La statue de Tabaret, le bâtisseur de l'université d'ottawa par Michel Prévost, Archiviste en chef de l'université d'ottawa L'Université d'ottawa possède l'un des plus anciens monuments de la Côte-de-Sable. Il s'agit de la statue du père Joseph-Henri Tabaret, o.m.i., (1828-1886), le bâtisseur de l'université d'ottawa. Nous profitons de cette tribune pour retracer l'historique de ce bronze, aujourd'hui dissimulé derrière les conifères, en face du pavillon Tabaret. Le projet d'ériger une statue en l'honneur du père Tabaret est adopté, en 1886, lors de la réunion générale de l'association des anciens élèves du Collège d'ottawa. On veut alors perpétuer le souvenir de celui qui fut supérieur du Collège pendant près de 30 ans, soit de 1853 à 1864, de 1867 à 1874 et enfin de 1877 à 1886. Le Comité du monument Tabaret est chargé d'amasser des fonds auprès des anciens et des amis du Collège d'ottawa. Si le Comité du monument Tabaret s'occupe activement de la campagne de financement, il demande toutefois à Mgr Joseph-Thomas Duhamel, archevêque d'ottawa et ancien du Collège, de commander une statue, de 6 pieds 6 pouces, au coût maximum de 1 500 $, auprès du même sculpteur chargé de réaliser, pour l'archevêché d'ottawa, le monument de Mgr Joseph-Bruno Guigues. Ce dernier est le premier évêque d'ottawa et le fondateur du Collège de Bytown qui deviendra l'université d'ottawa. C'est ainsi que les deux bronzes sont modelés et fondus chez le sculpteur A. Verrebout, de Paris.
Alors que l'archevêque Duhamel s'occupe de la statue, le Comité charge le prêtre-architecte Georges Bouillon, ancien du Collège et ami de Tabaret, de dessiner les plans du socle sur lequel reposera le bronze de l'ancien supérieur. Bouillon demeure connu dans la région de la capitale nationale pour avoir réalisé les plans de la cathédrale Notre-Dame d'ottawa, de la chapelle du Collège d'ottawa, des églises Notre-Dame de Hull, Saint-François-de-Sales de Gatineau et Saint-Paul d'aylmer. Il s'avère également l'architecte de la chapelle du Couvent Rideau que l'on peut maintenant admirer au Musée des beaux-arts du Canada. La Canadian Granite Co., d'ottawa, se charge du socle au coût de 506.50 $ et fait venir le granit de la baie de Fundy, au Nouveau- Brunswick. Sur le piédestal, le Comité fait graver les mots : J.H. TABARET PATRI ET FUNDATORI ALUMNI UNIVERSITATIS OTTAWENSIS. Cette inscription latine, qui se traduit par PERE ET FONDATEUR DE L'UNIVERSITÉ D'OTTAWA, démontre que les anciens considèrent le père Tabaret comme le véritable créateur du Collège alors qu'il ne l'est pas. C'est bien Mgr Guigues qui a fondé l'établissement, en 1848, et le père Charles-Edouard Chevalier, o.m.i., qui a été le premier supérieur. En fait, lorsque Tabaret devient pour la première fois supérieur, en 1853, il est le cinquième à diriger le Collège. Le dévoilement de la statue Tabaret doit se dérouler en juin 1889 à l'occasion de la rencontre annuelle de l'association des anciens. L'érection du Collège en université pontificale, le 5
février 1889, entraîne toutefois la remise de l'événement aux fêtes grandioses qui marqueront l'inauguration officielle de la nouvelle université catholique. Ce délai permet au Comité du monument Tabaret d'amasser les dernières sommes nécessaires à l'érection du bronze, dont le coût s'élève à 1, 850 $. Parmi les nombreux donateurs on retrouve des anciens, notamment le premier récipiendaire d'un baccalauréat et d'une maîtrise du Collège, l'avocat Thomas Patrick Foran, des membres du clergé ainsi que des politiciens tels que sir John A. Macdonald, premier ministre du Canada, et Wilfrid Laurier, chef de l'opposition officielle. Les plus généreux donateurs demeurent Mgr Duhamel et le curé Olivier Boucher, avec chacun un don de 150 $. Le dévoilement de la statue de Mgr Guigues, qui se dresse toujours en face de la cathédrale Notre-Dame d'ottawa, a lieu le 9 octobre 1889, soit le même jour que l'inauguration de l'université catholique d'ottawa. Le dévoilement de la statue Tabaret se déroule le lendemain en présence des anciens, de l'administration et des professeurs de l'université, des membres du Comité du monument Tabaret, de personnalités de tous les milieux, particulièrement de l'église, représentée par le cardinal Elzéar-Alexandre Taschereau, archevêque de Québec, Mgr Alexandre-Antonin Taché, archevêque de Saint-Boniface, des évêques Langevin de Rimouski, Laflêche de Trois-Rivières, Gravel de Nicolet, Moreau de Saint-Hyacinthe, Lorrain de Pembroke, Wadhams d'ogdensburg, Rogers de Chatham et McIntyre de Charlottetown. La présence de tous ces anciens et dignitaires illustre bien l'estime dont jouissait le père Tabaret.
Les cérémonies sont ouvertes par Mgr Duhamel et l'honneur de dévoiler le bronze revient à William Davis, président du Comité du monument Tabaret. Par la suite, le juge Louis-Adolphe Olivier, président de l'association des anciens élèves du Collège, présente la statue aux autorités de l'université. Des discours retraçant la vie et l'oeuvre du père Tabaret sont aussi prononcés par John. J. Curran, député à la Chambre des communes, qui représente les anciens étudiants de langue anglaise et par Alphonse-Antoine Taillon, maire de Sorel, qui représente les anciens de langue française. Bref, la célébration des anciens offerte en mémoire du père Tabaret s'avère une grande réussite. La journée se termine cependant sur une note sombre avec la mort subite, en soirée, du président de l'association des anciens, le juge Olivier. En 1889, la silhouette du père Tabaret s'élève dignement devant l'entrée principale de l'institution. Le monument n'est pas abîmé par le grand feu de 1903 qui détruisit complètement l'université. Toutefois, comme la façade du nouveau pavillon central ne fait plus face à la rue Wilbrod (aujourd'hui Séraphin-Marion), le bronze déménage, en 1912, au pied des grandes marches de la façade du pavillon Tabaret. En 1944, le Conseil d'administration le fait déplacer sur son site actuel. Depuis plus de cent ans, la statue de Tabaret rappelle la mémoire
de celui que l'on peut considérer, à juste titre, comme le bâtisseur de l'université d'ottawa. Depuis quelques années cependant, les conifères cachent de plus en plus cette oeuvre, de sorte que l'on peut passer devant sans même l'apercevoir. Cette situation sera peut-être bientôt corrigée, puisque l'université envisage de profiter des festivités de son 150e anniversaire, en 1998, pour la localiser dans le parc en face du pavillon Tabaret. Un danger menace toutefois la statue, soit la pollution atmosphérique, particulièrement les pluies acides. En effet, à l'instar des sculptures de bronze de la capitale nationale et des autres villes de l'amérique du Nord, ce monument se détériore. Il faut envisager un nettoyage afin de faire disparaître les taches vertes de corrosion et l'application, par des professionnels de la conservation, de méthodes de protection à long terme. Somme toute, des mesures devront être entreprises afin que le père Tabaret puisse continuer à surveiller, du haut de son socle, son travail commencé dans la deuxième moitié du siècle dernier. On peut mieux connaître l'histoire de l'université d'ottawa en communiquant avec les Archives de l'université, Centre de santé, 100 Marie-Curie, salle 012. Tél. : 562-5750.