PARTAGER #6. Création et société numérique. www.cuberevue.com. Avril 2014



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Transcription:

Création et société numérique PARTAGER #6 Avril 2014 PERSPECTIVES : Véronique Anger-de Friberg, Hortense Gauthier, Carlos Moreno, Muriel de Saint-Sauveur POINTS DE VUE : Franck Ancel, Olivier Auber, Hervé Azoulay, Jean-Christophe Baillie, Jean-Jacques Birgé, Simon Borel, Cécile Bourne-Farrell, Mikki Braniste, Carol-Anne Braun, Philippe Cayol et Marta Grech, Nicolas Dehorte, Françis Demoz, Emmanuel Ferrand, Maxime Gueugneau, Étienne Krieger, Janique Laudouard, Marie-Anne Mariot, Gloria Origgi, Clément Vidal PRESQUE FICTIONS : Étienne-Armand Amato, Philippe Chollet, Michaël Cros, Jacques Lombard, Éric Sadin, Soudoplatof Serge ENTRETIEN : Sylvain Kern www.cuberevue.com

1 Création et société numérique La Revue du Cube Parce qu à l ère du numérique, le mouvement, la porosité et le foisonnement recomposent le monde, la Revue du Cube entend croiser les regards de praticiens, d artistes, de chercheurs, de personnalités et d experts venus d horizons différents. Chaque numéro s articule autour d une thématique qui traduit les tendances émergentes. Articles, points de vue, interviews, entretiens vidéo, débats, empreintes sonores ou visuelles, toutes les formes d expression ont droit de cité dans la Revue du Cube La Revue est éditée par Le Cube, centre de création numérique. Comité éditorial : Nils Aziosmanoff, Rémy Hoche Avec la contribution de Carine Le Malet, Isabelle Simon-Gilbert, Hélène Gestin www.cuberevue.com Le Cube, centre de création numérique Pionnier sur la scène culturelle numérique française, Le Cube est un lieu de référence pour l art et la création numérique. C est un espace ouvert à tous, quel que soit son âge et sa pratique du numérique, pour découvrir, pratiquer, créer et échanger tout au long de l année, autour d ateliers, de formations, d expositions, de spectacles, de conférences et de rencontres avec les artistes et les acteurs du numérique. Le Cube organise tous les deux ans un festival international d art numérique, ainsi qu un prix pour la jeune création en art numérique. Depuis 2011, Il a également lancé sa revue en ligne. Créé en 2001 à l initiative de la Ville d Issy-les-Moulineaux, Le Cube est un espace de la Communauté d Agglomération Grand Paris Seine Ouest, géré et animé par l association ART3000. Il est présidé par Nils Aziosmanoff. Le Cube 20 cours St Vincent 92 130 Issy-les-Moulineaux 01 58 88 3000 / contact@lecube.com www.lecube.com

3 SOMMAIRE #6 PARTAGER Nils Aziosmanoff - «Edito»... 5 PERSPECTIVES : Véronique Angers-de Friberg - «Partager sans diviser : un pari sur l avenir»... 9 Hortense Gauthier - «Pour de nouvelles expériences d écriture collective»... 12 Carlos Moreno - «Le partage, une notion au cœur de la ville de demain»... 15 Muriel de Saint-Sauveur - «Le partage a encore de belles années devant lui»... 19 POINTS DE VUE : Franck Ancel - «She Loves Control»... 25 Olivier Auber - «Les Banquiers de la Pensée»... 27 Hervé Azoulay - «Le Partage»... 29 Jean-Christophe Baillie - «La robotique : vers un monde plus humain»... 31 Jean-Jacques Birgé - «J aimerais croire en l avenir»... 33 Simon Borel - «Partager sans partage ou partage sans partagé?»... 35 Cécile Bourne-Farrell - «Partager du Je au Nous»... 37 Miki Braniste - «Du fast vers le slow, du online vers le offline»... 39 Carol-Ann Braun - «Parenthèses sur les enjeux de la représentation partagée»... 41 Philippe Cayol et Marta Grech - «La ligne de partage»... 44 Nicolas Dehorter - «Le partage comme moteur du crowdfunding»... 47 Francis Demoz - «Je partage, tu partages, il partage»... 50 Emmanuel Ferrand - «TeX contre TEDx, paradoxes du partage du savoir scientifique à l ère numérique»... 52 Maxime Gueugneau - «C est simple, il suffit de devenir Dieu»... 54 Etienne Krieger - «De Neandertal à Wikipédia : le partage des connaissances à l ère numérique»... 56 Janique Laudouard - «Une mémoire numérique participative»... 58 Marie-Anne Mariot - «Si tu n es pas généreux quand tu es pauvre, tu ne le seras pas quand tu seras riche»... 61 Gloria Origgi - «Ce que partager veut dire»... 63 Clément Vidal - «Le Cube du partage»... 65 PRESQUE FICTIONS : Étienne-Armand Amato - «Partager l incommunicable : un paradoxe rentable?»... 71 Philippe Chollet - «Je pense donc je suis mais qui pense?»... 74 Michaël Cros - «Témoignages présent, futurs, et futurs lointains»... 77 Jacques Lombard - «Un petit coin de paradis»... 80 Eric Sadin - «SoftLove»... 83 Serge Soudoplatoff - «La planche»... 86 ENTRETIEN : Syvlain Kern... 90

5 #6 Edito Partager! Nils Aziosmanoff D ici la fin du siècle, l humain deviendra omniscient, ubiquitaire et immortel. Après un voyage de deux cent mille ans, l homo sapiens s apprête à rencontrer son successeur dans la grande chaîne de l évolution. Bientôt doté d un accès permanent à l ensemble du savoir planétaire, présent en tout lieu et capable d agir à distance grâce à ses multiples extensions, l homo numericus aura une espérance de vie de 1000 ans. Cette vision de science fiction deviendra bientôt réalité grâce à l accroissement continu de la puissance informatique lié au développement du progrès technologique et scientifique. La convergence des innovations ouvre de nouveaux paradigmes qui, de façon systémique, renouvellent nos réalités : les biotechnologies prennent le contrôle du vivant ; les nanotechnologies donnent vie à la matière ; la robotique autonome supplée en toute chose ; la big data prédit le réel ; l ubiquité informatique anéantit l espace et le temps ; l intelligence artificielle externalise les capacités cognitives ; les réseaux sociaux ramifient l intelligence collective ;... ; cette liste à la Prévert s allonge chaque jour un peu plus. La révolution numérique suscite une ère de créativité sans précédent dans tous les domaines, elle émerge tel le sommet d un iceberg géant, dont Michel Serres dit «qu il va bientôt se retourner». L extraordinaire saga de la découverte des Amériques, il y a cinq siècles, et les changements qu elle a opérés sur la société européenne, ne sont en rien comparables aux promesses de ce nouveau monde. Ses dimensions et l éventail de ses ressources sont sans commune mesure. Car l humanité s apprête à accoster un territoire qui va de l infiniment petit aux confins du réel, des origines de l univers à sa destinée, de l atome à la biodiversité, de l intime à la conscience globale. En faisant de la complexité son nouveau terrain de jeu, l homme connecté va naître à l immensité. Il va «sortir du berceau». Tel un «amour naissant», cet éveil s opère au cœur du corps social «qui dans la grisaille du présent attend un jour nouveau, une vie nouvelle, un printemps nouveau 1». Une force généreuse se mobilise et se propage sur les réseaux. Partout des volontaires s engagent, prêts au défi de soi et aux utopies nouvelles. Mais si cette jeune aspiration se heurte ça et là aux peurs et replis d une civilisation en crise, elle se confronte plus encore aux modalités de sa propre émancipation. Le passage d une société verticale à la société horizontale nécessite son adaptation à un milieu plus complexe. Les reliefs auparavant délimités du chemin collectif s estompent dans les flux entrelacés de la société connectée. La maille culturelle du tissu

6 social s effiloche au souffle de la diversité globale. Exit les balises de l imaginaire collectif. Mythe, légende, religion, récit, chant politique et messe médiatique, la narrativité toute entière s étiole dans les remous du monde fluide. L hyper récit, récit de tous les récits, devient le théâtre du réel, où l être omniscient, ubiquitaire et bientôt immortel, expérimente un nouvel espace temps. Car l Histoire, il le pressent, s écrira bientôt à l encre de deux forces vives, celle des machines qui pensent, et celle de la multitude connectée. D un côté, la data indexe le réel. Pilotés par l analyse prédictive de nos faits et gestes, les environnements intelligents deviennent des compagnons attentifs qui anticipent nos désirs et les servent. Pour notre plus grande gloire. Mais en cherchant à domestiquer le hasard pour s offrir un monde parfait, l homme prend le risque de s abandonner tout entier à la puissance des machines. De l autre, les foules intelligentes aspirent au progrès pour repenser la place de l individu au sein de la biodiversité. Empathie, altruisme, partage, innovation sociale et co-créativité sont les forces vives d une nouvelle nation transfrontalière. Elles ne sont pas perçues comme une utopie mais comme une nécessité, un horizon à dépasser pour réussir à affronter les lourdes menaces qui pèsent sur l humanité : pollution, changement climatique, faim dans le monde, crise économique, tensions sociales, sans parler d une possible disparition de l espèce humaine d ici la fin du siècle, au seuil même de son immortalité! Pour de nombreux experts, le plus grand défi est notre capacité à répondre collectivement à tous ces problèmes. «Coopérer n est plus une option mais la seule solution 2». C est pourquoi, bien plus qu une cité idéale conçue pour la splendeur de l homo numericus, c est une fabrique collective de l utopie qu il nous faut inventer. Un laboratoire planétaire maillant de multiples initiatives, pour co créer, cultiver et polliniser les bonnes pratiques, et distribuer les fruits abondants de l intelligence collective. L édification de cette «citée monde» est un défi politique majeur. Elle peut devenir le théâtre d exclusion et d aliénation, tout comme elle peut constituer le terreau fertile d un renouveau créatif. En offrant sa plasticité numérique à de multiples expériences, elle peut devenir une plateforme ouverte et participative, productrice de sens partagé. La living city apparaît comme une arche salutaire, un nouvel édifice du «agir ensemble» dont nous serions tous les architectes. 1. In Le choc amoureux, Francesco Alberoni, Edts Pocket. 1979 2. In La revue KaiZen, éditorial de Cyril Dion, novembre 2013 Nils Aziosmanoff : «Edito» / La Revue du Cube #6

#6 PERSPECTIVES Véronique Anger-de-Friberg, Hortense Gauthier, Carlos Moreno, Muriel de Saint-Sauveur

9 #6 Partager sans diviser : un pari sur l avenir Véronique Anger-de Friberg Présidente fondatrice du Forum Changer d Ère Partager. Un mot plein de promesses qui évoque l altruisme, le don, l échange, la générosité, la réciprocité, la solidarité, la communauté, la confiance, la fraternité Fraternité. Une valeur indissociable de l idéal républicain de liberté et d égalité en ces temps de grandes mutations et d incertitudes, de changement d ère 1. Partager revient à prendre conscience de la réalité d une «communauté de destin pour l humanité entière» telle que décrite par Edgar Morin. On partage dans un esprit fraternel. Avec ses Frères humains. Comment revaloriser la fraternité dans un monde globalisé de plus en plus inégalitaire et individualiste, où règne un pouvoir sans partage? Le pouvoir sans partage, c est aussi diviser pour régner Partager se montre parfois faux-ami. Pour tous ceux qui associent partager et diviser, au sens de désunir, séparer, cloisonner, fragmenter, compartimenter partager ne peut mener qu à la mésentente. Ainsi, partager revêt des sens antinomiques dès lors que les finalités sont opposées. Ce peut être la pire ou la meilleure des choses... Comment, dans ce contexte, inventer de nouvelles solidarités pour partager pouvoirs et ressources? Comment bâtir une société plus équitable? Diviser, non pour régner, mais pour multiplier Tout l enjeu de ce siècle sera de diviser, non pour régner, mais pour multiplier. L individualisme a vécu et, à l ère digitale, partager devient la norme. On accepte moins de propriété pour davantage de liberté. On accepte d accéder au lieu de posséder (un bien plus grand en co-location au lieu d un bien à soi seul ; pléthore d informations en échange d un peu d information).

10 L émergence des technologies de l information a permis de multiplier et d améliorer les savoirs, d optimiser les moyens et les pratiques, de favoriser les interactions entre individus, dont l imagination et le potentiel d innovation se trouvent décuplés. Désormais, on partage la connaissance et l information, les moyens pour permettre à tous les habitants de la planète d en bénéficier. Du partage d information à la colocation ou au covoiturage, de la production et la revente d électricité de particulier à particulier en passant par la recherche scientifique en open science, partager concerne tous les pans de la société et de l économie. Partager, c est aussi une nouvelle façon de concevoir sa relation aux autres, de penser le monde. Un monde où la compétition cède la place à la coopétition, où les foules disposent -grâce aux réseaux sociaux- d une capacité de contestation et d action de plus en plus importante et efficace. Pour citer Joël de Rosnay : «Cette nouvelle approche permettrait de passer d un système de rapports de force, de concurrence et de compétition acharnée, à un système de rapports de flux et d échanges solidaires mettant en œuvre de nouvelles valeurs, de nouvelles actions et de nouvelles responsabilités. ( ) L échelle des valeurs se déplace de la concurrence traditionnelle pour s imposer et réussir, vers le partage, la solidarité, l échange, le «gagnantgagnant», qui autorisent plus de souplesse dans la conduite de sa vie.» 2 Aucun domaine aujourd hui n échappe à ce désir d inventer de nouvelles règles du jeu, de passer à l acte pour prendre en main son destin et s émanciper des grands lobbys ou des circuits traditionnels. Parmi les initiatives collaboratives réussies, citons : Nickel et Cresus : le compte en banque sans banque pour les personnes exclues du système bancaire ; les MOOC s : cours en ligne ouverts et massifs pour tous ; Pilo ty s : les habitats en bois pour tous, KissKissBankBank : plateforme de financement participatif ; Babyloan : micro-crédit solidaire ou HackYourPhd : la science et l accès à la connaissance comme bien commun Partager, un état d esprit Par temps de crise ou de grande mutation, l instinct de survie ne doit pas obligatoirement conduire à se replier sur soi ou à entrer en compétition avec les autres. La loi du plus fort fonctionne tant que vous êtes le plus fort. Elle menace en permanence la cohésion sociale. En revanche, coopérer, mutualiser les moyens, partager les ressources contribuent à l intérêt général. Cette «autre approche» assure une meilleure paix sociale en permettant à beaucoup plus d individus de s adapter pour survivre. Si l on ne croit pas dans un destin commun de l humanité, on se condamne à disparaître en tant qu espèce humaine, car seuls nous ne résisterons pas très longtemps à l adversité ou aux prédateurs en tous genres (machines et robots de plus en plus intelligents, lobbys, catastrophes naturelles ou autres aléas de la vie ). Véronique Anger-de Friberg «Partager sans diviser : un pari sur l avenir» / La Revue du Cube #6

11 En coopérant, en partageant davantage les ressources et les pouvoirs, en régulant mieux les richesses, les êtres humains se conduisent en individus co-responsables et œuvrent pour le bien commun autant que pour leur propre bien-être. En dépit des risques, l expérience et la théorie des jeux démontrent que le partage de l information est un «jeu à somme non nulle», cumulatif (alors que l échange d énergie ou d argent est à «somme nulle», en d autres termes : ce que j ai donné, je l ai perdu). Toute la croissance d Internet se fonde sur ce principe : plus l information est partagée, plus elle a de valeur. On a donc davantage intérêt à faire confiance et à partager que le contraire. D où la nécessité impérative de restaurer la confiance, de revaloriser la Fraternité, d accepter d aller au-delà de ses seuls intérêts pour créer la dynamique positive qui permettra de bâtir une société plus solidaire et plus équitable. Partager, c est un état d esprit. C est faire confiance a priori à nos semblables. Un «semblable» qui incarne bien notre égal, notre double, nous. Et ce «nous» représente l espoir, une certaine idée de la fraternité. Et, en ces temps incertains, croire en l Humanité et penser que le meilleur est à venir, c est se donner toutes les chances de gagner. 1. Le Forum Changer d Ère, organisé par Les Di@logues Stratégiques, se déroulera le 5 juin prochain à la Cité des Sciences & de La Villette (Paris) : www.forumchangerdere.com 2. Joël de Rosnay, Surfer la vie. Comment sur-vivre dans la société fluide? Edition Les Liens qui Libèrent, Paris, 2012. Véronique Anger-de Friberg «Partager sans diviser : un pari sur l avenir» / La Revue du Cube #6

12 #6 Pour de nouvelles expériences d écriture collective Hortense Gauthier Artiste / HP Process Se poser la question de la possibilité du partage à l heure où les grands récits ont perdu de leur aura et de leur force à créer du sens commun, c est imaginer de nouvelles manières de partager le monde poétiquement, grâce notamment à la puissance des outils numériques. C est déjà penser des langages capables de réinventer ces récits collectifs. Baigné dans notre post-modernité diffractée, le grand récit commun aurait disparu. Mais si l on part de ce diagnostic, il faudrait se demander comment, par l ouverture d espaces poétiques et artistiques, la multiplicité des récits et des paroles pourrait être échangée pour créer de nouvelles tours de Babel, de nouvelles agoras dans lesquelles s agenceraient dynamiquement singularités et communautés. Le Web a pu être parfois considéré comme cette nouvelle tour de Babel, assemblage et juxtaposition de communautés aux langages singuliers mais néanmoins poreux, territoires à développer, à explorer... Des utopies et des fictions sociales, politiques, philosophiques et éthiques s y développent et réinventent le jeu démocratique ; de nouvelles formes de sociabilité y émergent et contaminent notre façon d être au monde, de le construire. Avec l explosion d Internet et des nouveaux outils de communication, toute une frange d artistes a travaillé avec et au cœur de ces territoires, tel de nouveaux espaces regorgeant de moyens inédits de création et de réflexion. Certains d entres eux ont cependant souvent délaissé la réalité sociale et politique pour se focaliser uniquement sur la dimension technique et esthétique, créant une nouvelle «forme» conceptuelle en espérant pouvoir entrer dans le marché de l art contemporain. Le numérique est le nouveau paradigme de notre époque. Il reconfigure notre façon d être au monde, sans pour autant qu il soit nécessaire d opposer «le réel» et «le virtuel», au contraire. C est pourquoi il ne faut jamais se résoudre à n agir que dans les espaces du réseau, à ne produire que des œuvres refermées sur elles-mêmes et leur virtuosité technique. Les dispositifs numériques doivent prendre la mesure de leurs relations avec ce qu on peut appeler le réel concret de nos vies matérielles et sensibles. Ils nous offrent la possibilité d ouvrir des espaces de partage, pas seulement sur le réseau ou dans les territoires souvent trop restreints de l art contemporain et numérique. Il s agit donc d agir et de proposer des œuvres performatives où se pose la question du sens et du collectif, comme celle du multiple et de la singularité.

13 Car le partage est en effet la dynamique, la force motrice qui permet de constituer du collectif au cœur même de la multiplicité des flux. Il est cette force de désir qui nous pousse en-dehors de nous-même et permet de nous construire avec et à travers les autres, pour inventer des territoires viables, intensifs et expérimentaux. Ces espaces de partage du sens et du sensible déjouent les polarités dominantes et les hiérarchies structurantes de notre époque mondialisée et atomisée. La question de l interactivité a complètement refondé les logiques de création et les positions entre artistes et spectateurs. Les œuvres interactives ou participatives, trop souvent fondées sur des logiques comportementales ludiques où l activation correspond à des stimuli simplistes, peuvent aussi proposer de nouvelles expériences de partage, créer des espaces de transmission, de diffusion et des expériences d écritures collectives qui interrogent la relation entre singularité et communauté. HP Process (entité artistique composée de Philippe Boisnard et moi-même) a toujours placé au cœur de son travail la question du langage en interrogeant la façon dont les technologies reconfigurent les gestes d écriture, ouvrent à de nouvelles pratiques communicationnelles et permettent d inventer de nouveaux langages et de nouveaux régimes de discours. C est dans cette dynamique que nous avons créé l installation WORDS CITY et la performance CONTACT. WORDS CITY est une installation interactive et générative qui crée une visualisation poétique de la ville à partir des mots et messages échangés dans l espace urbain. En flashant des QR-codes dispersés dans la ville, les participants peuvent envoyer le nom de la rue, de la place, du quartier, du monument ou du café où ils se trouvent. Ces mots génèrent une ville virtuelle dont l architecture, sous forme de data-visualisation, se construit et grandit au fur et à mesure des échanges. Cette proposition artistique questionne l espace public en tant qu espace collectif, à l identité complexe, construit par les échanges et les flux dans le temps et le mouvement. La ville est un territoire où la densité des échanges et la concentration des communications génèrent des récits multiples et partagés. WORDS CITY veut traduire cette réalité politique, mais aussi sémantique et sémiotique, en ouvrant un espace d écriture collectif qui permette une expérience performative et poétique, fondée sur le partage. Hortense Gauthier «Pour de nouvelles expériences d écriture collective» / La Revue du Cube #6

14 CONTACT (http://vimeo.com/16765046) est un dialogue entre deux performeurs construisant une poésie visuelle et sonore interactive et performative grâce à un outil d écriture temps réel. Le dispositif prend la forme d un chat augmenté dans lequel les flux d écriture des performeurs se mêlent aux mots envoyés par les spectateurs ou les internautes. Ainsi, les performeurs partagent en temps réel une écriture intime qui s entrelace avec les mots des autres, tissant un texte mouvant et collectif. Ils tentent de donner à voir les interrelations et la multiplicité infinie des échanges possibles sur le Web. La performance fonctionne alors comme une mise en abîme de la communication sur les réseaux où les êtres tentent de se trouver, de se toucher, de transcender la distance tout en la maintenant comme condition même du désir, où les corps s effacent et se cherchent dans le mouvement incessant de la parole en partage. Ces œuvres sont des dispositifs ouverts qui, en créant de nouvelles conditions d échange, accueillent les singularités dans un véritable désir de partage. Elles se reconfigurent sans cesse selon les interactions poétiques des participants, placés au cœur du processus créatif, générateurs de nouvelles dynamiques et de nouvelles manières de produire un langage commun. Hortense Gauthier «Pour de nouvelles expériences d écriture collective» / La Revue du Cube #6

15 #6 Le partage, une notion au cœur de la ville de demain Carlos Moreno Professeur des Universités Le thème du partage est un sujet extrêmement pertinent et tout à fait d actualité pour toutes les personnes qui travaillent aujourd hui sur la ville, comme c est mon cas. L économie du partage est en effet au cœur du nouveau paradigme que nous voyons actuellement émerger au sein des villes, lieux d agrégation et de vie, qui va vers de nouvelles économies de plus en plus servicielles et d usage le service étant aujourd hui la clé de la qualité de vie dans la ville. En d autres termes, l économie du partage vient parfaitement répondre à la transformation vers la transition urbaine vers une ville durable, humaine, vivante car elle fait appel à la consommation, à la production et à l usage collaboratifs. La notion de partage est en effet cruciale, car elle permet, d une part, de fluidifier les relations sociales existantes et d en développer d autres d un nouveau type, mais aussi de transformer de façon cohérente les relations de l homme avec l environnement. D autre part, elle fait naître de nouveaux modèles économiques en plaçant la pratique de l innovation et la construction de solutions servicielles innovantes au cœur de l économie. L économie du partage est en outre fort intéressante parce qu elle privilégie des échanges de nature nouvelle, qui permettent à l usager de sortir de cette approche de consommateur que nous avons héritée du 20ème siècle. Elle transforme aussi la vision de ceux qui produisent des biens et des services, puisque dans l économie de partage, la propriété des objets techniques est remise en cause et c est leur fonction qui est valorisée, celle-ci permettant de créer de nouveaux modèles. Je donne souvent, sur ce sujet, l exemple de la voiture : nous sommes passés du paradigme de la voiture individuelle à celui de la mobilité, et dans ce mouvement, c est la fonction de se déplacer qui a remplacé l objet technique automobile. À l heure actuelle, la puissance du numérique, le maillage de l Internet, l omniprésence de l ubiquité, mais aussi le poids de la crise économique, créent à l échelle de la ville, un espacetemps qui transforme la ville en profondeur en faisant émerger cette économie collaborative. De la collaboration au partage, il y a cependant un palier à franchir. Dans l économie collaborative, chacun est à la fois consommateur et producteur, ce qui crée un cercle vertueux. La puissance d Internet a ainsi généré des outils accessibles à tous, permettant de répondre à ses besoins à des coûts bien moindres je songe à des plateformes comme ebay, Price

16 Minister ou Le Bon Coin. Dans le partage, on va plus loin et c est une transformation qui s opère au cœur des villes. C est une révolution qui est en train de s opérer, avec l appropriation d Internet par la nouvelle génération, la naissance des réseaux sociaux et l émergence de l esprit collaboratif propre au Web 2.0. Car, les nouvelles pratiques sociales sur le web s incarnent désormais, par un phénomène d hybridation, dans le réel, faisant apparaître un nouveau modèle économique fondé sur le partage. Citons pour illustrer ce modèle Autolib, BlablaCar ou encore AirBnB. Autre exemple, la start-up Zilok qui permet à des particuliers de se prêter, d échanger ou de louer des biens. On peut même y partager notre temps! Nous sommes, avec ces modèles, face à une autre manière de consommer et de gérer nos rapports avec les autres. Car la notion d échange marchand est ici associée à celles de plaisir et de service rendu aux autres. Ces démarches font ainsi émerger de nouveaux modèles sociaux, qu incarne très bien en France, par exemple, la plateforme OuiShare, qui est à la fois un modèle économique, un think tank, un lieu d échanges et de rencontres. On quitte ainsi le domaine de l usage des objets existants pour aller vers une économie de la multitude, où l on partage aussi sa vision par le biais de ce que l on pourrait nommer une hybridation sociale communautaire. Je crois que la ville est le terreau privilégié de ces nouvelles pratiques, car il ne s agit pas de voir l économie de partage sous l angle nihiliste ou marginal, mais bien comme une autre façon de tisser des relations sociales et de vie je dirais même que ces pratiques réinventent aujourd hui le sens de la vie sociale urbaine. De nouveaux modèles économiques apparaissent, mais aussi une meilleure gestion, une économie plus durable (avec d autres manières de gérer face à l accumulation de biens, peu utilisés par rapport à leur durée de vie), une vision renouvelée de l autre, car il y a bien, dans l économie du partage, une recherche de l altérité et la volonté de créer des relations qui vont au-delà du service luimême. Dans le même temps, ces nouvelles pratiques remettent en cause nos anciens modèles de fonctionnement, qui déclinent assez inéluctablement. Reprenons l exemple de la voiture : l idée d aller chez son concessionnaire choisir son véhicule ne s impose plus comme une pratique incontournable avec le développement du co-voiturage et de l auto-partage. On peut d ailleurs s interroger sur les mutations qui sont encore à venir, puisque nous voyons bien que nous ne sommes qu au début d un mouvement de fond qui vient tout bouleverser. Il est intéressant aussi de remarquer l impact de ces nouvelles pratiques sur les modèles de service qui n ont pas évolué. Rappelons l excellente tribune de Nicolas Colin (http:// colin-verdier.com/les-fossoyeurs-de-l-innovation/) qualifiant la compagnie de taxis G7 de «fossoyeurs de l innovation», la mainmise de ce type d entreprise sur les services de taxis et le blocus autour du numerus clausus empêchant l émergence de tout autre modèle de mobilité comme les taxis collaboratifs ou les véhicules avec chauffeur commandés par Internet. Au moment où l économie de partage décloisonne les usages, ce type de société, qui génère des services basés sur l ancien modèle économique, incarne bien les résistances à la transition Carlos Moreno «Le partage, une notion au cœur de la ville de demain» / La Revue du Cube #6

17 vers un nouveau paradigme. On remarquera également comment AirBnB remet en cause le modèle hôtelier, par exemple. Au plan éco-systémique, ces nouvelles pratiques remettent enfin en cause les services de service associés. Dans l hôtellerie par exemple, il existe tout un tas de services associés à l offre d hébergement : ménage, soin du linge, assurances etc. De nouveaux enjeux émergent au sein de l économie de partage : par exemple, si je suis hébergé via AirBnB chez un particulier et que je crée un dommage chez lui, comment suis-je couvert? De même, comment statuer sur la responsabilité d un pratiquant de covoiturage qui occasionne un accident? C est l ensemble de nos pratiques, jusque dans leur dimension juridique, qui sont ainsi ébranlées. On observe d ailleurs que de nombreux secteurs de l économie classique s efforcent de s ouvrir à l économie de partage, comme la grande distribution par exemple. Des filiales de grands groupes se lancent dans ce modèle on peut citer l exemple de Lokéo, filiale de Boulanger, qui permet de «passer à un nouveau mode de consommation» des biens de consommation courante, en les louant au lieu de les acheter. Je suis convaincu, pour ma part, que ce modèle est amené à se développer d autant mieux qu il correspond parfaitement au concept de la ville de demain : une ville collaborative, citoyenne, durable. Je répète souvent que la ville de demain sera celle des services et des usages qui évoluent, et qu elle doit «hacker» la technologie. Cette vision correspond pleinement avec le concept d une économie collaborative et de partage. Si l on continue par ailleurs à raisonner en termes systémiques, on voit qu au-delà de la mutation de l objet traditionnel en service, l économie de partage transforme également la relation entre l homme et les espaces publics au sein de la ville. Nous voyons en effet naître de nouveaux espaces de partage au sein des villes : co-parking, co-working Mais ces espaces font eux-mêmes naître de nouvelles relations sociales et de nouvelles façons d interagir! Un espace de co-working, par exemple, ne donne pas seulement accès à un espace de bureau et un poste informatique, il donne accès à des espaces décloisonnés où l on rencontre d autres personnes et où l on partage des savoirs, ce qui crée de nouvelles synergies. Demain, on partagera l espace de travail pas seulement pour des raisons environnementales ou pratiques, mais pour développer sa puissance de travail ou renforcer sa créativité. Les réseaux sociaux jouent par ailleurs un rôle crucial dans la diffusion de cette économie de partage et ils sont amenés à prendre de plus en plus d importance dans la ville de demain. Aujourd hui, les réseaux sociaux sont avant tout des sites d échanges et d information. Demain, on aura affaire à des réseaux sociaux hybridés, qui permettent de tisser de nouvelles relations sociales par le biais de l hybridation technologique. Ce ne sera plus le fait de me relier à d autres personnes qui sera leur fonction principale, mais leur capacité à créer de nouveaux services ou des services réinventés car moins chers, moins polluants etc. Géolocalisation, ubiquité et hybridation réunies permettront donc d aller très loin et, couplés à la puissante notion Carlos Moreno «Le partage, une notion au cœur de la ville de demain» / La Revue du Cube #6

18 des plateforme, les bouleversements et transformations à l échelle de nos vies quotidiennes seront majeurs. Il serait impossible de clore un article sur la notion de partage au sein de la ville de demain sans évoquer d autres façons de partager au sein des espaces urbains, comme le street art, ou art des rues, qui est une forme de partage culturel la rue apparaissant, dès lors, comme le lieu d une catharsis sociale pour les artistes, comme le furent en leur temps le rap et le hiphop. Le street art est ainsi une manière de s exprimer avec ses propres codes, au même titre, autre exemple, que le crowdsourcing, qui permet la création d applications collectives (on pense notamment aux hackathons organisés par la SNCF et bien d autres à Paris). Facebook a permis de populariser ces pratiques, nous montrant comment des services nouveaux étaient issus de telles manifestations. Le partage du code, avec des mouvements comme «Tous codeurs» est aussi une expression de la ville de demain. Dernier exemple de partage dans la ville, le crowdfunding, ou financement de start-up par la multitude (Kickstarter, Ulule...etc). On est aujourd hui ainsi en capacité de faire financer par la population des projets très sérieux qui viennent s inscrire dans l économie réelle. Nous sommes devenus aussi «tous financeurs», ce qui signifie que nous pouvons apporter notre regard sur la manière dont est produite la valeur. Autant de pratiques qui illustrent très bien la façon dont la transition urbaine, vers une ville durable, vivante, solidaire, est en train de s opérer. Enfin, j ajouterai pour finir, que ce numéro de la Revue du Cube consacré au partage est luimême un bon exemple de partage d idées ces idées qui, bien qu abstraites, ont pourtant bel et bien la force de changer le monde. Carlos Moreno «Le partage, une notion au cœur de la ville de demain» / La Revue du Cube #6