UE POLITIQUE POLITIQUE POLITIQUE POLITIQUE POLITIQUE POLITIQUE POLITIQUE POLITIQUE P Q ui était... Textes : Élise Bouthillier et Sylvain Croteau Illustrations : Gabrielle Pleau René Lévesque
CHAPITRE 1 L ENFANCE F ils de Diane Dionne, descendante d une lignée des seigneurs de Tilly, et de Dominique Lévesque, un avocat, qui habitaient à New Carlisle en Gaspésie, René Lévesque a vu le jour le 24 août 1922 à l extérieur du Québec, soit à l hôpital de Campbellton au Nouveau-Brunswick. Mais pourquoi donc le nouveau poupon qui, 54 ans plus tard, allait devenir premier ministre du Québec, avait-il ouvert les yeux pour la première fois dans la province voisine? Parce que sa mère avait précédemment perdu un bébé, André, onze jours seulement après qu il eut poussé ses premiers cris dans leur maison de New Carlisle, ce petit village à majorité anglophone de la côte sud-gaspésienne, tout juste en face du Nouveau-Brunswick.
Un soir, Diane avait confié ses angoisses à son mari et lui avait fait part de sa décision : «Dominique, je ne veux pas revivre ce qui nous est déjà arrivé. Je veux éviter les complications et nous assurer que nous pourrons bénéficier des meilleurs soins pour donner naissance à notre bébé!» La maman du petit René en attente de naître avait décidé que son prochain bébé allait voir le jour dans les meilleures conditions et rien, mais absolument rien, ni personne ne réussirait à la faire changer d idée. «C est d accord. Lorsque le moment sera venu, nous nous dirigerons vers l hôpital de Campbellton», l avait rassuré son mari quand même songeur en pensant aux 82 milles (132 kilomètres) séparant New Carlisle de l hôpital. S il fallait que quelque chose arrive en route! Heureusement, cette belle journée ensoleillée du 24 août 1922 ni trop chaude ni trop fraîche avait marqué la fin de l été, mais conjurait surtout le mauvais sort qui ne se sera pas acharné davantage sur Diane et Dominique bien que le petit René ait attrapé la jaunisse après avoir poussé ses premiers cris. Remerciant son instinct maternel, la nouvelle maman a pu compter sur les bons soins du personnel hospitalier. Grâce à eux, René et elle ont pu regagner leur domicile de New Carlisle sans inquiétude.
«Si tu savais Dominique comme je suis heureuse d avoir pu accoucher à l hôpital. Je te remercie de m y avoir amenée. T imagines ce qui aurait pu arriver sans la présence du médecin et des infirmières», avait soupiré Diane en fixant la magnifique Baie-des-Chaleurs, cette nappe d eau d un bleu étincelant qui défilait sous ses yeux. Revenus à la maison et comblés par la cigogne qui les avait visités quelques jours plus tôt, les nouveaux parents avaient alors interprété l arrivée de leur enfant comme la renaissance d André qui n avait malheureusement pas survécu quelques années auparavant. C est pourquoi ils avaient prénommé leur garçon René, ce qui signifie «né une deuxième fois». À défaut d être réellement né deux fois, le petit René a rapidement démontré les signes avant-coureurs d un garçon allumé et vif. Permettant même à ses parents d affirmer que leur garçon, le premier de quatre enfants bougeait pour deux! «René, où es-tu?», demandait trop souvent sa maman qui, ne pouvant constamment le chercher alors qu elle s adonnait aux tâches ménagères, n avait eu finalement d autre choix que de prendre les grands moyens afin de lui permettre de vaquer à ses occupations. La solution : l attacher d une corde nouée à son pied et reliée au bas de l escalier. Et lorsque la corde et la patience de ses parents avaient atteint leurs limites, René rejoignait ses grands-parents qui tenaient un magasin général à Rivière-du-Loup. Il y devenait «responsable» du comptoir à bonbons! Au grand dam de ses grands-parents qui, malgré tout de connivence, le laissait les dégarnir de ces sucreries qu il appréciait tant.
«René, toi et tes bonbons avez été populaires aujourd hui», le taquinait son grand-père en le gratifiant d un clin d œil. «Tu as certainement enregistré de belles ventes puisque nos stocks de bonbons ont beaucoup baissé depuis ce matin», ajoutait-il moqueur en observant son petit-fils qui prenait des couleurs lorsqu ainsi démasqué. Non seulement était-il actif et gourmand, mais René affichait également une intelligence et une mémoire qui le distinguaient déjà. Lorsqu il visitait ses grands-parents, il lui arrivait souvent de se retrouver à la même table que sa grand-maman qui lui apprenait tous les rudiments du bridge. Un jeu de cartes qu il avait appris rapidement, en plus d en comprendre toutes les astuces. Ce qui n avait rien de surprenant en soi, car dès l âge de quatre ans seulement, son esprit vif lui permettait également de maîtriser l art de jongler avec les mots. Une facilité oratoire qui le servira pendant toute sa carrière et qui à l époque, n avait d égal que sa détermination et son entêtement. Il était si entêté en fait, qu aussitôt revenu au domicile familial de New Carlisle après ses séjours à Rivière-du-Loup, il retrouvait ses habitudes et sa place au pied de l escalier ou de la galerie arrière de la maison. Là où on l attachait lorsqu il était trop turbulent et qu il fouillait la maison, par exemple, à la recherche d allumettes pour s amuser. Ou encore lorsque ses parents voulaient s assurer qu il ne gagnerait pas les plages de la Baie-des-Chaleurs qui l invitaient dès qu il s accoudait à la fenêtre de sa chambre pour y rêvasser.
Les plages de la Baie-des-Chaleurs, c est là qu il avait appris à nager avec ses amis, les petits voisins Poirier qui comptaient quatre garçons : Wilson, Bert, Gérard et Paul. Gérard était le leader du petit groupe; le «grand frère» qui dirigeait la troupe à chacune de leurs expéditions, en forêt, au bord de la mer ou ailleurs. «Passe-moi la broche René, c est ici près de cet arbre que nous allons installer un collet pour prendre le lièvre qui est passé un plus tôt ce matin et qui a laissé sa trace», lui intima Gérard. «Comment peux-tu savoir qu il repassera?» demanda alors René. «T en fais pas. J ai l habitude et tu peux me faire confiance, il repassera», répondit Gérard d un ton assuré en pointant du menton ses prises du jour; deux lièvres au pelage lisse ainsi qu une perdrix bien dodue que maman Poirier allait sans doute apprêter pour le souper.