1 Affaire Lubanga Questions-réponses concernant la décision de la CPI sur la condamnation, peine et appels I. QUELLES SONT LES CHARGES RETENUES CONTRE LUBANGA? Lubanga a été inculpé des trois crimes suivants : 1) l'enrôlement d'enfants de moins de 15 ans; 2) la conscription d'enfants de moins de 15 ans et 3) le fait de faire participer activement des enfants de moins de 15 ans à des hostilités dans le contexte d'un conflit armé ne présentant pas un caractère international, et ce pour la période s étendant de septembre 2002 à août 2003. L article 8(2)(e)(vii) du Statut de Rome (Statut) érige ces actes en crimes. Sa responsabilité a été impliquée vertu de l'article 25(3)(a) du Statut en tant que co-auteur présumé dans la commission de ces crimes. II. QUELLE EST LA SITUATION ACTUELLE DE L AFFAIRE? A QUELLE ETAPE EN EST-ELLE? Un mandat d arrêt a été émis contre Lubanga le 10 février 2006 ; celui-ci a été transféré à la Cour Pénale Internationale le 17 mars 2006. L'audience de confirmation des charges a eu lieu du 9 au 28 novembre 2006. Le procès a commencé le 26 janvier 2009. Le 20 mai 2011, la phase de la présentation de la preuve s est clôturée. Les 25 et 26 août 2011, la défense, l accusation et les victimes participantes ont présentés leurs déclarations finales. Alors que seules 4 victimes ont été autorisées participer à l'audience de confirmation des charges en novembre 2006, leur nombre a augmenté lors du procès pour atteindre 123 lors les plaidoiries finales d août 2011. Au cours de l année 2012, la phase du procès a touché à sa fin. Le 14 mars 2012, la Chambre de Première Instance I (CPI I) a déclaré Lubanga coupable, en tant que co-auteur, des trois crimes de guerre mentionnés ci-dessus (ci-après, la décision de condamnation"). En conséquence, et après que les parties et les participants aient présenté leurs points de vue sur les circonstances atténuantes ou aggravantes, la CPI I a condamné Lubanga à 14 ans d emprisonnement en date du 10 juillet 2012 (ci-après, la décision sur la peine ). Enfin, le 7 août 2012, la Chambre a rendu une décision concernant les principes applicables pour accorder des réparations aux victimes dans la présente affaire (ci-après la décision sur les réparations ). Leur contenu est analysé plus en détail ci dessous. Ces trois décisions sont actuellement en appel.
2 III. QUE DISENT LES DECISIONS SUR LA CONDAMNATION ET LA PEINE A. LA DECISION DE CONDAMNATION Le 14 mars 2012, la CPI I a rendu unanimement son verdict dans l'affaire et a déclaré Lubanga coupable en tant que co-auteur de trois crimes de guerre commis entre le 1 er septembre 2002 et le 13 août 2003, à savoir 1) l enrôlement et 2) la conscription d'enfants de moins de 15 ans dans la milice et 3) le fait de les faire participer activement à des hostilités dans le contexte d'un conflit armé ne présentant pas un caractère international. La CPI I a reconnu que l'évaluation de la «participation» des enfants dans les hostilités ne doit pas être basée sur le type d actes perpétrés par les enfants, mais sur le risque potentiel auquel ceux-ci étaient exposés. Par conséquent, la CPI I a considéré qu outre la participation aux combats et la présence sur les champs de bataille, la notion de «participation» inclut l utilisation d enfants-soldats comme gardes militaires ou gardes du corps, ainsi que comme escortes des commandants et des autres hauts fonctionnaires de l UPC / FPLC, en ce compris Lubanga. La CPI I a refusé d analyser si l'utilisation de jeunes filles à des fins sexuelles constituait une participation indirecte au conflit. Les juges ont rappelé que, puisque le Procureur n'avait pas inclus ce crime dans les chefs d accusations formels retenus contre l'accusé, ils ne pouvaient engager la responsabilité de Lubanga pour ce crime sans dépasser les faits et circonstances décrits lors de la confirmation des charges. 1 B. LA DECISION SUR LA PEINE Le 10 juillet 2012, la CPI I a condamné Lubanga à 14 ans de prison. Les six années qu il avait déjà passé en détention seront déduites de cette peine. La CPI I a pris en compte la gravité des crimes ainsi que le caractère sérieux et prolongé des dommages physiques, psychologiques et sociaux causés aux enfantssoldats. La Chambre a également conclu que: l implication d enfants dans les hostilités avait été répandue; Lubanga a occupé une position d'autorité et a apporté une contribution essentielle au plan commun; Lubanga était clairement une personne intelligente et instruite, capable de comprendre la gravité des crimes dont il a été reconnu coupable. La Chambre n a pas tenu compte des punitions sévères et des violences sexuelles prétendument subies par les enfants-soldats en tant que facteurs aggravants. Elle a jugé qu il n avait pas été prouvé au-delà de tout doute raisonnable que ces crimes avaient eu lieu dans le cours normal du plan de Lubanga ou qu ils lui étaient directement attribuables. Elle a également noté la coopération de Lubanga avec la Cour, ainsi que son attitude respectueuse tout au long de la procédure. Enfin, la Chambre a décidé qu il serait inapproprié d'imposer une amende en plus de la peine d emprisonnement au vu de l indigence de Lubanga. L'un des juges, la Juge Odio Benito, était en désaccord avec la décision des autres juges dans la mesure où, selon elle, cette décision n a pas tenu compte des dommages causés aux victimes et à leurs familles, en 1 La confirmation des charges est une décision rendue avant l ouverture du procès ; le juge y liste les faits et crimes pour lesquels le suspect sera jugé. Si plus tard, de nouvelles preuves établissent l existence d autres crimes, la Cour ne pourra pas poursuivre le suspect pour ceux-ci, en ce qu elle dépasserait le cadre criminel fixé lors de la confirmation des charges.
3 particulier à la suite de punitions sévères et de violences sexuelles. Elle a conclu que M. Lubanga devrait être condamné à 15 ans d emprisonnement. IV. QUELS SONT LES RECOURS EN APPEL CONTRE LES DECISIONS? QUEL EST LEUR IMPACT? Qui a fait appel? A. APPEL CONTRE LA DECISION DE CONDAMNATION Le 3 octobre 2012, la défense a fait appel de la décision de condamnation. Le 3 décembre 2012, elle a déposé son mémoire à l appui de l appel, demandant l annulation de la condamnation et la libération immédiate de Lubanga. Quels sont les arguments avancés par la défense? La défense a d abord invoqué des erreurs de procédure, entre autres, la violation du droit de Lubanga à un procès équitable et la violation par le Procureur de ses obligations statutaires (comme que le défaut de divulgation de toutes les preuves à décharge ou de bien vérifier les éléments de preuve soumis par l accusation elle-même). La défense a également mis en avant le crédit injustifié accordé par le Procureur à des témoins dont la sincérité était douteuse. La défense a aussi fait valoir que les juges ont commis des erreurs à plusieurs occasions, notamment en concluant: - que les enfants de moins de 15 ans avaient été présents dans les FPLC et utilisés dans les hostilités ; - que l'âge des enfants pouvait être déterminé à partir de leur apparence physique - qu il n y avait pas de différence entre la conscription et l'enrôlement ; - et que la détermination de la participation d'un enfant à des hostilités pouvait être basé sur le risque encouru par l'enfant plutôt que sur l importance de sa contribution aux opérations militaires. Enfin, quant à la responsabilité pénale de Lubanga, la défense a fait valoir que la Chambre avait aussi commis une erreur en refusant de reconnaître l'intention sincère de Lubanga d éviter de recruter des enfants et en concluant que - Lubanga peut être considéré comme co-auteur lorsque la mise en œuvre du plan commun «emporte un risque suffisant qu un crime soit commis dans le cours normal des événements ; - un contrôle conjoint sur les crimes peut suffire à établir la responsabilité conformément à l'article 25(3)(a), aucune présence sur les lieux du crime n étant indispensable, ou - Lubanga était au courant de l'enrôlement d'enfants, alors qu il existe une incertitude importante concernant l'évaluation de l'âge des soldats. Quels sont les résultats possibles de l appel? Conformément l'article 83(2) du Statut, la Chambre d'appel peut: - Confirmer la décision ; ou - Annuler ou modifier la décision; ou
- Ordonner un nouveau procès devant une nouvelle Chambre de première instance (c est-à-dire recommencer le procès). La Chambre d appel ne pourra opter pour les deux dernières options (annuler/modifier la décision ou ordonner un nouveau procès) que si elle estime que 1) la procédure a été viciée de sorte à remettre en doute la fiabilité de la décision ou que 2) la décision elle-même est entachée d une erreur. Comme seule la défense a fait appel, si la Chambre d appel ne pourra pas modifier la décision au détriment de Lubanga. La mise en œuvre de la décision sur les réparations peut-elle commencer avant la fin de la procédure d appel? Non. Tant que l'appel sur la culpabilité Lubanga n'est pas résolu, la décision sur les réparations ne pourra pas être mise en œuvre. En effet, pour que des victimes puissent se voir accorder des réparations devant la Cour Pénale Internationale, celle-ci doit avoir rendu un jugement de condamnation au préalable. Lubanga restera-t-il en détention jusqu'à ce qu un jugement soit rendu sur l appel? Conformément à l'article 81(3) du Statut, la personne reconnue coupable reste en détention pendant la procédure d appel, a moins que la Chambre de première instance n en décide autrement. Combien de temps la procédure d appel va-t-elle durer? Le Statut ne prévoit pas de règles strictes pour limiter le délai imparti à la Chambre d appel pour trancher sur l appel. Il faut garder à l esprit que : - la Cour Pénale Internationale est une institution nouvelle et distincte et que - les affaires peuvent chacune avoir leur spécificité de nature à rallonger ou raccourcir les procédures. A titre de comparaison, le Tribunal Pénal International pour le Rwanda et le Tribunal Pénal International pour l Ex-Yougoslavie ont rendu leurs jugements sur des affaires similaires (à savoir la condamnation d un accusé pour un ou deux crimes) dans un délai de 1,5 ans à 2 ans (en moyenne). B. APPEL CONTRE LA DECISION SUR LA PEINE Qui a fait appel? Le 3 octobre 2012, l accusation et la défense ont toutes deux fait appel de la décision sur la peine. Le 3 décembre 2012, elles ont déposé leurs mémoires à l appui de leur appel. L accusation a demandé à la Chambre d'appel de revoir la peine de 14 ans à la hausse alors que la défense a demandé l annulation ou la réduction de la peine. Quels sont les arguments avancés? Le Procureur 4
L accusation a fait valoir que la peine est «manifestement insuffisante et disproportionnée par rapport à la gravité du crime». Selon elle, la Chambre n a pas donné suffisamment de poids à des éléments cruciaux, à savoir la gravité des crimes, l ampleur des dommages causés, le comportement illégal de Lubanga, son degré de participation et les moyens utilisés pour commettre ces crimes. L accusation a de plus ajouté que la peine de Lubanga devrait avoir un effet dissuasif sur les autres hauts dirigeants de groupes armés et que la peine actuelle ne permet pas d atteindre ces objectifs. La Défense La Défense soutient que la Chambre aurait erré lors de son raisonnement pour évaluer la commission des crimes plus précisément en incluant, dans la catégorie des «enfants» les personnes de plus de 15 ans, et en concluant que le recrutement et la participation de cette enfants dans les FPLC étaient très répandus. La défense avance aussi que le refus de la Chambre prendre en compte, lors de la détermination de la peine, le fait que trois des droits de Lubanga (l accès à tous les éléments nécessaires à sa défense; le jugement sans retard excessif; un traitement équitable) ont été violés constituerait une faute justifiant une diminution de la peine. De même, la défense avance que la Chambre a refusé à tort de tenir compte de la période passée en détention par Lubanga en RDC qui aurait du être déduite des 14 ans d emprisonnement. Enfin, la défense estime que la Chambre a outrepassé ses compétences en admettant des éléments de preuve qui n étaient pas inclus dans la confirmation des charges. Quels sont les résultats possibles de l appel? Conformément l'article 83(2) du Statut, la Chambre d'appel peut: - Confirmer la décision ; ou - Annuler ou modifier la sentence; ou - Ordonner un nouveau procès devant une nouvelle Chambre de première instance différente (c est-àdire recommencer le procès). 5