COMMISSION EUROPÉENNE Bruxelles, le 04.03.2009 C(2009)1630 Objet : Aide d Etat N 42/2009 France Modification du dispositif du crédit d'impôt en faveur de la production phonographique Monsieur le Ministre, 1 PROCEDURE 1. Par courrier du 28 janvier 2009, les autorités françaises ont notifié le projet de modification du dispositif du crédit d'impôt en faveur de la production phonographique, qui avait été autorisé par la décision de la Commission du 16 mai 2006 sur l'aide d'etat nº 45/2006 (la" décision de 2006") 1 et, après amendement, par la décision du 16 juillet 2008 sur l'aide d'etat n N 760/2007 (la "décision de 2008") 2. 2 DESCRIPTION DE LA MESURE 2. Cette mesure a été conçue par les autorités françaises en réponse aux difficultés du secteur de l'industrie musicale, liées notamment à l'essor d'internet et au développement des pratiques illégales de téléchargement. Ces difficultés ont touché tout particulièrement les contrats des nouveaux talents. 1 http://ec.europa.eu/community_law/state_aids/comp-2006/n045-06.pdf 2 http://ec.europa.eu/community_law/state_aids/comp-2007/n760-07.pdf Son Excellence Monsieur Bernard KOUCHNER Ministre des Affaires étrangères 37, Quai d'orsay F - 75007 PARIS Commission européenne, B-1049 Bruxelles Belgique Europese Commissie, B-1049 Brussel België Téléphone: 00 32 (0) 2 299.11.11.
3. Le crédit d'impôt s'adresse aux entreprises de production phonographique soumises à l'impôt sur les sociétés, et ayant donc un établissement stable en France (filiale, succursale, agence). Sa base juridique est l'article 220 octies du code général des impôts. Ce crédit permet de déduire 20% des dépenses éligibles de production de certains types de musiques, à savoir les productions de nouveaux talents, définis comme des artistes ou groupes d'artistes interprétant des œuvres musicales d'expression française ou des compositeurs ou artistes interprètes européens de musiques instrumentales, qui n'ont pas dépassé le seuil de 100.000 ventes pour deux albums distincts précédant ce nouvel enregistrement. 4. Les dépenses éligibles correspondent aux frais de production des enregistrements (ainsi que de développement et de promotion de ces œuvres), pour autant qu'ils soient effectués en France ou dans un Etat membre de l'espace Economique Européen (ces dépenses sont détaillées au point 11 de la décision du 16 mai 2006). Comme il ressort de la décision de 2008, les coûts de personnel permanent directement affecté aux opérations de production et de développement des œuvres agréées ont été intégrés dans les coûts éligibles. 5. Pour les entreprises qui ne répondent pas à la définition européenne de PME au sens de la recommandation de la Commission du 6 mai 2003 concernant la définition des micro, petites et moyennes entreprises, 3 ces dépenses entrent dans la base de calcul du crédit d impôt pour les seules productions qui excèdent la moyenne, après application d une décote de 70%, des productions d albums de nouveaux talents sur les deux exercices précédents. 6. Le montant des dépenses éligibles est limité à 350.000 EUR par enregistrement phonographique. La somme des crédits d'impôt ne peut excéder 700.000 EUR par entreprise et par exercice, avec possibilité de le porter à 1.100.000 EUR lorsque le nombre de nouveaux talents constaté à la clôture de l'exercice duquel le crédit d'impôt est calculé a augmenté d'au moins 25% par rapport au nombre de productions de nouveaux talents de l'exercice précédent. 7. L'intensité d'aide cumulée ne peut dépasser 50% des coûts de production. 8. Le crédit d'impôt s'applique aux dépenses éligibles engagées entre le 1er juillet 2007 et le 31 décembre 2009. 9. Le budget annuel est estimé entre 10-12 million EUR. 10. Par sa décision de 2006, la Commission a conclu à la compatibilité du crédit d'impôt à la production phonographique sur la base de l'article 87 paragraphe 3 d) EC. 2.1 Propositions d'amendement du crédit d'impôt 11. Les amendements en question ont été mis en place par l'article 56 de la loi n 2008-1425 du 27 décembre 2008 de finances pour 2009, qui amende l'article 220 octies du code général des impôts. Les autorités françaises ont fourni à la Commission sa nouvelle version. 4 Celle-ci 3 JOUE L124/36 du 20 mai 2003. 4 http://www.legifrance.gouv.fr/affichcode.do;jsessionid=8689777d5f816db5078a447d4cc0948f.tpdjo12v_2?id SectionTA=LEGISCTA000006179954&cidTexte=LEGITEXT000006069577&dateTexte=20090701 2
dispose: " II.-Ouvrent droit au crédit d'impôt les dépenses engagées pour la production, le développement et la numérisation d'un enregistrement phonographique ou vidéographique musical (vidéomusique ou disque numérique polyvalent musical) remplissant les conditions cumulatives suivantes : a) Etre réalisé par des entreprises et industries techniques liées à la production phonographique qui sont établies en France ou dans un autre Etat membre de la Communauté européenne ou dans un autre Etat partie à l'accord sur l'espace économique européen ayant conclu avec la France une convention fiscale contenant une clause administrative en vue de lutter contre la fraude ou l'évasion fiscale et qui y effectuent les prestations liées à la réalisation d'un enregistrement phonographique ou vidéographique musical ainsi qu'aux opérations de postproduction ; b) Porter sur des albums de nouveaux talents définis comme des artistes, groupes d'artistes, compositeurs ou artistes-interprètes n'ayant pas dépassé le seuil de 100 000 ventes pour deux albums distincts précédant ce nouvel enregistrement. S'agissant des albums d'expression, le bénéfice du crédit d'impôt est réservé aux albums de nouveaux talents dont la moitié au moins sont d'expression française ou dans une langue régionale en usage en France et aux albums de nouveaux talents, composés d'une ou de plusieurs œuvres libres de droit d'auteur au sens des articles L. 123-l à L. 123-12 du code de la propriété intellectuelle. S'agissant des albums de nouveaux talents, le bénéfice du crédit d'impôt s'apprécie au niveau de l'entreprise redevable de l'impôt sur les sociétés pour l'ensemble des albums qu'elle produit chaque année. ". 12. Conformément aux dispositions de l article 88.3 du TCE, les autorités françaises confirment que la mise en œuvre de la mesure en objet est suspendue jusqu à son approbation par la Commission. 13. Sur la base du nouveau projet, le bénéfice du crédit d'impôt serait restreint par la condition dite "francophonie" 5. Cette condition exige que les albums d'expression soient au moins à 50% d'expression française ou de langues régionales (p.ex. Basque). L'appréciation de ce seuil s'effectue au niveau de l'entreprise à raison de l'ensemble des albums produits par exercice. A la condition de francophonie ne sont pas soumis les albums de nouveaux talents composés d'une ou plusieurs œuvres libres de droit d'auteur au sens des articles L.123-1 à L 123-12 du code de la propriété intellectuelle. De ce fait, les œuvres chantées dans une langue autre que le français notamment les œuvres lyriques (opéra italiens, allemands, etc.) deviennent éligibles dès lors qu'elles sont libres de droit d'auteur. 14. Dans le domaine des musiques actuelles, les autorités françaises considèrent que la restriction de la définition des œuvres éligibles est quantitativement marginale, puisque les nouveaux talents produits par les entreprises de production éligibles sont déjà le plus souvent des artistes francophones, et donc le budget annuel estimé reste dans la fourchette comprise entre 10 et 12 millions d'eur: 15. L'article 56 prévoit en outre que les modifications décrites ci-dessus s'appliquent aux dépenses engagées à compter du 1 juillet 2007. 5 La décision de 2006 contenait déjà la condition de francophonie pour 100% des albums éligibles. Le périmètre de la mesure a été étendu à l'ensemble des nouveaux talents dans la décision de 2008. 3
3 APPRECIATION DE LA MESURE 3.1 Existence d une aide au sens de l Article 87(1) CE 16. Dans sa décision du 16 mai 2006, la Commission a conclu que le crédit d'impôt constituait une aide d'etat au sens de l'article 87 paragraphe 1 du traité. Les amendements faisant l'objet de la présente décision ne sont pas de nature à remettre en question cette conclusion. 3.2. Compatibilité de l aide 17. Les autorités françaises ont notifié la mesure sur la base de l article 87 paragraphe 3 d) du Traité CE qui précise que peuvent être considérées comme compatibles avec le marché commun les aides destinées à promouvoir la culture et la conservation du patrimoine quand elles n altèrent pas les conditions des échanges dans une mesure contraire à l intérêt commun. C'est d'ailleurs sur la base de cette disposition du traité CE que la Commission a pu conclure à la compatibilité de ce crédit d'impôt dans sa décision de 2006. La Commission doit donc vérifier si les amendements remplissent un objectif culturel au sens de l article 87 paragraphe 3 d) du Traité, et si ils sont nécessaires et proportionnels à l'objectif recherché. 3.2.1 Objectif culturel des amendements 18. Dans sa décision de 2006, la Commission a reconnu que les productions phonographiques objets du crédit d'impôt, à savoir les productions de nouveaux talents tels que définis au point 6 de la présent décision étaient des produits culturels au sens de l'article 87 paragraphe 3 d) du Traité. 6 L'objectif de la mesure était donc la promotion de la culture au sens de cet article. Les amendements notifiés ne sont pas de nature à modifier cette conclusion. 19. En effet, cet amendement vise à limiter le périmètre des œuvres éligibles aux œuvres francophones des nouveaux talents, sans élimination des œuvres lyriques et classiques chantées dans d'autres langues que le français. Il n'est donc pas de nature à changer la conclusion que les œuvres éligibles sont des produits culturels au sens de l'article 87 paragraphe 3 d). 3.2.2. Caractère proportionnel et nécessaire de la mesure concernée. 20. Afin de pouvoir être déclarée compatible avec le marché commun sur la base de l article 87 paragraphe 3 d), une mesure visant à promouvoir la culture ne doit pas altérer les conditions des échanges et de la concurrence dans une mesure contraire à l intérêt commun. Elle doit donc être nécessaire et proportionnée. La Commission doit donc répondre aux questions suivantes: 6 Décision de 2006, par. 28. 4
1. La mesure est-elle conçue de manière à atteindre son objectif culturel? En particulier : a) Est-elle un instrument approprié? b) A-t-elle un effet incitatif suffisant? c) Est-elle proportionnelle? Est-ce que le même résultat ne pourrait être obtenu avec moins d aide? 2. Est-ce que les distorsions de concurrence et les effets sur le commerce sont limités, de telle manière que le bilan global de l aide est positif? Instrument approprié 21. Sur ce point, il convient de rappeler que, selon les autorités françaises, les productions de nouveaux talents constituent une activité difficilement rentable des maisons de production. 7 22. Une aide, telle que ce crédit d'impôt, qui permet de diminuer les coûts de production et donc le seuil de rentabilité d'un enregistrement est un instrument approprié pour atteindre l'objectif culturel de la mesure, qui est d'encourager la production des enregistrements de nouveaux talents. Effet incitatif 23. La mesure vise à abaisser les coûts de production d'albums pour lesquels, du fait de la faible notoriété des auteurs, le retour sur investissement est plus incertain et devrait avoir pour effet d'inciter les bénéficiaires à se tourner d'avantage vers de nouveaux auteurs. De ce fait, elle crée une incitation adéquate pour des productions qui ne seraient pas soutenues ou le seraient dans une moindre mesure. A terme, la mesure vise à diversifier l'offre en accroissant par là la concurrence, tout en favorisant le maintien de production dans des langues française ou régionales concurrencées par l'expression musicale en langue anglaise. 24. Toutefois, sur la question de l'effet incitatif, la Commission note aussi que les amendements qui font l'objet de la présente décision s'appliqueront aux dépenses engagées à partir du 1 juillet 2007. 25. Vu que l'amendement consiste seulement à réduire rétroactivement le champ des œuvres éligibles au crédit d'impôt, la rétroactivité de la mesure n'est pas de nature à porter atteinte à son effet incitatif. 7 Entre 2002 et 2004, soit avant l'entrée en vigueur du crédit d'impôt, les maisons d'édition avaient mis fin à 28% des contrats d'artistes. Sur la même période, le nombre de contrats de nouveaux talents avait baissé de 40%. Selon les informations fournies par les autorités françaises, un premier enregistrement de nouveaux talents devient rentable dès lors qu'il dépasse le seuil de 75.000 exemplaires vendus. Or rares sont les enregistrements qui dépassent les 30.000. Dans le domaine des musiques classiques, les seuils sont plus bas, mais tout aussi difficilement atteints. 5
Est-ce que la mesure est proportionnelle? 26. Il convient de souligner que l'intensité de l'aide reste de 20%, ce qui est significativement inférieur à l'intensité de 50% normalement autorisée dans le secteur culturel de la production cinématographique et de l audiovisuel. 27. La Commission note aussi que l'aide reste plafonnée à 700.000 EUR, voire à 1.100.000 EUR en cas de progression de plus de 25 % des productions de nouveaux talents par rapport à l'année précédente. 28. De plus, le seuil le plus élevé est réservé aux bénéficiaires qui auront augmenté de plus de 25% leur production de nouveaux talents: ce seuil est donc proportionné à l'effort consenti par rapport à l'objectif de la mesure. 29. De même, la décote de 70% appliquée au calcul de la franchise pour les grandes entreprises est là aussi proportionnée. 30. Dans sa décision de 2006 Commission a déjà approuvé le critère francophone de la mesure. Par la décision de 2008 le périmètre de la mesure a été étendu à l'ensemble des œuvres de nouveaux talents. Le présent amendement représente une restriction sur des œuvres éligibles par rapport à la mesure en vigueur, mais reste néanmoins dans les limites de ce que la Commission a acceptées dans sa décision de 2006. 31. Pour l'ensemble de ces raisons, la Commission peut donc conclure que la mesure est proportionnée. Distorsions de concurrence et effets sur le commerce limités 32. La Commission note que, malgré les amendements visant à limiter l'application du crédit d'impôt, les autorités françaises continuent à évaluer le budget annuel de la mesure à une fourchette entre 10 et 12 millions EUR. Compte tenu du fait que la mesure continue à être limitée à des types de musiques peu commerciales et que son intensité reste inchangée, à un niveau relativement faible, il est toujours possible de conclure qu'elle n affecte pas les conditions de la concurrence dans une mesure qui serait contraire à l intérêt communautaire. 33. Par ailleurs, la distorsion sur le commerce entre Etats membres sera d' autant plus limitée qu'il n'y a aucune condition quant à la nationalité des artistes, interprètes, techniciens et entreprises de sous-traitance impliqués dans la production et promotion de ces œuvres phonographiques, l'expression en langue française n'étant pas l'apanage exclusif de l'etat membre qui met en place la mesure. La Commission peut donc à nouveau conclure que l effet de la mesure sur le commerce entre Etats membres est limité. 34. Compte tenu des distorsions de concurrence et des effets sur le commerce limités, le bilan de la mesure peut donc être considéré comme globalement positif. La Commission peut conclure que le crédit d'impôt en faveur de la production phonographique, tel que modifié par les amendements notifiés, est compatible avec le marché commun sur la base de l article 87, paragraphe 3, d) du traité. 6
4 DECISION Au terme de son analyse, la Commission considère que la mesure d aide examinée est compatible avec le marché commun en vertu de l article 87, paragraphe 3, d) du traité. La durée de validité de la présente décision est limitée à la durée d application du crédit d impôt, soit jusqu au 31 décembre 2009. Dans le cas où cette lettre contiendrait des éléments confidentiels qui ne doivent pas être divulgués à des tiers, vous êtes invités à en informer la Commission, dans un délai de quinze jours ouvrables à compter de la date de réception de la présente. Si la Commission ne reçoit pas une demande motivée à cet effet dans le délai prescrit, elle considérera que vous êtes d accord avec la communication à des tiers et avec la publication du texte intégral de la lettre, dans la langue faisant foi, sur le site Internet http://ec.europa.eu/community_law/state_aids/index.htm. Cette demande devra être envoyée par lettre recommandée ou par télécopie à : Commission européenne Direction générale de la concurrence Greffe des aides d Etat Rue Joseph II, 70 B-1049 BRUXELLES Fax : +32 (0)2 296 12 42 Veuillez croire, Monsieur le Ministre, à l assurance de ma haute considération. Par la Commission Neelie Kroes Membre de la Commission 7