Mémoire de l organisme Conservation de la nature Canada Présenté au Comité de consultation de Percé l incontournable Pour le projet Percé l incontournable - Création d un parc récréotouristique à Percé 1. Mise en contexte À titre de chef de file en matière de conservation des milieux naturels au pays, Conservation de la nature Canada (CNC) s est donné comme objectif de protéger des sites ayant une remarquable biodiversité pour leur valeur intrinsèque, mais aussi dans l intérêt des générations présentes et futures. Pour accomplir sa mission, CNC identifie, via un programme scientifique étoffé, des aires naturelles importantes au plan écologique. Ensuite, un plan de conservation quinquennal est conçu pour chacune d entre elles ce qui permet d orienter les efforts de protection sur des cibles précises et de proposer des actions de conservations visant des secteurs prioritaires bien établis. 2. Justification écologique des composantes d intérêt au mont Sainte-Anne Le plan de conservation de l aire naturelle des Habitats côtiers de la Gaspésie identifie le mont Sainte- Anne comme étant un secteur prioritaire d intervention au niveau de la protection d espèces d intérêt. En effet, les sommets côtiers de l aire naturelle constituent des éléments importants pour la conservation. Le mont Sainte-Anne comprend trois sommets qui abritent plusieurs espèces floristiques susceptibles d être désignées menacées ou vulnérables au Québec et une espèce aviaire, la grive de Bicknell, qui niche dans la région et dont la situation est jugée menacée au Canada (COSEPAC, 2009). Le secteur du mont Sainte- Anne abrite un bon nombre de plantes arctiques-alpines rares dans le sud du Québec, puisqu elles sont répandues normalement dans la toundra du Nord du Québec. Ces espèces sont disjointes de leur aire de répartition et atteignent leur limite méridionale québécoise en Gaspésie, dans des habitats calcaires tels que ceux trouvés sur les sommets côtiers de l aire naturelle. Elles représentent des reliques de l époque tardiglaciaire et, à cette latitude, on peut les considérer comme des plantes rares ou exceptionnelles (Lavoie, 1999). Parmi les plantes en situation précaire associées aux sommets côtiers, notons la présence de la drave à graines imbriquées (Draba pycnosperma) qui est désignée menacée au Québec. Il s agit d une espèce endémique au golfe du Saint-Laurent qui n est répertoriée que dans cinq localités, toutes situées en Gaspésie. Plusieurs espèces sont susceptibles d être désignées menacées ou vulnérables au Québec et se retrouvent au mont Sainte-Anne comme la dryoptère fougère-mâle (Dryopteris filix-mas), le pigamon à feuilles révolutées (Thalictrum revolutum), l antennaire en coussin (Antennaria rosea subsp. pulvinata), la verge d or simple (Solidago simplex subsp. simplex var. simplex), l arnica lonchophylle, sous-espèce lonchophylle (Arnica lonchophylla subsp. Lonchophylla), la vergerette à feuilles segmentées (Erigeron compositus), l arabette du Québec (Boechera quebecensis) et le polystic faux-lonchitis (Polystichum lonchitis). D autres plantes rares, intéressantes sur les plans phytogéographique et écologique par leurs caractères arctiques-alpins, sont présentes au mont Sainte-Anne. Ce sont des plantes calcicoles 1
relativement rares à l échelle du Québec. Elles contribuent à un écosystème exceptionnel qui devrait être protégé. Parmi ces plantes, au mont Sainte-Anne, on note la présence du Carex rupestris, Draba glabella s. str. et Thalictrum alpinum (les noms français de ces plantes n existent pas). Celles-ci ont suivi le retrait des glaciers et elles n ont pu persister à cette latitude en Gaspésie que dans des habitats reliques, impropres à la colonisation d espèces forestières. Ces habitats de sommets côtiers simulent donc un environnement arctique de façon permanente. Ils sont caractérisés par une exposition à la pleine lumière, une faible compétition interspécifique (milieux pionniers), une érosion accentuée, une faible accumulation de neige et une exposition aux vents et aux embruns marins provenant du golfe du Saint- Laurent. Ces perturbations régulières du milieu assurent, par conséquent, le maintien d un stade pionnier (Lavoie, 1999). La présence de ces espèces s ajoute donc à la diversité floristique et à l originalité du mont Sainte-Anne. Il est aussi important de mentionner la présence de plantes non vasculaires qui possèdent les mêmes caractéristiques. Selon le Centre de données sur le patrimoine naturel du Québec, deux secteurs semblent se démarquer quant à la concentration d espèces floristiques d intérêt pour la conservation dans le massif du mont Sainte-Anne. Il s agit du secteur de la falaise (voir figure 2) qui s étend de part et d autre de la Grande Crevasse au mont Sainte-Anne, entre la route 132 et la route des Failles ainsi que sur les faces sud et est du mont Sainte-Anne (Lavoie, 1999). Il importe enfin de mentionner la présence sur les sommets côtiers de l aire naturelle de la grive de Bicknell (G4/N3B/S3), espèce désignée vulnérable au Québec et menacée au Canada. L espèce est connue au Québec pour occuper les habitats subalpins tels que ceux représentés dans le massif du mont Sainte-Anne. Les forêts subalpines que préfère la grive de Bicknell sont caractérisées par un climat humide, froid et venteux, qui devient plus rigoureux avec l altitude (COSEPAC, 1999). La sapinière à épinette blanche devient donc rabougrie et forme ainsi un habitat de prédilection pour plusieurs espèces fauniques et floristiques, dont la grive de Bicknell. En effet, la composition de la végétation, dominée par le sapin baumier, et la structure de la forêt avec son couvert de mousse, ses chicots et ses arbres morts au sol permettent au mont Sainte-Anne d offrir un habitat qui est essentiel à la grive de Bicknell pour son alimentation et sa reproduction. L espèce affectionne également des peuplements de conifères qui subissent des perturbations naturelles chroniques (glissements de terrain, chablis, etc.) (COSEPAC 2009). Il est recommandé de tenir compte de l habitat essentiel de la grive de Bicknell dans son ensemble lors de la pratique de toute intervention visant sa protection. Le faucon pèlerin, espèce vulnérable au Québec et préoccupante au Canada, a aussi été aperçu aux abords du mont Sainte-Anne près de la Crevasse, et nicherait probablement à même la falaise à un endroit encore inconnu (comm. pers. Pierre Poulin, 2012). Le massif du mont Sainte-Anne est l habitat de plusieurs espèces en situation précaire et c est pour cette raison qu il est considéré comme un secteur prioritaire dans le plan de conservation des Habitâts côtiers de la Gaspésie.
3. Inventaires de la grive de Bicknell au mont Sainte-Anne De récents inventaires de la grive de Bicknell ont pu être réalisés en 2010 dans le secteur du mont Sainte- Anne, appuyés par le spécialiste de l espèce au Service canadien de la faune, M. Yves Aubry. En compilant l ensemble des données répertoriées depuis 2002, grâce à la base de données des observations du Regroupement QuébecOiseaux, ainsi qu en s appuyant sur la littérature, une carte de localisation de la grive de Bicknell et de son habitat de prédilection a pu être créée. Dans cette carte la présence marquée de la grive de Bicknell au sommet du mont Sainte-Anne, a pu être notée. Ensuite, le secteur des Crevasse accueille aussi un bon nombre d individus, de même que le sentier menant au sommet du mont Blanc, le secteur de la Grotte, et finalement à l emplacement des belvédères 4 et 5. Notons que l habitat de prédilection de cette espèce englobe tout le secteur du mont Sainte-Anne, de la Grotte, des Crevasses, ainsi qu une partie du secteur du mont Blanc. Cette zone lui est considérée favorable, car elle permet de combler ses besoins au niveau de l alimentation et de la reproduction, ce que peu d autres sites peuvent lui offrir au Québec. Le rapport complet a été partagé au responsable du projet Percé l incontournable, M. Jean-Philippe Chartrand, suite à sa finalisation en 2011. Ce rapport peut être consulté par les responsables du projet pour plus de précision sur l étude. 4. Projet de création du Parc régional de Percé intégration dans l habitat de la grive de Bicknell Reportée sur la carte du parc régional, présentée au public par la firme DAA, nous avons observé que les occurrences de la grive de Bicknell sont situées à proximité de différentes infrastructures en place ou à venir au mont Sainte-Anne, comme les belvédères 4 et 5. Ceux-ci sont adjacents au secteur du «petit mont Sainte-Anne», qui fait l objet d un nouvel itinéraire de promenade, proposé par la firme PESCA dans sa récente étude. De par sa composition forestière (dominance de conifères, d arbres morts au sol, mousses) et ses perturbations naturelles chroniques, ce secteur serait appelé à être fréquenté par la grive de Bicknell. En effet ce sentier serait situé dans son habitat de prédilection (idéal pour son alimentation et sa reproduction). Étant donné que les activités récréatives effectuées en haute altitude peuvent réduire directement la quantité d habitats disponibles pour la grive de Bicknell (COSEPAC, 2009) par le morcellement de l habitat et le dérangement que peut causer l affluence de visiteurs, un nouveau sentier et de nouvelles infrastructures ne sont pas convenables à cet endroit pour assurer la protection de l espèce. La construction des autres nouveaux tronçons des sentiers ne semble toutefois pas être une menace importante. Toujours en ce qui concerne cette espèce, l absence de nouvelles infrastructures au sommet du mont Sainte-Anne est appréciée, puisque c est là où la grive de Bicknell se trouve en plus grande abondance.
Conclusion Considérant que CNC possède une expertise qui lui est propre dans le domaine de la conservation; Considérant que CNC œuvre à la protection des milieux naturels de la Gaspésie depuis près de 15 ans et que les informations qui sont partagées au sujet des espèces mentionnées dans le présent mémoire sont pertinentes; Considérant que le secteur du mont Sainte-Anne revêt une importance écologique, économique et sociale marquée pour l ensemble des résidents de la ville de Percé et que CNC reconnait l importance économique du projet Percé l incontournable pour la communauté; Considérant que le développement de ce parc récréotouristique vise une augmentation de l affluence au mont Sainte-Anne, et qu ainsi les risques d empiétement dans les milieux sensibles sont d autant augmentés; Considérant que la construction de nouvelles infrastructures ou l entretien des anciennes infrastructures dans un milieu fragile abritant plusieurs espèces en situation précaire peut être une source de perturbation élevée pour celles-ci et affecter leur développement; Considérant que le sentier projeté du petit mont Sainte-Anne est situé dans la zone identifiée comme habitat de prédilection pour la grive de Bicknell, espèce considérée vulnérable au Québec et menacée au Canada, de même qu à proximité d occurrences répertoriées de l espèce et que ce sentier est constitué d un groupement forestier pouvant être utilisé par celle-ci comme site de nidification; Considérant que la suggestion de PESCA d établir un nouveau sentier sur le petit mont Sainte- Anne ne tenait pas compte de la présence de la grive de Bicknell, qui a été repérée à moins de cent mètres de cet endroit lors de récents inventaires; Considérant qu une lacune au niveau de l étude des populations fauniques du secteur du mont Sainte-Anne a été relevée et qu ainsi la grive de Bicknell n a fait l objet d aucune considération dans l élaboration des plans de l ensemble du projet; Considérant que la construction d un centre des découvertes et autres infrastructures à l endroit du belvédère 3 risque d engendrer un dérangement, entre autres pour le faucon pèlerin qui fréquente les falaises du mont Sainte-Anne;
5. Recommandations Nous recommandons très fortement qu afin de tenter d équilibrer la protection du patrimoine naturel et les besoins collectifs d aménagement et d animation, le tracé du nouveau sentier du petit mont Sainte-Anne et de ses infrastructures soit modifié ou exclu du projet. Nous insistons de plus pour que les travaux d aménagement et de restauration des sentiers existants soient exécutés en dehors de la période de nidification de la grive de Bicknell, qui s étend du début du mois de juin au début du mois d août. En ce qui a trait aux plantes rares, nous demandons qu un effort soit porté pour que les perturbations du milieu (destruction de la végétation par la machinerie, bruits) soient réduites au minimum. En effet, des mesures particulières devraient être prises pour éviter toute circulation de la machinerie ou piétinement dans les habitats des espèces végétales en situation précaire, particulièrement du secteur des Crevasses et du belvédère 4. Une surveillance des travaux d aménagement dans ces secteurs par une personne qualifiée à reconnaître les habitats sensibles devrait être réalisée afin d éviter tout débordement accidentel dans ces habitats. De plus, la future association responsable de la gestion du site devrait se référer au cadre strict du projet Percé l incontournable, qui de son côté se doit d être un exemple en matière de protection du patrimoine naturel. Nous demandons également que tout programme éducatif ou visite guidée inclue un volet sensibilisation qui permettra de traiter particulièrement de la grive de Bicknell. Les visiteurs devront ainsi être informés de sa présence, de sa vulnérabilité et des bonnes pratiques à adopter pour éviter tout dérangement. Finalement, étant donné les changements notables prévus au mont Sainte-Anne au cours des prochaines années, de même que la vulnérabilité de cet oiseau menacé, il serait recommandé d instaurer un programme de suivi bisannuel de la grive de Bicknell dans le secteur. Un partenariat pourrait être alors envisageable entre CNC et les futurs gestionnaires du parc afin d évaluer les fluctuations au niveau des populations et ainsi prévenir toute baisse alarmante. Ceci constituerait une mesure compensatoire en regard aux bouleversements prévus dans son habitat.
Bibliographie Conservation de la nature Canada, 2009. Plan de conservation de l aire naturelle des Habitats côtiers de la Gaspésie Région du Québec, 87 p. et 7 annexes. Coursol, F. 2010. Inventaire des plantes menacées ou vulnérables ou susceptibles d être ainsi désignées sur le mont Blanc et le mont Sainte-Anne à Percé. Société de développement économique de Percé, Percé. 17 p. COSEPAC. 1999. Évaluation et Rapport de situation du COSEPAC sur la Grive de Bicknell (Catharus bicknelli) au Canada. Comité sur la situation des espèces en péril au Canada. Ottawa. vi + 48 p. (www.registrelep.gc.ca/status/status_f.cfm). COSEPAC. 2009. Évaluation et rapport de situation du COSEPAC sur la grive de Bicknell (Catharus bicknelli) au Canada. Comité sur la situation des espèces en péril au Canada. Ottawa. vii + 46 p.(www.registrelep.gc.ca/status/status_f.cfm). Lavoie, G. 1999. Rapport préliminaire d inventaire de plantes rares : projet de réserve écologique Mont-Sainte-Anne. Ministère de l environnement du Québec. Rapport non publié. 17 pages. Signé le 28 février Camille Bolduc, agente de projets - Gaspésie Conservation de la nature Canada, région du Québec Hubert Pelletier, directeur adjoint à la conservation Est du Québec Conservation de la nature Canada, région du Québec Louise Gratton, directrice de la science Conservation de la nature Canada, région du Québec