IMMOBILIER: FISSURES ET CRAQUEMENTS *



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Transcription:

IMMOBILIER: FISSURES ET CRAQUEMENTS * Département analyse et prévision de l OFCE Au vu de l effondrement des ses indicateurs d activité au premier semestre 26, il ne fait plus guère de doute que le marché immobilier américain s est retourné. L investissement logement recule depuis la fin 25 et le tassement des prix est net lui aussi. Cet ajustement des prix traduit un déséquilibre entre l offre et la demande, illustré par la hausse de 4 % sur un an des stocks de logements invendus. Cet excès d offre pourrait s accentuer dans les prochains mois, avec l arrivée sur le marché de logements encore en travaux. Pour le moment, l ajustement observé sur le marché immobilier n a pas affecté le comportement de consommation des ménages, qui est resté dynamique. Leur taux d épargne a même continué de baisser. Cependant, le retournement immobilier n apparaît pas sans risque pour l économie américaine. C est en effet la forte hausse de l endettement hypothécaire jusqu à la mi-24, dans un contexte monétaire accommodant, qui a financé la croissance depuis 21. La phase de restriction monétaire étant arrivée à son terme, les conditions de financement ne devraient désormais plus peser sur la situation financière des ménages. Toutefois, l ajustement de l investissement logement se poursuivrait et le soutien à la consommation issu de l extraction hypothécaire, déjà malmené, devrait s affaiblir davantage avec le recul attendu des prix de l immobilier. La précocité du resserrement monétaire aux États-Unis et au Royaume-Uni se traduit par une avance du retournement immobilier dans les pays anglo-saxons par rapport à l Europe, où seuls commencent à poindre les premiers signes de ralentissement. Mais l absence de retournement avéré pour l instant ne signifie pas pour autant que l Europe sera épargnée par les turbulences qui affectent les États-Unis. Depuis le milieu des années 198, les évolutions à la hausse comme à la baisse du marché immobilier dans la zone euro ont toujours suivi celles observées aux États-Unis, avec plus ou moins de retard et d ampleur. Ces constatations nourrissent les craintes d évolutions similaires en Europe dans les prochains mois. Les situations sont toutefois très hétérogènes au sein de la zone euro. Les marchés immobiliers sont des marchés principalement locaux où les acteurs sont avant tout nationaux. L Allemagne sort ainsi d une longue période de léthargie tandis que la France et l Espagne connaissent, après dix années de croissance soutenue, un ralentissement des prix et de l activité. Le pic d activité dans ces deux pays semble dépassé et les ajustements qui ont démarré depuis plusieurs trimestres devraient se poursuivre. * Ont contribué à cette partie : Sabine Le Bayon, Hervé Péléraux, Christine Rifflart et Xavier Timbeau. Octobre 26

Département analyse et prévision L e retournement amorcé sur le marché de l immobilier aux États-Unis dans le courant de l année dernière et qui s est fortement accéléré en 26, paraît gagner l Europe à son tour. La situation n est cependant pas identique selon des pays de la zone euro. De fortes disparités nationales existent entre les pays comme l Allemagne, mais aussi la Grèce ou le Portugal, dont le marché immobilier est resté longtemps atone, et d autres pays plus actifs qui, après une phase de croissance soutenue pendant près de dix ans, connaissent depuis l année dernière un ralentissement des prix et d activité. Avéré aux États-Unis, le retournement reste embryonnaire en Europe et n a pas encore produit d effets visibles sur la croissance. Le marché immobilier européen va probablement emboîter le pas de celui des États-Unis mais l ajustement devrait rester plus modéré qu outre-atlantique. 18 L ampleur du retournement immobilier aux États-Unis et ses conséquences Un retournement rapide de l immobilier américain Le resserrement monétaire initié par la Réserve fédérale en juin 24 et la remontée (légère) des taux longs, après une période de gestion inhabituellement accommodante, ont fini par stopper la frénésie immobilière qui s était emparée du marché américain jusqu à l année dernière. Mais le retournement qui s est accéléré au début de l année a surpris par son ampleur. Après la phase de reprise du cycle de l immobilier de la fin 21 à la fin 23 et ensuite de croissance encore forte jusqu au milieu de l année 25, les indicateurs avancés se sont dégradés et l activité s est mise à stagner. Mais depuis le début de l année, le mouvement s est nettement accéléré. Les permis de construire et les mises en chantier de logements privés s effondrent depuis février 26. En août, sur un an, ils chutent de 2 % chacun (graphique 1). En phase avec ces indicateurs, l investissement résidentiel, qui progressait au rythme de 1 % en 24 (avec un point haut à 13,7 % sur un an au deuxième trimestre), a stagné à partir de l été 25, avant d amorcer un repli marqué au deuxième trimestre 26 ( 2,9 % par rapport au trimestre précédent,

IMMOBILIER: FISSURES ET CRAQUEMENTS soit 1,5 % sur un an). L indicateur NAHB (National Association of Home Builders), qui retrace le sentiment de confiance des professionnels de la construction, chute depuis le printemps. D une moyenne à 7 de 24 à mi-25, il a franchi la barre des 5 en mai et a atteint 3 en septembre. La chute de l indicateur est spectaculaire. Il faut revenir à 199 pour retrouver des niveaux aussi bas. Jamais, la dégradation n a été aussi ample, ni aussi rapide. Sur le marché de l emploi, la contraction d activité ne s est pas traduite par des destructions nettes d emplois. Celui-ci a progressé encore assez rapidement jusqu en avril,avant de stagner les mois suivants. 1. Indicateurs de la construction résidentielle privée aux États-Unis 24 22 Milliers, cvs, annualisé Permis de contruire 2 18 Mises en chantier 16 14 12 1 8 8 82 84 86 88 9 92 94 96 98 2 4 6 Source : Bureau of Census. Ce revirement de l activité dans la construction résidentielle s accompagne d un ajustement des prix des logements. Si les indicateurs varient selon les organismes, tous indiquent un tassement depuis la fin 25. L indicateur des prix des logements de l Office of Federal Housing Enterprise Oversight (OFHEO), qui progressait sur des rythmes de 13-14 % par an, continue d augmenter au deuxième trimestre 26 (de 1,2 % par rapport au premier trimestre, soit encore 1 % sur un an), mais marque sa plus forte décélération depuis trois décennies. L indice du prix moyen des maisons anciennes, publié par le National Association of Realtors (NAR), affiche une baisse depuis décembre 25 telle que les prix sont revenus à leur niveau d il y a un an. Cet ajustement témoigne d un déséquilibre entre l offre et la demande. Après trois années de croissance de l investissement 181

Département analyse et prévision logement extrêmement dynamique (8,4 %, 9,9 % et 8,6 % en 23, 24 et 25 respectivement), le marché atteint ses limites. Entrés sur le marché pour tirer parti des forts rendements, les spéculateurs l ont déserté dès lors que les rendements attendus ont commencé à baisser. Les mises en vente qui s en sont suivies sont venues plomber le marché au moment où la demande des ménages ralentissait. Les ventes totales de logement ont baissé de plus de 12 % sur un an, celles de logements neufs de plus de 2 %. Résultat, en septembre, les stocks de logements invendus sont supérieurs de plus de 4 % à leur niveau de l année dernière et l arrivée des logements en cours d achèvement de travaux, décalée de six mois par rapport aux mises en chantiers, devrait alourdir encore un peu plus ces stocks. Du coté de la demande, les nouveaux crédits hypothécaires destinés à l achat d un logement baissent depuis l été 25 ( 21 % entre septembre 25 et septembre 26) si l on considère les données bancaires (graphique 2). Le mouvement est un peu plus récent mais confirmé (premier et surtout deuxième trimestres 26) si l on se réfère aux données de la Réserve fédérale. Mais les conditions de financement restant malgré tout favorables, les flux de nouveaux crédits restent encore relativement élevés. L encours continue de progresser au rythme encore soutenu de 11 % sur un an au deuxième trimestre. 2. Nouveaux crédits hypothécaires destinés à l achat de logements aux États-Unis 9 16 mars 199 = 1, cvs 8 7 6 5 4 3 2 1 5/1/9 5/1/92 5/1/94 5/1/96 5/1/98 5/1/ 5/1/2 5/1/4 5/1/6 Source : Mortgage Bankers Association. 182

IMMOBILIER: FISSURES ET CRAQUEMENTS Mais le reste de l économie n est pas affecté Si le secteur de l immobilier résidentiel connaît un ajustement profond, les comportements de consommation des ménages n ont jusqu alors guère été affectés. Les dépenses ont continué d augmenter en moyenne de,8 % par trimestre sur la première moitié de l année et, sur la base des indicateurs de juillet et août, on prévoit qu elles progresseront de,6 % au troisième trimestre. Le taux d épargne, négatif depuis avril 25, a continué de se creuser jusqu en mai. Il s est stabilisé à,6 % du revenu disponible brut des ménages (RDB). Pour autant, cette situation n est pas sans risque pour l économie. Durant la phase d expansion du cycle conjoncturel, le secteur de l immobilier avait largement soutenu la croissance. De façon directe d abord puisque l investissement résidentiel avait contribué à hauteur d un demi point par an à la croissance du PIB de 23 à 25. De façon indirecte ensuite, puisqu il avait également largement soutenu la consommation par le canal de l emploi et celui du crédit. Alors que l emploi dans l industrie manufacturière ne cessait de se contracter, le secteur de la construction avait été à l origine de 15 % des créations d emplois nettes du secteur privé entre septembre 23 et avril 26. Par ailleurs, les modalités d octroi de prêts s assouplissant, les facilités de crédit permises par l extraction hypothécaire avaient largement nourri l endettement des ménages et favorisé la croissance jusqu en 25 (graphique 3). Dès lors que le retournement s est enclenché, les facteurs qui avaient contribué positivement à la croissance devraient désormais peser sur les performances macroéconomiques. La situation n est cependant pas totalement symétrique. À moins d une hausse inattendue des taux longs pour cause de dérapage inflationniste, l environnement financier reste relativement favorable. Les taux d intérêt hypothécaires, notamment en termes réels, sont à des niveaux extrêmement bas, la hausse d un point des taux nominaux depuis l automne 25 ayant été neutralisée par la hausse des prix. Les anticipations de taux longs sont depuis août orientées à la baisse. De plus, face à une demande de prêts hypothécaires qui s affaiblit, les conditions des banques tendent à se relâcher. C est en tout cas ce qui ressort des enquêtes du Senior Loan Officer. La contrainte financière des ménages américains persiste néanmoins. La dette des ménages, qui avait permis de financer la croissance, culmine au deuxième trimestre 26 à 13 % du RDB (la dette hypothécaire représente à elle seule presque 1 % du RDB), soit 94 % du PIB. Le service de la dette, qui représente 14,4 % du revenu des ménages, a augmenté de 1 point de revenu à cause de la hausse de la dette et des taux d intérêt. Ce renchérissement s est accompagné en même temps d un allongement de la durée des prêts à plus de vingt-neuf ans, un niveau jamais atteint par le passé. 183

Département analyse et prévision 3. Extraction hypothécaire aux États-Unis 12 16 mars 199 = 1, cvs 1 8 6 4 2 5/1/9 5/1/93 5/1/96 5/1/99 5/1/2 5/1/5 Source : Mortgage Bankers Association. 184 Même si les conditions d emprunt demeurent encore relativement favorables, l ajustement qui s est engagé depuis le début de l année devrait peser sur l activité. La chute de l investissement logement, qui pourrait se poursuivre jusqu au début de l année 27, et les destructions d emplois attendues dans la construction, sont de nature à freiner sensiblement la demande. Mais en plus, la baisse des prix signe l arrêt du phénomène d extraction hypothécaire. Dans la mesure où le capital cesse d être valorisé, la partie ouvrant droit à nouveaux prêts s estompe progressivement, grevant par là même une partie des sources de financement de la consommation des ménages. Par ailleurs, en phase de retournement conjoncturel, notamment immobilier, la contrepartie de l endettement passé est le risque qu il fait planer sur les ménages. Lorsque la dette est gagée sur un patrimoine qui continue de se valoriser, ou bien si la situation financière des ménages reste favorable, tout va bien (graphique 4). Mais si leur situation venait à se dégrader, leur capacité de remboursement en serait affectée au point de les obliger à vendre leur bien. La baisse des prix qui s ensuivrait aurait alors un effet boule de neige (encadré). Dans la mesure où le marché du travail reste encore relativement ferme, où les salaires continuent à progresser et les taux d intérêt ont fini leur hausse, la solvabilité des ménages devrait se maintenir. Une fois l excès d offre absorbé, le marché immobilier devrait se stabiliser.

IMMOBILIER: FISSURES ET CRAQUEMENTS 4. Endettement des ménages américains 5 En % 45 4 Dette hypothécaire/patrimoine immobilier brut 35 3 25 2 15 Dette/actif total 1 5 52 56 6 64 68 72 76 8 84 88 92 96 4 Source : flows of funds, Réserve fédérale. Pas d enchaînements récessifs La crise de l immobilier qui a démarré aux États-Unis ne devrait pas conduire à un krach. Même si la baisse des prix devait s avérer sensible, un effondrement du marché n est pas à redouter. Pour cela, un mouvement de ventes contraintes et massives devrait se déclencher, impliquant les créanciers des agents endettés dans l immobilier. Dans un tel cas de figure, les professionnels intervenant dans une optique spéculative, le plus souvent fondée sur le levier de l endettement, seraient contraints de sortir rapidement du marché en cas de retournement, la dépréciation des actifs sur lesquels est gagé l endettement rendant les positions perdantes à court terme, et rapidement intenables. Du côté des particuliers, des ventes contraintes et massives auraient pour origine une hausse du taux de défaut, c est-à-dire l impossibilité pour un ménage d honorer ses échéances de crédit. Les établissements prêteurs feraient alors jouer les hypothèques, en procédant à une vente forcée du bien qui mettrait fin à l engagement de l emprunteur auprès de l établissement de crédit. Un tel scénario semble peu probable. À la différence de la précédente vague de hausse des prix dans la seconde moitié des années 198, le dynamisme du marché depuis une dizaine d années est le fait des particuliers, poussés à l accession à la propriété par la baisse des taux d intérêt. Contrairement aux spéculateurs, les particuliers ayant acheté pour se loger ne vendront pas en cas de recul des prix. À l heure actuelle, le risque immobilier reste suspendu à l évolution des taux d intérêt. De leur devenir dépendra en effet l évolution du taux de défaut des ménages. L effet d une hausse des taux peut être direct, par la majoration des mensualités des prêts à taux variables susceptible de menacer la solvabilité des ménages. Le risque global dépend alors du degré de diffusion de ce type de 185

Département analyse et prévision crédits auprès des ménages. Au Royaume-Uni ou en Espagne par exemple, les prêts à taux variables sont majoritaires, contrairement aux États-Unis ou à la France où ils restent minoritaires. L effet d une hausse des taux peut aussi être indirect au sens où, en provoquant un ralentissement de l activité, elle affecterait l emploi, le chômage et les salaires, et finalement le revenu disponible. Du côté de la demande de logements, la capacité d emprunt des ménages s en trouverait amputée, décourageant les achats. Du côté de l offre de logements, la hausse du taux de défaut précipiterait les ventes contraintes. Le krach immobilier deviendrait alors hautement probable, faisant jouer l effet de richesse à rebours, provoquant une remontée du taux d épargne et précipitant en bout de course l économie dans la récession. Le scénario de taux d intérêt inscrit dans cette prévision exclut un tel enchaînement. L arrêt de la baisse des taux et l épuisement des possibilités d allongement des durées de crédit ont freiné l extension de la solvabilité des ménages. Il en a résulté un tassement de la demande, qui s est traduit par un freinage des prix, visible maintenant depuis plusieurs mois tant aux États-Unis qu en Europe. Ce déséquilibre, apparu initialement entre l offre et la demande, est amplifié par l arrivée sur le marché de logements neufs, rendant la baisse des prix inéluctable. Mais à la condition que les taux d intérêt n augmentent pas, les facteurs de stabilisation des prix apparaîtront d eux-mêmes. La baisse des prix rendra solvables de nouveaux ménages, ce qui encouragera l achat, conduira à la contraction de l offre excédentaire et in fine à une remontée des prix. C est le scénario que nous privilégions ici. 186 Les canaux de transmission à l Europe Le retournement enclenché aux États-Unis pourrait se propager en Europe. Une telle contagion n est pas mécanique, parce que les marchés immobiliers sont des marchés avant tout locaux, où les acteurs sont essentiellement nationaux et dont les conditions dépendent donc fortement de la situation qui prévaut ici ou là. Pour s en convaincre, il suffit de se rappeler que le marché immobilier allemand est dans une phase de stagnation depuis plusieurs années alors qu à quelques kilomètres de là, de l autre côté du Rhin, les prix augmentent de plus de 1 % par an. Il existe cependant quelques mécanismes qui peuvent synchroniser les marchés immobiliers. Le premier est qu un des déterminants principaux, le taux d intérêt auquel les ménages peuvent contracter des emprunts, dépend du taux long de référence et que les taux longs sont très corrélés entre pays. Une hausse des taux d intérêt a donc de bonnes chances d être commune aux États-Unis et à l Europe. Les même causes produisant les mêmes effets, un lien apparent s imposerait entre les marchés immobiliers. Cependant, il ne s agit pas d une transmission directe de la crise immobilière des États-Unis à l Europe, mais

IMMOBILIER: FISSURES ET CRAQUEMENTS d un facteur commun. Du fait des décalages de conjoncture, la Banque d Angleterre a relevé ses taux directeurs dès la fin 23, la Réserve fédérale lui ayant emboîté le pas en juin 24, tandis que la Banque centrale européenne suivait le mouvement à partir de fin 25. Ce resserrement commun de la politique monétaire s est ensuite transmis aux taux hypothécaires avec plus ou moins de retard du fait des caractéristiques des taux sur ces crédits (fixes ou variables notamment) et du comportement atypique des taux longs (graphique 5). Ce décalage dans le temps du resserrement de la politique monétaire explique pourquoi les retournements des marchés immobiliers aux États-Unis et au Royaume-Uni ont déjà eu lieu, alors que les signaux de tassement commencent seulement à apparaître dans la zone euro. 5. Taux d'intérêt hypothécaires 9 En % 8 Etats-Unis 7 6 France > 1 an Royaume-Uni 5 4 Espagne Zone euro 3 1999 2 21 22 23 24 25 26 Sources : Banques centrales nationales. La transmission d un krach immobilier des États-Unis vers l Europe pourrait survenir du fait de l émergence de structures nouvelles de couverture de risque, par le biais de la titrisation. La titrisation, qui consiste pour les établissements initialement prêteurs à vendre leurs créances à des institutions qui prennent alors en charge le risque, permet aux banques de réaliser des prêts immobiliers sans que cela ne pèse sur leurs ratios prudentiels. Cette stratégie s est beaucoup développée depuis le milieu des années 199. La caractéristique de ce marché de couverture du risque est d être globalisé. Une hausse du taux de défaut aux États-Unis, si elle survenait, pourrait alors avoir des incidences sur la distribution du crédit en Europe via ce marché. 187

Département analyse et prévision En effet, les investisseurs détenant des créances titrisées, échaudés par leurs déconvenues aux États-Unis, pourraient exiger des primes de risque plus élevées, ce qui se traduirait par une hausse des taux aux ménages européens et par un ralentissement de la croissance des crédits accordés en Europe. Encore ne s agirait-il ici que d un rationnement du crédit et non pas d un effondrement du système financier, que la globalisation rend toutefois possible structurellement si la crise de l immobilier devait s approfondir. Pour l heure, la hausse du taux de défaut aux États-Unis ne s est pas manifestée et aucun durcissement des conditions de crédit ne transparaît dans le comportement des banques. D après la dernière enquête sur la distribution du crédit bancaire dans la zone euro, réalisée en juillet 26 par la Banque centrale européenne, les banques ont continué d assouplir les critères d attribution des prêts au logement pour faire face à la concurrence principalement. Cet assouplissement est rendu possible par une baisse des marges sur les crédits standards et par un allongement de la durée des prêts. Mais les marges sur les crédits les plus risqués se sont aussi resserrées pour la première fois depuis le début de l enquête. Les taux d intérêt hypothécaires apparaissent faibles au regard des taux auxquels se refinancent les banques, mais aussi des taux rémunérant les actifs les moins risqués. Le taux d intérêt moyen appliqué par les banques sur les nouveaux crédits au logement atteignait ainsi 4,4 % dans la zone euro en juin 26 (4 % seulement pour les contrats à taux variable et à taux fixé pour moins d un an) et est donc très proche des rendements des emprunts publics à dix ans, qui sont l actif le moins risqué (4 % en juin 26). En France, le taux d emprunt des ménages sur les nouveaux prêts au logement (3,7 %) était même inférieur au taux de l OAT à dix ans (4 % en juin 26). Les marges des banques, dans un domaine d activité où la concurrence est vive, apparaissent donc modestes sur ce type de prêts, alors que le risque, quoique faible, n est pas nul. Le resserrement des conditions de crédit pourrait donc remonter en flèche en cas de crise sur le marché de couverture du risque. 188 La zone euro dans le sillage des États-Unis? Contrairement à ce qu on observe aux États-Unis, l indicateur de confiance auprès des entreprises du bâtiment n a pas encore montré de signes de retournement dans la zone euro (graphique 6). En septembre 26, il rejoignait même quasiment les pics de 199 et de 2. L examen du graphique 6 montre une synchronisation décalée

IMMOBILIER: FISSURES ET CRAQUEMENTS dans le temps entre l indicateur de la zone euro et celui des États-Unis. Depuis 1985, les évolutions dans la zone euro ont toujours suivies celles observées aux États-Unis, mais avec plus ou moins de retard et d ampleur. Ces constatations nourrissent les craintes d un retournement de forte ampleur à venir dans la zone euro dans les prochains mois, risque que nous écartons dans notre scénario. 6. Climat de confiance dans la construction aux États-Unis et dans la zone euro 1 Soldes d'opinion Soldes d'opinion 9 Etats-Unis (éch. droite) 8-1 7 6-2 5-3 4-4 -5-6 Zone euro (éch. gauche) 85 87 89 91 93 95 97 99 1 3 5 Sources : NAHB, Commission européenne. 3 2 1 Cette enquête ne permet pas cependant de rendre compte de la grande disparité des situations qui coexistent au sein de la zone euro. La forte hausse observée dans la zone euro dans les derniers trimestres est ainsi fortement liée à l amélioration observée en Allemagne depuis le début 25, après des années de marasme de ce secteur (graphique 7). En revanche, les indicateurs de confiance progressent beaucoup moins spectaculairement en France et se sont repliés en Espagne depuis quelques mois. On se concentrera dans cette partie sur les marchés les plus actifs parmi les grands pays de la zone euro, à savoir la France et l Espagne. Dans ces deux pays, le pic d activité dans l immobilier semble avoir été dépassé et des ajustements sont à l œuvre depuis plusieurs trimestres. Cependant, leur ampleur n a rien de comparable avec l ajustement en cours aux États-Unis. 189

Département analyse et prévision 7. Climat de confiance dans la construction au sein de la zone euro 3 Soldes d'opinion 2 France 1-1 -2 Espagne Allemagne -3 87 89 91 93 95 97 99 1 3 5 Source : Commission européenne. Le ralentissement de la croissance des prix immobiliers est en cours dans ces deux pays. Il est relativement récent et modeste en France. En Espagne, la croissance des prix, qui reste toujours sur un rythme à deux chiffres, est passée de 18 % à la mi-24 à 1 % au deuxième trimestre 26 (graphique 8). 8. Croissance des prix immobiliers 3 En %, t/t-4 25 Royaume-Uni 2 15 Espagne France 1 19 5 Etats-Unis (NAR) Etats-Unis (OFHEO) 1999 2 21 22 23 24 25 26 Sources : INSEE, Ministerio de la vivienda, NAR, OFHEO, Halifax.

IMMOBILIER: FISSURES ET CRAQUEMENTS Ce tassement des prix reflète le désajustement entre l offre et la demande de logements. Du fait des délais de réalisation, l offre réagit avec retard aux variations de la demande. Ainsi, selon l enquête dans la construction immobilière en France, la demande de logements neufs à acheter ralentit depuis la mi-25, entraînant avec elle un fort gonflement des stocks (graphique 9). Ces derniers sont presque revenus à leur niveau de 199, ce qui pourrait bien amplifier le ralentissement des prix dans les prochains mois. En Espagne, les données dans ce domaine sont très parcellaires, mais les statistiques du ministère du logement font toutefois état d un allongement des délais de vente et d un écoulement plus long des stocks, signe d un déséquilibre sur ce marché. 9. Enquête trimestrielle dans la construction immobilière en France 4 2 Soldes d'opinion Stock de logements invendus Demande de logements neufs à acheter -2-4 -6-8 -1 69 72 75 78 81 84 87 9 93 96 99 2 5 Source : INSEE. La forte progression de l offre de logements neufs, qui faisait suite à la croissance élevée des prix, a commencé à se tasser. En France, les permis de construire accordés ralentissent depuis le printemps 24 (graphique 1). Ce mouvement préfigurait le ralentissement des mises en chantier depuis l automne 24 et celui de l investissement logement depuis 25. Le taux de croissance de l investissement en logement est ainsi passé de 4,9 % au premier trimestre 25 à 2,4 % au deuxième trimestre 26 sur un an. En Espagne, les permis de construire et les mises en chantier ralentissent depuis 24. L investissement logement s est aussi nettement infléchi, mais est resté dynamique avec des taux de croissance de l ordre de 6 % depuis lors en glissement annuel. 191

Département analyse et prévision 1. Mises en chantier et permis de construire en France 3 En %, t/t-12, mm3 2 Permis de construire 1-1 Mises en chantier -2-3 2 21 22 23 24 25 26 Source : INSEE. Le tassement de la demande est déjà visible dans les statistiques d encours de crédits des ménages pour plusieurs pays. C est le cas dans la zone euro agrégée et en Espagne en particulier (graphique 11). L encours de dette hypothécaire continue certes à croître à des rythmes élevés, mais une décélération apparaît au deuxième trimestre 26 (les chiffres du deuxième trimestre 26 pour la France ne sont pas encore disponibles). La situation financière des ménages n est toutefois pas comparable dans ces deux pays, tant en terme d endettement que de charge financière. Le taux d endettement reste relativement modéré en France (autour de 65 %), même si son augmentation est nette sur les dernières années, alors qu en Espagne il a explosé pour atteindre 12 % du revenu des ménages en 25. De ce fait, le service de la dette des ménages espagnols a nettement augmenté depuis 24, passant d un peu plus de 12 % à 15 % du revenu au début 26. Cette évolution est entièrement imputable au remboursement du capital. L effet de la hausse des taux d intérêt ne s est pas encore fait sentir sur les charges d intérêt, mais au vu de la forte proportion des ménages endettés à taux variable, ce poste pourrait augmenter nettement dans les prochains trimestres et fragiliser un certain nombre de ménages. En France, ce risque semble faible, les ménages s étant moins endettés et leurs prêts ayant été majoritairement contractés à taux fixes. 192

IMMOBILIER: FISSURES ET CRAQUEMENTS 11. Croissance de l'encours de la dette hypothécaire des ménages 3 En %, t/t-4 25 Espagne 2 15 1 Royaume-Uni Etats-Unis 5 France Zone euro 1999 2 21 22 23 24 25 26 Sources : Banques centrales nationales, Banque centrale européenne. Dans notre scénario, le tassement sur le marché immobilier dans plusieurs pays de la zone euro se ferait graduellement, avec un impact limité sur la croissance, au contraire des États-Unis. D abord, les ménages s y sont globalement moins endettés qu outre-atlantique. Ensuite, le boom immobilier a moins soutenu la croissance, du fait d un mécanisme de recharge hypothécaire peu développé. La relative désynchronisation observée entre ces deux zones prendrait fin à l horizon de notre prévision, avec toutefois un ajustement européen de moindre ampleur. 193