Note technique extraite de la documentation de l Ordre des Experts Comptable Les grands dossiers sociaux 2014 édition janvier 2014 Est-il obligatoire de cotiser à la sécurité sociale? Depuis plusieurs mois, la presse se fait l'écho de mouvements d'opinion contestant l'affiliation obligatoire à la sécurité sociale. Pour certains, et notamment le «Mouvement pour la liberté de la protection sociale» (MPLS), l'obligation de cotiser à la sécurité sociale, en particulier pour les travailleurs indépendants et les professions libérales, est contraire aux principes du droit européen. Il s'agit d'une ancienne contestation, ravivée par une décision récente de la Cour de justice de l'union européenne (aff. C 59-12 du 3 octobre 2013), s'appuyant sur l'articulation du droit français et du droit européen, qui tire parti d'une certaine complexité juridique. Articulation du droit européen et du droit français Les contestataires tentent d'invoquer une obligation européenne de libre concurrence pour faire obstacle à la situation de monopole de la sécurité sociale et construisent leur argumentaire à partir d'une lecture fallacieuse de certains arrêts de la CJCE. Il semble donc important de rappeler les principes généraux du droit européen concernés. 1.1. Principe de la liberté d'assurance Depuis 1992, la Communauté européenne a mis en place un marché unique de l'assurance privée par voie de directives dites «directives assurances (notamment directives 92/96/CEE et 92/49/CEE). Sur le fondement de ces directives, chaque citoyen français peut donc assurer une partie de sa protection sociale auprès d'entreprises d'assurance, de mutuelles ou d'organismes de prévoyance établis dans un autre Etat de l'union européenne, comme le rappelle notamment l'arrêt Garcia (CJCE du 26 mars 1996 aff. 238/94) L'article 2.2 de la Directive CEE 92/49 énonce que «La présente directive ne s'applique ni aux assurances et opérations ni aux entreprises et institutions auxquelles la Directive 73/239/ŒE ne s'applique pas».
Or la directive 73/239 à laquelle il est fait renvoi prévoit expressément qu'elle ne concerne pas «Les assurances comprises dans un régime légal de sécurité sociale». Les Directives assurance ne s'appliquent donc qu'aux sociétés d'assurance, aux mutuelles et aux institutions de prévoyance. 1.2. Principe de souveraineté nationale La Cour de Justice des Communautés européennes a confirmé ce principe en jugeant à plusieurs reprises que le droit communautaire ne porte pas atteinte à la compétence des Etats membres pour aménager leur régime de sécurité sociale (notamment CJUE 16 mai 2006 arrêt Watts). Les Etats membres restent donc libres d'organiser comme ils l'entendent leur système de sécurité sociale. Or la législation française prévoit que toute personne qui réside et travaille en France est obligatoirement affiliée au régime de sécurité sociale dont elle relève : régime général des salariés, régime des nonsalariés ou régimes spéciaux. La sécurité sociale - assure, pour toute autre personne et pour les membres de sa famille résidant sur le territoire français, la couverture des charges de maladie, de maternité et de paternité ainsi que des charges de famille. Cette garantie s'exerce par l'affiliation des intéressés et le rattachement de leurs ayants-droit à un (ou plusieurs) régime(s) obligatoire(s). Elle assure le service des prestations d'assurances sociales, d'accidents du travail et maladies professionnelles, des allocations de vieillesse ainsi que le service des prestations familiales dans le cadre des dispositions fixées par le présent code (art. L 111-1 Code de la Sécurité Sociale). Par un communiqué du 27 octobre 2004, la Commission européenne rappelle que «les États membres conservent l'entière maîtrise de l'organisation de leur système de protection sociale ; cela vaut en particulier pour toute l'étendue des dispositions légales et réglementaires concernant la Sécurité sociale». Par lettre du 30 octobre 2013, la Commission européenne rappelle ce principe de l'indépendance des Etats : «la législation de l'union
européenne concernant l'assurance vie et non-vie établit des dispositions concernant l'exercice d'activités d'assurance privée dans le marché intérieur. Cette législation exclut de son champ d'application les assurances comprises dans un régime de sécurité sociale (...). Dans l'état actuel du droit de l'union européenne et en l'absence d'une harmonisation, les Etats membres restent libres d'aménager leurs systèmes de sécurité sociale, y compris en ce qui concerne l'obligation de s'affilier». Par conséquent, un Etat membre, en l'occurrence la France, demeure compétent pour décider d'imposer l'affiliation obligatoire au régime légal d'attirance maladie ou vieillesse et les conditions de cette affiliation. I.». Principe de solidarité nationale En aucun cas, les organismes privés ne peuvent se substituer à la sécurité sociale qui repose sur un principe constitutionnel de solidarité nationale comme le rappelle l'article L 111-1 du code de la sécurité sociale : «['organisation de la sécurité sociale est fondée sur le principe de solidarité nationale». Dans un arrêt de 1996 (Cour de Justice de la Communauté Européenne aff. 238/94, Garcia) les juges réaffirment le caractère obligatoire de l'affiliation à un régime de sécurité sociale reposant sur un principe de solidarité : «des régimes de sécurité sociale qui (...) sont fondés sur le principe de solidarité exigent que l'affiliation à ces régimes soit obligatoire, afin de garantir l'application du principe de ta solidarité ainsi que l'équilibre financier desdits régimes». Dans l'arrêt Kattner du 5 mars 2009, la CJCE rappelle que l'affiliation obligatoire n'est pas contraire au droit européen «dès lors qu'un tel organisme opère dans le cadre d'un régime qui met en œuvre le principe de solidarité et que ce régime est soumis au contrôle de l'etat». 1.4. Principe de l'interdiction de pratiques commerciales déloyales Dans l'arrêt BKK du 3 octobre 2013, les juges européens rappellent que les organismes de droit public comme de droit privé doivent respecter l'interdiction des pratiques commerciales déloyales ou abusives vis-à-vis des consommateurs prescrites par une Directive 2005/29 du 11 mai 2005. Dans cette affaire les juges considèrent que si un organisme de droit public en charge d'une mission d'intérêt général mène à titre subsidiaire des opérations commerciales, ce qui était le cas de l'organisme allemand en cause dans l'affaire, il doit respecter les dispositions de la Directive 2005/29/CE sur la consommation et le droit des consommateurs pour ce type d'opérations
Cette décision qui ne vise que la Directive précitée, reste sans aucun rapport sur l'application du droit de la concurrence à un organisme de sécurité sociale. 1.5. Principe de la liberté de concurrence Par un communiqué de presse du 29 octobre 2013, la Direction de la Sécurité Sociale rappelle que : «conformément à la jurisprudence constante de ta Cour de Justice de l'union européenne, n'étant pas de nature économique, les activités de la sécurité sociale ne sont pas soumises au droit européen de la concurrence» (jurisprudence constante depuis l'arrêt «Poucet-Pistre du 17 février 1993). «Alors que ta Direction de la Sécurité sociale a régulièrement rappelé les textes applicables, les mouvements qui propagent ces fausses informations depuis plusieurs années tentent de susciter un regain d'attention envers leurs allégations, notamment via les réseaux sociaux, en instrumentalisant tes arrêts de ta Cour de Justice de l'union européenne. Les assurés sont donc appelés à la plus grande vigilance face aux informations erronées et trompeuses qui circulent et qui ont pour seul objectif de remettre en cause te système français de Sécurité sociale». Sanctions Des sanctions peuvent être prononcées à rencontre de la personne qui s'abstient de cotiser, de celle qui incite à la non affiliation à la sécurité sociale, ainsi qu'à rencontre des compagnies d'assurance. 2.1. Travailleur indépendant non cotisant Le travailleur indépendant qui ne cotise pas au RSI s'expose ainsi à une contravention de 3ème classe (450 ) et de 5ème classe en cas de récidive (jusqu'à 1500 ) (art. R 244-4 et R 244-5 CSS). Le travailleur indépendant devra aussi régulariser sa situation et s'acquitter des cotisations, majorations et pénalités de retard afférentes. En outre, il peut être condamné au titre du travail dissimulé par dissimulation d'activité (art. L 8221-3 C. tr). Le travail dissimulé est passible de très nombreuses sanctions : - des sanctions pénales au titre desquelles le contrevenant peut être condamné notamment à 3 ans d'emprisonnement et à 45 000 d'amende ; - des sanctions administratives : refus des aides publiques pendant 5 ans, remboursement des aides dans la limite de 12 mois, etc. - des sanctions civiles au titre desquelles notamment il peut se voir annuler les réductions ou exonérations des cotisations ou contributions sociales sur une période de 5 ans.
2.2. Personne incitant à ne pas s'affilier Toute personne qui incite les assujettis à refuser de s'affilier à un organisme de sécurité sociale ou de payer les cotisations s'expose à 6 mois d'emprisonnement et au versement de 15 000 d'amende (art. L 114-18 CSS). Toute personne qui incite les assujettis à refuser de s'affilier ou à ne pas payer les cotisations à un régime obligatoire de travailleurs non-salariés s'expose à 6 mois d'emprisonnement et au versement de 7 500 d'amende (art. L 652-7 CSS). Et la personne qui incite les assujettis à refuser de s'affilier ou à ne pas payer les cotisations à un régime obligatoire des travailleurs non-salariés «par voie de fait, menaces ou manœuvres concertées» s'expose à 2 ans d'emprisonnement et au versement de 30 000 d'amende (art. L 652-7 CSS). L'articulation de ces différentes infractions n'est pas aisée à opérer. La première sanction étant codifiée dans la partie commune du Code de la sécurité sociale alors que les deux autres infractions sont codifiées dans un livre propre aux travailleurs non-salariés du même code. Il peut être fait application du principe prévu par le Code pénal selon lequel lorsqu'il y a concours d'infraction, seule la peine la plus grave s'applique (art. 132-3 C. pénal). 2.3. Compagnie d'assurance Le contrat signé entre l'assureur et le travailleur indépendant ayant pour objet une dette de cotisations est nul. L'assureur est passible d'une contravention de 5""'' classe (jusqu'à 1 500 d'amende) et peut être tenu solidairement responsable du paiement des cotisations non acquittées (art. L 652-4 et R 652-1 CSS).