Un regard féministe sur le réseau de la santé et des services sociaux Doit-il y avoir des approches en santé adaptées aux spécificités des femmes? Y a-t-il des obstacles pour elles dans l accessibilité aux services? Est-il nécessaire d adopter un point de vue féministe dans la planification, l organisation des services et la gestion du système de santé et de services sociaux? Les femmes sont concernées à plusieurs titres par l organisation des services de santé et des services sociaux. Elles sont plus nombreuses que les hommes à utiliser les services du réseau, mais aussi leur statut majoritaire chez les proches aidants fait d elles, parfois involontairement, des actrices de premier plan dans l offre de soins. Enfin, il ne faut pas négliger qu elles sont également majoritaires parmi le personnel du réseau et que les conditions d exercice qui leur sont faites ont un impact certain sur la qualité des services offerts. L accessibilité aux soins et services L accessibilité aux soins et services s avère l écueil majeur du réseau de la santé et des services sociaux. Cette situation touche particulièrement les femmes, en raison de leurs besoins spécifiques, comme le suivi de grossesse et l accouchement, mais aussi parce qu elles demeurent les premières responsables du maintien de la bonne santé de leur famille, et ce, malgré certains changements dans les rôles traditionnels. Le manque de services de première ligne, de services de prévention et d accès à un médecin de famille les affecte donc au premier chef. Récemment, les médias ont signalé une pénurie de gynécologues au Québec, mais cela soulève d autres questions. La majorité des accouchements sont effectués par des gynécologues obstétriciens plutôt que par des médecins généralistes comme dans le passé. Est-ce réellement justifié? Fait-on de la maternité systématiquement une maladie? N oublions pas que dans les régions éloignées comme Fermont ou Blanc-Sablon, les femmes doivent quitter leur résidence un mois avant d accoucher. De façon générale, une utilisation accrue des services de sages-femmes et d infirmières praticiennes dans la communauté permettrait de favoriser l accès aux services de première ligne pour les femmes. Le déficit québécois en matière de soins et services à domicile, la province se situe encore loin de la moyenne
- 2 - canadienne à ce chapitre, touche principalement les femmes, celles-ci vivant plus vieilles et agissant principalement à titre de proches aidantes. Il en est de même pour les services de soins et d hébergement de longue durée. L État se désengage de plus en plus de l offre de services ce qui accroît les risques pour la santé des femmes âgées La récente consultation sur les services de fin de vie et le droit de mourir dans la dignité a révélé également le manque flagrant de ressources adéquates pour offrir des soins palliatifs. Les femmes se retrouvant plus souvent seules dans leur grand âge, elles présentent davantage de besoins que les hommes. La situation des proches aidantes pour leur part demeure très problématique. Le gouvernement manque carrément à sa tâche au chapitre du soutien à leur apporter. Par exemple, la ministre responsable des Aînés, Marguerite Blais, a préféré confier au holding de la famille Chagnon le soin de développer des projets de soutien et de recherche (selon les priorités de la famille Chagnon) destinés aux proches aidantes plutôt que de mettre en œuvre une véritable politique de soutien aux aidantes qui répondrait aux besoins de l ensemble des femmes du Québec. Et que dire des autres services sociaux et de réadaptation? Malgré la volonté québécoise initiale de porter attention aux aspects psychosociaux affectant le bien-être des personnes, les services sociaux ont toujours été le parent pauvre du système face à des besoins curatifs criants et coûteux. Au début des années 1980, il était possible pour une femme d obtenir des services de soutien psychologique de base pour elle ou sa famille dans les CLSC. Une famille ou les enfants d une famille en voie de divorce, par exemple, pouvaient trouver des services afin d éviter les problèmes futurs. Une telle offre de services est devenue quasi impossible actuellement dans les Centres de santé et de services sociaux (CSSS). Seuls les cas lourds trouvent une réponse à leurs besoins et encore, les listes d attente sont longues. De plus, les personnes ne trouveront pas nécessairement une réponse à tous leurs besoins. La vision globale de la prise en charge telle qu elle avait été conçue à l origine des services sociaux ne trouve plus guère sa place dans l offre de services actuels. On compartimente de plus en plus les problèmes. La personne aux prises avec une difficulté psychosociale sera reçue pour le problème aigu manifesté. Si l intervenante ou l intervenant perçoit d autres problèmes associés, la personne sera généralement dirigée vers un autre service. Aussi, les administrations cherchent à réduire le nombre d interventions effectuées auprès d une même personne. Il s ensuit une réponse courte à des problématiques souvent plus larges ou plus complexes. Les personnes dont les caractéristiques n entrent pas dans les normes de services n ont souvent d autre choix que de se tourner vers le privé, ce qui est loin d être à la portée de toutes les bourses. Certains employeurs offrent des programmes d aide aux employés, mais ceux-ci présentent toujours un nombre très limité de consultations et encore faut-il travailler dans un secteur bien pourvu en ce sens, ce qui est loin d être l apanage de toutes les femmes. L offre de services psychologiques et psychosociaux publique est définitivement trop restreinte au Québec.
- 3 - Le Québec est plutôt bien servi en services de réadaptation. La prise en charge initiale se fait généralement rapidement. Mais, pour avoir accès à ces services de deuxième ligne, le diagnostic doit d abord avoir été établi en première ligne. Or, dans les CSSS, les délais d évaluation peuvent atteindre un à deux ans. Et, en réadaptation également, les administrations ont tendance à raccourcir les prises en charge, à les cibler ou à privilégier des interventions de groupes plutôt qu individuels. Les intervenantes et les intervenants peuvent moins qu auparavant adopter une approche globale dans leur prise en charge. Les femmes en paient un prix plus fort, surtout quand leurs enfants ont besoin d aide. Elles demeurent souvent seules avec les conséquences du manque de services (décrochage scolaire, délinquance) et avec le soutien à apporter, ce qui accentue leurs propres problèmes psychologiques et sociaux. Un cercle vicieux en somme. Et que dire de certaines politiques gouvernementales qui contreviennent aux principes de prévention et de réadaptation particulièrement dans le domaine de la lutte contre les dépendances? La récente offre de jeux en ligne permise à Loto- Québec de même que l ouverture du Kinzo, un projet pilote, créé aussi par Loto-Québec pour prendre la relève de l industrie en déclin des bingos, constitue carrément un encouragement au jeu pouvant créer une dépendance. Les femmes âgées, qui vieillissent souvent seules, sont plus vulnérables à ce type d activités et elles s y appauvrissent. Les volontés de privatisation et de tarification La tendance à la privatisation et à la tarification des services touchent aussi plus directement les femmes. Les services diagnostiques par exemple s effectuent de plus en plus au secteur privé. Ces services reçus en cabinet privé ne sont pas assurés par la Régie de l assurance maladie du Québec (RAMQ). Les services diagnostiques devraient être inclus dans la couverture publique quel que soit le lieu où ils sont dispensés. Également, le choix du gouvernement d aller de l avant avec le développement de centres médicaux spécialisés (CMS) privés plutôt que de miser sur des centres ambulatoires publics affectera certainement davantage les femmes qui ont l habitude de consulter plus que les hommes. Seul élément positif, les centres de femme offrant des services d avortement ont échappé, après une très forte mobilisation des groupes de femmes qui a fait reculer le ministre il faut bien le dire, à la réglementation prévue pour les CMS qui venait carrément affaiblir leur mode de gestion participative et humaniste. Les services d hébergement et de soins de longue durée sont systématiquement transférés au secteur privé à des prix souvent exorbitants. Les normes d accès aux services publics à ce chapitre ne cessent de s accroître, il faut être dans un état de perte d autonomie très avancé pour y avoir droit. Qui en paye davantage le prix? Les femmes. L accès aux services s en trouve diminué et la qualité des services n y est pas assurée.
- 4 - La contribution santé imposée par le ministre des Finances au dernier budget affectera beaucoup de ménages et principalement les familles monoparentales et les aînés, groupes majoritairement composés de femmes. Le seuil de revenu des personnes exemptées de cette contribution étant fixé autour de 14 000 $, on ne peut véritablement dire, comme le prétend le ministre que les plus démunis en sont exemptés. Or, l appauvrissement s avère un déterminant majeur dans la détérioration de la santé et du bien-être. Seule bonne nouvelle encore une fois, le ministre a renoncé, à la suite d une autre mobilisation populaire, à l imposition d une franchise santé modulée selon le nombre de consultations, ce qui aurait attaqué de front les conditions économiques des femmes. Cependant, la bataille n est pas terminée puisque le ministre envisage comme solution de rechange de rendre pérenne la contribution santé et de l augmenter. L appauvrissement, principal déterminant d une mauvaise santé Au-delà de l offre de services de santé et de services sociaux à proprement parler, l action gouvernementale sur les déterminants sociaux de la santé demeure très modeste particulièrement dans le domaine de la lutte à la pauvreté. Or, il est reconnu que la pauvreté s avère un des principaux déterminants d une mauvaise santé. Il y a un écart de près de dix ans entre l espérance de vie d une personne résidant dans Pointe-St- Charles comparativement à celle vivant à Westmount. Les femmes sont aux premières loges de cette pauvreté soit à titre de mères monoparentales ou de femmes âgées vivant seules. Les programmes sociaux visant à réduire les écarts économiques qu elles subissent doivent être à la hauteur. Hausse du salaire minimum, prestations adéquates de la sécurité du revenu et indexation des prestations de retraite sont autant de revendications portées par notre organisation qui contribueraient à l égalité entre les femmes et les hommes. Les conditions de travail des femmes travaillant dans le réseau Le milieu de travail des services de santé et des services sociaux est constitué majoritairement de femmes. Or, les conditions de travail imposées à celles-ci, telles que le travail précaire, le recours systématique aux heures supplémentaires et aux agences de placement privées, le mode de gestion hiérarchisé et centré sur l intensification du travail et la performance faisant peu confiance au jugement clinique altèrent directement la santé de ces travailleuses. Le fardeau des tâches accentue la fatigue chronique et les problèmes de santé mentale conduisant à des invalidités. À cela, s ajoute le fait que le milieu est peu sensible aux mesures de conciliation travail-famille. La culture de gestion frôle parfois le harcèlement dans la façon de contrôler les absences. Toutes ces conditions d exercice ne sont pas sans impacts sur la qualité même des services. Quand le réseau engendre des travailleuses épuisées, non valorisées ou absentes pour des raisons de santé physique et mentale, il contribue à accentuer les difficultés d accessibilité et de continuité des soins et services.
- 5 - Ne faut-il pas aussi souligner que les femmes font souvent les frais des conditions de travail désavantageuses propres aux milieux communautaires, aux entreprises d économie sociale et aux ressources de type familial dans lesquelles elles œuvrent largement dans le réseau. Les élans de communautarisation des services de la part des gouvernements qui se désengagent sont encore plus rapides que ceux de la privatisation, mais certes pas dans les mêmes conditions! Les interventions médicales à haut volume, donc payantes, aux médecins entrepreneurs, les cas sociaux lourds aux travailleuses du troisième secteur transformé en fonction publique parallèle. De là à parler de renforcement au travail à rabais, il n y a qu un pas! De plus, l apport non rémunéré des femmes ne cesse de croître quand l État se désengage. Il ne faut pas oublier, entre autres, que celles-ci sont davantage engagées dans des activités bénévoles du réseau. Reconnaît-on suffisamment cet apport? La participation des femmes à la gestion du réseau Le récent projet de loi 127 accentue le déficit de participation citoyenne. Il coupe de moitié les sièges prévus pour la population et le comité des usagers sur les conseils d administration (CA) des établissements. Il élimine aussi le Forum de la population que devait constituer chaque agence régionale. Déjà la fusion des établissements pour constituer les CSSS avait entraîné une réduction significative du nombre de conseils d administration. Les problématiques relevant des services hospitaliers ont pris le pas sur celles propres à la mission communautaire des CLSC et à la mission des soins et services d hébergement de longue durée (CHSLD), qui étaient au cœur des préoccupations des femmes (périnatalité, services aux enfants, aux jeunes et à la famille, soins et services à domicile, hébergement des parents âgés, etc.). Le nombre moindre de sièges disponibles et les instances citoyennes éliminées constituent une perte d espaces, de lieux de prise de parole et de prises de décision pour les femmes. Un point de vue féministe en santé et services sociaux? Dans sa plate-forme syndicale en santé et service sociaux adoptée en 2001, la CSQ a fait sienne la nécessité de reconnaître, de renforcer et de permettre l apport spécifique des femmes au sein des missions et des différents paliers de décision du réseau. Un point de vue féministe dans la planification, l organisation des services, la gestion et l évaluation du système de soins et de services est-il toujours pertinent? Absolument. Il importe, plus que jamais, de développer des actions en ce sens, croit la Centrale.