La place des partenaires sociaux dans la gouvernance de la santé au travail

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Transcription:

Restitution La place des partenaires sociaux dans la gouvernance de la santé au travail Pierre-Yves VERKINDT, agrégé des Facultés de droit, Paris 1, Panthéon Sorbonne Document ISTNF, non validé par l intervenant et les organisateurs Restitution de l exposé proposé par Pierre-Yves Verkindt, le 18 octobre 2013, dans le cadre des Assises régionales de la santé au travail de Picardie, manifestation organisée par la Direccte de Picardie au Cinéma Gaumont, à Amiens, autour de la réforme de la santé au travail. La conférence est intervenue à la suite d une table ronde au cours de laquelle les partenaires sociaux ont donné leur avis sur les avancées de la santé au travail et sur l évolution du monde du travail. Rédaction : Céline CZUBA et Camille BAUMANN, chargées d études ISTNF Il faut bien mesurer qu il y a 20 ans, tout ce qui s est dit lors de la table ronde des partenaires sociaux qui a marqué la première partie de matinée des Assises régionales de la santé au travail de Picardie était absolument impensable et inimaginable. Cela donne la mesure d une évolution. 20 ans : c est à la fois long et court, court à l échelle de l évolution réglementaire, mais long car l évolution en pratique est très significative. En introduction, trois remarques peuvent être faites : 1) La place du syndicalisme Avant de parler de la place des partenaires sociaux dans la gouvernance de la santé au travail, il convient d évoquer la place du syndicalisme. En effet, pendant très longtemps les organisations syndicales et les organisations professionnelles étaient restées assez éloignées de la problématique de la santé au travail et des conditions de travail. En réalité il y avait bien une dénonciation et un discours sur les accidents du travail (AT) et les maladies professionnelles (MP). Mais l investissement dans la santé au travail et les conditions de travail restait relatif et cela même après la création en 1946 de l organisme de la Sécurité sociale. Les choses ont bien changé, aujourd hui les organisations syndicales et les organisations professionnelles sont des lieux où peuvent s exprimer les réalités sur les conditions de travail, c est-àdire la réalité du travail. Or l une des difficultés contemporaines à laquelle nous sommes aujourd hui confrontés est celle d une distension entre les décideurs de l entreprise et la réalité du travail. A tel istnf.fr Pierre-Yves Verkindt, Paris 1, Panthéon Sorbonne 18 octobre 2013 1

point que l on peut prendre des décisions dans l ignorance même de ce qu est «travailler». C est là que les organisations syndicales et les organisations professionnelles jouent un rôle déterminant dans la remontée à la surface du mot travail. 2) La gouvernance Que veut dire le terme gouvernance? Ce terme «gouvernance» renvoie à l idée du bien gouverner, de la recherche de mécanismes d un pilotage d une institution, impliquant un partenariat plus ouvert et éclairé entre les différentes parties prenantes et les acteurs. Ce terme étant amplement connoté, il faudrait, en réalité, utiliser deux autres termes : la démocratie sociale et la démocratie industrielle (ou encore la démocratie salariale, expression moins utilisée). Concernant la démocratie sociale : On pense à deux piliers principaux que sont la négociation collective et le paritarisme. - La négociation collective : la reconnaissance de l aptitude des partenaires sociaux à produire les règles dont ils ont besoin. - Le paritarisme : l aptitude à participer à la gestion des institutions qui les concernent. Le paritarisme peut être soit un paritarisme pur, quand il met en présence les organisations syndicales représentant les employeurs et les organisations syndicales représentant les salariés, soit un paritarisme tempéré, quand on y ajoute des personnes qualifiées voire des représentants de l Etat. Il existe deux formes de paritarisme : - Le paritarisme institutionnel : dans le droit du travail et dans le champ plus large du travail ; - Le paritarisme d idées : l affirmation que des questions relatives au travail se posent. La voix de ceux (soit côté employeurs, soit côté travailleurs) qui vivent le travail doit être entendue dans la construction de toute politique du travail et par extension la politique de la santé au travail. 3) Les «déplacements» Il existe trois déplacements majeurs. Ce sont une toile de fond dans laquelle s inscrivent les thématiques de gouvernance et de l organisation des Services de Santé au Travail (SST). - 1 er Déplacement de la réparation vers la prévention Il y a 30 ans les maîtres mots étaient : «sanction» et «réparation». Pour preuve la littérature de l époque qui était dominée par ces deux idées : réparer et sanctionner avec la dénonciation des AT et des MP. La réparation et la sanction restent toujours deux aspects importants et présents. Toutefois, aujourd hui ils sont submergés voire surplombés par un autre impératif qui est celui de la prévention. Ce qui compte désormais c est bien d agir le plus en amont possible de l acte générateur de risque et donc de faire de la prévention des risques professionnels. istnf.fr Pierre-Yves Verkindt, Paris 1, Panthéon Sorbonne 18 octobre 2013 2

Il est vrai que la prévention des risques professionnels reste centrale, mais en même temps sa mise en œuvre se heurte à divers obstacles : la connaissance, les institutions et les pouvoirs. En effet, la prévention met en jeu les pouvoirs de l Etat et ceux dans l organisation de la relation sociale. - 2 ème Déplacement au regard des AT et MP A l intérieur du concept même AT/MP, on distingue les conditions physiques et physiologiques de celles liées à l organisation. Les AT/MP «physiques et physiologiques» existent toujours, il faut continuer à lutter contre leur survenance par des mécanismes de prévention et à les réparer quand ils surviennent. Mais aujourd hui les conditions de travail sont aussi des conditions relationnelles et organisationnelles. Tout projet de réforme de santé au travail doit dorénavant intégrer ce 2 ème déplacement vers les conditions de travail. - 3 ème Déplacement : de l action médicale pure vers la pluridisciplinarité Déplacement de l action médicale «pure» (compatible avec le paradigme de l entreprise, avec l unité de temps, le lieu et la collectivité de travail) vers une pluridisciplinarité qui s impose et qui est aujourd hui prévue dans le plan Santé-Travail. Cela se traduit dans certaines institutions y compris au sein des SST, car l entreprise industrielle, modèle à l origine de la construction de la médecine du travail, n est plus le seul mode de l organisation de l entreprise. La fragmentation même de l entreprise est une réalité aujourd hui et les problématiques des conditions de travail et de santé au travail ne sont pas moins lourdes. Simplement, elles s expriment différemment selon le mode d organisation qui conduit à fragmenter la collectivité de travail. Pour preuve, la sous-traitance externe et internalisée, quasiment permanente dans certaines entreprises, qui apportent de nouveaux problèmes de santé. Pour repérer au fond ce dont on parle lorsque l on évoque la «gouvernance», il convient d abord de prendre du recul avec l organisation même du système de santé au travail dans la démocratie (I), pour ensuite voir la gouvernance au sein même des SST (II) I Le regard de l impressionnisme : la démocratie sociale La gouvernance n est pas seulement celle des SST, c est aussi la gouvernance de l organisation du système de santé au travail et donc la démocratie sociale. Celle-ci est constituée de deux composantes : la négociation collective et le paritarisme dans tous ses aspects. Il convient d évoquer quatre points en particulier : 1) La place des partenaires sociaux : Il faut se référer à la notion présente en France qu est l état consultatif. L idée sous-jacente est que les décisions régaliennes de l Etat doivent être prises après consultations et discussions des partenaires sociaux. On retrouve beaucoup de traces de ces consultations : La Conférence sociale ; d un point de vue institutionnel, le Conseil d Orientation sur les Conditions de travail (COCT), le istnf.fr Pierre-Yves Verkindt, Paris 1, Panthéon Sorbonne 18 octobre 2013 3

Comité régional de Préventions des Risques professionnels (CRPRP) tous participent de cette logique de cet état consultatif. Si l Etat consultatif met sur le devant de la scène les partenaires sociaux, sont-ils pour autant des décideurs? De manière schématique, l Etat consulte, il pose la question, puis il est informé de ce qu il se passe sur le terrain de la santé au travail et de l entreprise. Au final, ces organes qui participent à l état consultatif sont une source d informations dans le cadre de construction d une politique de santé au travail. A titre d exemple, l action de l Agence Nationale pour l Amélioration des Conditions de Travail (ANACT) ou de l Agence Régionale pour l Amélioration des Conditions de Travail (ARACT) est de la même mouvance mais là nous sortons de l état consultatif pur pour en venir sur le paritarisme de gestion. 2) Le paritarisme de gestion : Nous ne sommes plus dans la consultation, c est-à-dire une demande d avis, mais nous ne sommes pas non plus encore dans la négociation. Nous sommes dans la gestion, c est l exemple de la branche AT/MP de la Sécurité sociale. On peut également s intéresser aux Comités techniques nationaux ou régionaux qui affirment et affichent une base paritaire totale ou modérée ou tempérée peu importe si au fond, la base est véritablement paritaire au sens strict du terme. Le paritarisme de gestion est issu des grandes réformes de l immédiat après-guerre. Bien sûr, il y a eu des réformes et des adoucissements par la suite, mais la structure et la base même du paritarisme de gestion restent entières 3) La négociation collective : La loi Larcher n 2007-130 du 31 janvier 2007 de modernisation du dialogue social prévoit que «tout projet de réforme envisagé par le Gouvernement qui porte sur les relations individuelles et collectives du travail, l emploi et la formation professionnelle et qui relève du champ de la négociation nationale et interprofessionnelle fait l objet d une concertation préalable avec les organisations syndicales de salariés et d employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel en vue de l ouverture éventuelle d une telle négociation» (ancien article L. 101-1 du Code du travail). Au regard de cet article, on comprend bien que la prochaine réforme doit faire l objet d une consultation des organisations syndicales et des organisations professionnelles, en vue d une négociation. Cette négociation se fait sur la base d un document d orientation contenant des objectifs et des options. Concernant ce document d orientation, l Etat a un rôle. Il établit les lignes de force d une politique sociale, ici la santé. Il est très important que dans ce domaine ci l Etat joue son rôle car la question de santé au travail est une question de santé publique qui reste de la compétence de l Etat et des organes extérieurs de l Etat. istnf.fr Pierre-Yves Verkindt, Paris 1, Panthéon Sorbonne 18 octobre 2013 4

Après, soit les partenaires sociaux prennent la main, soit ils ne la prennent pas. S ils ne prennent pas la main : l Etat va donc devoir assumer certaines décisions prenant la forme de modifications législatives par exemple. S ils prennent la main : la négociation se fera sur la base du document d orientation et débouchera sur des accords prenant principalement la forme d Accords Nationaux Interprofessionnels (ANI), lesquels devront ensuite être déclinés dans les branches et/ou les entreprises (toutes les combinaisons sont possibles). Les partenaires sociaux sont ici placés en position de décideurs dans un cadre fixé au départ par le document d orientation, puis par eux-mêmes. De leur travail, sortent certaines normes de santé au travail ou des normes plus générales sur les conditions de travail. Pour preuve, on a vu naître ces dernières semaines le contrat de génération qui est le pur produit d une production type article L. 101-1 du Code du travail. 4) La prépondérance des questions «santé-travail» Si certaines négociations portent directement sur la santé au travail, en réalité, quand on regarde le dernier bilan des négociations collectives, qui portaient spécifiquement sur les conditions de travail au niveau des branches ou de l entreprise, il en existe très peu. Il ne faut pas s arrêter à cela. Aujourd hui, les caractéristiques des conditions de travail et de la santé au travail sont «nichées» dans d autres négociations à portée plus large. La question des conditions de travail et de la santé au travail est suffisamment importante pour qu elle soit posée à chaque négociation, quel que soit le sujet principal de celle-ci. C est l exemple de la négociation collective sur les séniors : comment parler des seniors sans évoquer la santé au travail?... C est également le cas pour la négociation collective sur les 35 heures : faire abstraction de la question santé-travail paraît absurde. Le grand défi n est donc pas d avoir des accords labellisés santé et conditions de travail mais de faire en sorte qu à chaque négociation collective ces questions soient abordées et prises en compte. C est encore l exemple de la négociation collective sur la structure des salaires (part fixe et/ou part variable) qui concerne les conditions de travail c est une évidence! C est aussi l exemple de la négociation collective actuelle sur la pénibilité. On peut presque dire aujourd hui - et c est là la nouveauté -, qu en matière de négociation collective, rien n échappe à la santé au travail et à la question des conditions de travail, qui est présente partout. On n en est plus à l ANI de 1975, revisité en 1989, sur les conditions de travail, puisque désormais, la santé au travail s invite dans tous les domaines. Mais il est vrai qu en conséquence, la pression s accroît sur les partenaires sociaux qui ne peuvent plus occulter ces thématiques. Cela s explique parce qu en droit, il y a toujours un phénomène récurrent : la nature juridique a horreur du vide juridique ; donc, s il y a du vide, il faut le remplir, et c est là le rôle du juge. istnf.fr Pierre-Yves Verkindt, Paris 1, Panthéon Sorbonne 18 octobre 2013 5

Autrement-dit, moins il y a de prise en charge de la part des partenaires sociaux et de l Etat, plus le juge va s y investir. Cela lui a d ailleurs permis de faire des avancées considérables en matière de prévention (Cf. arrêts «amiante» du 28 février 2002 où les juges sont venus revisiter l obligation générale de prévention en obligation de sécurité de résultat). Mais dans la gestion du quotidien, l entrée des partenaires sociaux dans le jeu de la santé au travail est un élément de progrès social. Cela permet de remettre le juge dans sa place originelle : l interprétation et l application du droit. Le juge n intervient que dans les situations pathologiques, voire pathogènes, pour interpréter les textes et cela doit rester tel quel. Le recours systématique au juge a quelque chose d évidemment pathologique! En effet, la trop grande intervention du juge est un signe fort du dysfonctionnement, en amont, du dialogue social. C est toujours le signe d une maladie profonde! Et d ailleurs, le même raisonnement peut s appliquer en cas de prolifération importante de textes. L exigence du paritarisme s exprime à plusieurs endroits dans l action de la santé au travail. C est vrai au niveau régional et au niveau national, mais le paritarisme disparaît dans l entreprise au profit de la démocratie industrielle. Cette expression «démocratie industrielle» reste un vocable ancien qui n a pas rencontré le succès escompté en France. Il a pourtant une assise constitutionnelle avec l alinéa 8 du Préambule de la Constitution qui prévoit que «tout travailleur participe, par l intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu à la gestion des entreprises». Il s agit d un principe qui fait partie du bloc de constitutionnalité. D ailleurs, la validité des lois se mesure au respect de ce principe. Témoigne de cette démocratie industrielle : le Comité d Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail (CHSCT), qui constitue un lieu où s exprime en principe le travail réel et les questions relatives au fonctionnement de l entreprise et son impact sur les conditions de travail et la santé au travail. II La richesse et l ambivalence du fonctionnement des SST Il s agit ici d avoir un point de vue pointilliste pour aller à la source des SST, ce qui est à l œuvre et l enjeu de l évolution contemporaine. Comment l organisation SST traduit-elle ou non ces exigences de démocratie sociale? Les SST peuvent prendre de deux formes différentes : - Soit il s agit d un service d entreprise (service autonome) - Soit il s agit d un service interentreprises (SIST). Les textes prévoient l obligation pour une entreprise de moins de 500 salariés d adhérer à un SIST alors qu une entreprise avec 500 salariés ou plus a la faculté, soit d adhérer à un SIST, soit de créer son propre service autonome. La réforme est donc venue simplifier cette organisation en donnant une souplesse plus importante, avec de nouveaux seuils. On peut finalement se poser la question suivante : Qu est-ce qui est mieux au fond? istnf.fr Pierre-Yves Verkindt, Paris 1, Panthéon Sorbonne 18 octobre 2013 6

Pour certains, le service interentreprises, permet une «échappatoire» du médecin du travail quant à la prescription ou à l affluence et la pression exercée par l entreprise. Pour d autres, le service autonome permet une meilleure connaissance des salariés, une plus grande présence et disponibilité Le débat reste ouvert. Quid de la mise en évidence de la démocratie sociale et de la démocratie industrielle ou salariale? Il faut mesurer le fait que chaque type d organisation du SST renvoie à l un ou l autre des modèles de démocratie. Dans le service autonome : Le service autonome, (ou le service d établissement, le service inter-établissements, le service de groupe, le service de l unité économique et sociale ) dit «d entreprise», est dominé par l idée d une démocratie industrielle. En effet, il est administré par le chef d entreprise, sous la surveillance du Comité d entreprise (CE). Ce dernier est l organe emblématique de la démocratie salariale, comme le Comité central d entreprise, le Comité d établissements Chacun est dans son rôle. Sur l employeur pèse la responsabilité de la prévention et, le cas échéant, la réalisation du risque professionnel. Le CHSCT n est pas là pour établir la politique de prévention de l entreprise, même si la mise en place d une politique de prévention des risques professionnels suppose sa consultation, son avis. Dans certains cas, certaines décisions de l employeur pourront même être bloquées par l effet d une expertise CHSCT ou le refus de celui-ci d une consultation Le CHSCT n est pas le sujet agissant sur la prévention dans l entreprise, celle-ci pèse sur l employeur. Par exemple, s il y a une défaillance dans l exécution de la prévention des risques professionnels, c est bien l employeur et le chef d établissement dont on va rechercher la responsabilité civile et le cas échéant sa faute inexcusable, via le canal de la tarification AT/MP. Dans le service interentreprises : On a quelque chose de tout à fait original. Ce n est pas une forme de SST qui permet uniquement d éviter des pressions - même si elles doivent exister et l on en a des exemples - et d ailleurs, le fond de la question n est pas là. L originalité d un service interentreprises réside dans sa constitution actuelle, qui est un mixte intéressant et innovant entre la démocratie sociale et la démocratie industrielle ou salariale. On rattache ainsi à l idée de la démocratie sociale : - le paritarisme du Conseil d administration du SIST : Il est composé à 50% de représentants des employeurs et à 50% de représentants des salariés. - le paritarisme de la Commission de contrôle : Même s il est vrai que sa composition déséquilibrée ne révèle pas une parité arithmétique, il y a bien une parité de vision : la Commission de contrôle est composée à 2/3 de salariés et le Président est désigné parmi les représentants des salariés. Il faut donc bien faire attention à ne pas confondre le paritarisme et la parité. On a bien deux notions différentes avec la parité arithmétique et la parité de vision. Par conséquent, ce n est pas parce qu il y a une inégalité de représentation que l idée du paritarisme a disparu. istnf.fr Pierre-Yves Verkindt, Paris 1, Panthéon Sorbonne 18 octobre 2013 7

- le fait que les représentants au Conseil d administration sont désignés par les organisations syndicales représentatives au niveau national et interprofessionnel Or les avis des organisations syndicales représentatives des employeurs et des salariés au niveau national seront nécessaires dans le cadre de la production du Contrat Pluriannuel d Objectifs et de Moyens (CPOM). Nous sommes bien dans la logique d avis de la démocratie sociale, versant non pas paritaire, mais versant dit «état consultatif». Sont rattachables à l idée de la démocratie industrielle : - Le fait que le Président et le Trésorier du Conseil d administration soient élus respectivement parmi les représentants des employeurs et les représentants des salariés : Ici nous sortons de la logique paritaire, mais nous sommes proches de la démarche de la démocratie industrielle et de l alinéa 8 du Préambule de la Constitution. - Le fait que la composition et la structure du Conseil d administration ne puissent pas être modifiées par la voie conventionnelle. Ainsi, la démocratie sociale est bien présente, mais elle bute sur deux choses : 1 ère idée : L Etat doit prévenir toute forme de dérive des Conseils d administration Des domaines ne sont pas négociables, notamment celui de l organisation de la santé au travail sur le plan de la structure du SST (organisation paritaire du Conseil d administration). La démocratie sociale ne peut donc pas tout faire. La négociation collective vient buter sur la démocratie «salariale» et notamment sur la vérification du fonctionnement du SST. 2 ème idée : La démocratie industrielle et l article 11 de la Loi du 20 juillet 2011 Cet article prévoit que toute convention intervenant entre le service de santé au travail et son président, son directeur ou l un de ses administrateurs doit être soumise à l autorisation préalable du Conseil d administration (article L. 4622-15 du Code du travail). Avec cet article, on met sous le contrôle du Conseil d administration toute forme de transaction, de convention passée entre le SST et l organe dirigeant. On ne peut donc pas tout faire, il faut respecter des règles plus strictes, plus impératives, comme l ordre public, qui n est pas négociable. En conclusion : On a certes beaucoup parlé de contrat, de conventionnement des mots à la mode. Mais le contrat ne se décrète pas, mais il se construit sur certaines bases et exigences. Ces exigences de base relèvent du droit des contrats : la bonne foi et la loyauté ainsi que la recherche de l équilibre et de l égalité entre les partenaires au contrat. Le contrat ne peut pas tout. Il n est pas certain que ce soit le contrat en lui-même qui compte, et cela quelle que soit la dénomination qu on lui donne. Ce qui paraît plus important, c est le processus. En istnf.fr Pierre-Yves Verkindt, Paris 1, Panthéon Sorbonne 18 octobre 2013 8

réalité un juriste peut valoriser le contrat car c est l instrument juridique par essence. Mais ce qui nous occupe, c est avant et après le contrat. Ce qui compte, c est la façon dont on fabrique le contrat. On peut toujours avoir un contrat avec des discussions basiques. Dans ce cas, il sera quelque chose de «sec», qui ressemble à un article règlementaire du Code du travail, et personne ne gagnera rien. Il faut prendre de la distance avec les règles juridiques. Ce qui compte, c est avant tout la qualité «d avant» et «d après», car au fond le contrat est un épisode particulier. Ce qui compte c est bien l avant et l après. Dans le domaine de la Santé au travail, la carte de la démocratie sociale et salariale est privilégiée. On assiste, dans ce domaine, à une prédominance du contractuel. Cela peut avoir : - Un effet positif : il permet de démontrer le travail réel - Un effet négatif : il ne faut pas déifier le contrat en pensant qu une fois le contrat conclu, tout est terminé. Une fois le contrat passé, le travail ne fait que commencer. istnf.fr Pierre-Yves Verkindt, Paris 1, Panthéon Sorbonne 18 octobre 2013 9