La crise alimentaire mondiale Christian Deverre INRA UMR 1048 SAD-APT Paris France Briare, 5 mars 2010
Le retour de la famine? Deux évènements déclencheurs: Une violente vague de hausse des prix des denrées agricoles sur le marché mondial en 2007-2008 Le rapport de la FAO sur l état de l insécurité alimentaire dans le monde en octobre 2009 Et des prévisions alarmistes
Panique sur le marché mondial alimentaire (2007-2008)
L insécurité alimentaire dans le monde 1,02 milliards de personnes sous-alimentées en 2009 (Rapport FAO) contre 825 millions en 1995
Des prévisions alarmistes Pour les experts de la FAO, à l horizon 2050: Augmentation de la population mondiale de 2,3 milliards d individus = + 34% (+ 108% en Afrique Subsaharienne) Nécessité d augmenter l offre alimentaire de 70%
La crise des prix de 2007-2008: des conséquences spectaculaires et médiatiques La hausse des denrées agricoles sur le marché mondial entraîne en cascade celle des produits dérivés (lait, pâtes ) Les «émeutes de la faim» en 2008 dans plusieurs grandes villes du Sud (Port au Prince, Dakar, Le Caire )
Ne pas assimiler hausse des prix, pénurie et sous-alimentation Chute tout aussi brutale des cours des denrées agricoles après mai 2008 Confirmant une tendance de long terme
Ne pas assimiler hausse des prix, pénurie et sous-alimentation «La production agricole est moins excédentaire qu il y a dix ans» Cirad Actualités, Avril 2008 «Nous avons déjà assisté à des flambées des prix des denrées agricoles dans le passé avec comme cause une crise de l offre, comme durant l embargo pétrolier de l OPEP en 1973. Mais aujourd hui, contrairement aux épisodes du passé, l offre est abondante: il n y a pas de queues dans les magasins et les linéaires sont remplis d aliments» Michael W. Masters, testimony before the Committee on Homeland and Governemental Affairs, United States Senate, may 2008
Ne pas assimiler hausse des prix, pénurie et sous-alimentation La sous-alimentation chronique de plus de 800 millions de personnes dans le monde ne s est pas résorbée les années de production largement excédentaire ou en période de baisse des prix Les «émeutes de la faim» ont été urbaines, alors que la FAO estime qu entre 70% et 80% des personnes malnutries sont des ruraux
Les causes conjoncturelles de la hausse des prix alimentaires Une successions de mauvaises récoltes dans des grands pays producteurs de céréales (Ukraine, Australie ) La croissance très rapide en 2007 des superficies en maïs consacrées aux agro-carburants (USA principalement) Le report des capitaux spéculatifs des surprimes immobiliers aux marchés à terme des denrées agricoles
Des causes plus structurelles de la hausse des prix alimentaires La faiblesse des stocks céréaliers mondiaux, au plus bas depuis 1975 (20% de la consommation)
Des causes plus structurelles de la hausse des prix alimentaires L alignement des prix internes des denrées alimentaire sur les cours du marché mondial (alors que le commerce international ne représente que 10% du volume de la récolte de céréales)
Des causes plus structurelles de la hausse des prix alimentaires La hausse continue des coûts de production, et en particulier de l énergie
Aux racines des tensions entre production et consommation alimentaire L accroissement de la population mondiale? Le taux de croissance démographique est de 1,2% par an, le plus bas depuis 1950 (2,2% en 1963) Le taux de croissance de la production agricole mondiale est de 1,8% (2,3% dans les années 1970)
Aux racines des tensions entre production et consommation alimentaire Le taux d urbanisation? En 1950, 28% de la population dans les villes, 51% en 2000 En Afrique, 14% en 1950 (53 millions), 37% en 2000 (804 millions). Taux de croissance de 4,4% Dakar: 300.000 habitants en 1950, 2,5 millions en 2000
Aux racines des tensions entre production et consommation alimentaire Que mangent les urbains des pays du Sud? Les politiques d ajustement structurel ont amené l ouverture des ports de nombreux pays du Sud aux céréales bon marché des pays du Nord et de la Révolution verte Tandis que les investissements dans l agriculture vivrière étaient réduits à néant au profit des cultures de denrées d exportation
Aux racines des tensions entre production et consommation alimentaire Que mangent les urbains des pays industrialisés et émergents? Croissance du modèle alimentaire «carnivore» sur la base d un élevage consommateur de céréales Pour satisfaire ce modèle, importations massives d aliments pour l élevage et captation de terres cultivables par les pays émergents: Chine en Tanzanie, Laos, Kazakhstan, Brésil, Inde en Uruguay et Paraguay, Egypte et Lybie en Ukraine
Et maintenant? «La revalorisation des produits agricoles est une chance pour l agriculture» Le Monde, 23/4/2008 Pour qui? Faut-il refaire le déjà vu?
La «révolution verte» des années 1960-70 CGIAR (Fondations Ford et Rockefeller,,USAID, Banque Mondiale) Révolution verte vs «révolution rouge» (réforme agraire) dans les pays ex-colonisés Semences sélectionnées de céréales à haut potentiel de rendement: blé, maïs et riz hybrides => Promotion ou sélection des exploitations susceptibles d accueillir le «paquet technique» de la modernisation industrielle (irrigation, engrais chimiques et pesticides) = expulsion des exclus (villes, émigration) «La révolution doublement verte»: Iran, 1979
Une «révolution» aux graves conséquences environnementales Soustractions: énergies fossiles, eau, sols, forêts, biodiversité, minéraux Additions: pollution des eaux, de l air et des aliments par engrais, pesticides
Un air de déjà vu Norman Borlaug, Prix Nobel de la Paix 1970 un des pères de la Révolution Verte dans une Lettre à l Editeur, Science févr. 2004: «Le CGIAR doit retourner à ses fondamentaux promouvoir des variétés améliorées de semences en utilisant une combinaison de techniques de sélection conventionnelles et les nouveaux apports des biotechnologies [cad OGM], et en y associant les pratiques de gestion adaptées [cad le «paquet technique»], dans le but de faire face aux enjeux de la production à la fois sur les terres les plus favorisées et les plus marginales»
«Une révolution verte pour l Afrique et une révolution doublement verte pour l Asie et les Amériques» La revalorisation des prix agricoles: une bonne affaire. pour les grandes firmes de l agrofourniture: «Alors que le génie génétique pouvait paraître inutile quand la nourriture était abondante, il devient essentiel pour aider le monde à affronter la demande de nourriture et d agrocarburants de la prochaine décennie» International Herald Tribune, 21/4/2008 Mais pour les paysans?
Les semences «miracles»: une voie controversée au sein même de la communauté des agronomes du CGIAR «Des experts pensent que de simples changements dans les pratiques agricoles pourraient améliorer considérablement la situation» (Fox News, 30/4/2008) «Le problème le plus urgent pour les agriculteurs pauvres n est pas le développement de nouvelles technologies, mais l accès à celles qui existent déjà» (Nature, éditorial, 1/05/2008) et de la Banque Mondiale Pourquoi la sous-utilisation des engrais? Rétablir le rôle de l Etat (Ministère de l Agriculture), nouvelle économie politique de l agriculture au service du développement BIRD, Rapport sur le développement dans le monde, 2008
Alors que faire? Pas de recette ni de «modèle» miracle Mais agir régionalement, en tenant compte des situations écologiques, économiques et sociales, pour réorienter, maintenir ou restaurer des systèmes de production, de distribution et de consommation durable
Semences biotechnologiques ou adaptées? Améliorer les plantes ou améliorer/restaurer les capacités de production des agro-écosystèmes vivriers? Et quelles plantes améliorer? Standardisation ou adaptation à des systèmes de production complexes et/ou vulnérables (plantes «orphelines»)
Réinvestir dans le développement agricole et rural au Sud
Réduire les gaspillages dans le «pipeline alimentaire» Réinvestir dans les techniques et les infrastructures de stockage, de transport et de transformation Pertes post-récolte Inde = 20% des céréales Recoupler production vivrière et consommation urbaine
Aller vers des systèmes de production plus autonomes et économes Pour limiter la dépendance aux intrants à forte composante énergétique
Repenser les modèles alimentaires Entre régime alimentaires carnivore et végétarien, une raisonnable frugalité adaptée aux traditions culturelles Consommation de viande par habitant (1997): Monde: 36 kg, USA: 120 kg, Inde: 4 kg Mais Chine: 16 kg en 1983, 43 kg en 1997
Enjeu: effectuer la transition entre La sécurité alimentaire = assurer globalement la production de nourriture au plan mondial avec recours au marché international et à l aide alimentaire et la souveraineté alimentaire = la maîtrise citoyenne sur des systèmes agri-alimentaires régionaux
Le défi de la souveraineté alimentaire
Le défi de la souveraineté alimentaire
Merci pour votre attention! Remerciements à Christine de Sainte Marie et Cindy Morris