Luxe : la valse des grands au Moyen-Orient



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Transcription:

Luxe : la valse des grands au Moyen-Orient Dossier réalisé par Bachir el-khoury Longtemps poche visible du luxe au Moyen-Orient, Beyrouth cède désormais sa place à une nouvelle capitale régionale : Dubaï, devenue la cible des sociétés les plus prestigieuses du monde du luxe. La ruée vers le Golfe des grandes multinationales s explique par l abondance de liquidités en circulation dans l eldorado pétrolier. Pendant de longues années, le Liban a joué un rôle prépondérant dans le secteur du luxe au Moyen-Orient, en dépit de la petitesse de son marché. Des groupes libanais détenaient souvent la représentation des grandes marques internationales pour la région, ces dernières ayant longtemps ignoré cette zone, préférant se reposer sur des distributeurs locaux. L intérêt des acteurs mondiaux du luxe pour le Moyen-Orient et le Golfe en particulier change la donne depuis une décennie. Les agents et les distributeurs libanais sont de plus en plus souvent réduits à leur espace national, voire à une couverture levantine. Car le gros des ventes se fait désormais en Arabie saoudite, aux Émirats arabes unis, au Koweït où la tendance est à 72 - Le Commerce du Levant - Décembre 2007

l implantation directe des géants du secteur, ou à la collaboration avec des groupes de distribution régionaux d envergure, majoritairement installés dans le Golfe. Si le Moyen-Orient ne représente aujourd hui que 5 à 10 % des ventes mondiales (selon plusieurs estimations, aucun chiffre officiel n étant disponible), soit un marché d une dizaine de milliards d euros, les géants du secteur y voient un grand potentiel de développement. En témoigne par exemple l augmentation de 15 % des exportations de produits de luxe français vers le Golfe en 2006. La nouvelle flambée des prix du pétrole avec un baril fluctuant aujourd hui autour de 100 dollars fait frémir plus d une marque mondiale du luxe qui veut profiter de la concentration élevée de richesses dans la région et du goût prononcé des consommateurs pour le luxe. «C est un marché important pour nous. Notre chiffre d affaires a augmenté de 33 % lors de notre dernier exercice annuel», souligne un porte-parole de Richemont Dubaï, la filiale moyen-orientale de l un des trois leaders 74 - Le Commerce du Levant - Décembre 2007

mondiaux du luxe. «Sur la période 2000-2007, nos ventes au Moyen-Orient ont plus que triplé», affirme de son côté Didier Picard, PDG de la filiale Estée Lauder pour le Moyen- Orient, l Afrique et l Inde. Au cours des dix premiers mois de l année en cours, les produits du groupe (toutes marques confondues) vendus par les détaillants ont augmenté de 24 %, ajoute Picard. La part croissante du Golfe dans leur chiffre d affaires pousse plusieurs marques à renforcer leur contrôle sur ces marchés. Plusieurs formules coexistent : filiale, bureau régional, joint-venture avec des groupes de distribution, etc. «La chaîne de distribution du luxe est en profonde mutation depuis plus d une décennie. Dans les années 1970-1990, quatre acteurs intervenaient : la maison mère, le distributeur régional, le distributeur local et le détaillant», explique Pierre Aïn Malak, PDG de la société Pamco, distributrice de plusieurs produits de beauté moyen et haut de gamme au Liban et dans d autres pays du Levant. La nouvelle tendance s est amorcée au début des années 1990 : les sociétés mondiales du luxe ont cherché à marquer leur territoire «afin de mieux contrôler le marché, d augmenter les ventes, de récupérer les marges de profit jusque-là captées par les distributeurs régionaux et locaux, et de mettre fin aux litiges qui les opposaient dans certains cas aux distributeurs». En quelques années, Dubaï est ainsi devenue la capitale du luxe dans la région : environ 400 marques y sont représentées aujourd hui. Ce haut lieu du tourisme et des affaires qui accueille une clientèle très hétérogène (russes, indiens, anglais, etc.) constitue également une plaque de réexportation vers le Golfe et d autres pays du Moyen-Orient. Richemont, l un des trois géants mondiaux du luxe (avec LVMH et PPR), a ainsi opté pour l implantation régionale à travers une filiale baptisée Richemont Dubaï dont le réseau est organisé par marques. «Dix de nos seize maisons sont représentées au Moyen-Orient», souligne un porte-parole du groupe. La stratégie de LVMH est différente. Le groupe du Français Bernard Arnault n a créé une filiale à Dubaï que pour un seul segment de sa gamme, les montres et les bijoux, sous le nom de LVMH Watches & Jewelry. Pour d autres catégories de produits, la distribution est encore assurée par des acteurs régionaux, en l occurrence le groupe Chalhoub, l un des plus gros du marché qui détient 200 marques exclusives (dont Berluti, Celine, Fendi, Louis Vuitton, etc.). Certains groupes ont au contraire choisi de renforcer davantage encore leur intégration verticale en s attaquant à la vente au détail. C est par exemple le cas de Swatch Group Moyen-Orient (la filiale dans la région du leader suisse de l horlogerie). L année 2006 a été dominée par l ouverture de nombreux points de vente portant les noms des marques du groupe. Deux d entre elles, Breguet et Blancpain, ont ouvert chacune leur première boutique dans la région à Dubaï et au cours de la même année Jacquet Droz y inaugurait aussi deux nouveaux points de vente. Estée Lauder, le leader américain des produits de beauté, est un des pionniers de cette implication directe au Moyen-Orient. En 1992, la société mondiale, au chiffre d affaires actuel de plus de sept milliards de dollars, installe un bureau de représentation à Dubaï afin d aider les distributeurs locaux à promouvoir les marques du groupe. C est en juillet de cette année que le bureau s est finalement transformé en filiale à part Pierre Aïn Malak, PDG de Pamco : «La chaîne de distribution du luxe est en profonde mutation depuis plus d une décennie.» Tony Salamé, PDG de Aïshti : «Nous traitons directement avec les maisons mères pour la majorité de nos marques.» Imad Fawaz, PDG de Sonodis : «Une étroite coopération a lieu entre l agent local et le fournisseur régional. Parfois même, il y a partage des dépenses publicitaires.» 76 - Le Commerce du Levant - Décembre 2007

entière avec, en parallèle, un centre de distribution, destiné à approvisionner les partenaires locaux dans les pays où le groupe s appuie sur un distributeur local (Émirats arabes unis, Koweït, Jordanie ) ou les détaillants dans les pays où les livraisons se font en direct. «Au Liban, nous écoulons nos produits dans onze points de vente multimarques et le contact a lieu directement entre la filiale régionale et les détaillants», explique Viviane Hélou, directrice-pays au Liban. Le phénomène de régionalisation concerne la majorité des distributeurs libanais qui coopèrent désormais avec les filiales ou les bureaux de représentation installés à Dubaï sur le plan logistique et marketing. Qu il s agisse des quantités fournies, de la publicité ou d autres paramètres organisationnels, «une étroite coopération a lieu entre l agent local et le fournisseur régional. Parfois même, il y a partage des dépenses publicitaires» souligne Imad Fawaz, PDG de la société Sonodis (détenue par la Holding Fawaz). Sa société qui distribue les Parfums Christian Dior au Liban, en Syrie et en Irak, travaille sous la houlette de Dior Orient, une joint-venture créée à Dubaï en 2006 entre Christian Dior (du groupe LVMH) et le groupe Chalhoub. Sonodis traite également avec PUIG Middle East, filiale du groupe espagnol PUIG, pour la distribution des parfums Nina Ricci et Paco Rabane. L enseigne Wadih Mrad est par exemple rattachée à Richemont Dubaï pour les montres Alfred Dunhill qu elle représente au Liban. Pour les parfums Kenzo, l agent local (Abou Adal) traite directement avec une filiale régionale implantée à Beyrouth par le groupe LVMH (Kenzo Parfuma). De même, pour les parfums Montblanc et Gucci dont Procter & Gamble a racheté les licences à Richemont et PPR, la société libanaise Romance détenue par le groupe Fattal dépend du bureau de Procter & Gamble à Dubaï. Si Beyrouth ne joue plus le même rôle régional, certains groupes libanais continuent à desservir les marchés régionaux, à partir de Dubaï. Par exemple, le groupe Gédéon, dirigé par le Libanais Tony Gédéon, demeure l agent exclusif des produits prêts-à-porter et accessoires Givenchy dans 17 pays du Moyen- Orient. Le marché libanais conserve malgré tout une place à part dans la géographie du luxe moyen-oriental, en raison de la maturité de la clientèle, d une part, et de l ancienneté des liens commerciaux qui y ont été noués, d autre part. Par exemple, lorsque L Oréal, qui possède une division de produits de beauté haut de gamme (Lancôme, Biotherm, Helena Rubinstein, Cacharel, etc.), a décidé de s implanter directement dans la région, le leader des produits de beauté et de soins y a créé deux filiales, l une à Dubaï en 1998 et l autre au Liban en 2000. Si les deux filiales du groupe français ont pris la relève de ses agents locaux (comme les sociétés Abou Adal et Fattal au Liban), la chaîne de distribution diffère d un pays à l autre. «L Oréal-Liban gère le marché libanais sans l intervention d une tierce partie, alors que pour les marchés syrien, irakien et jordanien qu elle couvre aussi, la filiale s appuie sur des agents locaux pour la distribution», explique Malek Bekdache, PDG de L Oréal-Liban. «Pour les parfums Yves Saint Laurent et Boucheron, le contact a lieu directement avec les maisons mères en France. Ces deux sociétés font en effet la distinction entre le Levant et les autres pays du Moyen-Orient, notamment les pays du Golfe, car la mentalité et le mode de vie diffèrent d une région à l autre», souligne Ziad Salamoun, PDG de Romance. Même son de cloche du côté de Aïshti : «Nous traitons directement avec les maisons mères pour la majorité de nos marques. Nous passons par les directions régionales basées à Dubaï uniquement pour deux ou trois d entre elles», confirme Tony Salamé, PDG du groupe. C Le secteur se porte plutôt bien au Liban Le luxe est toujours l un des secteurs qui résistent le mieux aux crises économiques. Le constat s applique au Liban, mais avec des bémols. Aucune statistique n est cependant disponible pour évaluer la taille et l évolution du secteur. Si certains segments et certaines marques sont en croissance cette année, d autres en revanche font grise mine. En tout état de cause, le secteur est loin de son apogée en 2004, principalement en raison de la désertion des touristes qui représentent une partie importante de sa clientèle. «Aucune de nos marques n a été épargnée par la crise» affirme Tony Salamé, PDG de Aïshti, détaillant exclusif de plusieurs produits de luxe (habits et accessoires Fendi, Yves Saint Laurent, montres Cartier etc.). Les touristes, notamment ceux provenant du Golfe, représentaient dans certains cas la majorité des clients du luxe au Liban. «Avant les années 2006 et 2007, 70 % de nos clients de la boutique d Achrafié étaient des 78 - Le Commerce du Levant - Décembre 2007

Jacques Atamian, PDG de la société éponyme : «Les ventes de notre société, qui distribue entre autres dix des marques fournies par Swatch, ont augmenté de 10 %.» étrangers», confirme Roger Mrad, PDG de la société Wadih Mrad, détaillant exclusif de produits tels que les montres FRED et Alfred Dunhill. Bien que les touristes à fort pouvoir d achat leur fassent défaut, nombreux sont les distributeurs ou les détaillants locaux qui ont maintenu le même chiffre d affaires voire connu une certaine croissance. «Nos ventes se maintiennent grâce aux Libanais expatriés qui ont compensé la défection de la clientèle étrangère. Cependant, la quantité des produits vendus a diminué», ajoute Mrad. La hausse de l euro explique en partie ce phénomène. «La croissance est surtout due à l augmentation des prix, non à une hausse des quantités vendues», explique Pierre Aïn Malak, PDG de Pamco, société distributrice de plusieurs produits moyen et haut de gamme au Liban et dans d autres pays du Levant. Le pouvoir d achat intact des catégories sociales les plus riches contribue également à cette progression. Par exemple, les montres les plus chères trouvent toujours preneur, même à 50 000 euros voire davantage. Les ventes de la société Atamian, distributeur entre autres de dix des dix-huit marques fournies par le leader de l horlogerie Swatch (dont les marques Blancpain, Breguet, Longines et Tissot, etc.) ont augmenté de 10 %, d après Jacques Atamian, PDG de la société. «Contrairement à l industrie du moyen de gamme, le haut de gamme a été épargné par la crise», souligne Raymond Abou Adal, PDG du groupe éponyme qui distribue plusieurs produits de luxe (dont les parfums Kenzo et les montres Fendi, Piaget et Vacheron Constantin). Le secteur de la parfumerie et des produits cosmétiques est celui qui résiste le mieux. «Les ventes des parfums Christian Dior ont augmenté de 15 % au cours des neuf premiers mois de l année, souligne Imad Fawaz, PDG de Sonodis, une société qui appartient à la holding Fawaz et distribue, entre autres, les parfums Christian Dior, Nina Ricci et Paco Rabane. Même son de cloche chez Romance, une société du groupe Fattal qui représente, entre autres, les parfums Cartier, Gucci et Yves Saint Laurent : «Nos ventes globales ont augmenté de 23 % au cours des neuf premiers mois de l année», souligne le PDG Ziad Salamoun. Les ventes des parfums et montres Boucheron, distribués par Romance, ont affiché le meilleur résultat : +44 % sur la même période. Selon Salamoun, 2007 a été une «très Ziad Salamoun PDG de Romance, société du groupe Fattal : «Nos ventes globales ont augmenté de 23 % au cours des neuf premiers mois de l année.» bonne année malgré tout. La croissance observée est en partie le résultat d un changement du comportement des consommateurs appartenant à la classe moyenne ; ceux-ci se sont abstenus durant cette période trouble de faire des investissements substantiels, à savoir l achat d un appartement ou d autres biens de valeur. Les épargnes réalisées leur ont donc permis d acheter en plus grande quantité des produits qui leur procurent du plaisir. Le panier d achat est d ailleurs passé de 50 à 100 dollars en moyenne par individu». C est aussi et surtout cette caractéristique particulière des Libanais qui a épargné le secteur des effets de la crise : l amour du luxe. C Un marché contrôlé par des géants mondiaux Quoique l industrie du luxe compte aujourd hui quelque 20 000 entreprises à travers le monde, la tendance dans le secteur est plus que jamais à la concentration. Cet empire d élégance et de raffinement regroupe la haute couture, la joaillerie, la bijouterie, la maroquinerie, la parfumerie, les cosmétiques et la cristallerie, et pèse aujourd hui près de 160 milliards d euros, selon une étude réalisée par le cabinet américain Bain & Company pour le compte d Altagamma, l association italienne des entreprises du luxe. Trois conglomérats, LVMH, PPR (Pinault Printemps Redoute) et Richemont, assurent à eux seuls 15 % des ventes, soit 24 milliards d euros en 2006. LVMH, le leader mondial du luxe, détient, parmi d autres, les maisons Christian Dior, Louis Vuitton, Givenchy, Moet et Chandon des sociétés qui valent déjà plusieurs dizaines de millions de dollars. PPR possède Gucci, Yves Saint Laurent, Balenciaga, Boucheron, Stella McCartney, etc. Quant au géant suisse Richemont, ses fleurons sont Cartier, Lancel, Montblanc, Vacheron Constantin À côté de ces trois mastodontes, d autres groupes se partagent le gâteau : L Oréal, Estée Lauder, Chanel ou Swatch sont, parmi d autres encore, les masterplayers du luxe mondial. Ils sont contrôlés par une poignée 80 - Le Commerce du Levant - Décembre 2007

d hommes, parmi les plus riches de la planète. Bernard Arnault, patron de LVMH, est, selon le dernier classement de Forbes, l homme le plus fortuné de France avec une fortune estimée à 26 milliards de dollars. Sa compatriote, Liliane Bettancourt, principale actionnaire du groupe L Oréal, compte également parmi les personnes les plus riches du monde avec une fortune de 17 milliards de dollars. François Pinault (fondateur de PPR) et Nicolas Hayek (fondateur du groupe Swatch, d origine libanaise) pèsent, quant à eux, respectivement 7 et 2,5 milliards de dollars. Les Français sont largement représentés parmi ces rois du luxe, car la France, longtemps associée au luxe, se taille la part du lion ; elle compte aujourd hui à elle seule près du tiers des ventes mondiales du secteur. Conglomérats et cavaliers seuls ont la même préoccupation : proposer de nouveaux produits de haute qualité au plus grand nombre possible de clients, car il n y a plus guère que la haute couture dont la clientèle potentielle est extrêmement limitée : près de 4 000 personnes dans le monde. Les groupes multimarques appliquent en effet à leur portefeuille des méthodes et des stratégies qui ont fait leurs preuves sur les marchés de masse. Le phénomène est tel que des spécialistes de la grande consommation s intéressent aussi au créneau du luxe, à l instar de Procter & Gamble qui multiplie les opérations d acquisitions ou d exploitation des licences. Parti de rien, le géant de la lessive et de l hygiène féminine est devenu en dix ans l un des grands de la parfumerie de luxe ; il a déjà dans son giron les licences Lacoste, Hugo Boss, Laura Biagiotti, Dolce et Gabbana, etc. Le rachat de la société Wella lui a permis d ajouter à son portefeuille les parfums Rochas, Gucci, Escada, Dunhill et Montblanc. Dernièrement, une nouvelle griffe, celle du couturier italien Valentino, est tombée dans l escarcelle de sa division Prestige Beauté. P & G se hisserait ainsi dans le top 3 des grands du parfum, après L Oréal et Estée Lauder. Les opérations d acquisitions et de fusions se multiplient au moment où des études promettent au secteur du luxe un bel avenir, avec l émergence de nouvelles classes fortunées notamment dans les pays émergents. Entre 2004 et 2006, le nombre de millionnaires dans le monde a augmenté de 8,2 à 9,5 milions de personnes, soit une hausse de 15,8 % selon le dernier rapport World Wealth Report (Merrill Lynch et Capgemini). L an dernier, le chiffre d affaires mondial du luxe a fait un bond de 9 % par rapport à 2005, d après les résultats du 6e baromètre annuel du marché mondial des produits de luxe, réalisé par Bain & Company. Quelque 85 % des 200 compagnies analysées pour ce rapport ont connu une hausse de leurs activités en 2006, les accessoires étant le secteur le plus dynamique. Sacs à main et autres chaussures ont été très plébiscités par les clients, avec une hausse des ventes de 15 %. La mode masculine est également en plein essor (+11 %), ainsi que la joaillerie et l horlogerie. L Europe reste le premier marché du luxe, avec une contribution de 42 % à la hausse globale du chiffre d affaires en 2006. Le marché Asie- Pacifique (hors Japon) a crû de 18 % par rapport à 2005, une croissance deux fois plus élevée que la moyenne. C est la Chine qui est en pointe, avec une croissance annuelle de 30 %, suivie par l Inde : +25 %. Les différentes maisons sont implantées depuis plusieurs années sur ces marchés à forte démographie, où une élite sociale et économique est avide de leurs produits. Par exemple, Louis Vuitton, un pionnier de l industrie du luxe en Chine, s est installé dès 1992 à Pékin et en 1995 à Shanghai. Armani dont la première boutique a ouvert en 1998 en Chine devrait compter 30 points de vente en 2008. Alimenté par 300 000 millionnaires (selon une étude menée par Merrill Lynch fin 2005), le marché chinois est le troisième marché du luxe dans le monde. Il représente 12 % des ventes mondiales, d après Goldman Sachs, qui estime que la Chine pourrait dépasser d ici à dix ans les États-Unis et le Japon. Ces derniers représentent respectivement 17 et 41 % des ventes mondiales. D autres nouveaux marchés de luxe se développent : le Brésil, la Russie, l Inde et les pays du Golfe sont de plus en plus la cible des grands groupes du secteur. La croissance mondiale du marché du luxe devrait s accentuer cette année, même si l euro fort en engloutit une bonne partie. La quasi-totalité de la production est en effet réalisée dans la zone euro par des maroquiniers, joailliers, parfumeurs et couturiers haut de gamme essentiellement français et italiens. Bain & Company estime que le marché mondial devrait avoir progressé de 7-9 % en 2007, mais que, sans l envol de l euro, il aurait crû de 10-12 %. C 82 - Le Commerce du Levant - Décembre 2007