«Présentation du numéro» Bernard Fournier et José Woehrling. Politique et Sociétés, vol. 19, n 2-3, 2000, p. 3-7.



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«Présentation du numéro» Bernard Fournier et José Woehrling Politique et Sociétés, vol. 19, n 2-3, 2000, p. 3-7. Pour citer ce document, utiliser l'information suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/040221ar DOI: 10.7202/040221ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'uri https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'université de Montréal, l'université Laval et l'université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'érudit : info@erudit.org Document téléchargé le 14 February 2016 11:48

PRÉSENTATION DU NUMÉRO Bernard Fournier Vrije Universiteit Brussel José Woehrling Université de Montréal Selon les traditions académiques et universitaires, les liens entre le droit et la science politique ont été plus ou moins étroits. À l'exception du destin singulier de l'école libre des sciences politiques, une large part du développement de la science politique en France, au XX e siècle, a été fortement liée au cursus des études juridiques, et singulièrement à celui des études de droit public 1. C'est souvent en juristes, en spécialistes du droit administratif, du droit constitutionnel ou du droit international public que les premiers «politologues» se sont intéressés aux institutions politiques 2. Au Québec, au contraire, la «tradition» lie davantage la science politique à la sociologie, voire à l'économie. Du point de vue de la logique de l'organisation universitaire, c'est bien dans une faculté des sciences sociales, distincte de la faculté de droit, qu'est apparu le département de science politique, à l'université Laval pour ne nommer que celui-là 3. Évidemment, sans que les spécialistes de ces deux dimensions du phénomène politique collaborent nécessairement de façon directe, l'apport du droit a néanmoins été plus ou moins fréquent selon les champs de la discipline et les intérêts des chercheurs. 1. Pierre Favre, Naissances de la science politique en France (1870-1914), Paris, Fayard, 1989, p. 312-315. 2. On pense, entre autres, à Georges Burdeau et à son célèbre Traité de science politique, 2 e éd. rev. et augm., Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1966-1977. On trouvera également d'autres développements intéressants sur révolution de la science politique dans Pierre Favre, «Histoire de la science politique», Traité de science politique, sous la direction de Madeleine Grawitz et Jean Leca, Paris, Presses universitaires de France, 1985, tome I, p. 3-45. 3. Albert Faucher (dir.), Cinquante ans de sciences sociales à l'université Laval L'histoire de la Faculté des sciences sociales (1938-1988), Sainte-Foy, Faculté des sciences sociales de l'université Laval, 1988,390 p. Bernard Fournier, Vrije Universiteit Brussel (VUB), Pleinlaan 2, B-1050 Bruxelles, Belgique. courriel : bernard.fournier@pol.ulaval.ca José Woehrling, Faculté de droit, Université de Montréal, C.P. 6128, Suce. Centre-ville, Montréal (Québec), Canada, H3C 3J7. courriel : woehrlij@droit.umontreal.ca Politique et Sociétés, vol. 19, n os 2-3, 2000

4 BERNARD FOURNIER ET JOSÉ WOEHRLÏNG Quant aux relations entre les acteurs du jeu politique et ceux du domaine juridique, on observe depuis plusieurs décennies, dans la société canadienne et québécoise, une dynamique complexe. Certes, dans un régime politique longtemps marqué par le contrôle colonial et le «gouvernement mixte», comme le rappellent Andrée Lajoie et Marc Chevrier dans ce numéro, la tradition a toujours limité la volonté des élus du peuple par des contre-pouvoirs : le Conseil privé de Londres jusqu'en 1949 4, dont l'autorité a été ensuite transférée aux tribunaux canadiens, le Sénat fédéral et les conseils législatifs provinciaux avant que l'évolution politique ne réduise le premier à une quasi-impuissance et n'entraîne l'abolition des seconds. On admet aussi généralement que le fonctionnement du fédéralisme appelle la présence d'une autorité régulatrice du jeu politique pour départager les conflits de compétence entre les deux niveaux de pouvoir. Il reste qu'à l'exception de certaines situations de crise, le pouvoir législatif et, beaucoup plus sûrement le pouvoir exécutif, demeuraient les maîtres du jeu jusqu'aux deux dernières décennies du XX e siècle. Or, depuis l'introduction de la Charte canadienne des droits et libertés, en 1982 voire quelques années plus tôt, comme le suggère Linda Cardinal dans son analyse du Programme de contestation judiciaire mis en place par le gouvernement fédéral en 1978 dans le cadre de la protection des minorités linguistiques, on assiste à un déplacement du pouvoir décisionnel devant les tribunaux. Le phénomène était déjà connu aux États-Unis et dans les systèmes politiques où le contrôle de constitutionnalité est plus traditionnel, mais la dynamique qu'introduisent ces nouveaux mécanismes judiciaires est nouvelle dans les régimes parlementaires de tradition britannique et dans les pays d'europe continentale qui, par exemple la France, les ont adoptés plus récemment. Si l'exécutif détient toujours le monopole de l'initiative des lois et le contrôle de la procédure législative, si le Parlement demeure le seul lieu de discussion et d'amendement des projets de loi, la cour suprême élargit de plus en plus son rôle, non plus seulement en invalidant des lois, mais en en précisant le sens, en en définissant les modalités d'application, voire en les reformulant. En fait, comme le soutient Dominique Rousseau dans un de ses ouvrages, on assiste dans bien des cas à la mise en place d'un régime concurrentiel dans renonciation des politiques législatives, où les cours constitutionnelles deviennent un acteur dans le processus de fabrication des lois et influencent de façon décisive la politique législative. La loi serait désormais moins le produit de la volonté générale exprimée par un seul acteur, le Parlement, que le résultat 4. À ce propos, voir : Peter McCormick, Supreme at Last, paru aux éditions James Lorimer.

Présentation du numéro 5 d'une «délibération» qui s'organiserait entre les différentes institutions participant à son énonciation, chacune d'elles défendant une rationalité et des exigences qui lui sont propres 5. Cette nouvelle dynamique pose de nombreuses questions au politologue. Ainsi, d'un côté, si on considère que la justice constitutionnelle, en raison du recrutement élitiste de ses membres (au Canada encore plus qu'ailleurs), défend une certaine conception des droits et libertés, généralement assez conservatrice, on concevra qu'elle est surtout un moyen de «limiter la démocratie» (un rôle implicite qui fut d'ailleurs toujours attribué aux Chambres hautes). La justice constitutionnelle, favorisant davantage les droits négatifs, tendrait à censurer ou à empêcher les initiatives du législateur et du gouvernement visant le changement social. Mais d'un autre côté, si on considère la domination de plus en plus grande de l'exécutif sur le Parlement, la justice constitutionnelle apparaîtra davantage comme une heureuse limitation du pouvoir des majorités gouvernementales. Il serait aujourd'hui possible d'être politiquement minoritaire et d'avoir juridiquement raison et par conséquent de forcer la majorité à tenir compte de l'opinion minoritaire. Il se produirait ainsi une juridicisation ou une constitutionnalisation de la vie politique, où les acteurs sociaux pourraient de plus en plus avoir recours aux dispositions de la Constitution pour formuler leurs revendications politiques en termes de droits à faire respecter ou à conquérir : ils pourraient peut-être obtenir plus facilement gain de cause devant les tribunaux en reformulant des réclamations dans le vocabulaire des droits et libertés qu'en ayant recours aux mécanismes démocratiques traditionnels. Évidemment, selon les questions et les contextes politiques, des variantes plus ou moins proches d'un des deux pôles de cette alternative en résulteront. Il ne s'agit pas moins d'une dynamique nouvelle qui ne risque pas d'être uniquement conjoncturelle, pour diverses raisons qui sont justement exposées dans ce numéro spécial. Cette question mérite ainsi d'être particulièrement étudiée, puisqu'on peut croire qu'elle orientera ne serait-ce que le processus de formulation des valeurs collectives de nos sociétés et des enjeux politiques et sociaux. À cette étape de la réflexion, cependant, il nous a surtout semblé pertinent de rassembler ici une série d'études pour identifier les diverses dimensions de cette dynamique. Ainsi, Andrée Lajoie se sert du contexte récent du Renvoi sur la sécession du Québec pour retracer les arguments opposant la primauté du droit et la légitimité démocratique, dans le contexte d'une dynamique entre la pluralité des valeurs, des attitudes et des opinions 5. Dominique Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel', 3 e éd., Paris, Montchrestien, 1993, p. 387 et suiv. («Vers la démocratie constitutionnelle»), en particulier aux p. 407-409.

6 BERNARD FOURNIER ET JOSÉ WOEHRLING en démocratie, et «l'institutionnalisation» des normes. Linda Cardinal fait de même en examinant le Programme de contestation judiciaire, et en observant plus spécifiquement l'interaction entre les pouvoirs exécutif et judiciaire. Elle aborde également la question des rapports complexes entre la judiciarisation et le fédéralisme. En demeurant dans la même logique, Marc Chevrier nous pousse même à nous interroger sur la «nouveauté» du phénomène : pour lui, il apparaît clair que dans une société politique où la loi fondamentale est peu systématisée et où une large place est laissée à l'interprétation des règles non écrites, l'institution judiciaire fut dès le départ celle qui a toujours principalement délimité l'évolution du régime constitutionnel. Stéphane Bernatchez s'interroge sur les différentes visions de la légitimité que les spécialistes attribuent aux juges constitutionnels, et même sur celle que s'accordent les juges eux-mêmes en tant qu'arbitres ou délimiteurs du débat, tandis que Dominique Rousseau, de son côté, apporte un élément de comparaison nécessaire à la discussion en pensant la question à partir de l'exemple français qui s'inscrit justement dans une tout autre tradition juridique et politique. Sous un angle totalement différent, Nicole Gallant et Jean- François Tremblay, en tant que politologues, s'interrogent plutôt à partir du côté opposé de la question et s'inspirent d'expériences où le politique, loin d'être annihilé, semble devoir s'imposer au-delà du juridique : c'est ce qui s'est produit dans le premier cas, celui de certaines réparations accordées à des groupes en dédommagement de crimes antérieurs, et c'est ce qui devrait peut-être se produire dans le cas de l'autonomie gouvernementale autochtone. Ainsi, ces différentes études qui abordent chacune un angle particulier de la question permettent de relever la complexité d'un phénomène qui ne saurait surtout pas être réduit à une relation de type univoque. De plus, et pour revenir à nos préoccupations de départ, il apparaît rapidement que ce débat sur les rapports entre les acteurs politiques et les acteurs juridiques ne peut être cloisonné dans les limites d'une seule perspective épistémologique. Voilà pourquoi il est tout aussi important pour le chercheur de réfléchir au niveau des points de jonction entre les disciplines qui encourageront les approches conjointes, et c'est justement l'objectif que s'est donné Pierre Noreau en tentant d'envisager comment le champ juridique pourrait s'inscrire dans une perspective plus interdisciplinaire. Entre la vision positive suggérée par Dominique Rousseau qui voit dans la constitution le réfèrent à partir duquel les acteurs politiques sont appelés à argumenter, et dans la position du juge, celle de l'arbitre ultime de ce débat et les critiques qui voient la fin du politique dans la montée en puissance des cours constitutionnelles, il y a certes place pour une approche qui permette de prendre acte de l'existence de cette nouvelle dynamique tout en s'assurant qu'elle

Présentation du numéro 7 s'inscrive toujours dans cette logique de l'équilibre des poids et des contrepoids, qui demeure essentielle à l'exercice du pouvoir en démocratie. Notre objectif était justement d'en présenter ici les premiers éléments.