le programme de micro-crédit autogéré est aussi devenu le lieu d apprentissage de la démocratie directe et de son exercice. Des lieux, selon nos équipes à RESO- 3

Femmes, qui doivent s élargir aux réseaux, afin que leur environnement social, culturel et politique soit pris en compte simultanément. La deuxième intervenante, Mme Zappia, a présenté le travail de sa société, Blue Orchard Finance, spécialiste de la microfinance. Très impliquée dans des projets de micro-crédit en Asie Centrale et en Amérique du Sud, Blue Orchard Finance finance principalement des projets d entreprenariat et de micro-entreprise. C est la trajectoire individuelle de certaines de ses clientes qui interpellent Mme Zappia. Prenant l exemple de femmes entrepreneuses d Asie Centrale, elle nous explique pourquoi l apport de la microfinance est vital auprès de femmes qui ont la chance de bénéficier d une éducation bien supérieure à la moyenne des clientes «types», dans le Sud notamment. Cependant, ces femmes ne peuvent mener à bien leurs projets sans un apport extérieur. Les conditions économiques et politiques des pays d Asie Centrale rendent leur tentative d autogestion économique à travers un projet d entreprise très difficile. Mme Zappia revient également sur un aspect plus intéressant pour notre débat, celui des difficultés que peuvent rencontrer ces femmes dès lors que l apport de la microfinance leur a permis de mener à bien leurs projets. Beaucoup de ces femmes, en effet, doivent parcourir des centaines de kilomètres plusieurs fois par semaine afin de vendre leurs marchandises ou de s approvisionner en matières premières. L absence de la mère, prolongée et régulière, bouleverse alors l équilibre des familles, et parfois même de communautés entières. Sans parler des conflits d ordre sociaux que le statut de «chef d entreprise» de la femme peut entraîner auprès des hommes. Comme dans l exemple précédent, le principal «problème» de la microfinance semble être le bouleversement des équilibres sociaux et des rapports entre les sexes. Tout à coup, la femme se trouve dans une position de force économique qui gêne profondément les modèles patriarcaux en place depuis des millénaires. Pensons un moment à la situation des femmes en Occident dans les années 50 et 60 lorsqu elles partirent à l assaut du monde du travail pour imaginer un instant le danger qui peut entourer certains projets ambitieux. L argent ne semble pas être le problème pour les hommes : beaucoup des prêts profitent en fait à l ensemble du foyer, la femme redistribuant une partie du revenu au mari, bon gré mal gré. C est plutôt l émancipation que cet apport économique peut apporter qui peut également entraîner les réactions les plus violentes. Car le lien entre microfinance et émancipation de la femme pose au moins deux questions : premièrement, ce lien est-il véritable? Et deuxièmement, ce lien n est-il pas dangereux pour la sécurité des femmes? Le troisième intervenant, Mr Fino, a apporté des éléments importants au débat en insistant sur les dangers qui peuvent entourer le recours à la microfinance, en se concentrant sur les dangers pour les femmes. La position de Mr Fino est intéressante ; elle est celle d un spécialiste et d un promoteur de l action du FIG, le Fond Internationale de Garantie. Cet organisme cherche ainsi d autre alternatives pour 4

une microfinance responsable, équitable et efficace. Notre présidente nous a expliqué qu elle l a invitée à se rapprocher de notre expertise pour prendre en compte la «dimension genre et empowerment des femmes», absente de son analyse. Selon M. Fino, le micro-crédit peut-être un outil important pour l amélioration des conditions de vie. Mais comme toutes formes de crédit, il comporte des risques et son utilisation est soumise à des conditions et à des règles qu il faut respecter. Même lorsque les sommes paraissent très faibles, on ne peut prêter à tout le monde. Un dossier mal monté peut avoir des conséquences catastrophiques, surtout lorsque l on parle de femmes livrées à elles-même. N oublions pas que les taux d intérêts sont extrêmement élevés en microfinance, surtout dans le cas de rapport Sud-Sud. On parle en moyenne de pas moins de 25% de taux d intérêt. Selon Mr Fino, ignorer les conditions initiales du quotidien telles que la santé du créditeur, la technologie choisit pour le projet, les risques liés au climat ou encore la situation politique d un pays peuvent ruiner les projets de femmes très ambitieuses et avoir pour conséquences de les exposer gravement au courroux de leurs créanciers. L analyse du risque est un facteur déterminant dans tout projet de microfinance, surtout lorsque les candidats au crédit sont des femmes. La récente vague de suicide en Inde a rappelé que les pressions sociales immenses qui peuvent peser sur des femmes entrepreneurs. Elles peuvent s avérer mortelles lorsque en plus les créanciers abusent de leur position et fixe des délais et des taux de remboursement inatteignables. Face à ces dangers, plusieurs solutions existent, sans toutefois qu aucune ne puisse protéger réellement des femmes endettées auprès d homme. L une des plus répandue consiste en la mise en place d un système de fonds de sécurité par un groupe d individus bénéficiant d un programme de microfinance commun. Cependant, dans ce cas précis, le danger est celui de voir des tensions apparaître au sein même de la communauté en cas de non remboursement. C est ici que le FIG intervient. Afin d aider ceux qui en ont besoin à trouver des microfinancements en ces temps difficiles, et puisque plus aucune banque du Nord ne dégage suffisamment de confiance auprès des banques du Sud pour se porter garante de quelconques sommes, le FIG joue ce rôle en se portant caution. Il sépare ainsi l assureur du prêteur. Ce genre d initiative permet non seulement de garantir la sécurité des créditeurs les plus vulnérables (en premier lieu les femmes) mais leur permet également de trouver des financements. En effet, beaucoup de projets, notamment dans le secteur agricole, nécessitent un deuxième crédit. Mr Fino prend l exemple du Nord Togo, où des femmes ont trouvé un premier financement afin d acheter des semences. Une fois récoltés, les femmes ont eu besoin d un deuxième crédit afin de pouvoir stocker leurs grains, non seulement pour manger mais aussi pour pouvoir rembourser le premier crédit! Or, dans ce genre de cas, beaucoup de choses peuvent se passer qui empêchent ces femmes de trouver un deuxième financement et ruine ainsi le travail d une année, sans compter les conséquences catastrophiques que peut avoir la perte d une récolte. La question introduite à 5

la fin de cet exposé par la modératrice et à l occasion d une récente réunion interne à RESO-Femmes a été la suivante : doit-on sans cesse remplacer un crédit par un autre pour promouvoir l émancipation économique et sociale des concernés? Le crédit relais n est-il pas contradictoire au processus d autonomie? Les femmes doivent-elles contracter des crédits pour remédier aux aléas de l environnement ou des conditions climatiques? Qui doit gérer les subventions des communes? Quel est le degré d autonomie des collectivités du Nord et des choix engagés pour le développement durable dans les régions? Comment les ONG internationales se positionnent-elles face aux politiques sécuritaires des Etats-nations afin de poursuivre leur action et continuer à assurer les services et la survie des populations concernées? Néanmoins, une action du type de celle du FIG permettrait d encourager la microfinance de proximité : la population peut avoir recours à un programme d une banque de son pays, sans avoir besoin d avoir recours à une ONG occidentale par exemple. C est aussi cela l émancipation selon l intervenant. Il nous semble qu il y ait une confusion entre les ONG occidentales et les fondations de développement, qui elles en plus grande majorité font la promotion des micro-crédits. En effet, les ONG en particulier à Genève sont des ONG internationales de promotion des droits de l Homme. Les associations et ONG de développement passent par des organismes comme la FGC (Fédération Genevoise de Coopération) qui les fédèrent. La dernière intervention du jour est revenue sur les limites de la microfinance pour les femmes en particulier. Il était intéressant d avoir le point de vue d un organisme international largement impliqué dans les questions de développement et d émancipation. La Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement utilise en effet beaucoup la microfinance et le micro-crédit tout particulièrement comme outil de soutien au développement. Le premier aspect de cette intervention a été de rappeler à l audience quelques vérités générales concernant la microfinance qui devaient nous permettre de comprendre pourquoi les problèmes rencontrés dans l exercice de la microfinance sont si difficiles à éviter. Premièrement, qui dit microfinance dit microactivité. Les projets soutenus par la CNUCED demeurent avant tout des expériences très locales visant à sortir des populations données de la pauvreté. Les nombreux succès enregistrés dans ce domaine ont fait du micro-crédit un facteur très rapide d émancipation pour de nombreuses femmes. Cependant, ce sont ces mêmes succès qui ont fait du micro-crédit un outil incontournable et indispensable. Son recours est devenu quasi obligatoire, son usage indispensable. C est là le deuxième point, l aspect critique du rapport entre microfinance et émancipation de la femme. Avec les succès des différents programmes auprès de femmes entrepreneuses, un lien inconscient mais 6

terriblement dangereux s est créé : désormais, il semble que Femme = Micro-crédit. Concrètement, puisque le micro-crédit marche si bien, son recours devient automatique dès lors qu une femme vient vous présenter son projet de business. L on comprend bien la limite d un tel outil : si un projet parvient à terme grâce à l apport du micro-crédit, pourquoi ne pas passer à l étape suivante et permettre à cette femme entrepreneuse d obtenir un vrai crédit lui permettant de passer de micro business à vrai business? Dans la plupart des zones concernées par l action de la CNUCED, le constat est flagrant : les femmes restent largement privées d accès à la finance. Pour elle, la microfinance semble être la seule option. Les femmes sont donc toujours tenues à l écart de l économie de marché, de grands projets, quant bien même elles ont démontré leurs compétences en matière de gestion et d entreprenariat. L exemple de la filière cacao en Côte-d Ivoire vient nous rappeler que les hommes n entendent pas partager le gâteau si celui si est trop gros. Pour le moment donc, les femmes doivent se contenter de micro-entreprise et des micro-bénéfices qui vont avec. L intervenante encourage la perspective des réseaux, comme facteur réelle de promotion et d émancipation, par des encadrements appropriés et concertés. En tant que moimême participant au programme de recherche-action de RESO-Femmes, c est cette perspective qui m a séduit dans cette organisation qui pousse à la réflexion et tente d agir au mieux sur le terrain en répondant aux besoins et au statut des femmes et surtout de mieux engager les institutions à travers son expertise des milieux et des réseaux de femmes engagés dans les dispositifs internationaux. À entendre ces différents récits de femmes et d hommes qui travaillent depuis des années avec des femmes d Afrique, d Amérique ou d Asie, on ne peut qu imaginer ce qui se passerait si l on permettait à ces groupes de femmes entrepreneuses de passer au niveau supérieur, et de mettre leur talent au service non plus d un micro projet mais d une entreprise de grande envergure, capable de faire vivre une région entière. L expérience des élues et leur position en tant que groupes médiateurs des collectivités et de l application des dispositifs humanitaires et humanistes rendent compte de ce qui pourrait être entrepris pour aider au mieux les pays du Sud et tenir compte des besoins stratégiques des femmes du Sud (programmes et publications de RESO-Femmes) sur lesquels j ai la chance d être engagé. Maxime Chercheur-expert en formation RESO-Femmes International 7