ETAT DES CONTROVERSES DES APPROCHES COGNITIVE ET ECOLOGIQUE EN RELATION AVEC LES HABILETES MOTRICES

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ETAT DES CONTROVERSES DES APPROCHES COGNITIVE ET ECOLOGIQUE EN RELATION AVEC LES HABILETES MOTRICES MESSAN Folly 1, EDOH Pierrot Koffi 2, WABI Sakariyaou 2, TANIMOMO Libérat 2 1- Laboratoire des APS et Motricité - INJEPS, Université d Abomey-Calavi, 01 BP 169, Porto-Novo, (Bénin). 2- Laboratoire des Sciences de l Homme et de la Société - INJEPS, Université d Abomey-Calavi, 01 BP 169, Porto-Novo, Bénin. Correspondance à : Dr Folly MESSAN ; INJEPS 01 BP 169, Porto-Novo (Bénin) E-mail : messfly@yahoo.fr (Reçu le 11 Avril 2011 ; Révisé le 14 Octobre 2011 ; Accepté le 21 Octobre 2011) RESUME Cette revue de question vise à présenter dans le champ de l apprentissage moteur, le sens des postulats des approches cognitive et écologique de même que les critiques formulées à leur encontre. Des documents scientifiques et articles de revues indexées et publiés dans la banque de données MEDLINE, ont été sélectionnés à partir d'une recherche informatisée. De même, les mots clés «behavior», «motor», «learning» et les références d articles ont été utilisés pour stratifier les articles. L analyse de ces documents a mis en évidence des courants qui sous tendent les approches cognitive et écologique. L approche cognitive considère le sujet apprenant comme un système qui élabore des représentations, manipule, stocke et utilisent des connaissances selon un mode d enregistrement des informations. Pour ce faire, l'information prélevée par les organes sensoriels est soumise à des calculs, enrichis en comparaison à d'autres informations stockées en mémoire, transformée en intentions d'action et en informations prescriptives pour le système effecteur périphérique. L approche écologique soutient que les régularités des patterns de mouvement ne sont pas représentées dans des programmes, mais au contraire émergent naturellement d'interactions complexes entre de nombreux éléments liés. Ce phénomène serait analogue à la façon dont de nombreux systèmes physiques complexes s'organisent et se structurent sans aucun programme central ni de commande. Les controverses des courants des approches cognitive et écologique sont évidentes et leurs postulats s opposent sur des concepts et méthodologies propres. L éclairage de chaque courant peut permettre de faire progresser la compréhension qui sous-tend la production des habiletés motrices en sport. Une telle démarche peut aboutir à une nouvelle approche multi conceptuelle qui faciliterait davantage la compréhension de l apprentissage moteur aux entraîneurs et aux enseignants d éducation physique et sportive. Mots clés : Contrôle moteur, apprentissage moteur, cognition, écologie ABSTRACT This review aims to present issue in the field of motor learning, the meaning of the postulates of cognitive and ecological approaches as well as the criticism against them. Scientific papers and journal articles indexed and published in MEDLINE were selected from a computerized search. Similarly, the keywords "behavior", "motor", "learning" and the references of articles were used to stratify the articles. The analysis of these documents revealed currents that underlie the cognitive and ecological approaches. The cognitive approach views the issue as a learning system that develops representations, handle, store and use knowledge as a means of recording information. To do this, the information collected by the sense organs is subject to calculation, enriched in comparison to other information stored in memory, intentions turned into action and prescriptive information for the effectors system device. The ecological approach argues that the patterns of movement patterns are not represented in programs, but to emerge naturally from complex interactions between many elements. This would be analogous to the way many complex physical systems are organized and structured with no central program or command. The current controversy cognitive and ecological approaches are obvious and their assumptions differ on concepts and methodologies own. The lighting of each stream can be used to advance the understanding behind the production of motor skills in sport. Such an approach can lead to a new multi conceptual understanding would further facilitate motor learning coaches and teachers of physical education and sports. Key words: Motor control, motor learning, cognition, ecology 77

MESSAN Folly & al. INTRODUCTION L apprentissage de manière générale, est un processus continu qui se développe de manière linéaire. Il obéit à des lois et/ou à des principes généraux simples qui s expriment de la même façon selon les tâches et les conditions. Toutefois, dans les milieux de l Education Physique et Sportive, cette conception de l apprentissage s observe aussi, mais d une manière différente. En effet, afin d offrir aux apprenants, des possibilités variées d apprentissage des habiletés motrices, l enseignant d éducation physique et sportive (EPS) est amené souvent à faire des choix d'organisation de ses activités sportives. De ce fait, l enseignant d EPS influence directement les comportements moteurs des apprenants dans le sens des acquisitions motrices. Afin de réussir une telle mission, il s appuie sur des prescriptions officielles et connaissances scientifiques disponibles. Devant une telle profusion d informations scientifiques, l enseignant d EPS éprouve parfois de difficultés pour réaliser un rapprochement des courants théoriques de l apprentissage moteur, élaborés dans les conditions de laboratoire, notamment, ceux des approches cognitive et écologique. L'approche cognitive, dans sa conception de l'être humain détermine le cortex cérébral comme un super ordinateur tandis que, celle écologique ne comprend l'être humain qu'à travers la relation environnement / comportement selon un schéma auto-organisationnelle. La première, considère le sujet comme un système qui élabore des représentations, manipule, stocke et utilisent des connaissances selon un mode d enregistrement. Dans le domaine des habiletés motrices, deux courants d analyse se distinguent. Le premier s appuie sur les travaux d Abernethy concernant les processus perceptifs et décisionnels en relation avec les expertises cognitive et sportive [1]. Ces expertises postulent que les connaissances élaborées par le sujet sont mises en œuvre pour 1) choisir des buts tactiques, 2) choisir des actions et 3) déterminer les modalités de réalisation des actions. Le second courant porte sur les processus du contrôle du mouvement dont le postulat se base sur la présence des systèmes prescriptifs caractérisés par trois phases distinctes [2] : i) la sélection d un programme moteur généralisé (PMG), ii) la spécification de paramètres du PMG et iii) la correction des erreurs grâce aux informations sensorielles afférentes [2]. La seconde approche s est basée, sur les travaux de Bernstein (1967), sur le contrôle du mouvement [3] et sur les études de Gibson (1979) en relation avec la perception directe [4]. En fonction de la place accordée à l entrée perceptive et à la sortie motrice, trois courants théoriques se distinguent au sein de l approche écologique. Le premier courant de la perception directe concerne essentiellement l apprentissage perceptif [5, 6]. En effet, alors que les hypothèses cognitives soutiennent la nécessité de recourir à des représentions perceptives et motrices pour agir, celles écologiques affirment par contre que la perception de l environnement ne nécessite pas de traitement de l information et remettent en cause le rôle des structures centrales dans la production de l action. Cette approche a le mérite d expliquer des évènements complexes par des théories simples, mais n a pas manqué de recevoir de critique d un point de vue réductionniste parce que ces théories ont tendance à ressembler aux courants béhavioristes. C est pourquoi, le présent travail se propose de passer en revue l apprentissage et le contrôle moteur en: 1) faisant un bref rappel du behaviorisme et des études analogiques ; 2) insistant sur la conception et le fonctionnement de l information dans le champ des approches cognitive et écologique ; 3) présentant les critiques formulées à l égard des deux théories ; 4) montrant le point essentiel qui fait la différence entre les approches cognitive et écologique. METHODES DE SELECTION DES ARTICLES Les articles recensés ont été sélectionnés sur les bases de données Pub Med et SPORT-Discus. D autres articles ont été repérés à l aide de la liste de références des articles préalablement consultés et de Google Scholar. Les mots-clés «behavior», «motor», «learning» étaient utilisés pour effectuer les recherches d articles. Ces articles recensés ont été sélectionnés dans la mesure où ils permettaient d ajouter des éléments essentiels à la compréhension de l apprentissage moteur. L ensemble de ces données recensées a permis de dresser un portrait général de l état des connaissances sur les approches cognitive et écologique. La majorité des études recensées portait sur la conception mathématique de l information, le feedback et le système autorégulé des mouvements. Concernant les critères d exclusion, les travaux publiés dans une langue autre que l anglais n ont pas été retenus. ETAT DES CONNAISSANCES LE BEHAVIORISME Le béhaviorisme a largement dominé les recherches en psychologie, de la Première à la fin de la Seconde 78

Etat des controverses des approches cognitive et écologique en relation avec les habiletés motrices. Guerre Mondiale. Selon cette approche, l apprentissage est une modification du comportement provoqué par les stimuli venant de l environnement. C'est surtout Skinner [7] un psychologue américain qui a développé cette approche et en a tiré une pratique pédagogique. L apprentissage peut être obtenu par l'utilisation de récompenses appelées " renforcements positifs " (ex : nourriture chez le rat de laboratoire, bonnes notes chez l'élève) et de punitions appelées " renforcements négatifs " (ex: choc électrique chez le rat, mauvaises notes chez l élève). L individu adopte un comportement qui évite les renforcements négatifs afin d'augmenter la probabilité de survenue de renforcements positifs. Or, à l avènement de la Deuxième Guerre Mondiale, des besoins pressants s exprimaient non seulement en termes d acquisition d équipements de guerre mais aussi dans le domaine de formation des ressources humaines compétentes sachant manipuler l arsenal de guerre. Mais comment former ces ressources humaines dans la mesure où le modèle behavioriste qui était en vogue ne s'intéresse essentiellement qu aux comportements d'apprentissage observables? Ces nécessités enregistrées en période de guerre ont montré très tôt les limites de la méthode behavioriste puisqu elle ne s intéresse pas à ce qui se passe dans la tête des sujets. Il est évident que les sujets ne fonctionnent pas de la même manière dans leurs têtes. De ce point de vue, le modèle behavioriste a été mis entre parenthèses et les recherches se sont plutôt intéressées à l étude du cerveau humain. Puisqu à l époque, aucun modèle d étude théorique n était disponible, les travaux de recherche avaient pour base, des études de ressemblance et d analogie. ETUDES ANALOGIQUES Les premières pistes de recherches ont été consacrées aux travaux d Alan Turing [8] qui a étudié le fonctionnement d une machine de codage dénommée «ENIGMA» d origine allemande. Turing, après avoir identifié les codes de cette machine, a inventé le 1 er ordinateur [8]. Cette invention va induire un bouleversement aussi bien dans la technologie que dans l étude du cerveau humain, puisque l ordinateur a réalisé pour la première fois, des opérations basées sur le «Stimulus» et la «Réponse» et de ce fait, l ordinateur est pris pour un modèle du cerveau humain. Dès lors, il devient un outil d étude de ce qui se passe entre un stimulus et une réponse : le cerveau humain. Sur un ordinateur, la réalisation d une tâche simple nécessite moins de temps qu une tâche compliquée. Or pour l homme, appuyer sur un bouton (tâche simple) qui s allume prend moins de temps d exécution que plusieurs boutons à appuyer (tâche compliquée). De là, l homme est considéré comme un ordinateur, or il est admis que l ordinateur traite des informations, donc l homme est capable de les traiter aussi. Mais avant de savoir comment l homme traite les informations, des préalables sont envisageables. COMMENT L INFORMATION EST-ELLE CONÇUE ET COMMENT FONCTIONNE-T- ELLE? C est sur la conception du modèle téléphonique de Shannon et Weaver [9] que les psychologues vont s appuyer pour étudier l information. En effet, selon ces auteurs [9], l information élémentaire, le bit prend deux valeurs : à savoir 0 et 1. L information est donc la combinaison de 0 et 1 qui se transmet par un canal. Donc, transmettre une information, c est envoyer des bits par un canal de transmission. Pour que l information soit audible ou perceptible, le signal transmis par le canal doit être plus élevé que le bruit généré. L information est transmise à travers un canal dont la capacité est limitée. Dans ce sens, les auteurs [9] démontrent que le temps de transmission d un message est proportionnel à la quantité des informations. L information est inversement proportionnelle à la probabilité d occurrence de l évènement. Sur la base de ces travaux, Hick [10] émet l hypothèse selon laquelle, l homme est un canal de transmission de l information. A l époque, le système nerveux central qui était perçu depuis longtemps comme un réseau complexe de communication, sera considéré comme un nouveau cadre théorique d étude. Les travaux de Hick [10] parviennent à étendre ce nouveau concept à l étude du système moteur. Par la suite, Fitts [11], puis Fitts et Peterson [12], établissent que le temps de mouvement dépend de la complexité (amplitudes précision) de la tâche. Dès lors, l organisme humain a été considéré comme un système de traitement de l information. L approche cognitiviste qui étudie les processus mentaux, a progressivement gagné du terrain et devient un modèle triomphant. APPROCHE COGNITIVE : MODELE PRESCRIPTIF Contrôle à boucle ouverte Newell et Simon [13] ont élaboré un programme informatique qui a démontré pour la première fois, un 79

MESSAN Folly & al. théorème mathématique. L ordinateur qui ne réalise jusqu alors que des calculs mathématiques, a accompli une activité humaine abstraite. Cet exploit conforte non seulement ceux qui pensent que le contrôle moteur est une activité logico mathématique, mais marque aussi le début de l ère du cognitivisme. Dans cette logique, Keele [14] a proposé la première théorie du comportement moteur selon une vision centraliste qui s intéresse uniquement aux experts et non aux débutants. Sur la base du postulat que l organisme traite de l information, Keele [14] soutient qu il faut alors transmettre à l organisme de l information qui marche comme un programme introduit dans un ordinateur. Keele [14] introduit donc la notion de programme moteur avec tous les détails disponibles au niveau des instances centrales. Ce programme permettrait à l expert de lancer des commandes à partir des instances supérieures pour atteindre sans faille le but initialement visé. Ainsi, pour réaliser une action, un programme moteur avec tous les détails est sélectionné au niveau des instances centrales et exécuté à la périphérie par les effecteurs. Le modèle de Keele n a donc pas besoin de correction, il est donc en boucle ouverte. Malgré les différents soutiens dont a bénéficié le modèle de Keele, le contrôle à boucle ouverte sera remis en cause par Adams [15] qui a initié une nouvelle notion de contrôle à boucle fermée. Contrôle à boucle fermée Pour en arriver là, Adams [15] a posé la question fondamentale, celle de savoir comment devient-on expert? Il affirme qu on ne saurait répondre à cette question sans avoir donné l explication de l apprentissage. Adams soutient que l apprentissage n est pas possible si le résultat de nos actions n est pas pris en compte, d où la nécessité de fermer la boucle. Du coup, l idée du programme moteur sera rejetée. Adams suggère que la boucle fermée n aura de sens que s il existe un comparateur entre l action prévisionnelle et celle réalisée. Les débats sont ainsi lancés entre les deux théories qui se sont affrontées pendant longtemps. De ce point de vue périphérique, la réduction de l erreur pourrait être permise grâce à un système de feedback et de comparateur. SCHMIDT : MEDIATEUR DES THEORIES DE KEELE ET D ADAMS Après avoir démontré que la théorie de Keele [14] est basée sur les mouvements rapides de courtes durées (< 200 m/s) et que celle d Adams concerne des mouvements lents de longue durée (> 500 m/s), Schmidt [2] a émis l hypothèse selon laquelle, un mouvement de durée inférieure à 200 m/s ne peut pas se servir de feedback, donc le modèle de contrôle de Keele doit être en boucle ouverte. Par contre, pour un mouvement plus long (plus de 500 m/s), des boucles de rétroaction sensorielles sont possibles et de ce fait, le modèle d Adams doit être en boucle fermée. Schmidt [2] concilie ainsi les modèles de Keele [14] et d Adams [15] en précisant leur champ de validité et répond au problème du stockage en définissant un nouveau concept, celui du programme moteur généralisé selon lequel, l expérience motrice serait stockée sous la forme d une unité de mouvement caractérisée par ses invariants (ordre des séquences de mouvement, durée relative, force relative). Un programme moteur généralisé (PMG) ou un schème moteur correspondrait donc à toute une catégorie de mouvements et le schéma de rappel permettrait d adapter le geste envisagé aux exigences de la tâche en ajustant les paramètres de force, de durée en fonction des conditions initiales et du but visé. Cette notion de PMG développée par Schmidt [2] va être critiquée à l interne et à l externe. CRITIQUES INTERNES CONTRE LE MODELE PRESCRIPTIF Selon Schmidt, les PMG sont propres aux sujets experts qui ne peuvent pas apprendre de nouveaux PMG, la question se pose de savoir d où viennent les PMG. L insistance de cette critique a finalement fait admettre plus tard qu on peut changer les PMG, cette admission a mis en difficulté la théorie de Schmidt. CRITIQUES EXTERNES CONTRE LE MODELE PRESCRIPTIF : NAISSANCE DU MODELE AUTOREGULATEUR L'approche cognitiviste du contrôle moteur repose principalement sur la notion de programme moteur, en tant que représentation prescriptive élaborée à un niveau central. Pour remettre en cause ce postulat, les spécialistes du modèle autorégulateur ont mis en place une expérimentation qui a consisté à déposer une goutte d acide sur une patte d une grenouille étêtée. En effet, la patte controlatérale de la grenouille s est mise en mouvement vers la goutte d acide. En l absence de la tête, «symbole des structures centrales», cette patte de la grenouille pouvait-elle se mettre en mouvement pour dégager la goutte d acide? Pour sauver leur théorie, les cognitivistes ont estimé qu il y a fuite de «l âme» de la grenouille. Au terme de l expérimentation, les chercheurs ont conclu que la grenouille peut réinventer de nouvelles actions 80

Etat des controverses des approches cognitive et écologique en relation avec les habiletés motrices. finalisées sans la médiation des structures supérieures. Donc, le mouvement n est pas forcément le résultat des commandes initiées par les structures centrales. Des critiques ont été formulées contre cette notion centraliste en évoquant qu'un acte moteur complexe nécessite le contrôle d'un nombre élevé de degrés de liberté et montrent qu'une programmation centrale exhaustive est difficilement envisageable En effet, comment le cerveau humain peut-il gérer plusieurs paramètres dynamiques et statiques liés à plus de 792 muscles environ et plus de 100 articulations de l organisme? Peut-il également gérer, plusieurs directions et déplacements du corps, des mouvements des segments corporels, la variabilité contextuelle, le contrôle avant, pendant et après un mouvement, les forces extérieures à vaincre? Bref, le cerveau humain n est pas aussi puissant pour contrôler toutes ces contraintes. Les mouvements à gérer sont si importants que le cerveau ne sait pas gérer les degrés de liberté et les variabilités contextuelles. En outre, l introduction de la «Loi sur l élasticité» par Hooke dans l étude du contrôle moteur [1-6], a mis davantage en difficulté le modèle cognitiviste. Selon cette Loi, la force produite par un étirement est égale à l allongement que multiplie sa raideur. Or, les caractéristiques de raideur musculaire changent en fonction du niveau d activation atteint par le muscle. D après cette conception, le muscle ne serait donc pas un moteur, mais un ressort dans lequel la raideur est gérée. Finalement, le système musculaire ne bouge qu avec la rupture de la force qui lui est opposée. Il n y a donc pas de commande qui gère le mouvement comme le suggère le modèle cognitif, mais c est plutôt l élasticité musculaire qui gouverne les mouvements. Kelso [17] va même plus loin pour affirmer que le cerveau ne commande pas de mouvement, mais c est la raideur élastique qui le gère de préférence. Les instances centrales ne planifient pas, n organisent pas le programme d action. La coordination des mouvements est pensée comme étant le résultat d'une auto-organisation du système effecteur à partir des systèmes de contraintes musculaires. Dans ce cadre, la complexité qui constituait un obstacle à l explication des théories cognitives, est devenue un atout: un certain nombre d'approches théoriques considèrent en effet que les processus d'auto-organisation ne se développent qu'à partir du moment où le système possède un certain niveau critique de complexité. DIFFERENCE ENTRE APPROCHES COGNITIVE ET ECOLOGIQUE La différence réside principalement dans la qualité attribuée à l information et aux rôles des processus internes au niveau cérébral. Pour l approche cognitive, l information doit être enrichie à partir de stades de traitement. Par exemple, l image rétinienne est une copie approximative de la réalité. Par contre, en ce qui concerne l approche écologique, l information n a pas besoin de processus cognitifs, ce qui constitue une économie d énergie. L approche émergente postule une décentralisation de l intelligence des effecteurs grâce à leurs propriétés d auto organisation basées sur des lois physiques. CONCLUSION Au terme de cette revue, il peut être retenu que le résultat du traitement de l'information est un postulat majeur de l approche cognitive. L'information prélevée par les organes sensoriels est soumise à des calculs, enrichis en comparaison à d'autres informations stockées en mémoire, transformée en intentions d'action et en informations prescriptives pour le système effecteur périphérique. L'organisation spatio-temporelle de la motricité serait donc sous le contrôle de représentations appelées programmes moteurs. Ainsi, selon cette approche: - L'apprentissage est lié à la formation et à l'utilisation de représentations, ou d'images, du mouvement à réaliser. - La variabilité des conditions d'acquisition est bénéfique à l'apprentissage. - Le feedback est nécessaire à l'apprentissage. - L'apprentissage nécessite une adaptation de la quantité d'information à traiter aux capacités actuelles de traitement de l'apprenant. L approche écologique quant à elle, soutient que les régularités des patterns de mouvement ne sont pas représentées dans des programmes, mais au contraire émergent naturellement d'interactions complexes entre de nombreux éléments liés. Ce phénomène serait analogue à la façon dont les systèmes physiques complexes s'organisent et se structurent sans aucun programme central ni de commande. Cette approche s appuie d une part sur les tâches de coordination, de contrôle et sur les contraintes auto-organisationnelles d autre part. Une telle démarche peut aboutir à une nouvelle approche multi conceptuelle qui faciliterait davantage la compréhension de l apprentissage moteur. Peut être faudra-t-il attendre une nouvelle évolution technologique majeure pour mettre en évidence l interdépendance des sciences qui ont besoin les unes des autres pour évoluer. Sans les critiques, il n y a pas 81

MESSAN Folly & al. de progrès et les controverses entre ces approches aux philosophies opposées sont intellectuellement stimulantes et participent de l évolution des connaissances sur le contrôle du mouvement dans le domaine des pratiques sportives. REFERENCES 1. ABERNETHY B., THOMAS K T., THOMAS J T., 1993.- Strategies for improving understanding of motor expertise: In J.L. Starkes & F. Allard (Eds.), Cognitive Issues in Motor Expertise: 317. 2. SCHMIDT R A., 1975.- A schema theory of discrete motor skill learning. Psychological Review., 82 : 225. 3. BERNSTEIN N., 1967.- The co-ordination and regulation of movements. Pergamon Press., 53: 3. 4. GIBSON JJ., 1979.- The ecological approach to visual perception. Houghton Mifflin. 87. 5. SHAW R., ALLEY T., 1985.- How to Draw Learning Curves: Their Use and Justification. In T. Johnston & A. Pietrewicz, Issues in the Ecological Study of Learning: 275. 6. FOWLER C., TURVEY M T., 1978.- Skill acquisition: an event approach with special reference to searching for the optimum of function of several variables. In G. E. Stelmach (Ed.), Information processing in motor control and learning. Academic Press: 1 7. SKINNER B F., 1968.- "The Design of Experimental Communities", International Encyclopedia of the Social Sciences., 16 : 271. 8. TURING A., 1937.- On Computable Numbers, with an Application to the Entscheidungsproblem. Proc. London Math. Soc., 42 : 230. 9. SHANNON C E., WEAVER W., 1949.- The mathematical theory of communication. Urbana: University of Illinois Press : 117. 10. HICK W E., 1952.- "On the rate of gain of information". Quarterly Journal of Experimental Psychology, 4: 11. 11. FITTS, P M., 1954.- The information capacity of the human motor system in controlling the amplitude of movement. Journal of Experimental Psychology, 47 : 381. 12. FITTS P M., PETERSON J R., 1964.- Information capacity of discrete motor responses. Journal of Experimental Psychology, 67 : 103. 13. NEWELL A., SIMON HA., 1961.- Computer simulation of human thinking. Science, 134 :2011. 14. KEELE S W., POSNER M I., 1968.- Processing of visual feedback in rapid movements. Journal of Experimental Psychology, 77 : 155. 15. ADAMS J A., 1971.- A closed-loop theory of motor learning. Journal of Motor Behaviour, 3 : 111. 16. HOOKE R., ROBINSON H W., ADAMS W., 1935.- eds. The Diary of Robert Hooke, M.A., London: 1672. 17. KELSO J.A.S., SCHÖNER G., 1988.- Selforganization of coordinative movement patterns. Human Movement Science, 7 : 27 82