Altéo asbl 50 ANS D ACTION



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Transcription:

Altéo asbl Chaussée de Haecht 579 BP 40 1031 Bruxelles Tél.: 02 246 42 26 Fax.: 02 243 20 59 Email : alteo@mc.be www.alteoasbl.be Retrouvez Altéo sur facebook 50 ANS D ACTION 3

REMERCIEMENTS Altéo tient vivement à remercier tous les participants à la journée d études du 14 mai 2011 qui, par leur présence, ont contribué à alimenter les échanges et les réflexions. Les intervenants, par leurs apports respectifs, ont contribué à proposer un contenu de qualité, souvent interpellant. Qu ils en soient ici aussi remerciés! Et puis, pareille journée ne peut se dérouler sans un président à la manœuvre. Merci donc à Pascal Thiange, administrateur d Altéo, d avoir accepté de jouer ce rôle. Tout comme, un panel, aussi riche soit-il, ne peut se dérouler sans modérateur. Que Serge Jacquinet, également administrateur d Altéo, soit remercié pour la tenue de ce rôle, mené de main de maître. Enfin, la journée passée, c est un «travail de fourmi» qui a commencé. Que le secrétariat général d Altéo soit remercié pour le travail de retranscription de ces actes. Travail dense et fastidieux mais qui permet de garder des traces, autant de balises pour un travail futur à construire. Un merci particulier aussi à Daniel Antoine, volontaire d Altéo Luxembourg, qui a accepté de relire l entièreté de ces actes pour veiller à l harmonisation grammaticale et orthographique. Bonne lecture à chacun(e) de vous! David Lefèbvre - Secrétaire politique - Décembre 2011 4

Journée d étude sur l emploi des personnes handicapées «Une politique de diversité est- elle possible avec des pièges à l emploi?» 50 ANS D ACTION 5

Pascal Thiange - Administrateur d Altéo - Président de la journée d études Je tiens tout d abord à vous remercier d avoir répondu présents à l appel d Altéo, d une part pour fêter le 50 ème anniversaire qui est un moment important dans la vie de notre association et, d autre part, d avoir répondu présents pour participer à cette journée d études sur l emploi des personnes handicapées. L emploi est une dimension particulièrement importante pour les personnes malades et handicapées puisqu elle permet beaucoup de choses et notamment l intégration et l inclusion, des concepts dont on parle beaucoup. Nous avons prévu une série d intervenants de haute qualité. Je tiens vivement à m en réjouir et à féliciter d emblée tous ceux qui ont participé à l organisation de cette journée d études. Nous allons rapidement parcourir ensemble l ordre du jour, je passerai ensuite la parole aux différents intervenants comme le prévoit ma fonction en ce jour. Je suis aussi le garant du temps, nous tenterons de nous en tenir au temps prévu, ce qui est le meilleur moyen de permettre l expression de chacun. Dès 9h30, à partir de maintenant donc, je céderai la parole à Jean-Pierre Yernaux, Président d Altéo qui est ici à mes côtés. Ensuite, je donnerai la parole à Vincent et Ghislain Lemaur, deux membres de l association Altéo qui pourront nous donner quelques éléments de mise en contexte. La parole sera ensuite donnée à Michel Mercier et Michel Grawez qui nous donneront une série d informations sur le contexte de l emploi des personnes handicapées. Nous devions également avoir la présence de Monsieur Jean-Christophe Parisot mais celui-ci a finalement dû décliner notre invitation pour raisons de santé et nous vous prions donc de l excuser. Nous aurons un temps de questions-réponses puis nous céderons la parole aux responsables politiques qui ont aussi répondu à notre invitation. Je remercie ici Monsieur Jean-Marc Delizée qui aura d abord la parole et qui est secrétaire d état aux personnes handicapées. La parole sera ensuite donnée au Ministre André Antoine qui nous expliquera un peu la position et les actions du gouvernement wallon en matière d emploi et de formation. Nous aurons également un représentant du Cabinet du Ministre Cerexhe, Madame Nathalie Azart, qui nous parlera de la politique de l emploi pour la Région de Bruxelles Capitale. A 11h30, moment important s il en est, je reprendrai la parole, pas pour la tenir mais pour vous inviter à rejoindre la séance académique du 50 ème anniversaire d Altéo et pour profiter, écouter mais aussi prendre le verre d apéritif. Voilà pour la matinée. 6

Pour l après-midi, nous commencerons par une petite introduction qui reprendra les lignes de force qui se sont dégagées de la matinée. Un temps important sera aussi la place qui est dédiée au panel d invités. Ce panel sera animé par Serge Jacquinet, responsable des services sociaux francophones de la Mutualité Chrétienne. Et dans ce panel, une série d intervenants : Monsieur Claude Rolin pour la CSC et Madame Anne Tricot pour la FGTB ; Madame Alice Baudine (Administratrice générale de l AWIPH), Monsieur Etienne Lombart (Phare 1 ); Madame Annette Legaye (FOREM), Monsieur Stéphane Emmanuellidis (ETA Village n 1) et Madame Geneviève Bossus (Union des Classes Moyennes UCM). Je dois aussi vous signaler que nous avions invité pour ce panel Actiris et l Union Wallonne des Entreprises (UWE),qui n ont pas donné suite à notre invitation, ce que nous regrettons. Nous aurons encore un temps de questions réponses avant de dresser les conclusions de cette journée de travail. La parole sera alors donnée au secrétaire politique d Altéo, Monsieur David Lefebvre qui nous dressera les priorités à porter ensemble dans les 5 ans à venir, notamment par rapport à la politique de l emploi des personnes handicapées. J espère que cette journée répondra à vos attentes et qu elle permettra d éclairer une série de choses, de mettre en évidence une série de difficultés. Mais aussi, pourquoi pas, de mettre en évidence les solutions, ou les pistes de solution que, tant les responsables politiques que les différents intervenants au panel et le secrétaire politique de notre ASBL Altéo pourront mettre en évidence. Je cède la parole à notre Président, Jean-Pierre Yernaux. 50 ANS D ACTION 1 PHARE (Personne Handicapée Autonomie recherchée) Equivalent Bruxellois de l AWIPH 7

Jean-Pierre Yernaux - Président Altéo Au début de cette journée, je voudrais vraiment vous remercier, participants et intervenants, venant de tous les secteurs concernés par le thème, pour votre présence en ce jour de fête pour Altéo. C est vrai que 50 ans de vie de notre mouvement, de 10.000 personnes, c est autant dans son côté animation, action locale ou éducation permanente, que dans la dimension de l action politique qui est très importante à Altéo, et par laquelle l on essaie progressivement de permettre de plus en plus que la personne handicapée soit incluse dans notre société, dans toutes les dimensions de notre société. A Altéo, en 1967 mais aussi à d autres moments, nous avons déjà organisé une journée d études et des colloques sur l emploi. Ce n est donc pas un nouveau thème pour nous mais un thème de fond, historique et que régulièrement, nous retravaillons pour l adapter aux évolutions, pour passer des étapes dans ce chemin de l inclusion. En 50 ans, c est vrai qu on va repérer des choses à faire mais il faut aussi pouvoir regarder tout ce qui a déjà été fait et qui est extraordinaire en fin de compte. On a parfois tendance à regarder ce qui n a pas été fait mais, le présent, comme je dis souvent, c est d abord regarder le passé pour en construire l avenir. Et donc, 50 ans n ont pas été inutiles. En faisant ce petit mot, je me suis dit aussi que c était assez particulier. Imaginons venir travailler, dans un colloque sur l emploi, dans un espace d animation et de fête où cela va bouger, c est peut-être bien un des paradoxes du thème d aujourd hui concernant l emploi et le travail de la personne avec handicap. De le vivre à l intérieur, de volontaires, de membres d Altéo dont la vie principale est intégrée dans l animation et dans l action locale, dans cette action d éducation permanente. Lorsqu on parle de l emploi de la personne handicapée, il est clair que nous ne pouvons pas l envisager uniquement sous l angle de l emploi classique en entreprise, dans l administration, dans une logique de rentabilité et d efficacité maximales. Il est clair qu il s agit de quelque chose vers lequel on doit tendre, et ce sera un des thèmes principaux d aujourd hui, mais on ne peut pas uniquement s y arrêter. Pour cette journée, nous pouvons partir de la Convention ONU qui consacre les droits de la personne handicapée: «les états reconnaissent aux personne handicapées, sur la base de l égalité avec les autres, le droit au travail. Notamment la possibilité de gagner leur vie en accomplissant un travail librement choisi ou accepté sur un marché du travail ou dans un milieu de travail ouvert favorisant l inclusion et accessible aux personnes handicapées». En fait, il me semble important de mettre en évidence deux éléments. J ai souhaité en mettre deux, mais nous pourrions en mettre beaucoup plus. D abord, c est celui qui me tient souvent à cœur, et le parcours de vie d une personne avec handicap et qui n est pas linéaire. En permanence, sa disponibilité, sa capacité, sa santé sont liées à l évolution permanente de sa maladie ou de son handicap. Cela nécessite de veiller, dans cette perspective de travail et d emploi, à ne pas sanctionner, dans ce que 8

j appellerais «en double peine», cette spécificité, en permettant l adaptabilité nécessaire à la continuité de son travail, malgré ce parcours de vie pas très linéaire. Deuxième élément qui me tient souvent à cœur, c est qu il faut dissocier mais ne pas séparer la notion d activité et celle d emploi. L emploi étant certes le premier moyen de valoriser son activité. Mais ce qui me semble intéressant, c est de considérer d abord la notion d activité comme le cœur même de l enjeu de l inclusion de la personne handicapée. L activité permet d abord, peut-être, à la personne handicapée d être reconnue comme incluse dans la société car participant à la vie en société. Certains ont parfois parlé du sentiment indispensable, pour toute personne humaine, et donc pour les personnes avec handicap, de se sentir utiles, à travers une activité, intégrées, incluses dans la société. Je me suis proposé de mettre ce petit schéma derrière moi qui reprend peut-être l ensemble des éléments à l intérieur desquels, demain, se retrouveront l ensemble des personnes avec un handicap, suivant l importance ou non de leur handicap : en partant de l emploi ordinaire, de l emploi adapté en ETA, les AVUS (ce projet qui va s intégrer entre l activité journalière d une série de personnes dans leur lieu de vie, activité qui peut déjà avoir une grande utilité et déjà entrer dans une dimension lente d emploi). En regardant ce schéma, nous devons vraiment tendre et nous orienter vers l emploi ordinaire, mais sans mettre une hiérarchie de valeurs entre ces différents lieux et structures possibles d activités. Jusqu à ce qui est marqué d ailleurs : il y a le volontariat, et je peux dire depuis 6 ans en tant que président d Altéo, combien de personnes avec un handicap ont un vrai travail à travers 50 ANS D ACTION 9

ce volontariat mais aussi, et j y tiens personnellement beaucoup, jusqu à ce qui a été indiqué «non activité» au sens travail et emploi mais qui ne signifie pas ne rien faire. Etre utile, par exemple, dans le cas de grande dépendance et de polyhandicap, c est peut-être simplement vivre. Vivre, c est déjà une activité extraordinaire qui a besoin d être reconnue par l Autre et comme utile dans notre société. Cette présence en activité, parce que vivre, c est déjà une activité extraordinaire pour une série de personnes. L objectif de cette journée est donc bien de réfléchir ensemble à une amélioration de l accessibilité à l emploi par d abord, l activité professionnelle rémunérée, mais tout en ouvrant la reconnaissance à une diversité d activités ouvrant ou non à un emploi, en évitant, et nous allons en parler juste après moi, les nombreux pièges à l emploi et qui sont souvent des freins à l accession, à l accessibilité à un emploi effectif. Vraiment, bonne journée de réflexion à toutes et tous, en espérant qu en sortiront de nombreuses pistes qu Altéo, je peux vous le dire, veillera à mener sur le chemin de la concrétisation. Je vous invite aussi, je ne peux pas ne pas le faire, dans les moments libres de la journée, à profiter de la fête à l étage inférieur où vous aurez l occasion de vous rendre compte de cette vie d Altéo depuis 50 ans mais dans sa réalité d aujourd hui. Il est clair que le parallèle avec cette fête, amènera peut-être, à certains moments de la journée, des mutations d une partie du public à cette journée «Emploi». Nous veillerons à ce que ce soit bien organisé mais il est clair que cela fait aussi partie de l événement, la journée «Emploi» n est pas séparée de cette journée de fête. Je terminerai donc en vous souhaitant une bonne journée sur la thématique de l emploi mais aussi bonne journée dans le 50 ème anniversaire d Altéo. Pascal Thiange - Administrateur d Altéo - Président de la journée d études Voilà, merci Jean-Pierre. Tant que je suis dans les remerciements, je tiens aussi à remercier Monsieur Pascal Huygue 2 qui est à nos côtés pour assurer la traduction gestuelle, une tâche particulièrement importante qu il nous tenait également particulièrement à cœur de pouvoir proposer aujourd hui. Merci à vous Monsieur. Je passe maintenant la parole à Vincent et Ghislain Lemaur, membres d Altéo, qui vont mettre en avant une série d éléments, à mon sens très importants dans la réflexion de l accès à l emploi des personnes handicapées, mais aussi de la vie dans l emploi et des impacts que cela peut avoir. Je pense qu ils vont vraiment pouvoir nous éclairer et je leur cède à présent la parole. 2 Interface de communication auprès du service Prorienta, centre de réadaptation professionnelle en Wallonie Picarde, reconnu et soutenu par l AWIPH. 10

Vincent Lemaur Ghislain Lemaur Membres d Altéo Personne handicapée: travail versus non travail Dans cette deuxième partie d introduction, nous allons nous intéresser à voir quelles sont les ressources financières d une personne handicapée. Nous allons comparer deux situations : celle d une personne handicapée qui travaille et celle d une personne handicapée qui n a pas d emploi et nous allons regarder quelles sont les interactions qui existent entre la personne handicapée et les différents acteurs de la vie socio-économique. Une personne handicapée qui n a pas d emploi, peut percevoir des allocations du Service Public Fédéral Sécurité Sociale Direction Générale des Personnes Handicapées qui sont de deux natures : l Allocation de Remplacement Revenu qui compense l absence d un revenu et l Allocation dite d intégration qui subvient de manière forfaitaire aux frais liés au handicap. Lorsque maintenant la personne handicapée travaille, et qui dit travail dit salaire, l employeur verse un salaire à la personne handicapée et paye également des cotisations sociales. La personne handicapée, comme tout travailleur, payera des impôts et des cotisations sociales. Alors évidemment, nous pourrions penser qu une personne handicapée qui travaille va percevoir un salaire imposable beaucoup moins élevé qu une personne valide, du fait du handicap et d une éventuelle perte de rendement au travail, mais ce n est pas le cas parce que la législation impose à l employeur de verser le même salaire imposable à un employé valide ou à une personne handicapée, à fonctions identiques évidemment. Et s il y a perte de rendement liée au handicap, l employeur peut faire une demande auprès d organismes régionaux tels que l AWIPH, le Phare, la Dienstelle, pour obtenir une prime dite «de compensation». Ces primes de compensation sont cumulables avec les primes habituelles pour l embauche des autres personnes. Lorsque la personne handicapée travaille, elle peut également introduire une demande auprès de l AWIPH pour avoir une intervention au niveau de ses frais liés aux déplacements. Très rapidement, lorsque la personne handicapée va travailler, la DG PH va revoir son dossier d octroi d allocations : son allocation de remplacement de revenus sera très rapidement supprimée et on va lui diminuer, voire supprimer également, son allocation d intégration. Par la suite, dans cette introduction, nous montrerons quelques exemples typiques de telles diminutions et de leur impact sur la vie des personnes handicapées. A ce stade, ce que l on voit c est que d un côté, lorsque la personne handicapée travaille, elle contribue à la solidarité nationale en payant des impôts et des cotisations sociales alors que d un autre côté, elle devient victime de la suppression de ses allocations alors que son handicap reste et que généralement, lors de la mise au travail, que ce soit pour une personne valide ou une personne handicapée, il y a des surcoûts pour aller travailler et, dans le cas d une personne handicapée, ces surcoûts sont encore un peu plus élevés. 50 ANS D ACTION 11

L impact concret du travail sur le niveau et la qualité de vie de la personne handicapée Comme dit précédemment, nous allons nous intéresser à des cas typiques de personnes handicapées qui travaillent. Cela ne veut pas dire qu il n y a pas d autres freins à l emploi, notamment par exemple dans l enseignement, ou suite à la perte du travail pour cause de licenciement, ou à l invalidité ou même à la fin de la carrière, pour la pension. Ce qui nous intéresse, c est l évolution du salaire-poche de la personne handicapée, donc vraiment de son pouvoir d achat, déduction faite des frais liés à son handicap en fonction du revenu de départ gagné à partir de son travail. Graphique 1 : PH de catégorie 1, 3 et 5 Nous allons donc regarder les personnes handicapées des catégories 1, 3 et 5 sur le graphique et nous allons comparer cela à une personne valide (en rouge sur le graphe). Tant que le revenu est inférieur à 20.000 annuels (première partie de la courbe), la seule différence est un petit avantage fiscal au bénéfice de la personne handicapée et qui représente à peu près 25 par mois. En Belgique, 90% des travailleurs gagnent plus que ce salaire de 20.000 imposables. On peut dire que ce sont les travailleurs pauvres qui gagnent un salaire inférieur à 20.000 par an. Dès qu on dépasse les 20.000 imposables, la personne valide continue à gagner plus mais la personne handicapée stagne, sur un palier plus ou moins long. Et donc, elle a beau travailler plus, elle ne gagne pas plus. Tout cela en raison de la règle de calcul de l allocation d intégration qui fait que cette allocation diminue en fonction de son travail. Or, dans beaucoup de publications, on se réjouit qu au-delà de 20.000, seule la moitié du montant 12

qui dépasse est retirée de l allocation d intégration. Aurions-nous alors commis une erreur sur ce graphique? En fait, non. Ce qui est souvent écrit en tout petit c est que le revenu imposable qui est pris en compte et pas le revenu net. Et on est déjà dans une tranche d imposition proche de 50%. Ceci fait que sur 100 reçus en plus au-delà de 20.000, 50 partent aux impôts comme tout travailleur et 50 sont perdus de l allocation d intégration. C est une espèce de hold-up de la Direction Générale Personnes Handicapées sur le dos des Personnes Handicapées qui travaillent. Pour fixer l ordre de grandeur des chiffres, la barre verticale représente le salaire moyen d un travailleur en Belgique et donc, pour une personne handicapée de catégorie 3 ou plus, la différence de pouvoir d achat par rapport à une personne valide qui effectue exactement le même travail est déjà de 400 nets par mois. Cette différence peut monter jusqu à 800 nets par mois pour une personne en catégorie 5. La Convention ONU prévoit normalement l égalité de traitement entre les personnes valides et les personnes handicapées mais cette égalité de traitement n est pas vraiment respectée comme on le voit sur le graphique. Ce n est cependant pas de la faute de l employeur, mais celle de diverses réglementations, notamment les allocations pour personnes handicapées, qui font que le salaire-poche n augmente pas de la même manière et est très différent de celui d une personne valide effectuant exactement le même travail. Mais ce n est pas tout en fait. Quand on regarde la plupart des législations sociales, celles-ci ont pour objectif d aider les plus pauvres et donc, généralement, il y a des critères de revenus sur les aides qui peuvent être octroyées. Généralement, le revenu pris en compte est le revenu imposable, pas le revenu net. Pour une personne valide, cela peut se comprendre car quand le revenu imposable augmente, le revenu net augmente aussi. Pour une personne handicapée, nous avions vu que ce n était pas le cas et donc, cela peut constituer des doubles freins à l emploi. Par exemple, regardons les aides pour les logements avec Aides à la Vie Journalière (AVJ). Ces logements sont prévus pour des personnes lourdement handicapées, qui seraient incapables de vivre seules sans aide quotidienne. Ces logements sont en général situés dans des logements sociaux (en Wallonie, toutes les implantations sauf une sont dans des logements sociaux) et donc, au critère médical qui est tout à fait logique pour pouvoir accéder à ces logements avec AVJ, s ajoute un critère de revenus. La personne handicapée qui dépasserait ce revenu n a aucune possibilité de rentrer dans ces logements avec AVJ. Donc, sa seule possibilité, c est de démissionner ou de ne pas accepter un emploi. 50 ANS D ACTION 13

Graphique 2 : surcoût que peut représenter pour un chaisard la recherche d un logement dans le privé et fin du tarif préférentiel «Soins de Santé». En général, une maison adaptée, de plain-pied, avec accès adaptés est extrêmement difficile à trouver et donc, bien sûr, chère. Le graphique montre donc le surcoût que peut représenter la recherche d un logement adapté pour un chaisard. En plus de cela, il y a d autres pièges. Si la personne handicapée de catégorie 5 gagne plus de 38.000 imposables par an, elle perdra l ensemble de son allocation d intégration. Dès qu elle perdra le dernier euro de son AI, elle perdra aussi le statut BIM (l intervention majorée pour les soins de santé), ce qui peut, dans certains cas, être très conséquent. Et donc, en travaillant, la personne handicapée peut gagner moins que si elle ne travaillait pas. En fait, elle peut même gagner moins que le seuil de pauvreté tout en gagnant des salaires qui sont bien au-delà du salaire moyen d un travailleur en Belgique. Dans le graphique qui précède, la différence peut monter jusqu à 1.200 nets par mois, ce qui est quand même assez considérable. Et ce n est pas tout, il y a d autres exemples. Le BAP (pour ceux qui peuvent l obtenir) la contribution financière dépend des revenus, le tarif préférentiel téléphonie (aussi dépendant des revenus), les bourses d études, le chèque-mazout/énergie, diverses exonérations de taxes... En fait, tout ceci pourrait sembler logique pour une personne valide puisque, en général, si on prend le revenu imposable qui augmente, son revenu net augmente aussi. Le problème, est que ce n est pas vrai pour une personne handicapée et donc se pose la question du, «comment promouvoir l emploi des personnes handicapées sans résoudre tous ces pièges à l emploi qui donnent parfois envie de démissionner?» 14

Jusqu ici, nous nous sommes intéressés à des courbes pour une personne handicapée isolée. Qu en est-il maintenant lorsque la personne va se marier? On a beaucoup parlé récemment d une réforme du «prix de l amour» et de sa suppression. Qu est ce que le prix de l amour? C est le fait que les allocations de la personne handicapée peuvent être réduites suite à sa mise en ménage. Pour les personnes valides, il n y a pas de règle particulière lors du passage d une situation d isolé à cohabitant. On additionne simplement les revenus et on paie des impôts comme tout le monde. Pour les personnes handicapées, comme toujours, les choses sont plus compliquées. En-deçà de 20.000, il n y a pas de différence entre une personne handicapée isolée et une personne handicapée cohabitante. Par contre, lorsqu on dépasse le cap des 20.000, on constate en fait que, si on prend 2 personnes handicapées de catégorie 5 qui gagnent le même revenu annuel imposable, quand un des deux membres du ménage gagne 100 supplémentaires au-delà des 20.000, il payera 50 d impôt comme tout travailleur, seront retiré 50 de son allocation d intégration (c est la règle de calcul de l AI) mais 50 seront également retirés de l Allocation d Intégration de son conjoint. Donc, au final, il va recevoir 100 et il va en perdre 150. Donc, malgré cette réforme, au plus les personnes handicapées vont travailler, au plus elles vont perdre de l argent, au plus leur salaire-poche va diminuer. C est ce qui est représenté sur le graphique ci-dessous par le triangle. Tout ce qui est hachuré, c est la différence qui découle du fait que les personnes handicapées sont isolées ou cohabitantes. C est ce qu on appelle le «prix de l amour», qui peut monter jusqu à peu près 450 nets par mois, pour chacun des conjoints. En conclusion de cette introduction, nous espérons vous avoir convaincus de l importance que représentent ces pièges à l emploi et que ces pièges n incitent pas, voire découragent, les personnes handicapées à travailler. 50 ANS D ACTION 15

Comment alors réussir une politique de diversité si l on ne s attache pas à ces pièges à l emploi? Une vraie mesure pour promouvoir l emploi des personnes handicapées ne serait-elle pas de transférer cette compétence de l allocation d intégration du régime résiduaire vers la sécurité sociale afin que cette allocation soit un droit pour les personnes handicapées, un droit à pouvoir enfin choisir, librement, son mode de vie en n étant pas pénalisé par des règles d un autre siècle, un siècle où on ne prenait pas en compte la volonté d émancipation des personnes handicapées. Merci. Pascal Thiange - Administrateur d Altéo - Président de la journée d études Je remercie Vincent et Ghislain Lemaur d avoir tenté, de manière brillante, par cette mise en bouche, de montrer la situation et de déjà questionner chacun des participants à cette journée. Il y a pour moi une question qui me semble importante dans leurs propos: pourquoi quelle que part cette forme de «hold-up» de la société, pourquoi cette reprise de chaque euro gagné courageusement par les personnes handicapées qui s impliquent et qui veulent être parties prenantes dans la société, notamment via l emploi? Il s agit d une question centrale dans le colloque de cette journée et j espère que nous pouvons y apporter un certain nombre de réponses. Vincent et Ghislain pourront répondre aux questions qui seront posées tout à l heure. A présent je vais céder la parole à Michel Grawez et Michel Mercier, que je remercie de venir à la table. Nous avons demandé aux deux Michel, de pouvoir reposer le cadre de l emploi des personnes handicapées au niveau socio-économique en Belgique. Michel Grawez et Michel Mercier - (FUNDP Département de psychologie) Merci Pascal. Merci de m avoir invité à prendre la parole lors de ce colloque. D abord, une petite mise au point. Je peux parler en tant que psychologue, je parle alors de sexualité des personnes handicapées. Ici, comme économiste, je parlerai d emploi. C est Altéo qui a choisi de parler d emploi plutôt que de sexualité. Deuxième précision : je n ai rien à voir avec le Michel Mercier dont on parle beaucoup en France. Beaucoup de gens m ont dit qu ils m avaient entendu à la radio à propos de l affaire de Michèle Martin mais ce n est pas moi. D abord, je voudrais souligner que je reprends plutôt ici une approche macro-économique du phénomène de l emploi. Mes prédécesseurs, à travers cette problématique du piège à 16

l emploi ont davantage abordé une approche micro-économique qui est centrale et déterminante et dont je comptais parler un petit peu mais cela me paraît tout à fait inutile après ce que nous avons entendu parce que rien que l exposé précédent suffirait déjà à alimenter tout un débat sur un certain point de vue de l emploi des personnes handicapées. Je voudrais prendre un point de vue macro-économique et comme je le disais à Anne Tricot en entrant, je répète les mêmes choses depuis des années. Jean-Pierre Yernaux nous a rappelé que depuis 1967, cette problématique était posée. Il est vrai que nous retrouverons des problématiques posées déjà depuis longtemps mais je crois qu il faut frapper sur le clou y compris dans le domaine des pièges à l emploi qui viennent de nous être rappelés. Les fondamentaux de la Déclaration de Madrid En guise d introduction, pour situer le contexte socio-économique et surtout social, je voudrais reprendre les principes fondamentaux de la Déclaration de Madrid. Jean-Pierre Yernaux évoquait la Convention de l ONU 3. Je pense que nous sommes ici dans le même esprit concernant l inclusion sociale des personnes handicapées. En effet, la Déclaration de Madrid 4 reprend à mon sens, dans mon interprétation, l essentiel pour lire le paysage du droit, de la diversité, des revendications sociales dans le champ de l inclusion des personnes handicapées. D abord, la Déclaration de Madrid affirme le principe de «non- discrimination, qui est l égalité des droits, l égalité des droits au travail» pour les personnes handicapées. Le droit étant revendiqué, cela ne suffit pas pour que le droit à l égalité au travail soit appliqué (nous l avons vu avec les pièges à l emploi tout à l heure). Un deuxième aspect est l action positive dans le champ du handicap (ou la discrimination positive, terme que l Europe n aime pas car cela sous-entend «discrimination», c est pourquoi on parlera plutôt d «action positive»). Cette action tente de rétablir l égalité des chances pour que l égalité des droits soit effective. Quand on part défavorisé, pour des raisons de déficiences, pour des raisons d incapacité ou des questions de désavantage social, il faut rétablir une égalité des chances pour que l égalité des droits soit effective. Nous avons vu dans l exposé précédant que finalement, non seulement on ne rétablissait pas l égalité des chances, mais qu on pénalise dans certaines situations, par un mécanisme social, l accès au travail des personnes handicapées. Cela va vraiment dans le sens opposé de l égalité des chances. Et là il est vrai que je crois qu il y a une action à mener. Je sais que Jean-Marc Delizée, Secrétaire d Etat aux personnes handicapées ici présent est sensible à cette problématique, tout comme Daniel Tresegnies également présent qui travaille à la Direction Générale Personnes Handicapées du SPF Sécurité Sociale. 50 ANS D ACTION 3 Convention sur les Droits des personnes handicapées de l ONU (Organisation des Nations Unies). 4 Formulée par le Forum Européen des Personnes Handicapées, à l époque où André Gubbels était à l Europe. Rédigée l année précédant l Année Européenne des Personnes Handicapées (en 2003). 17

Je crois qu il faut vraiment frapper sur le clou : il s agit de rétablir l égalité des chances par des actions positives et, en premier lieu, de ne pas induire de nouvelles discriminations par l action menée à l égard des personnes handicapées. L inclusion sous-entend quant à elle, d une part, l accessibilité généralisée, c est-à-dire une accessibilité maximale pour l ensemble de la population, dans un domaine social particulier. Ici, c est le domaine social de l accès à l emploi, le domaine social du travail. Une première condition est de favoriser au maximum l accessibilité, comme l accessibilité doit être favorisée dans d autres domaines comme la mobilité (que Michel Grawez travaille et qui est présenté sur un stand dans le cadre du 50 ème d Altéo). D autre part, l inclusion sous-entend l aménagement raisonnable. C est-à-dire que l on a beau favoriser un maximum d accessibilité, il est nécessaire, pour des personnes handicapées, qu en plus, en fonction du handicap, soient effectués des aménagements raisonnables (et on pourrait discuter de ce concept «raisonnable», mais je n ai pas le temps de le discuter ici). Par exemple, pour qu une personne handicapée puisse avoir un accès à l emploi dans la plupart des domaines de l emploi actuellement, elle doit pouvoir avoir accès à l ordinateur. Mais si une personne est non voyante, elle n a pas accès à l ordinateur si elle n a pas de synthèse vocale. Et bien, l accessibilité généralisée, et cela a été défendu lors des conclusions de l Année Européenne des Personnes Handicapées à Rome, implique que les constructeurs d ordinateurs favorisent la possibilité d installer une synthèse vocale ou une barrette Braille, ce qui correspond au principe d accessibilité généralisée. L aménagement raisonnable, c est quand l AWIPH, au niveau régional, intervient pour que la barrette Braille ou la synthèse vocale soit effectivement installée sur l ordinateur pour une personne aveugle. Il n y aurait pas besoin que tout le monde ait une synthèse vocale ou une barrette Braille installée, ce serait ridicule. Nous sommes ici dans la notion d aménagement raisonnable. La réalité chiffrée des aides à l emploi pour les personnes handicapées en Région wallonne En voyant maintenant les chiffres des aides à l emploi au niveau régional, mais cela touche aussi le niveau fédéral comme je le disais, qu est-ce qui est fait au niveau des aides à l emploi dans la logique de cette Déclaration de Madrid? Il existe différentes aides à l emploi au niveau de l AWIPH et je vais les évoquer brièvement sans donner de détails, en me basant sur les derniers chiffres que j ai eus (2009). 18

Que peut-on voir au travers de ce tableau? Nous pouvons voir, et là je pose une question que j avais posée avec Joseph Burnotte quand il avait organisé son colloque sur l emploi des personnes handicapées, et avec Anne Tricot lors d un colloque à la FGTB il y a quelques années, qu il y a une aide à l entreprise. Cette aide représente ici près de 20,5 millions d. Nous pouvons la voir de deux manières: soit la politique d embauche favorise davantage l entreprise et des primes sont données aux entreprises (peut alors se poser la question idéologique : Est-ce que c est l entreprise qui est privilégiée) soit, et cela fera sans doute l objet du débat de la table ronde, en favorisant l accessibilité puisqu on incite, par des incitants financiers, les entreprises à embaucher des personnes handicapées. Quand nous regardons du côté du tutorat, c est-à-dire une aide directe à la personne, ou du côté de l aménagement technologique, nous n en sommes qu à peu près à 300.000. Il faut donc se poser la question de ce qu on favorise: au niveau macro, est-ce qu on pousse l entreprise à engager des personnes handicapées? ce qui agit quand même à un niveau micro sur l agent économique individuel, en favorisant par là l accessibilité généralisée (mais est ce que c est vraiment de l accessibilité généralisée) ou bien, est-ce qu on pousse le champignon sur l aménagement raisonnable? Il est étonnant de voir qu au niveau des aides techniques, dans tous les domaines, il n y a que 100.000 qui y sont consacrés. Donc, il semblerait que l on soit moins dans un contexte d aménagement raisonnable que d accessibilité généralisée. Nous pourrons réfléchir, finalement, à l articulation entre les 2 et aux priorités données. 50 ANS D ACTION 19

Quand on voit les ETA, nous pouvons nous poser la question de savoir si elles poussent vers l emploi ordinaire. Faut-il favoriser l emploi ordinaire? Faut-il favoriser l environnement spécialisé? Voilà encore une question macro-sociale et macro-économique importante. Concernant les ETA, voici les chiffres, et j espère qu ils sont justes: Le coût d un travailleur en ETA est donc de plus ou moins 10.000 mais, sachant que les ETA, dans la définition de STIKER, c est de l insertion, c est-à-dire, créer un environnement pour qu il soit accessible aux personnes handicapées mais qui est un environnement qui n est pas l emploi ordinaire. Alors, deux questions: faut-il le favoriser? Moi, je dirais oui, dans certains cas, parce que beaucoup de personnes n ont pas, en fonction de leur handicap, accès peut-être à l emploi ordinaire. Cette forme d emploi n est-elle pas cependant une forme d emploi de ghetto spécialisé? Surtout quand on voit que de plus en plus, la compétitivité et la performance jouent aussi dans les ETA ; ce qui est positif car elles entrent dans le tissu économique global mais entraîne des exigences supplémentaires. Les ETA jouent-elle alors encore leur rôle d être destinées à ceux qui n ont pas accès à l emploi, c est-à-dire les plus démunis en fonction du handicap, que rappelait Jean-Pierre Yernaux tout à l heure. Donc, c est un questionnement. Comme toujours, les économistes posent des questions mais ils n apportent pas de réponses. C est comme le ministre qui cherchait un économiste manchot parce que décrit-il quand je demande à un économiste ce qu il faut faire en politique, il me dit toujours «d un côté, il est possible que, mais de l autre ce n est pas possible, c est mieux alors d avoir le possible que». La double discrimination des femmes handicapées et des familles Il y a discrimination à l égard des personnes handicapées. Mais ce que je voulais souligner ici, parce que je crois que du point de vue social et socio-économique cela a de l importance, c est la double discrimination qui existe à l égard des femmes handicapées. Je crois qu il c est important de le souligner parce qu il y a une discrimination à l égard du handicap mais aussi une discrimination à l égard des femmes qui, elles, ont mené des mouvements dans le champ de l emploi (et c est peut-être quelque chose qui sera important pour le monde associatif). Quand je vois le taux d activité, c est-à-dire dans la population en âge de travailler, la capacité de travail, combien travaillent et combien sont demandeurs d emploi, dans le champ des personnes valides, les chiffres montrent que les femmes sont défavorisées par rapport aux hommes ; au niveau du taux d activité globale, les personnes handicapées sont défavorisées par rapport aux personnes valides ; et au sein du groupe des personnes handicapées, les femmes sont encore défavorisées par rapport aux hommes. 20

Ce sont des chiffres français de la DRES parce que ces chiffres ne sont pas disponibles pour la Belgique et pour la Wallonie mais je crois que le problème se pose de la même manière. Au niveau du taux de chômage, nous pouvons voir que le taux des personnes handicapées est le double de celui des valides, en ne prenant pas en compte les personnes qui bénéficient d allocations mais nous reviendrons là-dessus. Au niveau du taux de chômage dans la population normale, les femmes sont défavorisées par rapport aux hommes. Pour les personnes handicapées la proportion va du simple au double. Nous l avions confirmé dans une recherche faite pour Willy Tamigniaux à l époque et dans le champ du handicap, les femmes sont défavorisées. Il est donc clair qu il y a là une double discrimination et cela doit aussi être pris en compte dans la lutte du monde associatif et aussi peut-être dans des collaborations, des solidarités entre les associations des différents publics, les femmes d un côté et les personnes handicapées de l autre. La recherche de l AFRAHM avec Autisme Europe que je me plais à rappeler et qui traite de la problématique de la discrimination par association dans le champ de l emploi pour des familles ayant des enfants handicapés de grande dépendance, montre qu un pourcentage important (82% en tout) de familles où il y a un enfant handicapé de grande dépendance voit un des deux membres du couple quitter son emploi, voient un des deux membres du couple travailler à temps partiel. Dans 90% des cas, ce sont des femmes. Et ce n est pas un choix. On pourrait dire qu ils ne veulent pas lâcher l enfant handicapé, c est vrai que cela existe, mais dans 54% des cas, les gens affirment qu ils n ont pas d autre choix. Les femmes qui, finalement, quittent leur emploi pour s occuper de leur enfant handicapé, perdent non seulement leur emploi, leur compétitivité sur le marché du travail mais aussi leur protection sociale. Donc, il y a de nouveau, autour du champ du handicap, une double discrimination. La politique des quotas en France : un exemple à importer? David Lefèbvre m avait demandé d évoquer un peu la politique des quotas en France. Je vais l évoquer brièvement ici. Elle existe en France pour le secteur privé et public. En Belgique, elle n existe que pour le secteur public. La logique macro de la politique des quotas est la suivante: Si une entreprise de plus de 20 travailleurs n embauche pas au moins 6% de 50 ANS D ACTION 21

personnes handicapées, elle doit payer une taxe de compensation (dans la recherche faite avec Jean-Pierre Binamé, on avait parlé de «taxe de solidarité») de 5.400, c est-à-dire 600 fois le salaire horaire du SMIC. Quand l entreprise n engage pas du tout de personnes handicapées pendant plus de 3 ans, c est 1.500 fois le salaire horaire du SMIC. Donc c est un incitant à l embauche des personnes handicapées. Quand y a-t-il non-paiement de la prime? Il y a paiement de la prime en taxe compensatoire soit par le biais d engagement de travaux auprès des ETA, par l engagement de stagiaires personnes handicapées, par des initiatives collectives en faveur de l embauche de personnes handicapées. Ce sont là les dispositions qui peuvent être prises par les entreprises pour échapper finalement à la prime compensatoire. Mais on a quand même pu constater que les entreprises de moins de 20 travailleurs qui n ont pas l obligation embauchent, pour des raisons psychologiques, je crois, c est-à-dire de proximité, de décision directe du chef d entreprise, et pas d un service GRH. Mais on ne va pas rentrer dans les détails, on en parlera un peu tout à l heure. Il faut constater qu en France, 56% des entreprises embauchent des personnes handicapées ; 48% des entreprises atteignent leur quota d emploi, ce qui est quand même intéressant. Le taux d activité des personnes handicapées est de 2,5%. Au colloque de la FGTB, mis sur pied par Anne Tricot, on avait présenté un tableau sur l efficience de la mise à l emploi des personnes handicapées en fonction d une politique des quotas dans l emploi ou pas. L efficience c est donc le rapport «efficacité / coût». L efficacité, c est le nombre de personnes handicapées engagées. L efficience, c est: Qu est ce que cela coûte pour engager des personnes handicapées? Légende: -En souligné: pays avec un objectif d emploi exprimé en % du personnel et une contribution de solidarité. -Astérisque(*): pays avec quota d emploi sans contribution de solidarité. On constate que dans les pays européens où il y a des quotas obligatoires, la performance est la plus haute. La Belgique est la moins efficiente, ce qui veut dire qu elle dépense beaucoup d argent pour l efficacité qui est en jeu. C est un peu tronqué, il faut le reconnaître puisque l Etat, au niveau du coût de l emploi en France ne dépense pas d argent puisque 22

c est l AGEFIPH, par les rentrées financières dues aux taxes compensatoires qui sont les incitants à l emploi et qui constituent l argent consacré à l aménagement des postes de travail, l argent consacré à la mise au travail des personnes handicapées. Alors, que pouvons-nous dire de cette politique des quotas? Au regard du tableau ci-dessus, elle semble efficiente; mais du point de vue psycho-social, elle peut entraîner des effets pervers sur lesquels il faut réfléchir. Certains de ces effets pervers, à l époque où ils ont été travaillés (recherche de Jean-Pierre Binamé) avaient été dénoncés par les associations. D abord, on risque de stigmatiser les personnes handicapées. Les entreprises sont taxées quand elles ne bougent pas, sont obligées de taxer, c est le problème de parité finalement, qui est retrouvé au niveau politique avec les listes électorales et les femmes. Ce problèmelà a déjà été soulevé. Deuxièmement, il risque d y avoir un effet d aubaine. On pousse des personnes handicapées qui ne se déclarent pas handicapées et qui travaillent dans l entreprise, à se faire reconnaître comme personnes handicapées alors qu elles n en ont pas envie. Il s agit d un effet pervers possible de cette procédure d action en faveur de l emploi des personnes handicapées. Troisièmement, nous sommes dans l idéologie du travail. Jean Pierre Yernaux l a évoqué tout à l heure, les entreprises sont obligées d embaucher des personnes handicapées, sous peine de taxe compensatoire est-ce que, de la même manière, les personnes handicapées sont-elles obligées de travailler? Parce que, Jean-Pierre le disait, il y a différentes formes de participations sociales et il y a des personnes handicapées qui disent «moi je touche mon allocation» et pour les raisons qui ont été évoquées par nos deux collègues Vincent et Ghislain LEMAUR (les pièges à l emploi), c est-à-dire : à cause du piège à l emploi, je risque de perdre mon allocation, alors je préfère garder mon allocation et m engager dans le mouvement associatif, être militant, m engager dans le domaine culturel, etc. C est tout le problème idéologique de la valeur du travail comme cela a été étudié notamment par Dominique Méda. Est-ce qu il faut absolument pousser au travail dans une société où l on peut avoir d autres types d intégration? Est-ce que ce travail est vraiment épanouissant? Est-ce que l on n introduit pas dans le champ du handicap une forme d aliénation? La question a été posée par Jean-Pierre Yernaux tout à l heure : il y a différentes formes d intégration sociale, le travail en est une qui est intéressante mais n oublions pas d autres possibilités. Enfin, le risque de pousser les entreprises à une dynamique d engagement sous peine de taxes compensatoires ne conduit-il pas à un biais, à une perspective d engager les personnes handicapées pour leurs compétences parce qu elles sont dynamiques, parce qu elles sont productives, parce qu elles peuvent être rentables dans l entreprise. Est-ce qu on n induit pas une dynamique de représentations sociales négatives? 50 ANS D ACTION De nouveau, les questions sont ouvertes. Elles devraient être débattues. 23

Dans quel contexte social, dans quelle attitude sociale sommes-nous? Comme le montrent Alain Ehrenberg et Vincent de Gaulejac, nous sommes dans une société de la performance, de l excellence et de la compétitivité. Or, les représentations sociales du handicap montrent qu on a des représentations sociales des personnes handicapées qui sont justement de l ordre d une diminution de compétitivité, voire même d impuissance et de fragilité, par rapport à la société, par rapport au marché du travail. Donc, dans cette idéologie-là, la personne handicapée est défavorisée uniquement par des constructions de l image sociale du handicap. Nous sommes aussi passés d une société de l obligation à une société du désir, un passage de l obligation du travail à un désir d épanouissement dans le travail. Jean-Pierre Yernaux l a aussi évoqué tout à l heure: quel type d épanouissement peut-on trouver indépendamment de l obligation absolue de travailler pour être reconnu socialement? Le travail a une désutilité : ce matin, nous sommes venus travailler un samedi matin à 9 heures alors que nous serions en congé. Autour du travail, il y a la problématique du désir, de l épanouissement dans la vie, et le travail rémunéré n est pas forcément la panacée. Dans la recherche effectuée pour Williy Taminiaux à l époque, nous avons pu montrer qu il y avait une représentation sociale négative du côté des employeurs (nous avons mené une enquête d abord téléphonique et une enquête directe par entretiens avec des employeurs) car il ressort de cette enquête que dans la tête des employeurs ils ne peuvent pas embaucher de personnes handicapées, que la personne handicapée nuit à l image de marque de l entreprise, qu il y a des difficultés relationnelles à cause du handicap, que cette personne n a pas de rendement, qu elle a une productivité limitée, qu elle entraîne des charges administratives, qu elle a toujours un handicap évolutif qui crée de l absentéisme. Donc, de ce point de vue-là, la personne handicapée n est pas fiable au travail. Ce sont des représentations sociales contre lesquelles il nous faut lutter. En France, Amadieu a réalisé une expérience tout à fait intéressante et je l évoque brièvement: il a envoyé des CV d une série de personnes avec des caractéristiques différentes et a montré que des employeurs ne convoquaient même pas à un entretien d embauche certaines catégories de personnes. Le tableau ci-dessous le relate bien. 24

Les personnes handicapées ne sont pas plus discriminées. La discrimination à l égard des femmes est proche de celle des personnes handicapées. Nous ne sommes ici simplement que dans le cas d une convocation à l entretien d embauche. L emploi des personnes handicapées: un phénomène de société? Ce point a été travaillé avec Joseph Burnotte de la FGTB Wallonne. Premièrement, le phénomène d exclusion permet finalement de créer la réserve d emploi et c est une logique sociale. Deuxièmement, nous avons vu que les femmes, dans leur lutte, étaient parvenues à induire des changements sur le marché du travail. Il est donc essentiel que les mouvements associatifs de personnes handicapées aillent dans ce sens du mouvement social, dans le champ de la sexualité, dans le champ de l accessibilité, dans le champ de l intégration de la petite enfance et dans le champ de l emploi. Qu est-ce que cela signifie pour des associations de personnes handicapées? 1/ Il faut une sensibilisation des permanents. 2/ Il faut une réelle participation sociale des personnes handicapées aux mouvements associatifs comme dans toute la société, parce que cela change les représentations sociales. 3/ Il faut une solidarité avec d autres mouvements sociaux: les femmes, les immigrés, la pauvreté. Il faut qu il y ait une solidarité plus globale avec d autres mouvements sociaux. Il y a donc plusieurs perspectives: 1/ Favoriser l action politique dans le mouvement social. 2/ Sensibilisation des entreprises. 3/Sensibilisation des représentants des travailleurs. Posons-nous la question: «Combien y a-t-il de permanents syndicaux handicapés dans les syndicats?» 4/ Réfléchir à la politique des quotas dans la fonction publique en Wallonie (quotas de 2.5% qui n est pas respecté), la politique des quotas dans les entreprises et enfin... 5/ La prévention! Certains travailleurs qui deviennent handicapées à cause du travail, à cause de leur condition de travail. Là, les mouvements associatifs ont un travail, et au travers de l emploi, à revendiquer l inclusion globale des personnes handicapées. 50 ANS D ACTION 25