«Etude de l Intérêt de l Auto- Evaluation Dans l Enseignement par Simulation»



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Université de Rouen UFR Sciences de l Homme et de la Société Département Sciences de l Education Laboratoire CIVIIC Année Universitaire 2009-2010 «Etude de l Intérêt de l Auto- Evaluation Dans l Enseignement par Simulation» «Exemple des Internes d Anesthésie pour l Apprentissage des Compétences Non Techniques en Situation d Urgence» En vue de l obtention du Master 2 de recherche à distance Francophone Sous la direction de François DESJARDINS, Professeur à l «Institut de Technologie de l Université de l Ontario, Oshawa» et de Georges-Louis BARON, Professeur à l «Université Paris V Sorbonne» Etudiant : Sylvain BOET-GRIBOV 1

BOET Sylvain Etude de l Intérêt de l Auto-Evaluation Dans l Enseignement par Simulation : Exemple des Internes d Anesthésie pour l Apprentissage des Compétences Non Techniques en Situation d Urgence. Résumé : La «gestion des ressources de crise» (Crisis Resource Management) correspond à l ensemble des compétences non techniques à mettre en œuvre en équipe lors de la prise en charge d un patient en situation critique urgente. Ces compétences sont représentées entre autres par la communication intra-équipe soignante, le leadership et le travail en équipe, et ceci dans le contexte d un patient présentant une situation d urgence absolue. L évaluation et la formation des personnels de santé à ces compétences peuvent être réalisées à l aide de simulateurs médicaux. Néanmoins, les séances de simulation nécessitent la présence d un instructeur pour débriefer les participants ce qui limitent fortement l offre de formation et d évaluation des médecins. Grâce à des simulateurs médicaux, nous explorons dans ce travail l intérêt potentiel de l auto-évaluation, sous ses deux aspects formatif et sommatif, des compétences de gestion de ressources de crise des médecins anesthésistes réanimateurs. D une part, nous étudions l effet de l apport de la vidéo dans la fiabilité de l auto-évaluation sommative des compétences de gestion des ressources de crise. D autre part, nous étudions l effet de l auto-évaluation formative, par l intermédiaire de l auto-débriefing, sur la modification de la performance des médecins. Enfin, sous l éclairage de nos résultats, nous discutons les fondements théoriques potentiels et l intégration pratique de l auto-évaluation dans le système existant. Mots-clés : Auto-évaluation ; Simulation médicale ; Compétence ; Médecine ; Gestion des ressources de crise. 2

REMERCIEMENTS Nous adressons ici tous nos remerciements à nos deux directeurs : Monsieur François Desjardins et Monsieur Georges-Louis Baron pour leurs conseils, leur soutien, et leur confiance. A Monsieur le Docteur Viren Naik pour m avoir accueilli et supervisé au centre de simulation à Toronto. A Madame Marianing Porot pour son animation exceptionnel du MARDIF. A Olga pour sa compréhension. 3

TABLE DES MATIERES :!"#$%&'()'(#*$'+(, ---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------.! /-! 01234567#87#926:;<7=97#7=#>7?<@2=#87?#17??2A197?#87#91@?7------------------------------------------- B! C-! 01234567?#87#D216E<@2=#F#4E#926:;<7=97-------------------------------------------------------------------------------- G! H-! 01234567?#8I;JE4AE<@2=#87#926:;<7=97?-------------------------------------------------------------------------------/K! L-! 01234567?#8IEA<2;JE4AE<@2=#87#926:;<7=97------------------------------------------------------------------------//!!!"#$*MN*O(#M(#,I('+M(#('#PQ0%'P(R(#O(&(N*,(------------------------------------------------------ /L! /-! (:@?<;6242>@7 ----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------/L! 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I- CONTEXTE ACTUEL La formation des professionnels de santé est une préoccupation majeure de tout système de santé moderne dont le but ultime est de garantir la sécurité des patients. Le concept de sécurité des patients est naît aux Etats-Unis dans les années 1980 et elle est aujourd hui reconnue comme une discipline à part entière et de première importance. En s inspirant du domaine de l aviation (Crawford, 1971; Helmreich, 2000), l étude des questions d évènements indésirables survenant chez les patients a mis en évidence dès le début des années 1980 l importance de la responsabilité des facteurs humains dans la survenue d accidents médicaux (Newbower, 1981; Cooper, 1982). En effet, la majorité des complications et accidents en médecine n est pas due à la qualité d une procédure technique par un soignant mais le plus souvent à des facteurs organisationnels, humains, de communication ou encore d ordre psychologique ou cognitif. Parmi ceux-ci, la fatigue (Landrigan, 2004; Barger, 2006), le syndrome d épuisement professionnel (Fahrenkopf, 2008), la pression de productivité, un environnement professionnel inhabituel, des noms de médicaments similaires entre eux, une atmosphère de travail conflictuelle et la diminution du ratio soignant-patient (Aiken, 2002) sont impliqués dans les incidents et accidents médicaux chez les patients. Pour minimiser l impact de ces facteurs, la qualité de la formation des professionnels de santé est donc au premier plan (Neale, 2001). La diffusion de la préoccupation de la sécurité des patients au grand public s est faite à la fin des années 1990 grâce à un rapport de l Institut de Médecine aux Etats-Unis intitulé : «L erreur est humaine» (traduction personnelle de «To Err is Human») (Kohn, 2000). L annonce de 44 000 à 98 000 morts évitables du fait d erreurs médicales chaque années aux Etats-Unis, dont 7 000 uniquement dus aux erreurs de médicaments, a fait très rapidement réagir la classe politique qui a ordonné la mise en œuvre immédiate de changements pour améliorer la sécurité des patients (Charatan, 2000). Un de ces changements a été le développement majeur de l attention portée aux simulateurs médicaux permettant de mieux former et évaluer les professionnels de santé. Le développement des notions de sécurité des patients et la prise de conscience de l implication des facteurs humains dans la survenue de complications voire décès chez un certain nombre de patients ont contribué à l amplification de l offre de formations initiales et continues, et notamment celles utilisant les simulateurs médicaux. De plus les avancées technologiques et informatiques ont permis de répondre 6

favorablement à ce besoin en fournissant des simulateurs de formation. L éducation des professionnels de santé est donc devenue clairement un enjeu à la fois politique, économique et sociétale. Aujourd hui, la simulation médicale a commencé et continue tous les jours de permettre de répondre à ces enjeux.!" #$%&'()*+,*+-%)./0*1-*+*1+2*304%1+,*3+$*33%5$-*3+,*+-$43*+ + Au sein de l ensemble des situations impliquant les facteurs humains en médecine, les situations où un patient présente un état d urgence absolue, dites situations de «crise», représentent un groupe de situations particulières et probablement des plus redoutées des professionnels de santé. La nécessité immédiate d un traitement vital pour le patient, de décisions rapides sans disposer de l ensemble des informations, la conscience de la part des soignant que la vie du patient dépend de leurs actions, l interaction entre les différents membres d une équipe multidisciplinaire, créent un stress majeur chez les soignants impliqués. En effet, dans ces situations de crise, l importance des facteurs humains est cruciale pour le devenir du patient. La «gestion des ressources de crise» (Crisis Resource Management) correspond à l ensemble des compétences non techniques à mettre en œuvre en équipe lors de la prise en charge d un patient en situation critique urgente (Gaba, 1994). Nous utiliserons dans ce mémoire de façon synonyme et interchangeable les termes de «compétences de gestion des ressources de crise» et «compétences non techniques en situation d urgence». La gestion des ressources de crise est une compétence transversale que partage de nombreuses spécialités telles que la cardiologie, la chirurgie, la pneumologie et bien entendu la médecine d urgence, l anesthésie et la réanimation. Le concept de gestion des ressources de crise en médecine est naît au début des années 1990 grâce au croisement des champs de l aviation et de l anesthésie (Howard, 1992). Ces compétences sont représentées par la communication intra-équipe soignante (ou au sein de l équipe soignante), le leadership, la représentation de la situation (traduction personnelle de «situation awareness») ou encore le travail en équipe, et ceci dans le contexte d un patient présentant une situation d urgence absolue (St Pierre, 2008). Les membres de l équipe doivent aussi chacun être en mesure d utiliser l ensemble des ressources disponibles, que ces soit les informations, les appareils techniques ou d autres membres de l équipe afin de sauver le patient. 7

Afin de clarifier au mieux ce que représente la gestion des ressources de crise, nous souhaitons proposer un exemple concret des compétences en gestion de ressources de crise à mettre en œuvre lors d un patient en arrêt cardiaque. Les mêmes compétences pourraient s appliquer à d autres urgences absolues comme par exemple une hémorragie en salle d accouchement, une crise d asthme très sévère ou un polytraumatisme. Lorsque l équipe soignante arrive auprès du patient, un leader doit se dégager du reste de l équipe. Le leader doit être capable d analyser immédiatement la situation avec très peu d informations disponibles et décider des actions à entreprendre. Son rôle est d organiser l équipe, c est à dire de distribuer les tâches à chaque membre de l équipe. Ses ordres doivent être clairs, précis et prendre en compte les compétences individuelles des membres d équipe. Au cours de la réanimation, le leader doit s assurer de la qualité du travail de chaque membre de l équipe et éventuellement corriger leurs actions ou redistribuer les rôles. Les membres de l équipes doivent, eux, effectuer efficacement les ordres du leader et rapporter à ce leader l état d avancement des actions ordonnées (par exemple : médicament injecté) et aussi les éléments cliniques pouvant aider le leader dans ses décisions. Pour effectuer tout cela, la communication doit être réalisée en boucle fermée entre le leader et le membre d équipe. Une difficulté fréquente dans ces situations est la variabilité de la composition de l équipe en terme de professions qui la composent, mais aussi des individus qui ne se connaissent pas systématiquement. Ainsi, il est important que chaque professionnel, quelque soit sa fonction (infirmière, médecin, etc ), partage le même «schéma mental» (ou vision) d action. Cela nécessite donc une formation spécifique de tous les personnels impliqués dans les situations d urgence nécessitant les compétences de gestions de ressources de crise. De plus, de nombreux facteurs cognitifs entrent en jeu dans les situations de crise et réduisent la capacité de décision et d action des soignants. Par exemple, sous l effet de l urgence et de l enjeu vital pour le patient, le stress peut provoquer une réduction du champ de vision des soignants, une modification de la clarté de leur jugement, et souvent des erreurs de fixation (St Pierre, 2008). L erreur de fixation est révélée par une attention exagérée d un individu portée sur un élément particulier au détriment de la perception de l ensemble de la situation. L erreur de fixation se définit par une tendance à chercher une confirmation des informations et en déformant les données de façon à ce qu elles s intègrent dans le schéma mental en cours. Tout comme pour les personnels d aviation, les compétences des professionnels de santé sont reconnues comme essentielles en situation d urgence vitale pour traiter au mieux le patient. La simulation médicale se définit comme l ensemble des procédés qui permettent de 8

reproduire de façon plus ou moins réaliste les situations rencontrées en pratique clinique par les médecins. Les simulateurs médicaux qui permettent d enseigner/de pratiquer la gestion des ressources de crise sont des simulateurs dits à «haute fidélité». Ils sont constitués d un mannequin corps entier qui intègre en son sein de nombreux systèmes électroniques et est commandé à distance par un ordinateur. L ordinateur permet à l enseignant instructeur de reproduire de nombreuses situations cliniques avec le mannequin. Le but de l usage des simulateurs médicaux est l amélioration de la qualité des soins prodigués aux patients et in fine de diminuer le taux de complications et d augmenter le taux de survie des patients. 6" #$%&'()*3+,*+7%$)804%1+9+'8+-%)./0*1-*+ Parmi les différentes disciplines médicales, l anesthésiste-réanimateur a la particularité, d une part d être confronté à des situations critiques, mais aussi d observer les résultats de ses actions quasi-immédiatement sur les patients. La nature urgente du contexte au sein duquel il/elle opère rend quasi-impossible la consultation avec un pair, et met un fort accent sur le besoin de travail en autonomie et donc de gestes et de comportements bien maîtrisés. De ce fait, le maintien parfait des compétences, y compris des compétences non techniques en gestion de ressources de crise en anesthésie réanimation, est essentiel pour le devenir du patient (Gaba; Flin, 2008),. Bien qu essentiel, le concept de gestion en ressources de crise est relativement récent et n est généralement pas abordé au cours des enseignements théoriques à l Université. Certains étudiants «sentent» naturellement l importance dans ces situations critiques de savoir communiquer efficacement, ou de savoir se positionner comme leader. D autres étudiants vont «découvrir» l existence de ces compétences en observant certains de leurs mentors au cours des stages à l hôpital, notamment dans les services tels que l anesthésie, les urgences ou la cardiologie. Du fait de la relativement faible fréquence et de l imprévisibilité des situations d urgence absolue nécessitant une mise en œuvre des compétences de gestion de ressource de crise, la formation par compagnonnage des jeunes médecins est particulièrement difficile et aléatoire. Enfin, la grande majorité des étudiants vont souvent réaliser l ensemble de leurs études médicales en ignorant tout de ces compétences clés aussi bien théoriquement que dans la pratique. Pour les médecins plus expérimentés, la sensibilité de chaque professionnel à ce type de compétence est extrêmement variable et produit ainsi de très larges variations de compétence inter-individuelle. La tendance naturelle des 9

professionnels de santé est bien souvent de focaliser leur attention sur l aspect technique des soins aux patients. Ainsi, après une situation d urgence absolue, les discussions des membres de l équipe soignante auront naturellement tendance à s orienter vers une perfusion difficile à insérer, une ventilation au masque difficile, etc mais rarement vers les compétences non techniques de gestion de ressources de crise comme le manque de communication en boucle fermée, un leader hésitant avec des ordres imprécis, etc Donc, il est presque totalement exclu d imaginer apprendre ces compétences de ses pairs au cours de son exercice professionnel, car comment apprendre ce dont on n a pas conscience? (Hodges, 2001; Eva, 2004) Au vu de ces éléments, il apparaît de plus en plus clairement que l enseignement par simulation trouve ici tout son intérêt. :" #$%&'()*3+,;/<8'5804%1+,*+-%)./0*1-*3+ Tout médecin qui désire rester compétent doit apprendre tout au long de sa vie professionnelle, ce qui présuppose une capacité à reconnaître ses forces et ses faiblesses (Spencer, 1999). La compétence d auto-évaluation est à la base du système de professions autorégulées. En effet, l auto-évaluation est censée permettre à chaque médecin de différencier son auto-formation, en orientant le choix de sa formation continue en fonction des résultats de l auto-évaluation. Aucun tiers n aide les médecins à définir leurs forces et faiblesses, ou ne les évalue formellement, ce qui rend le besoin en auto-évaluation encore plus aigu. Cependant, comme le montrent plusieurs méta-analyses, la compétence en autoévaluation reste une difficulté importante pour la majorité des professionnels de santé et ne permet donc pas de compenser pour le manque de l évaluation pas un tiers (Falchikov, 1989; Gordon, 1991; Ward, 2002). Il existe donc un écart entre, d un côté, l exigence d autorégulation au sein de cette profession, et de l autre, une faible capacité des professionnels de santé à s auto-évaluer. La simulation médicale peut contribuer à diminuer cet écart car elle permet d évaluer, que ce soit de façon formative ou sommative, la compétence des ressources de crise des médecins. Lorsque les médecins sont formés et/ou évalués par simulation médicale, les scénarios sont suivis d un débriefing réalisé par un instructeur expert. Or, l instructeur représente souvent un obstacle majeur au développement de la simulation comme outil de formation en médecine pour au moins trois raisons (Savoldelli, 2005). D abord, le coût et la rareté des instructeurs dont on peut garantir la compétence sont une première barrière. La 10

formation initiale et continue des instructeurs a un coût élevé pour les hôpitaux. De plus, les instructeurs étant aussi la plupart du temps médecins, le temps qu ils consacrent à l enseignement réduit d autant le temps clinique consacré aux soins des patients. Or, souvent, les soins constituent souvent leur seule source de rémunération. Deuxièmement, l organisation des séances de simulation médicale est soumise à l emploi du temps des instructeurs. Ainsi, étant donné leurs faibles nombres, l absence du ou des instructeurs empêche l organisation des séances de simulation médicale. Les participants sont donc soumis à une contrainte de temps par rapport à l instructeur. Enfin, le débriefing par un instructeur peut parfois être intimidant pour les participants. La remise en cause de ses pratiques par autrui n est jamais aisée et peut avoir un impact négatif sur les relations entre les participants et les instructeurs en dehors de la simulation médicale. Ceci peut éventuellement freiner certains médecins à s entraîner en utilisant cette méthode. =" #$%&'()*3+,;850%/<8'5804%1+,*+-%)./0*1-*+ Plusieurs méta-analyses ont montré l absence de fiabilité de l auto-évaluation en médecine (Falchikov, 1989; Gordon, 1991; Ward, 2002). Ce résultat peut paraître inquiétant car, comme nous venons de le préciser, la capacité d auto-évaluation est à la base du système de professions autorégulées dont la médecine fait partie. En effet, chaque professionnel décide lui-même des formations dont il a besoin pour maintenir sa compétence en fonction de ses forces et faiblesses ressenties (Spencer, 1999). Cela signifie-t-il alors qu un grand nombre de médecins n est pas compétent faute de pouvoir choisir les formations continues dont ils ont réellement besoin? Faut-il alors un créer un organisme de contrôle des compétences des médecins afin de certifier leurs compétences auprès du public? Les pilotes d avion sont soumis, eux, à ce type de régulation externe depuis déjà de nombreuses années. S ils ne réussissent pas leurs tests, ils sont contraints de participer à plus de formation ciblées jusqu à démontrer leurs compétences. La culture médicale est différente et cette question de l auto-évaluation a de quoi embarrasser aussi bien les professionnels de santé que les patients car elle remet potentiellement en cause l ensemble de la confiance patient-médecin ainsi que tout le système de régulation médicale dans le monde. Néanmoins, plusieurs éléments limites la portée de ces méta-analyses. Ward a déploré la grande variabilité méthodologique des articles portant sur l auto-évaluation en médecine 11

(Ward, 2002). Deux types de méthodologies sont globalement utilisés pour comparer le score d auto-évaluation et celui du gold standard: interindividuelle et intraindividuelle. Lorsque la comparaison est interindividuelle, le résultat est donné soit par un taux de corrélation, soit par un pourcentage d agrément, soit enfin par une comparaison des scores moyens au niveau d un groupe (Ward, 2002). La comparaison intraindividuelle établit une classification de ses propres savoir-faire les uns par rapport aux autres. L étalon-or avec lequel est comparé le score d auto-évaluation est variable et dépend par exemple de la compétence technique ou non technique étudiée, et de la définition ou représentation de la compétence en question par les étudiants ou experts (Ward, 2002). La fiabilité varie aussi selon l instrument de mesure et son utilisation. Par conséquent, les conclusions en apparence uniformes des méta-analyses ne sont peut être par si définitives De plus, quelques études ont trouvé une fiabilité correcte de l auto-évaluation en médecine ou en aviation sous certaines conditions (Palmer, 1985; Hays, 1990; Martin, 1998; Burdekin, 2004). Et enfin, d autres chercheurs ont récemment remis en cause le paradigme selon lequel l auto-évaluation est étudiée (Colliver, 2005; Eva, 2005; Eva, 2008). Pourquoi l auto-évaluation semble-t-elle peu ou pas fiable? Tout d abord, l autoévaluation sous-entend l attribution d une note ou au moins d une appréciation (par exemple grâce à une échelle de Likert) pour une compétence donnée. Cette appréciation se fait en appréciant l écart entre sa propre performance réalisée et la performance «idéale». Le premier facteur pouvant expliquer la mauvaise fiabilité de l auto-évaluation est la définition de la performance «idéale». La représentation, la perception, l idée que l on se fait de la performance parfaite varie selon le degré d expertise du professionnel et aussi selon la complexité de la tâche (Ward, 2002). Ainsi, un étudiant aura une représentation de la réalisation parfaite différente de celle de l expert qui sera probablement beaucoup plus exigeant car capable de percevoir plus de nuances. Donc lorsque les études comparent le score de l auto-évaluation avec le score d un expert, on peut comprendre que les appréciations soient différentes. Dans ce cadre, l instrument de mesure de la performance aura son importance car il devra permettre de proposer des définitions des performances idéales accessibles aussi bien aux experts qu aux autres professionnels (Ward, 2002). D autre part, plus la tâche à évaluer est complexe et longue, plus il sera difficile de fournir une autoévaluation fiable (Ward, 2002). En effet, dans ce cas, il est probable qu il y ait des fluctuations de performance au cours d une situation longue et complexe et que la tâche globale englobe plusieurs sous-unités de compétences. Mais l évaluation finale donne 12

souvent une seule note. Il est alors probable que l expert et le participant attribuent un poids différent à différents aspects de la performance. Le second facteur pouvant expliquer la mauvaise fiabilité de l auto-évaluation est le regard que l on porte sur sa propre performance. La mémoire est un outil important pour permettre de juger de sa performance. Or, la mémoire peut être affectée par plusieurs facteurs, et notamment par le stress en situation d urgence (St Pierre, 2008). Parmi les autres effets du stress sur la performance, la perception du temps est déformée, le champ de vision restreint et l appréciation d une situation inexacte (LeBlanc, 2005; St Pierre, 2008). Ceci peut certainement induire un biais de jugement altérant la capacité d auto-évaluation. Le sujet réalisant l auto-évaluation perdrait ainsi son «objectivité» quant à sa performance. De plus, des raisons psychologiques et sociales poussent chacun individu à se percevoir comme un moyennement compétent, ne serait-ce que pour préserver l estime de soi (Wood, 1989; Athanasou, 2005). Mais une autre raison majeure pourrait expliquer cette apparente contradiction entre une faible capacité des professionnels de santé à l auto-évaluation et une profession autorégulée. En effet, l auto-évaluation est presque toujours considéré dans la littérature selon son aspect sommatif : un score auto-évalué est comparé d une façon ou d une autre au score «réel». Il s agit là du paradigme sommatif. Mais, bien qu ayant récemment attiré l attention de plusieurs auteurs, l autre paradigme de l auto-évaluation, dit formatif, n a que peu été exploré (Colliver, 2005; Eva, 2005; Eva, 2008). Ce paradigme de l auto-évaluation formative relève de la réflexion sur ses pratiques, du questionnement, de la mise en perspective de ses actions, de la distanciation de soi. L étude de l auto-évaluation formative se déroule selon une méthode de type qualitatif où les mots et les idées prédominent sur les scores chiffrés. Ainsi, alors que l auto-évaluation sommative est généralement approchée par une analyse de la relation entre des scores auto-évalués et des scores considérés comme réels, l autoévaluation formative requiert plutôt un processus analysé sur le mode qualitatif dans le sens où il correspond à une auto-réflexion, sans se préoccuper du score (analysé sur le mode quantitatif). Il est tout à fait possible que les individus soient capables de l auto-évaluation formative (mode qualitatif) sans être capables de l auto-évaluation sommative (mode quantitative). En d autres termes, il est possible que, même si un individu n est capable de «deviner» avec précision son score, le processus de réflexion sur sa performance lui permette de s améliorer dans le futur. 13

II- CADRAGE DE L ETUDE ET HYPOTHESE GENERALE!" >.430/)%'%24*+ a. Le Constructivisme Pour le constructivisme, les connaissances et la compréhension du monde ne sont pas le reflet exact de la réalité, mais sont une construction de celle-ci à partir des éléments déjà connus, intégrés par chaque individu. Le constructivisme s'attache à étudier les mécanismes et processus permettant cette construction de la réalité. La compréhension et l appréhension de la réalité, constamment renouvelée, s élaborent à partir des représentations plus anciennes d événements passés, que le sujet a d ores et déjà «emmagasinées» dans son vécu. Le sujet reconstruit, réajuste, en interne, les informations reçues à travers ses expériences en regard de ses propres concepts. Le constructivisme met en avant l activité et la capacité inhérentes à chaque sujet, ce qui lui permet d appréhender la réalité qui l entoure. Piaget est l un des pionnier du constructivisme et toute son œuvre tend à montrer que l on construit ses connaissances par ses propres actions. Un tel mécanisme ne peut donc se réduire à la seule innéité (bien que Piaget ne nie pas totalement la présence de «facilités» de certains pour certains types de tâches), ni à une simple accumulation des connaissances. Piaget décrira le développement comme «une autorégulation, c est à dire une suite de compensations actives du sujet en réponse aux perturbations extérieures et d un réglage rétroactif (feedback) et anticipateur constituant un système permanent de telles compensations» (Piaget, 1971). Dans un courant dit cognitif du constructivisme, Bruner estime que l apprentissage est un processus actif dans lequel les apprenants fondent, sur les connaissances actuelles et passées, la construction de nouvelles idées ou nouveaux concepts (Bruner, 1974). Cette vision considère que l'apprenant s'appuie sur sa structure cognitive pour transformer l'information. Ainsi, ce courant reconnaît la construction du savoir sur des bases préexistantes appartenant au sujet, et aussi l importance de l environnement et du contexte d apprentissage. Pour sa part, Simpson considère que le constructivisme n'est pas une théorie, mais plutôt une épistémologie ou point de vue philosophique sur la nature de l'apprentissage (Simpson, 2002). Schunk confirme la thèse de Simpson en soulignant que la théorie est une explication scientifiquement valable qui permet la génération et le test d'une hypothèse 14

(Schunk, 2004). Le constructivisme selon Schunk ne prétend pas que les principes d'apprentissage qui peuvent être découverts et testés existent, mais affirme en revanche que l'apprentissage est créé par l'apprenant. Schunk poursuit en disant que si nous voulons considérer le constructivisme comme une théorie, alors il n'est pas une théorie unifiée, mais doit être considéré comme trois sous-théories différentes: exogène, endogène, et dialectique (Schunk, 2004). Il est difficile de proposer une définition simple, univoque et acceptée par tous du constructivisme. Von Glasserfeld réfute tout courant au sein du constructivisme et défend le constructivisme radical (von Glasersfeld, 1994). Merriam suggère la définition suivante : «le constructivisme, représentant un éventail de perspectives, postule que les apprenants construisent leur propre connaissance à partir de leurs expériences» (Merriam, 2001). Dans leur définition, le processus cognitif de la construction de connaissance est souligné à la fois comme une activité mentale individuelle et un échange interactif sociale. Cette définition semble saisir l'essence des points de vue contradictoires entourant la théorie, et les rassemble non pas tant en une théorie unifiée, mais plutôt une philosophie d'enseignement bien articulé (cf socio-constructivisme ci-après). b. Le socio-constructivisme Le socio-constructivisme enrichit le constructivisme de l aspect social de l'apprentissage. Issu essentiellement des travaux de Lev Vygotsky au début du 20e siècle, le socio-constructivisme s appuie sur les hypothèses fondamentales de la réalité, les connaissances et l'apprentissage. Dans le constructivisme social, la réalité est considérée comme une construction de l'activité humaine, et plus particulièrement grâce aux interactions sociales humaines. Selon cette hypothèse, l'individu ne peut pas découvrir seul la réalité parce que la réalité n'existe pas jusqu'à ce qu'elle soit «inventée» ou construite par la société. La connaissance est donc vue comme une construction sociale et culturelle (Kim, 2001). Si la réalité et la connaissance sont des constructions sociales, alors l'apprentissage doit également être un processus social (Kim, 2001). L'apprentissage devient alors un processus de collaboration au sein d une équipe. Même si les théories constructivistes sont clairement issues des travaux de recherche sur l apprentissage des enfants, la vision du constructivisme contemporain est étroitement 15

associée à l'andragogie, l'apprentissage des adultes. Ainsi, le concept de «zone de développement proximal» (aussi appelée «zone de proche développement») s applique aussi bien aux enfant qu aux adultes. L'un des concepts clés issu des recherches de Vygotsky est le phénomène que Vygotsky a appelé la zone de développement proximal (ZPD). Vygotsky décrit la ZPD comme «la distance entre le niveau de développement effectif actuel, déterminé par la capacité à résoudre seul un problème, et le niveau de développement potentiel, déterminé par la capacité à résoudre un problèmes sous la direction (l assistance) d adultes ou en collaboration avec des pairs plus capables» (Vygotski, 1978). Autrement dit, la définition de Vygotsky de la ZPD décrit l écart entre ce que les individus peuvent faire par eux-mêmes et ce qu'ils ne peuvent pas faire, même lorsque assistée par un adulte ou pair plus «compétent». Ce concept est illustré sur la figure suivante (Figure 1). Figure 1: Représentation de la zone proximale de développement. En dehors de la ZPD, sont soit des tâches que l'apprenant peut déjà réaliser (vers l intérieur de la ZPD), ou des tâches que l'apprenant ne serait pas en mesure de faire (vers l extérieur de la ZPD) même avec l'aide d un instructeur (Vergnaud, 2000). L'enseignement 16

doit alors se concentrer sur les tâches à l'intérieur de la ZPD (zone grise sur la figure) que l'apprenant ne peut pas faire par lui-même mais que l on peut raisonnablement s'attendre à ce qu il réalise avec l'aide d'un instructeur. Par conséquent, lorsque l'apprenant accomplit seul après apprentissage une tâche appartenant à la ZPD, cette tâche sera intégrée dans la «zone de compétence». Ainsi, si l on considère ce schéma appliqué à un groupe de compétences finies et accessibles avec l aide de pairs, la ZPD se rétrécira au profit de la «zone de compétence». Si l on considère une compétence ou un groupe de compétences infinies, la «zone de compétence» s élargira et l anneau de la ZPD se déplacera vers l extérieur repoussant alors la «zone de non compétence». Donc, d après ce modèle de ZPD, toute tentative d enseignement/apprentissage devra cibler pour des tâches/compétences situées dans la ZPD. Si les tâches sont à l extérieur, elles seront impossibles à intégrer par l apprenant, si elles sont à l intérieur, elles sont déjà maîtrisées par l individu donc sans intérêt pour l enseignement-apprentissage. 6"?%)./0*1-*+ a. Exploration de la notion de compétence. (i) Selon les disciplines en général De très nombreux auteurs ont approché la notion de «compétence» et tenté de la définir. Les définitions proposées varient en fonction de nombreux paramètres tels qu entre autre la discipline considérée, l expérience de l auteur et ses objectifs, etc... Il semble que les mots/idées/concepts revenant aujourd hui dans la plupart des définitions soient «mobilisation», «ressources cognitives», «transfert» et «action» ou «activité» (Le Boterf, 1994; Ardouin, 2005). De nombreuses approches et définitions selon les domaines et théories Le Petit Larousse définit la compétence comme «Ensemble des dispositions, capacités, aptitudes spécifiques qui permettent à tout sujet parlant une langue de la maîtriser, et qu'il met en œuvre à l'occasion de ses actes de parole effectifs dans des situations concrètes (ce qui constitue la performance)» en tant que définition principale et comme «aptitude pour 17

un tribunal à juger une affaire (droit)» en tant que seconde définition (Larousse, 2010). D autres dictionnaires décrivent la compétence comme une «capacité dans une matière donnée» ou encore «une connaissance approfondie». Les dictionnaires des synonymes indiquent de très nombreux termes comme par exemple : «capacité», «expertise», «qualification», «aptitude», «faculté», «habileté», «penchant», «pouvoir», «propension», «qualité», «savoir-faire», «virtuosité». La définition du concept de «compétence» varie selon les disciplines professionnelles mais aussi le milieu dans lequel il est appliqué. Ainsi, il peut être considéré tantôt comme un état, un statut, tantôt comme une capacité. Il se dégage de ce constat de variabilité une impression de «subjectivité» dans la définition de la notion de compétence. Comme l explique Ardouin (Ardouin, 2005), le terme «compétence» provient historiquement du domaine juridique et s adresse essentiellement à une notion de groupe. Il s agit alors de «la légitimité et l autorité conférée aux institutions pour traiter de problèmes donnés». Ensuite, plusieurs disciplines se sont intéressées à ce terme et l ont transféré au niveau de l individu. Pour les linguistes, la compétence se distingue clairement de la performance. La compétence correspond à un potentiel, celui de pouvoir produire une infinité de productions langagières. Quant à la performance, elle est directement liée à l action puisqu elle correspond à l utilisation effective de la langue en situations concrètes (Jonnaert, 2002). Performance et compétence sont donc à la fois distinctes et liées fonctionnellement. La performance est ainsi perçue par les linguistes comme l activation de la compétence contextualisée. La psychologie s est d abord appuyée sur les théories béhavioristes et comportementalistes pour décrire la notion de compétence. Ainsi Raynal et Gbato reprennent la définition de la compétence comme «un ensemble de comportements potentiels (affectifs, cognitifs et psychomoteurs) qui permettent à un individu d exercer efficacement une activité, une fonction, un rôle» (Raynal, 1997; Gbato, 2008). Les théories béhavioristes ont une représentation quantitative du concept de compétence, avec la fragmentation et la hiérarchisation des connaissances, contenus et des tâches, potentiellement au détriment d une vue d ensemble. Elles considèrent donc que la compétence réunis plusieurs sous-unités que sont les savoirs (connaissances), les savoir-faire, et les savoir être. Cette définition peut laisser penser que la somme des trois éléments induit automatiquement la compétence. Ainsi, 18

cette vision de la compétence fait le parallèle avec le système taylorien et ses tâches répétitives (Le Boterf, 2002). Puis les théories cognitivistes et constructivistes sont apparues et ont permis d approcher les notions de compétence d une façon différente. Pour l approche cognitiviste, la compétence est initialement simplement vue comme la rencontre d une situation et de connaissances à appliquer. Par la suite, elle ajoute la notion de «reconnaissance» (que cette situation spécifique appartient à une classe particulière) et évolue vers «la capacité d associer une classe de problèmes précisément identifiés avec un programme de traitement déterminé» (Meirieu, 2009). La compétence correspond alors à la capacité d associer une classe de situations à un schéma de solutions déjà intégrées pour des situations similaires. Dans le constructivisme, le sujet construit lui-même son savoir, ses schèmes, ses réalités à partir d'un existant. Le socioconstructivisme, dans lequel le sujet se forme avec et/ou contre les autres (Vygotski, 1985), permet aussi d éclairer la notion de compétence. Ces notions cognitivistes, constructivistes et socioconstructivistes sont plus en accord avec le monde moderne du travail qui exige l intégration de plusieurs types de savoirs afin de résoudre un problème et de répondre aux exigences de flexibilité des employeurs. Pour les spécialistes du travail, les compétences lient les connaissances d un travailleur et ses actions (Jonnaert, 2002). La notion de contexte est ici fortement présente puisque la tâche accomplie se produit dans une situation donnée et les situations à gérer sont censées ne pas se reproduire à l identique constamment. Pour les spécialistes du travail aussi, la situation agit comme le révélateur de la compétence à travers la performance. Plusieurs éléments caractérisent les apports du terme de compétence en éducation/formation. Les principaux sont l approche uniciste, la mise en réflexion des stratégies d apprentissages, la recherche de sens et l exploration de la notion de transfert. Les Sciences de l Education ont cherché à rendre le savoir opérationnel et à élargir de la triangle : savoirs, savoir faire, savoir être par l approche globale du «savoir agir». En effet, les Sciences de l Education et de la Formation tentent de proposer une approche globale du concept de compétence unifiant l ensemble des champs théoriques mentionnés précédemment. Sa vision se veut uniciste. Un certain consensus semble se dégager de la part de plusieurs auteurs pour définir la compétence comme «faisant référence à un ensemble d éléments que le sujet peut mobiliser pour traiter une situation avec succès» (Jonnaert, 2001). Il s agit donc d une «mise en œuvre», d une activation de ressources d ordres 19

multiples (affectif, cognitif, social, etc...). L individu qui possèdent l ensemble de ces ressources doit alors sélectionner, choisir et coordonner et articuler les ressources les plus adaptées pour répondre avec succès à une situation nouvelle donnée (désignée aussi par environnement). Ce modèle global propose de fait un positionnement de chacun des éléments (performance, schèmes, connaissances, capacités) selon leur caractère pratique/théorique et visible/invisible (Ardouin, 2005). La compétence correspond alors l intersection (et l association) de ces deux axes. Cette conception globale rejoint la notion de «combinatoire» de ressources de Le Boterf (Le Boterf, 2002), par opposition à la classique «addition» de savoirs. Vergnaud qualifie cela de «schème opératoire», ce qui correspond à «une façon de s y prendre» pour «agir dans un certain type de situation, pour résoudre une famille de problèmes, pour faire face à un certain type d évènements» (Le Boterf, 2002). Pour ce courant, la compétence ne doit absolument pas être morcelée, découpée en unité de ressource ou de savoirs unitaire, mais au contraire rassemblée, réunie, mise en réseau. Le Boterf donne un exemple très convaincant de cette vision : «Pour dispenser des soins curatifs, un infirmier combinera certaines connaissances techniques et scientifiques (anatomie, physiologie, pharmacologie ) avec des connaissances contextuelles sur le malade (historique, entourage ), des savoir-faire méthodologiques (raisonnement clinique ) et techniques (perfusion, pansements ), tout en mettant en œuvre des qualités d écoute» (Le Boterf, 2002). L évolution des organisations de travail et des exigences faites aux employés expliquent la modification de conception de la notion de compétence. Comme l explique Le Boterf, «plus l employé se trouve dans un contexte d organisation du travail taylorienne et de situation professionnelle à prescription stricte d application de consignes, plus la compétence qu il est censé mettre en œuvre pourra être définie en terme de «savoir-faire en situation». Il doit savoir exécuter une opération prescrite et appliquer ses instructions. Plus il se situe dans une organisation du travail faisant appel à la polyvalence, à la prise d initiative, à la prise de risques, et où la prescription est «ouverte», plus la compétence requise pourra être définie en termes de «savoir agir en situation.» (Le Boterf, 2002). Cette approche de la compétence rejoint celle des connexionnistes qui tentent d expliquer la compétence à partir du fonctionnement cognitif de l expert (Dreyfus, 1992). En effet, un expert semble être en mesure de s adapter spécifiquement à chaque situation, comme s il se détachait des programmes de familles de situations pour créer une solution particulière pour chaque situation. Andronikof reprend l hypothèse selon laquelle «l expert a développé une telle capacité d évaluation des situations, de mise en lien de celles-ci avec ses 20