NOTES & ARGUMENTS / POLICY NOTES. Crise économique et détente sur le marché du pétrole? Sébastien Duquesnoy Julie Rozenberg Jean-Charles Hourcade



Documents pareils
LES ENJEUX DE LA VOLATILITE DU PETROLE ET DU GAZ ENTRETIENS ENSEIGNANTS-ENTREPRISE 28 AOÛT INSTITUT DE L ENTREPRISE

Contexte pétrolier 2010 et tendances

Transition énergétique Les enjeux pour les entreprises

Le rôle de la spéculation sur les marchés pétroliers : une analyse économétrique et comportementale

Rapport de Russell sur la gestion active

Ligne directrice sur les simulations de crise à l intention des régimes de retraite assortis de dispositions à prestations déterminées

La dette extérieure nette du Canada à la valeur marchande

L analyse boursière avec Scilab

La place du charbon dans le mix électrique

Les pratiques de simulation de crise: enquête auprès de quarante-trois grands établissements financiers

Les perspectives mondiales, les déséquilibres internationaux et le Canada : un point de vue du FMI

RAPPORT TECHNIQUE CCE

Le marché mondial de l énergie a connu ces dix dernières années

Pourquoi la croissance du commerce international s est-elle essoufflée? Beaucoup d espoir repose sur la libéralisation des échanges commerciaux

FONDS DE PLACEMENTS IMMOBILIERS SUISSES

INCIDENCE DU COMMERCE EXTÉRIEUR SUR LE COMMERCE INTÉRIEUR : NOUVELLE ANALYSE DE LA COURBE EN «L» NOUVELLE ANALYSE DE LA COURBE EN «L»

Etude d un cas industriel : Optimisation de la modélisation de paramètre de production

QUELLE DOIT ÊTRE L AMPLEUR DE LA CONSOLIDATION BUDGÉTAIRE POUR RAMENER LA DETTE À UN NIVEAU PRUDENT?

Les négociations climat en vue de la COP21: économie d un changement de paradigme

Croissance des ventes en France et amélioration de la génération de free cash flow

Le stockage de l'énergie : des nouvelles perspectives de performance énergétique pour les industriels?

L INDUSTRIE PÉTROLIÈRE FRANÇAISE EN 2014 ET PERSPECTIVES 2015 CONFÉRENCE DE PRESSE DU 10 MARS 2015

Efficience énergétique et électricité solaire

Le présent chapitre porte sur l endettement des

À Pékin (heure de Pékin) : 11h00, 20 janvier 2015 À Washington (heure de Washington) : 22h00, 19 janvier 2015 JUSQU À PUBLICATION. Courants contraires

Direction des Études et Synthèses Économiques Département des Comptes Nationaux Division des Comptes Trimestriels

WORLD ENERGY OUTLOOK RÉSUMÉ

L Elasticité Concept et Applications Chapitre 4

Annexe - Balance des paiements et équilibre macro-économique

Evaluation et gestion du risque des champs radiofréquences: Une perspective de l'oms

Le pétrole fournit 40% de l énergie mondiale. C est lui qui a régulé jusqu à présent le prix de l énergie.

Banque nationale suisse

Passage du marketing par à l automatisation du marketing

1- Résultats généraux Consommations moyennes pour l ensemble des voitures particulières * Unité : litre/100 km

L économie ouverte. Un modèle de petite économie ouverte. V2.0 Adaptépar JFB des notes de Germain Belzile. Quelques définitions

Perspectives économiques régionales Afrique subsaharienne. FMI Département Afrique Mai 2010

Interpréter correctement l évolution de la part salariale.

Réduction de la commande publique : jusqu à 2 points de croissance en moins en 2009?

Les questions relatives aux finances publiques, longtemps réservées aux spécialistes, sont

Les simulations dans l enseignement des sondages Avec le logiciel GENESIS sous SAS et la bibliothèque Sondages sous R

Eco-Fiche BILAN DE L ANNEE 2012 QUELLES PERSPECTIVES POUR 2013? 1

MASTER ECONOMIE APPLIQUEE

Les effets d une contrainte de crédit sur la convergence économique : Le cas des pays de l UEMOA

Croissance plus lente dans les pays émergents, accélération progressive dans les pays avancés

AMbition éolien L énergie éolienne. renouvelable, compétitive et créatrice d emplois

Avec Gaël Callonnec (Ademe)

Principe de symétrisation pour la construction d un test adaptatif

Pays pétroliers et gaziers du Maghreb et du Moyen-Orient

L indice de SEN, outil de mesure de l équité des systèmes éducatifs. Une comparaison à l échelle européenne

Synthèse n 16, Février Financement de la croissance verte et orientation de la création monétaire

Des dividendes élevés, synonymes d une forte croissance des bénéfices futurs

BUDGETS PRIMITIFS 2015

Modélisation 3D par le modèle de turbulence k-ε standard de la position de la tête sur la force de résistance rencontrée par les nageurs.

Plan stratégique Vision du marché

Le risque Idiosyncrasique

LES BRIC: AU DELÀ DES TURBULENCES. Françoise Lemoine, Deniz Ünal Conférence-débat CEPII, L économie mondiale 2014, Paris, 11 septembre 2013

Placements IA Clarington inc. Dan Bastasic Gestionnaire de portefeuille des Fonds IA Clarington stratégiques

Stratégie pour L approvisionnement

RAPPORT SOMMAIRE DE L ÉTUDE SUR LE MARCHÉ DU PROPANE. Prépare pour. l Association canadienne du gaz propane. Préparé par. Purvin & Gertz Inc.

La politique monétaire après la crise financière mondiale : Nouveaux enjeux

Premier trimestre 2010 : un bon début d année pour Bull

Délais de paiement : Le grand écart

L équilibre offre-demande d électricité en France pour l été 2015

Mémoire d actuariat - promotion complexité et limites du modèle actuariel, le rôle majeur des comportements humains.

Les perspectives économiques

Épreuve collaborative

Évolutions récentes de l énergie aux États-Unis et leurs conséquences géostratégiques

Short-term Pooled Investment Fund Regulations. Règlement sur le fonds commun de placement à court terme CONSOLIDATION CODIFICATION

Le contexte énergétique mondial et européen

Direction de la recherche parlementaire

SOCIAL CRM: DE LA PAROLE À L ACTION

REFORME DU CREDIT A LA CONSOMMATION DECRET SUR LE REMBOURSEMENT MINIMAL DU CAPITAL POUR LES CREDITS RENOUVELABLES

«Carbone et Prospective»

Enquête sur les investissements dans l industrie

Services à la recherche: Data Management et HPC *

La stratégie américaine de sécurité et le pétrole du Moyen-Orient

Économie américaine : est-ce grave?

Il est temps de travailler plus et mieux

Conférence Investisseurs. 1 er avril 2008

Les salaires réels ont ils été affectés par les évolutions du chômage en France avant et pendant la crise?

NOTE D'INFORMATION SUR L'ÉMISSION OBLIGATAIRE DE $.US 1 MILLIARD SUR 10 ANS (JANVIER 2015)

Isabelle DUCASSY EDUCATION

La fonction exponentielle

Marché immobilier en Ile-de-France

DEA ès Sciences de Gestion. DES en Sciences Economiques. Ingénieur diplômé de l'ecole Polytechnique de Paris.

Toronto (Ontario) Le vendredi 26 octobre 2007 L ÉNONCÉ FAIT FOI. Pour de plus amples renseignements, s adresser à :

Détention des crédits : que nous enseignent les évolutions récentes?

SÉLECTION DE CONSULTANTS

Document 1.2: Définition de l indicateur d ouverture (OPENNESS) de Sachs et Warner,1995

L offre d énergie: une comparaison France, Allemagne et Japon. Par Pierre Lasserre, Sciences économiques Université du Québec à Montréal

Les marchés du travail dans la crise *

Le Marketing au service des IMF

COALITION FRANCE POUR L EFFICACITÉ ÉNERGÉTIQUE

Économétrie, causalité et analyse des politiques

CODIFICATION CONSOLIDATION. Current to August 30, À jour au 30 août Last amended on December 12, 2013

Créé par Goldfing & Pblabla Créé le 02/05/ :49:00. Guide pour la déclaration d impôt

AFIM MELANION DIVIDENDES RAPPORT ANNUEL. Exercice clos le 31 décembre 2014

Etude 2014 sur l évaluation de la performance dans le WCM Résumé

Programme «Société et Avenir»

Transcription:

NOTES & ARGUMENTS / POLICY NOTES No 5-2011 Crise économique et détente sur le marché du pétrole? Sébastien Duquesnoy Julie Rozenberg Jean-Charles Hourcade juillet 2011 CIRED Policy Notes Series C.I.R.E.D. Centre International de Recherches sur l'environnement et le Développement UMR 8568 CNRS / EHESS / ENPC / ENGREF / CIRAD / METEO FRANCE 45 bis, avenue de la Belle Gabrielle F-94736 Nogent sur Marne CEDEX Tel : (33) 1 43 94 73 73 / Fax : (33) 1 43 94 73 70 www.centre-cired.fr

CIRED Policy Notes Series

Résumé On pourrait penser en première intuition qu une crise économique aurait au moins comme avantage, en ralentissant la demande énergétique, de relâcher les tensions sur les ressources pétrolières. A partir du modèle du marché pétrolier DYSMO, nous montrons qu une crise peut au contraire renforcer ces tensions en entraînant des retards d investissements dans l offre de pétrole. Mots-clés : marché du pétrole, crise économique, investissements pétroliers. - Economic crisis and relaxation on the oil market? Abstract One might intuitively think that an economic crisis would at least relieve the tensions on oil resources since it slows energy demand. From the model of the oil market DYSMO, we show that an economic crisis may on the contrary increase these tensions as it delays investment in oil supply. Keywords : oil market, economic crisis, oil investment. CIRED Policy Notes Series

CIRED Policy Notes Series

1 Sébastien Duquesnoy 2,3, Julie Rozenberg 3 et Jean Charles Hourcade 3 Notes & Arguments/ Policy Notes Series n 5, CIRED, juillet 2011 Résumé : On pourrait penser en première intuition qu une crise économique aurait au moins comme avantage, en ralentissant la demande énergétique, de relâcher les tensions sur les ressources pétrolières. A partir du modèle du marché pétrolier DYSMO, nous montrons qu une crise peut au contraire renforcer ces tensions en entraînant des retards d investissements dans l offre de pétrole. Mots clés : marché du pétrole, crise économique, investissements pétroliers. Abstract: Economic crisis and relaxation on the oil market? One might intuitively think that an economic crisis would at least relieve the tensions on oil resources since it slows energy demand. From the model of the oil market DYSMO, we show that an economic crisis may on the contrary increase these tensions as it delays investment in oil supply. Keywords: oil market, economic crisis, oil investment. Alors que la crise économique et financière ouverte en 2008 continue de nourrir les inquiétudes sur le prolongement d une croissance atone dans le monde occidental et sur ses conséquences en termes d emploi et de creusement des déficits publics et privés, on pourrait penser en première intuition que cette faible croissance aurait au moins comme avantage, en ralentissant la demande énergétique, de relâcher les tensions sur les ressources pétrolières. Ceci est indéniable à court terme, mais l objectif de cet article est de montrer que la crise peut au contraire renforcer ces tensions à moyen terme en provoquant un ralentissement des investissements pétroliers et donc une baisse de l offre de pétrole. L année 2009 a en effet été marquée par une chute de 16% des investissements dans l exploration et dans le développement de champs pétroliers : entre octobre 2008 et septembre 2009, vingt projets de grande échelle représentant plus de 2 millions de barils par jour de capacités supplémentaires ont été annulés ou suspendus pour une durée indéterminée et 29 projets impliquant 3,8 millions de barils par jour de nouvelles capacités ont été reportés d au moins 18 mois 4. Malgré une hausse de 9% des investissements amont en 2010, le retard accumulé en 2009 n a pas été encore été rattrapé 5. Cette chute des investissements s explique par un effet prix (entre juillet et décembre 2008, le prix du pétrole a chuté de 140 $/bbl à 40 $/bbl) et un effet volume (baisse 1 Etude réalisée dans le cadre de la chaire Modélisation prospective pour le développement durable. 2 E-mail : duquesnoy@centre-cired.fr 3 CIRED, 45bis avenue de la belle Gabrielle, F-94736 Nogent-sur-Marne, France 4 IEA, World Energy Outlook 2009 (Paris: IEA International Energy Agency, 2009), chap. 3. 5 IEA, World Energy Outlook 2010 (Paris: IEA International Energy Agency, 2010), chap. 3. 5/9

de la demande de pétrole à partir du 2ème semestre 2008). Il est intéressant ici de noter que, selon le rapport 2009 de l AIE, la crise du crédit a eu peu d effet sur les investissements du secteur pétrolier. A court terme, cette baisse des investissements n a pas empêché une forte augmentation des capacités excédentaires, la baisse de la demande ayant été dans un premier temps beaucoup plus forte que celle de l offre 6. Cependant, comme le signalait l AIE dès 2009, les multiples annulations, suspensions et reports de projets enregistrés vont entraîner des retards dans le déploiement de nouvelles capacités de production de pétrole au cours des prochaines années. Mesurer l impact des retards d investissements Pour évaluer dans quelle mesure, en cas de forte reprise de la demande 7, ces retards d investissements dans l offre de pétrole risquent d accroître les tensions sur le marché du pétrole à moyen terme, nous avons développé DYSMO 8, un modèle du marché pétrolier qui innove en captant les dynamiques d investissement ainsi que les inerties spécifiques de l offre et de la demande de pétrole. Dans DYSMO, les dynamiques d investissement reposent sur la modélisation des décisions d exploration et de développement de nouveaux champs que prennent les acteurs pétroliers face à l évolution du marché. Le modèle représente ces décisions en intégrant un prix seuil de rentabilité pour chaque type de ressource pétrolière 9. De plus, DYSMO distingue la stratégie de l OPEP de celle des autres pays 10. Quant à l inertie de l offre de pétrole, elle est prise en compte par une description fine des contraintes géologiques et techniques liées à l exploration, au développement et à l extraction de pétrole. Cette modélisation avancée de l offre de pétrole a pour intérêt de capter les délais entre investissements et production : lorsque la décision d investir dans le développement d un champ est prise, la capacité maximale de production ne sera atteinte qu après un premier délai lié à la construction des capacités et un second lié à la montée en puissance de la production du champ. Enfin, l inertie de la demande est modélisée à court terme par une faible élasticité-prix et à moyen-long terme par une réactivité lente de l économie face aux variations de prix du pétrole. Contrairement à la très grande majorité des modèles de production pétrolière (notamment ceux de type Hubbert 11 ), DYSMO ne présuppose aucun profil de production. Ce profil dérive au contraire de la taille des réserves de pétrole mais aussi des investissements dans l exploration et dans le développement de champs pétroliers combinés à l inertie technique et géologique de l offre de pétrole. Le modèle étant récursif et ne présupposant pas une anticipation parfaite des marchés, les anticipations des acteurs peuvent être partiellement démenties et forcer à une adaptation des décisions initiales. Ce point est important pour l endogénéisation du prix du pétrole: celui-ci croît tendanciellement avec les coûts de production mais il varie aussi à la hausse ou à la baisse en fonction de l état des tensions entre offre et demande, tensions qui croissent par exemple lorsque les capacités de production excédentaires diminuent. Pour analyser l impact de la crise sur le marché pétrolier, on doit passer par l exercice toujours risqué d écriture d un scénario contrefactuel de façon à comparer des trajectoires post-crise à des trajectoires hors-crise. Pour cela, nous avons d abord calibré le modèle sur les trajectoires factuelles de demande et de prix du pétrole. La baisse du prix et de la demande de pétrole constatée suite à la crise dure 2 ans i.e. se termine en 2011 (Figure 1 gauche). Le modèle basé sur cette calibration simule des trajectoires «post-crise» du marché pétrolier. Nous 6 Les capacités excédentaires ont dépassé les 5,5 millions de barils par jour en 2009 d après le rapport 2010 de l AIE 7 D après le BP Statistical Review of World Energy 2011, la consommation de pétrole a augmenté de 3,1% en 2010 pour atteindre un nouveau record à 87,4Mb/j. 8 DYnamic Simulation Model of the Oil market. 9 Lorsque le prix du pétrole dépasse le seuil de rentabilité d un champ déjà découvert mais non exploité, les producteurs investissent dans le développement de ce champ afin de commencer à l exploiter. Le prix seuil de rentabilité dépend du type de pétrole : typiquement celui des sables bitumineux canadiens est plus élevé que le conventionnel saoudien. 10 Les pays non-opep exploitent leurs ressources dès qu elles sont rentables alors que l OPEP adopte une stratégie coordonnée (notamment avec l instauration de quotas) pour défendre un objectif de prix (p.ex. 100$/bbl). 11 Voir par exemple les modèles de M. K Hubbert, Energy resources: a report to the Committee on Natural Resources of the National Academy of Sciences,National Research Council (National Academy of Sciences, National Research Council, Washington, DC (USA), 1962) et C. J Campbell et J. H Laherrère, «The end of cheap oil», Scientific American 278, n o. 3 (1998). 6/9

avons ensuite re-calibré le modèle sur une trajectoire contrefactuelle qui «saute» la crise, construite en prolongeant les tendances observées avant la crise sur le prix et la demande de pétrole (Figure 1 gauche). Le modèle basé sur cette re-calibration simule alors des trajectoires «hors-crise» du marché pétrolier que nous prenons comme références et comparons aux trajectoires post-crise. Pour s assurer de la robustesse des résultats, la comparaison des simulations post-crise et des simulations horscrise a été faite pour quatre scénarios définis en croisant des hypothèses sur le potentiel de développement du pétrole non conventionnel et sur la disponibilité d alternatives au pétrole (Figure 1 droite). Ces alternatives portent tant sur l offre (p.ex. carburants synthétiques) que sur la demande (p.ex. véhicules électrifiés). 100 80 60 Calibrations prix pétrole ($/bbl) 2 axes d incertitude, 4 scénarios analysés Fort potentiel de développement du non conventionnel 40 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 X X 90 Calibrations demande pétrole (mb/d) Alternatives au pétrole disponibles Economie très dépendante du pétrole 88 X X 86 84 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 Trajectoire contrefactuelle Trajectoire factuelle Faible potentiel de développement du non conventionnel Figure 1 : Double calibration du modèle et analyse de scénarios Des tensions accentuées et lentement résorbées Les résultats obtenus confirment que les annulations et reports de projets de développement de nouvelles capacités de production de pétrole enregistrés suite à la crise provoqueront des trajectoires de prix sensiblement plus élevées que celles qui auraient été obtenues en l absence de crise, notamment sur la période 2012-2018 (Figure 3). A court-moyen terme (2010-2020) le retard de développement des capacités de production entraîne sans surprise une augmentation des tensions entre offre et demande et des prix du pétrole plus élevés. Sur cette période le scénario hors-crise amène à un choc sur les prix qui résulte de l écart entre investissements pétroliers et dynamique de la demande mondiale de pétrole dans les années 2000. Mais ce choc est beaucoup plus sévère (+30%) et plus long (+3ans) dans le scénario post-crise (Figure 3). Qu une diminution sensible des capacités excédentaires joue sur les prix est peu surprenant. Ce qui l est davantage est l ampleur du «surchoc». L inertie du déploiement de nouvelles capacités de production combinée à la faible élasticité-prix de la demande débouche sur une période de «rareté» du pétrole dont les simulations révèlent l ampleur et la durée potentielles. Cela prend en effet du temps pour résorber cette rareté via de nouveaux investissements et le «pic» des prix pétroliers dure environ trois ans de plus que dans le scénario «sans crise». A long terme (2020-2030), les trajectoires de prix post-crise et hors-crise baissent et convergent (Figure 3). Dans les deux cas, les investissements massifs dans l exploration et dans le développement effectués sur la 7/9

période 2010-2020 en réponse aux prix très élevés ont pour effet une augmentation des capacités de production. Mais, en raison de la durée de maturation des d investissements 12, ceci ne joue sur les marchés qu à partir de 2015, date à partir de laquelle s amorce la détente sur le marché du pétrole. Les prix étant plus élevés sur la période 2010-2020 dans le cas post-crise, la baisse des prix est alors plus marquée. Les capacités de production post-crise et hors crise convergent à partir de 2025 (Figure 2) ce qui entraîne la convergence finale des trajectoires de prix. A très long terme (après 2030), la crise n est plus le facteur premier pour expliquer les évolutions du marché du pétrole. De simples tests de sensibilité que nous ne présentons pas dans ce bref article - montrent que ces évolutions sont alors beaucoup plus dépendantes des hypothèses faites sur la taille des ressources pétrolières. Conclusion Cette analyse confirme que la crise de 2008 et le retard d investissements qui en a résulté sont susceptibles d exacerber à moyen terme les tensions déjà en germe avant la crise sur le marché du pétrole. Cela montre l importance du coût décalé du découragement des investissements dans un secteur marqué par de grandes inerties techniques. Elle a donc valeur d avertissement sur un risque peu perçu non seulement par l opinion publique mais aussi par les décideurs publics. Elle appelle à ne pas déconnecter les débats sur les outils de régulation du secteur énergétique des débats sur les politiques économiques dans la réflexion générale sur la gestion des crises. Elle rappelle aussi que la rareté des ressources est tout autant, sinon plus, construite que naturelle et que, contrairement aux messages médiatiques, des prix du pétrole bas ne sont pas forcément une bonne nouvelle. Ils peuvent constituer un très mauvais signal qui piège consommateurs et industriels dans des situations de forte dépendance. 12 C est-à-dire le décalage temporel entre la décision d investissement dans de nouvelles capacités de production et leur mise en service. Dans le pétrole, ceci correspond au temps de développement d un champ pétrolier combiné à la durée de montée en puissance de la production de ce champ. 8/9

2% 0% -2% Capacités de production installées Ecart entre trajectoires post-crise et trajectoires hors crise (%) 2005 2010 2015 2020 2025 2030-4% -6% Figure 2 : Capacités de production installées - Effets de la crise (%) Ecart pour chacun des 4 scénarios entre les résultats du modèle calibré sur la trajectoire factuelle et le modèle calibré sur la trajectoire contrefactuelle. L axe des abscisses peut être interprété comme les trajectoires hors crise prises comme référence. Les capacités de production sont sensiblement réduites avec un creux à -4% en 2020 par rapport aux trajectoires hors crise. Le rattrapage des capacités de production s effectue à partir de 2025. 200 Prix du pétrole ($/bbl) 150 100 50 2005 2010 2015 2020 2025 2030 Trajectoires hors-crise Trajectoires post-crise Figure 3 : Prix du pétrole ($/bbl) Un choc sur les prix du pétrole est observé dans les cas hors-crise et post-crise entre 2013 et 2018. Cependant, ce choc est plus sévère (de +20 à +40%) dans le cas post-crise. Ceci est dû au retard de développement des capacités de production accumulé suite à la crise. A partir de 2018, les trajectoires de prix baissent et convergent grâce aux investissements massifs dans l exploration et le développement de champs pétroliers effectués pendant le choc de la période 2013-2018. 100 Production mondiale de pétrole (Mb/j) 95 90 85 80 75 2005 2010 2015 2020 2025 2030 Trajectoires hors-crise Trajectoires post-crise Figure 4 : Production mondiale de pétrole (en millions de barils par jour) La production est réduite de l ordre de 2% sur la période 2010-2020 avant un retour à la production de référence à partir de 2025. 9/9