le scepticisme, 1 Philosophie de la connaissance séance 6 M. Cozic
1. le scepticisme et les arguments sceptiques
1.1. les formes du scepticisme
le scepticisme scepticisme = conception selon laquelle nous ne savons rien, ou même ne pouvons rien savoir (Stroud, 1989) on peut distinguer (au moins) 4 facteurs qui distinguent les variétés de scepticisme: (i) nous ne savons rien vs. nous ne pouvons rien savoir ces deux types de scepticisme se distinguent par leur modalité ; le second est plus fort que le premier, il l implique. Si l on réfute le premier, alors on réfute le second.
le scepticisme (ii) nous ne savons rien vs. nous n avons pas de croyance épistémiquement justifiée en général, on suppose que la connaissance implique la croyance justifiée, mais pas l inverse (si S sait que p, p est vraie). Le trilemme d Aggripa porte par ex. sur la croyance justifiée. (iii) nous affirmons que nous ne savons rien (scepticisme Académique) vs. nous n affirmons ni que nous savons quelque chose ni que nous ne savons rien (scepticisme Pyrrhonien)
le scepticisme (iv) nous ne savons rien concernant X, où X peut être - n importe quoi (scepticisme généralisé) - l existence ou les propriétés du monde extérieur - l existence ou les propriétés de notre propre corps - l existence ou les propriétés de l esprit d autrui - l existence (passée!) ou les propriétés du passé
exemple: le problème des autres esprits nous n observons pas l esprit des autres comme nous observons des objets de taille moyenne de notre environnement: nous observons le comportement d autrui comment savoir si les autres ont un esprit (question de l existence), et s il est semblable au mien (question des propriétés)? argument de l analogie: j observe le comportement des autres, je constate qu il ressemble au mien, et j en infère que, comme moi, ils ont un esprit problème: je généralise à partir d un seul cas - mon cas! A première vue, cette inférence inductive semble très faible...
1.2. les arguments sceptiques
les arguments sceptiques l histoire du scepticisme gravite autour de la discussion d arguments sceptiques les arguments sceptiques ont pour objectif de montrer que ce qui nous semble être des connaissances ne sont en fait pas garanties une part essentielle de ces arguments repose sur des hypothèses (ou des scénarios) sceptiques
exemple 1: le malin génie Descartes, Méditations, I
exemple 2: le cerveau dans une cuve H. Putnam
exemple 2: le cerveau dans une cuve scénario: un scientifique a ôté mon cerveau de ma boîte cranienne et l a placé dans une cuve remplie de substance nutritive. Les terminaisons nerveuses du cerveau sont branchées à un super-ordinateur qui enregistre les signaux électriques en provenance du cerveau et est capable de le stimuler électriquement. Le super-ordinateur est un bijou de technologie bio-informatique et de connaissances neuroscientifiques ; il donne l illusion parfaite que tout est normal : que j ai un corps, que je dors chez moi, que je vais au travail, etc.
une recette pour fabriquer un scénario sceptique: une situation s où nous avons la même expérience que dans le monde actuel w, mais où nous sommes radicalement trompés un tel scénario se transforme immédiatement en un défi sceptique: comment montrer que nous sommes bien dans le monde actuel w et pas dans la situation s? le débat contemporain est en bonne partie structuré par un argument qui exploite rigoureusement le défi sceptique: l argument de l ignorance (AI)
l argument de l ignorance (P1) Je ne sais pas que je ne suis pas un cerveau dans une cuve (P2) Si je ne sais pas que je ne suis pas un cerveau dans une cuve, alors je ne sais pas que j ai deux mains (C) Je ne sais pas que j ai deux mains
l argument de l ignorance (AI): structure (P1) Je ne sais pas que non-h (P2) Si je ne sais pas que non-h, alors je ne sais pas que O (C) Je ne sais pas que O où H est un scénario sceptique et O l une de nos croyances les mieux enracinées. Cet argument est valide.
l argument de l ignorance (AI): structure (P2) Si je ne sais pas que non-h, alors je ne sais pas que O Q: pourquoi accepter (P2)? Principe d Exclusion (PE): si Paul sait que p, alors Paul sait de toute proposition q incompatible avec p que q est fausse (PE ): s il existe une proposition q incompatible avec p t.q. Paul ne sait pas que q, alors Paul ne sait pas que p or, H (je suis un cerveau dans une cuve) est incompatible avec O (j ai deux mains) on aboutit donc à (P2)!
l argument de l ignorance (AI): structure (P2) Si je ne sais pas que non-h, alors je ne sais pas que O dérivation analogue, en considérant la formulation équivalente (P2 ) si je sais que O, je sais que non-h et le fait que O implique non-h à partir du Principe de Clôture Epistémique : si Paul sait que p et si p implique q, Paul sait que q
structure abstraite de l AI (P1) Je ne sais pas que non-h pourquoi accepter (P1)? on peut dériver cette première prémisse (i) du fait que je ne peux exclure que H (que je suis un cerveau dans une cuve) et (ii) du principe selon lequel si je ne peux exclure que H, alors je ne sais pas que H
structure abstraite de l AI (P1) Je ne sais pas que non-h pourquoi accepter (P1)? Principe de Sensibilité (PS): Paul ne sait p que si, si p n était pas vraie, alors Paul ne croirait pas p si l on accepte (PS), alors je ne sais que je ne suis pas un cerveau dans une cuve (non-h) que si, si j étais un cerveau dans une cuve, alors je ne croirais pas que je ne suis pas un cerveau dans une cuve mais si j étais un cerveau dans une cuve, je croirais que je ne suis pas un cerveau dans une cuve donc par (PS), je ne sais pas que je ne suis pas un cerveau dans une cuve = (P1)
le scandale de la philosophie Kant, CRP, Préface à la 2nde ed., BXL...cela reste toujours pourtant un scandale de la philosophie et de la raison humaine en général de devoir admettre seulement à titre de croyance l existence des choses hors de nous..., et, si quelqu un se met à en douter, de ne pouvoir lui opposer aucune preuve satisfaisante.
2. réponses aux arguments sceptiques
G.E.Moore (1873-1958)
la réfutation du scepticisme par Moore Preuve de l existence de deux mains humaines: Je peux prouver tout de suite, par exemple, que deux mains humaines existent. Comment? En levant mes deux humains, et en disant, tout en faisant un certain geste de la main droite, Voici une main, et en ajoutant, tout en faisant un geste de la main gauche, et en voici une autre.
Moore et ses mains (P) ostention des mains+ Voici une main et en voici une autre - (C) deux mains humaines existent à cet instant (i) l argument est valide ; (ii) la prémisse (ostention des mains+ Voici une main, et en voici une autre ) est sue Il serait vraiment absurde de suggérer que je ne savais pas, mais que je le croyais, ou que ce n était peut-être pas le cas!
Moore et ses mains le sceptique reproche à Moore de ne pas apporter de preuve de la prémisse: (P) ostention des mains+ Voici une main et en voici une autre réponse de Moore, étape 1: Cela bien sûr, je ne l ai pas donné ; et je ne crois pas qu on puisse le donner: si c est ce qu ils entendent par une preuve de choses extérieures, je ne crois pas qu il puisse y avoir aucune preuve de l existence de choses extérieures.
Moore et ses mains réponse de Moore, étape 1: Comment pourrais-je prouver maintenant que voici une main, et en voici une autre? Je ne pense pas pouvoir le faire. Pour le faire, je devrais d abord prouver, comme Descartes l a montré, que je ne suis pas en train de rêver maintenant. Mais comment pourrais-je prouver que ce n est pas le cas? réponse de Moore, étape 2: Je puis connaître des choses que je ne puis prouver, et en particulier je connais (P) sans être capable de le montrer!
Moore, Some Judgments of Perception (1960) Il me semble que pour réfuter de telles conceptions, il suffit d indiquer des cas où l on sait des choses. Après tout, ceci, vous le savez, est réellement un doigt ; il n y a pas de doute à ce propos: je le sais, et vous le savez tous. Et je pense que nous pouvons mettre au défi avec sérénité n importe quel philosophe d avancer un argument en faveur de la proposition selon laquelle nous ne le savons pas, ou de la proposition selon laquelle ce n est pas vrai, qui ne reposerait pas, à un certain endroit, sur une prémisse qui est, par comparaison, moins certaine que la proposition qu il est censé attaquer.
examen mooréen de l AI revenons à l argument de l ignorance: (P1) Je ne sais pas que non-h (P2) Si je ne sais pas que non-h, alors je ne sais pas que O (C) Je ne sais pas que O Moore nie (C), donc (P1) ou (P2). s il accepte (P2), alors il rejette (P1): ( C) Je sais que O (P2) Si je ne sais pas que non-h, alors je ne sais pas que O - ( P1) Je sais que non-h Engel (2007) nomme cet argument l argument béotien.
la Moore attitude Fine (2001, trad.fr Engel) En cet âge de modestie post-mooréenne nous sommes beaucoup à douter que la philosophie possède des arguments qui puissent authentiquement servir à ébranler nos croyances ordinaires. On peut concéder que les arguments du sceptique semblent être parfaitement convaincants, mais les mooréens soutiendront que la plausibilité même de nos croyances ordinaires est une raison suffisante pour supposer qu il doit y a voir quelque chose qui ne va pas dans les arguments sceptiques, même si nous sommes incapables de dire quoi.
Lewis (1996) C est un fait au sens de Moore que nous savons beaucoup de choses. C est l une des choses que nous savons mieux que toute prémisse d une argumentation philosophique visant à établir le contraire.