LA VICTIME EN PROCEDURE PENALE



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Transcription:

LA VICTIME EN PROCEDURE PENALE On cherchera en vain dans les textes juridiques, y compris dans le Code pénal, une définition de la victime. Sans autre précision, la victime y est synonyme de partie lésée, de plaignant, de partie civile, de personne ayant subi un préjudice ou ayant personnellement souffert du dommage causé par l'infraction. Le sens commun qualifie généralement de victime la personne qui subit et qui souffre soit des agissements d'autrui, soit d'événements néfastes. Si l on adapte cette définition à la procédure pénale, la victime doit s entendre de toute personne, physique ou morale, ou groupe de personnes ayant souffert, directement ou indirectement, d'un acte prohibé par la loi pénale. La victime est donc un sujet passif, par opposition au sujet actif, celui qui cause le dommage. Elle se voit opposer une situation inique, et il incombe à la justice de compenser ses souffrances et de réparer l'injustice. Mais cette conception communément admise, caractérisée à la fois par une idée de souffrance illégitime et par la nécessité de réparer, est récente car elle ne se retrouve guère dans l histoire. La victime en effet n'a pas toujours été la personne qui subit, mais la personne qui se venge. On sait qu'aux origines des civilisations, lors de la période dite de la «vengeance privée», c'est la victime et le groupe auquel elle appartient qui décident à la fois qu'il y a offense et qu'il convient de réagir contre son auteur. Cette réaction se fait alors sans mesure ni contrôle d'une quelconque autorité étatique. L'infraction et les conséquences qui en résultent sont une affaire strictement privée. Lors de la période suivante, qualifiée de période de la «justice privée», les choses n'évoluent guère sur ce plan. C'est encore à la victime de décider qu'il y a infraction et que son auteur doit être puni. La différence avec la phase précédente tient au fait qu'apparaît progressivement la notion de proportion entre le mal reçu par la victime et la sanction qu'elle inflige au délinquant : la vengeance ne doit pas excéder le mal subi, et une vengeance évaluée en argent, ou composition pécuniaire, apparaît. Cependant le procès pénal n'en reste pas moins une affaire dans laquelle l'etat n'est tout au plus qu'un observateur contrôlant la mise en oeuvre des règles de modération évoquées. Il faut attendre la période de la «justice publique» pour voir l'etat prendre le relais de la victime et se substituer définitivement aux volontés particulières. Désormais ce n'est plus à la victime de décider s'il y a ou non infraction ni à elle d'infliger la sanction. L Etat détient le monopole du droit du punir qu il exerce au nom de la société toute entière. L histoire du droit pénal depuis les temps barbares est donc celle de la lente conquête de ce monopole par l Etat, en même temps que la dissociation progressive entre la réparation civile, compensant l atteinte portée par l infraction aux intérêts privés, et l application de la peine, sanctionnant le tort causé par elle à l ordre social. Lorsqu une infraction a été commise, c est le Procureur de la République, représentant de la société, qui exerce les poursuites. Même si la victime dispose du moyen d engager elle-même l action publique par la voie de la citation directe ou de la plainte avec constitution de partie civile, le procès pénal oppose toujours l auteur de l infraction à la société. Seules les juridictions pénales, organes indépendants, mais organes de l Etat, ont le droit d infliger une sanction pénale. Le rôle tenu par l Etat tout au long du processus pénal sépare ainsi profondément la victime du droit pénal. C est pourquoi la victime est longtemps restée la grande oubliée de notre procédure criminelle. L'exclusion de la victime du procès pénal s'appuie sur une justification systémique : le procès pénal vise à sanctionner l'auteur d'un acte antisocial pénalement sanctionné. Dès lors, ce procès oppose le ministère public, représentant légitime des intérêts de la société, à l'auteur de l'acte antisocial. Ainsi, la procédure pénale vise à protéger l'intérêt public. La peine, enjeu de la procédure pénale, est prononcée pour le compte de la société et non pour le compte de la victime. Le législateur du 5 mars 2007 l a bien compris, puisqu il est venu restreindre la possibilité pour la victime de déclencher l action publique par le biais de la plainte avec constitution de partie civile. De même,

l assemblée plénière de la Cour de cassation à, dans deux arrêts rendus le 9 mai 2008, posé le principe de la non transmission à l héritier du droit de la victime directe de participer au procès pénal. De ce fait, n'y aurait-il pas confusion des genres à voir la victime de l'infraction entrer dans le paradigme punitif de la sanction pénale? La question n'est pas aussi déplacée qu'il y paraît. A examiner l'évolution du droit pénal, on s'aperçoit que la victime est moins étrangère à la procédure criminelle qu'on voulait bien l'imaginer. Bien au contraire, la victime a, ces dernières années, connu un regain de considération à tous les stades du processus pénal. Plus précisément, le droit pénal s'est vu assigner un nouvel objectif pour satisfaire l'intérêt des individus qui se prétendent lésés par l'infraction. Cet objectif concurrence directement la répression et renvoie à la confusion originaire des responsabilités civile et pénale : il s'agit d'un objectif de compensation. Le législateur français s'est en effet toujours efforcé de répondre au besoin de compensation ou d'indemnisation ressenti par les victimes, puisqu'il leur a offert très tôt la possibilité d'obtenir, devant le juge répressif, réparation du dommage résultant directement de l'infraction (art. 2, CPP). Cette faculté s'est ensuite doublée d'un droit à une indemnisation effective, grâce aux différents systèmes de fonds de garantie mis en place dans les années quatre-vingt (pour les victimes d'infractions, d'actes de terrorisme, d'accidents de la route, etc.) et à la loi n 90-589 du 6 juillet 1990 qui a étendu les possibilités de recours devant les Commissions d'indemnisation des Victimes d'infractions (art. 706-3 et s., CPP). Néanmoins, les fonds d'indemnisation n'ont pas écarté les victimes des prétoires pénaux. Ces dernières sont toujours présentes pour revendiquer, moins une compensation pécuniaire, qu'une compensation morale de la part de l'auteur : pour elles, la reconnaissance d'une culpabilité est un élément fondamental de la justice qu'elles réclament. Le législateur l a bien compris, puisqu'il a mis en place avec la loi du 25 février 2008 une manière de «compenser», par le procès pénal et la déclaration de culpabilité, la douleur endurée par les victimes de criminels atteints de troubles mentaux. Le phénomène le plus marquant, en la matière, est sans doute l'intégration de la compensation à tous les stades du procès. Notre droit pénal recèle en effet désormais un grand nombre de dispositions qui conduisent à mêler la réparation à la répression. Le droit pénal apparaît alors comme un droit «réparateur et protecteur». Il suffit pour s'en convaincre de citer, pêle-mêle et sans rechercher l exhaustivité, la médiation pénale, la composition pénale, la dispense de peine, ou encore la sanction réparation mise en place par la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance. La prise en considération toujours plus grande de la victime en procédure pénale semble manifester une forme de «privatisation» de la matière. L essor des normes constitutionnelles et internationales garantissant les droits fondamentaux n est pas étranger à cette évolution, dans la mesure où il a entraîné une transformation de la nature du procès pénal, marquée par l'affaiblissement du rôle autoritaire et répressif de l'etat, au profit d'un procès de défense au cours duquel les parties privées jouent un rôle essentiel. Bien que le procès pénal demeure, dans une large mesure, un instrument d'autorité, il suffit d'observer le rôle toujours plus grand des parties privées en son sein et le souci constant du législateur de protéger leurs intérêts, pour se convaincre de l'affaiblissement de l'emprise étatique sur le droit répressif. Le mouvement s'est amplifié lorsque la victime a été placée au coeur des discours de politique criminelle. Il faut admettre l'idée que le procès pénal s'est véritablement transfiguré : il n'est plus un instrument essentiellement étatique ayant pour finalité unique la répression. L'objectif de répression demeure, mais il est doublé d'un objectif de protection des intérêts privés, voire de restauration des rapports entre la victime et le délinquant, ce qui est plus proche de la réparation que de la punition. Le procès pénal a changé dans sa finalité répressive : la protection de l'intérêt général est concurrencée par la protection d'intérêts privés, individuels ou collectifs. Cette privatisation conduit à un brouillage des finalités du droit pénal et au recul du caractère impératif de ses règles. C est pourquoi l étude de la place aujourd hui occupée par la victime en procédure pénale pose in fine la question des intérêts préservés et des buts poursuivis par la procédure pénale contemporaine. Or, que l on se penche sur l étude de l influence de la victime sur l action publique (I) ou sur la

prise en compte de la réparation du préjudice causés à la victime par le biais de l action civile exercée devant le juge répressif (II), un constat s impose : la victime occupe une place de choix dans notre procédure pénale contemporaine. I L influence contestée de la victime sur la répression pénale A) L influence décroissante de la victime sur la mise en œuvre de l action publique 1) La possibilité ancienne pour la victime de déclencher l action publique - Rappel de l objet de l action publique (distinction entre action de la société et action de la victime), qui devrait a priori exclure toute intervention de la victime. - Rappel de la distinction entre action civile exercée par la voie de l intervention et action civile exercée par la voie de l action. Modalités de l exercice de l action civile par voie d action (citation directe et plainte avec constitution de partie civile). - Effets de l action civile exercée par voie d action : déclenchement de l action publique (Crim. 8 décembre 1906, Laurent-atthalin). Cette prérogative de la victime de déclencher l action publique constitue un tempérament au principe de l opportunité des poursuites et rend la victime en partie maîtresse du déclenchement de l action publique. 2) Restrictions apportées à la possibilité pour la victime de déclencher l action publique - Mécanismes traditionnels visant à limiter les constitutions de partie civile par voie d action (consignation, amende civile ) - La loi du 5 mars 2007 institue de nouveaux mécanismes destinés à limiter les constitutions de partie civile par la voie de l action, et donc le déclenchement de l action publique par la victime : conditions nouvelles présidant à la recevabilité de la plainte avec constitution de partie civile ; institution du mécanisme de la consignation complémentaire. - Démarche identique de la Cour de cassation : arrêts rendus par l assemblée plénière de la Cour de cassation le 9 mai 2008 concluant à l impossibilité pour l héritier de la victime directe décédée de déclencher l action publique en exerçant son action successorale par la voie de l action. B) L influence croissante de la victime sur l issue de l action publique 1) Influence croissante de la victime sur la décision de condamnation - Institution par la loi du 25 février 2008 de la procédure de déclaration d irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental (v. fiche synthétique consacrée à la loi du 25 février 2008). L objectif affiché de cette réforme, adoptée en réaction à un fait divers très médiatisé (l affaire Romain Dupuy), était de permettre aux familles de victimes de faire leur deuil. L idée qu un procès doive avoir lieu, même en cas d irresponsabilité de l accusé, pour permettre aux familles de victimes de «faire le deuil», suscite, la critique des commentateurs, perplexes qu on veuille juger les irresponsables alors que notre justice quotidienne a déjà bien du mal à juger

les autres. En commentant son projet, Nicolas Sarkozy a clairement laissé entendre sa raison d être : offrir un lieu et un moment symboliques où les victimes et familles de victimes pourraient, au travers d une procédure publique, expurger leur peine. «Juger les fous impliquerait donc de renoncer au principe d une justice moderne, centrée sur l individu et sa responsabilité personnelle, en renouant avec la fonction purement magique des justices barbares et "sauvages", qui cherchaient non pas tant à juger un homme qu à refonder l unité menacée de la communauté» (Jean de Maillard, magistrat). Ainsi, le mouvement consistant à faire des victimes l élément décisif d une décision de condamnation paraît conduire le droit pénal sur le chemin d une justice purgative, similaire à celle de nos lointains ancêtres. - Institution de la sanction réparation par la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance : le rapprochement juridique de la sanction et de la réparation a de quoi surprendre. En effet, la première est le prolongement de l'action publique, soit l'action pour l'application des peines (c. pr. pén., art. 1er), alors que la seconde est l'objet même de l'action civile, soit l'action en réparation du préjudice né d'une infraction (art. 2). L'une est par essence pénale, l'autre est par essence civile. Leur réconciliation peut apparaître improbable. Pourtant, la loi du 5 mars 2007 définit la sanction réparation, nouvelle peine alternative et/ou complémentaire en matière correctionnelle, comme «l'obligation pour le condamné de procéder, dans le délai et selon les modalités fixés par la juridiction, à l'indemnisation du préjudice de la victime» (art. 131-8-1, al. 2 CP). 2) Influence croissante de la victime sur l exécution de la peine - L évolution du droit criminel tend vers une prise en considération, toujours plus marquée, de l'intérêt de la victime dans l exécution de la peine. Dans cette perspective, la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité a inséré dans le Code de procédure pénale une forme d'article préliminaire, consacrant les principes directeurs de l'exécution de la sanction pénale, placé en tête du Livre V du code de procédure pénale relatif aux «Procédures d'exécution». Il s'agit de l'article 707 CPP. Selon ce texte, «l'exécution des peines favorise le respect des intérêts [...] des victimes». Dès lors, il incombe à l'autorité judiciaire de faire entrer le paramètre «victime» dans son équation punitive au stade post sententiam. Et force est de constater que la victime exerce aujourd hui un rôle croissant dans l exécution de la peine. Elle peut ainsi être amenée à participer soit de manière passive, soit de manière active à l application de la peine. - Possibilité offerte au nouveau juge délégué aux victimes de saisir le juge de l application des peines (décret du 13 novembre 2007) : lorsqu'un condamné est placé sous le contrôle du juge de l'application des peines (ex : pour l'exécution d'un sursis avec mise à l'épreuve ou d'une mesure d'aménagement de peine), le JUDEVI peut saisir, à la demande de la victime, le JAP afin qu il complète les obligations auxquelles le condamné est soumis : obligation d'indemnisation, interdiction d'entrer en relation avec la victime, interdiction de paraître dans certains lieux dans lesquels la victime réside ou travaille Dans l'hypothèse où le condamné est déjà soumis à l'une de ces obligations ou interdictions et qu'il ne la respecte pas, le JUDEVI peut, à la demande de la victime, saisir de ce manquement le juge de l'application des peines, qui appréciera s'il y a lieu d'envisager la révocation du sursis avec mise à l'épreuve ou le retrait ou la révocation de la mesure d'aménagement. - La loi du 10 mars 2010 accroit la prise en compte de l intérêt des victimes dans la phase post-sententiam. Désormais, préalablement à toute décision entraînant la cessation temporaire ou définitive de l'incarcération d'une personne condamnée à une peine privative de liberté, et avant la date d'échéance de cette peine, les

juridictions de l'application des peines doivent prendre en considération les intérêts de la victime ou de la partie civile au regard des conséquences pour celle-ci de cette décision. Si elles l'estiment opportun, les juridictions de l'application des peines peuvent, avant toute décision, informer la victime ou la partie civile qu'elle peut présenter ses observations par écrit dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l information relative à la prochaine libération du condamné. II La prise en compte croissante de la réparation du préjudice subi par la victime A) La recevabilité élargie de l action civile devant les juridictions répressives 1) Conception élargie du droit de se constituer partie civile - Conception élargie de l intérêt à agir des personnes physiques : préjudice personnel (admission de l action civile des victimes par ricochet Crim. 9 férvier 1989) et direct. Affirmation du principe suivant lequel le droit de se constituer partie civile n est pas subordonné au droit d obtenir réparation (principe posé par Crim. 22 janvier 1953 et réaffirmé par Crim. 20 septembre 2006) - Conception élargie de l intérêt à agir des personnes morales : recevabilité de l action civile des établissements bancaires (Crim. 14 novembre 2007, 2 arrêts), recevabilité de l action civile des syndicats et associations, recevabilité de l action civile de l Etat en réparation de son préjudice moral (Crim. 10 mars 2004) 2) Modalités souples de la constitution de partie civile - Le droit d option de la victime. Modalités souples de la constitution de partie civile lorsque la victime choisit de porter son action devant les juridictions répressives (action et intervention). - Loi du 17 juin 2008 sur la prescription civile : réforme de l art. 10 CPP initiée pour permettre l allongement la durée de la prescription civile. B) L exercice facilité de l action civile devant les juridictions répressives 1) La victime partie à la procédure - Les droits accordés à la partie civile dans la cadre de l instruction préparatoire (assistance d un avocat, accès au dossier de la procédure, droit de demander tout acte qu elle juge utile à la manifestation de la vérité, exercice des voies de recours ) - Les droits accordés à la victime dans le cadre de la procédure de jugement (droits de la partie civile devant le tribunal de police, devant le tribunal correctionnel, devant la cours d assises. V. poly consacré au jugement) - Les droits accordés à la victime en matière de voies de recours (QPC Conseil constitutionnel 23 juillet 2010 : non conformité à la Constitution de l art. 575 CPP, qui limite les droits de la partie civile dans le procès pénal en posant la règle suivant laquelle «la partie civile ne peut se pourvoir en cassation contre les arrêts de la chambre de l'instruction que s'il y a pourvoi du ministère public». Le Conseil énonce ici, au regard du principe de l égalité devant la justice dans la mise en œuvre des

droits de la défense (articles 6 et 16 DDHC), que «si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, c'est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense, qui implique en particulier l'existence d'une procédure juste et équitable garantissant l'équilibre des droits des parties». Tirant les conséquences de ces énonciations, il estime que «la disposition contestée a pour effet, en l'absence de pourvoi du ministère public, de priver la partie civile de la possibilité de faire censurer, par la Cour de cassation, la violation de la loi par les arrêts de la chambre de l'instruction statuant sur la constitution d'une infraction, la qualification des faits poursuivis et la régularité de la procédure». Il considère par suite qu'«en privant ainsi une partie de l'exercice effectif des droits qui lui sont garantis par le code de procédure pénale devant la juridiction d'instruction, cette disposition apporte une restriction injustifiée aux droits de la défense». Le Conseil constitutionnel conclut par conséquent à l abrogation de l art. 575 CPP. 2) La réparation du préjudice subi par la victime - Développement de mesures alternatives aux poursuites destinées à réparer le préjudice subi par la victime (alternatives réparation et procédure de composition pénale, qui impose nécessairement au délinquant la réparation du préjudice causé à la victime par le délinquant) - Réparation du dommage facilitée par la loi du 10 juillet 2000 : fin de l unité des fautes civiles et pénales => remise en cause de l autorité sur le civil de la chose jugée au criminel (art. 4-1 et 470-1 CPP) - Mise en place du juge délégué aux victimes, lequel préside la CIVI et peut être délégué par le président du TGI pour présider les audiences du tribunal correctionnel statuant après renvoi sur les seuls intérêts civils (décret du 13 novembre 2007). Difficultés quant à son impartialité (Cass. avis 20 juin 2008).