Les objectifs de l ergonomie en question(s) :



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Les objectifs de l ergonomie en question(s) : résultats d une enquête sur la pratique ergonomique Ludivine MAS Laboratoire d Ergonomie, CNAM 41 rue Gay Lussac - 75005 Paris, France ludivine.mas@free.fr L'action ergonomique cherche à atteindre un double objectif : améliorer le bien-être des personnes mais également la performance globale des systèmes. Afin de mieux comprendre les raisons pour lesquelles l'axe santé est souvent privilégié à celui de la performance, une enquête sur la pratique ergonomique a été menée auprès de la communauté des ergonomes en formation ou professionnels. Les résultats attendus devant permettre d évaluer l adéquation des formations avec les besoins du terrain et d'obtenir une vue d ensemble de la façon dont les ergonomes se représentent les objectifs de l ergonomie et les articulent. Les premiers résultats montrent que les formations, les domaines d'intervention, et les représentations qu'ont les ergonomes des objectifs qu'ils poursuivent dans leur pratique, expliquent en partie le déséquilibre qu'il peut y avoir entre objectifs de santé et de performance. Mots-clés : objectifs de l ergonomie, enquête, pratique ergonomique, formation Introduction Si la définition même de l ergonomie lui assigne deux objectifs complémentaires amélioration des conditions de travail et amélioration de l efficacité globale des systèmes (définition de l I.E.A.) l ergonomie reste aux yeux de nombreux professionnels focalisée sur la question de la santé/sécurité. Á qui la faute? Manque de visibilité dans la littérature autre qu ergonomique, sous exploitation de son potentiel d action, l ergonomie n a pas su encore s intégrer au niveau stratégique des entreprises (Dul & Neumann, 2005). Jusqu ici les enquêtes menées auprès de la communauté (Lapeyrière, 1990 ; Breedveld & Dul, 2005) se sont attachées à décrire les méthodes utilisées par les ergonomes et les différentes facettes des pratiques professionnelles. Aucune n a cherché à comprendre ce constat sous l angle des représentations que les ergonomes peuvent avoir du double objectif de l ergonomie. C est ce que nous nous proposons de faire grâce à une enquête menée auprès d ergonomes praticiens, chercheurs et étudiants. Les objectifs de l enquête Cette enquête s inscrit dans le cadre de recherches qui visent à comprendre l articulation faite entre les objectifs de l ergonomie dans la pratique professionnelle Congrès self 2007 page 719

Ergonomie des produits et des services et les facteurs qui peuvent influer sur elle. L enquête a pour buts (1) l évaluation de l adéquation des formations avec les besoins du terrain et (2) l obtention d une vue d ensemble de la façon dont les ergonomes se représentent les objectifs de l ergonomie et les articulent dans leur pratique. Elle devra également permettre de (3) rendre compte de la diversité des pratiques en ergonomie. La méthodologie La réalisation d'un questionnaire semblait plus adaptée pour toucher l ensemble de la communauté et rendre compte de sa diversité tant dans les formations suivies, que dans les pratiques professionnelles (Richard, 2002). Cette méthode de recueil de données permet en effet d étudier de façon plus massive un groupe de sujets dont «le métier comporte une gamme de tâches diversifiées, réalisées en des lieux multiples et dans des conditions variables» (Prunier-Poulmaire & Gadbois, 2005). Les hypothèses initiales Les choix pédagogiques réalisés par les organismes de formation en ergonomie ne favorisent pas suffisamment le développement de compétences entrepreneuriales. Dans les interventions ergonomiques, les objectifs tournés vers la santé sont privilégiés à ceux tournés vers la performance. Le domaine d expertise et la formation initiale des ergonomes influent sur la représentation qu ils ont des objectifs de l'ergonomie. Le questionnaire Il s adressait à l ensemble de la communauté : praticiens, chercheurs et ergonomes en formation. Le recueil des données a été réalisé via un questionnaire en ligne et s est déroulé du 11 janvier au 15 février 2007. Le questionnaire comprenait quatre parties (Tableau 1). page 720 Congrès self 2007 Tableau 1. Thèmes et variables étudiés dans le questionnaire

Le questionnaire s affichait dynamiquement en fonction des réponses données aux questions précédentes. Ainsi, les questions sur la pratique professionnelle n étaient pas présentées aux étudiants ; les questions posées relatives à la poursuite d un objectif particulier n étaient posées qu aux répondants ayant déclaré celui-ci comme un objectif qu ils poursuivaient. Le recrutement des participants Les ergonomes praticiens ont été informés de cette enquête par des listes de diffusion et par l'intermédiaire des institutions représentatives dont ils pouvaient être membres. Par ailleurs, les directeurs de formation ont été directement contactés par courriel et se sont faits les relais de cet appel à participation auprès des ergonomes en formation et des chercheurs. Il est donc difficile de chiffrer le nombre de personnes réellement contactées, et de connaître ainsi le taux de réponse à l'enquête. Le nombre de répondants, quant à lui, s'élève à 255. Les résultats Après une première étude descriptive des données recueillies, nous tâcherons de donner quelques pistes explicatives pour infirmer ou confirmer nos hypothèses initiales. Étude descriptive Le profil des répondants Près de 60% des répondants sont des femmes. Les deux tiers des répondants ont moins de 35 ans. L échantillon total se compose à 58% de praticiens (salariés de cabinets, du secteur public ou privé, travailleurs indépendants, fonctionnaires, dirigeants), 23% d ergonomes en formation, 11% de chercheurs (secteur public, R&D 1 et enseignants-chercheurs), 7% d ergonomes en recherche d emploi et 1% de retraités. Parmi les ergonomes en activité (praticiens et chercheurs confondus, n=175), près de la moitié ont moins de 5 ans d expérience (49%), 28 % ont plus de 10 ans d expérience. Ils interviennent essentiellement dans les secteurs secondaire et tertiaire. Évaluation des formations en ergonomie Objectifs de l ergonomie, objectifs des ergonomes L évaluation des formations en ergonomie est réalisée sur tout l échantillon (n=255). Cette évaluation porte sur le sentiment d adéquation qu ont les répondants de leur formation vis-à-vis des règles du métier, selon trois critères : la capacité à mener une démarche d intervention (Tableau 2), à traiter des demandes de natures diverses et à interagir avec différents interlocuteurs. La formation semble mieux préparer les ergonomes aux compétences du coeur du métier qu aux compétences entrepreneuriales, telles que la rédaction d un contrat d intervention, l estimation de la durée d une intervention et de ses coûts et bénéfices. 1. Recherche et Développement. Congrès self 2007 page 721

Ergonomie des produits et des services Tableau 2. Évaluation de la capacité à mener une intervention après la formation (n=255) Toujours au regard de leur formation, les ergonomes «généralistes» s estiment être tout à fait en mesure de traiter des demandes d aménagement et de conception de poste, de santé/sécurité et d organisation du travail, mais seuls 29% d entre eux se sentent à même de traiter des demandes de conception de produits ou interfaces. À contrario, les ergonomes IHM déclarent à 94% avoir été formés pour répondre à cette demande, mais ne s estiment que très peu en mesure de traiter d autres types d intervention. La spécialisation des ergonomes se joue donc dès leur formation. Concernant les formations suivies par les répondants, il est intéressant de noter que 20% des ergonomes ont suivi au moins deux formations en ergonomie. Enfin, les ergonomes se sentent capables d interagir avec les interlocuteurs principaux d une intervention (services de santé en tête à 76%), mais ne se sentent pas préparés à interagir avec les services plus transversaux d une entreprise (services commerciaux, communication) et avec la Direction Administrative et Financière (25%). Types d interventions réalisées Les ergonomes en activité (praticiens et chercheurs, n=175) réalisent essentiellement des interventions portant sur l organisation du travail (66%), l hygiène/sécurité et conditions de travail (59%), la conception de postes de travail (56%), la fiabilité humaine et prévention des risques (42%), l aménagement de locaux (42%). La poursuite des objectifs dans la pratique Selon les réponses données par l ensemble de l échantillon (n=255), les objectifs de productivité, de qualité et de compétitivité ne font pas partie des premiers objectifs de l ergonomie (Tableau 3). Là encore, c est autour des objectifs de performance globale (compétitivité, productivité, fiabilité) que les résultats atteints par les ergonomes ne semblent être à la hauteur des attentes des demandeurs (Tableau 4). page 722 Congrès self 2007

Objectifs de l ergonomie, objectifs des ergonomes Tableau 3. Objectifs auxquels l ergonomie devrait le plus contribuer selon les répondants L amélioration de l organisation du travail et de l intérêt au travail sont par contre des objectifs plus atteints que demandés aux ergonomes (Tableau 4). Tableau 4. Écarts les plus significatifs entre objectifs demandés et objectifs atteints L enquête cherchait ensuite à identifier si les ergonomes poursuivaient des objectifs de santé et/ou de performance dans leurs interventions et quel était leur positionnement par rapport à/aux (l )objectif(s) poursuivi(s). 54% des ergonomes (n=194) déclarent poursuivre les deux objectifs. 21% déclarent ne poursuivre que des objectifs de santé. 13% déclarent ne poursuivre que des objectifs de performance. 12% déclarent ne poursuivre aucun des deux objectifs. Ce sont les ergonomes IHM qui déclarent ne poursuivre ni des objectifs de santé, ni des objectifs de performance. Ce résultat sera commenté dans la partie suivante. On note que les ergonomes qui déclarent poursuivre des objectifs de performance ont plus le sentiment de répondre aux attentes de l entreprise qu à celles des opérateurs. Ils estiment être moins légitimes en poursuivant ces objectifs de performance ; ce résultat peut être rapproché du fait qu ils se sentent moins armés (outils et savoirs nécessaires) pour le faire (Tableau 5). Congrès self 2007 page 723

Ergonomie des produits et des services Tableau 5. Réponses des ergonomes déclarant poursuivre au moins un des objectifs Analyse des résultats La formation en question : des résultats encourageants mais peut mieux faire La standardisation de la démarche ergonomique, enseignée mais contestée (Richard, 2002 ; Lamonde, 2000), semble toujours avoir cours puisque l enquête montre de manière significative que les formations suivies en ergonomie s avèrent efficaces pour appréhender les étapes d une intervention, telles qu elles peuvent être présentées dans les manuels de référence (Guérin et al., 1997). Cependant la construction de compétences que l on pourrait qualifier d entrepreneuriales, semble souffrir des choix pédagogiques effectués par les établissements de formation. L enquête montre en effet que les futurs ergonomes s estiment insuffisamment formés à la démarche professionnelle avec ses interactions, le nécessaire positionnement de l ergonome, la formalisation des contrats, l estimation des coûts et bénéfices, etc. Déjà en 1990, dans une enquête sur les pratiques de l ergonomie en entreprise (Lapeyrière, 1990), près de 58% des ergonomes interrogés déclaraient que les disciplines relatives au travail et à l entreprise (en particulier le management et l économie) sont celles qui manquaient le plus dans leur formation. C est ce manque qui transparaît dans les réponses des ergonomes concernant leur capacité à poursuivre le double objectif de l ergonomie dans leurs interventions. 83 % estiment disposer des méthodes et savoirs nécessaires pour poursuivre des objectifs orientés santé/conditions de travail, contre seulement 62% pour les objectifs de performance. Pour pallier ce décalage entre apports académiques et besoins pratiques, les ergonomes ont souvent recours à des formations complémentaires (Lamonde, 2000 ; Lapeyrière, 1990). Ce manque de connaissances sur le monde de l entreprise et sur les pratiques qui y ont cours, annonce des difficultés pour que l ergonome devienne un véritable business partner comme le souhaitaient Dul et Neumann (2005), condition nécessaire, selon eux, pour renverser la tendance d une ergonomie trop marquée santé/conditions de travail et réussir à se positionner à un niveau plus stratégique et plus transversal dans l entreprise. D ailleurs, l enquête révèle que les ergonomes s estiment beaucoup plus armés au sortir de leur formation pour interagir avec les acteurs habituels de la démarche enseignée (Service de Santé au Travail, Directeur technique, délégués page 724 Congrès self 2007

Objectifs de l ergonomie, objectifs des ergonomes du personnel), qu avec les acteurs décisionnaires (Directeur Général, Directeur Administratif et Financier) et les services transversaux qui ont pourtant, eux aussi, un intérêt certain à s adjoindre les compétences d un ergonome (Dul & Neumann, 2005). Le contenu des formations serait alors un facteur explicatif de la moindre adhésion à la poursuite d objectifs économiques. Les ergonomes ne se sentiraient pas suffisamment armés pour conduire leurs interventions sur ce terrain, privilégiant alors des enjeux plus traditionnels, plus centrés sur la santé et l amélioration des conditions de travail. Certains pourront lire dans ce constat une menace pour la survie même de notre profession (Grozdanovic, 2001). L ergonomie, entre idéaux disciplinaires et réalités pratiques... L ergonome est un opérateur comme un autre, il n est donc pas surprenant d identifier dans la conduite de sa pratique professionnelle des différences entre tâche et activité. À ce titre, l enquête nous permet de définir les objectifs de l ergonomie selon trois niveaux d analyse : Les objectifs appropriés 2 : ce sont les objectifs auxquels l ergonomie devrait, selon les répondants, le plus contribuer. Ce n est pas tout à fait le prescrit, mais plutôt la représentation qu ont les ergonomes d un prescrit que l on pourrait qualifier de disciplinaire, assorti de leur propre système de valeurs. Les objectifs attendus : ce sont les objectifs tels qu ils sont prescrits par les demandeurs, quelquefois de manière implicite. En effet, les demandes d intervention ne révèlent pas toujours tous les enjeux qui la sous-tendent (Guérin, et al., 1997). Les objectifs atteints : ce sont les résultats estimés de l intervention ergonomique, selon la propre appréciation des ergonomes. L enquête révèle des écarts entre les objectifs appropriés et les objectifs attendus. Ainsi, par exemple, les «têtes de gondoles» de l ergonomie (comme l organisation du travail, la préservation de la santé, de l intérêt au travail et le développement des compétences) sont des objectifs que les ergonomes s assignent plus volontiers qu ils ne leur sont demandés. À contrario, la productivité, la qualité ou la compétitivité sont plus attendues par les entreprises. À cela plusieurs raisons peuvent être avancées. D une part, une méconnaissance du périmètre d action de l ergonomie chez les demandeurs pourrait expliquer qu un objectif tel que l amélioration de l organisation du travail ne soit que si peu attendu par rapport aux forts espoirs qu y mettent les ergonomes. De même, le développement des compétences, que les ergonomes citent à 27% comme un objectif auquel l ergonomie devrait contribuer, est l objectif le moins attendu par les demandeurs (avec 7% des réponses exprimées). Ce dernier item touche un des bastions de la Gestion des Ressources Humaines en entreprise qui jusqu ici traitait seule les actions de formation, les 2. Ces qualificatifs sont inspirés des travaux de Veyrac (1998) ou de Terssac et Chabaud (1990) sur les distinctions à faire dans la notion de tâche. Congrès self 2007 page 725

Ergonomie des produits et des services plans de carrière, etc. Il ne va donc pas de soi pour les acteurs de l entreprise que l ergonomie peut leur apporter un éclairage complémentaire pour enrichir la détection des besoins en formation et les aider à mettre en place des actions de formation plus efficaces. L ergonomie reste pour bon nombre de demandeurs à un niveau micro (analyse des postes de travail) et a du mal à gagner ses lettres de noblesse dans des approches plus systémiques, plus macro. D autre part, les ergonomes semblent avoir des difficultés à se représenter l ergonomie comme une possible articulation d objectifs de santé et de performance. Les objectifs de performance, pourtant attendus par les entreprises, semblent provoquer un malaise chez les ergonomes. Preuve en est que ceux qui déclarent poursuivre les deux objectifs se sentent fortement dans leur rôle en poursuivant des objectifs santé, mais se sentent moins légitimes en poursuivant des objectifs de performance. De plus, ils estiment nettement moins répondre aux attentes des opérateurs en poursuivant des objectifs de performance plutôt que des objectifs de santé. Ce dernier point pose question sur la représentation biaisée que semblent avoir les ergonomes sur les problématiques liées à la performance et l efficacité. Un opérateur performant ne se sent-il pas mieux à son poste de travail? Qui aime ne pas être performant (Falzon & Mas, 2007)? Pourquoi alors la poursuite d objectifs de performance ne rencontrerait-elle pas les objectifs et l intérêt des opérateurs? À noter que des écarts peuvent également être relevés entre les objectifs attendus et les objectifs atteints par les ergonomes. Par exemple, l amélioration de l organisation du travail et de l intérêt au travail sont des objectifs plus réalisés par les intervenants que plébiscités par les demandeurs. Par contre, concernant les questions de productivité et compétitivité, les objectifs atteints sont largement en deçà des objectifs attendus (avec 19 points d écart). Ces constats nous alertent sur la réticence des ergonomes à remiser leurs idéaux disciplinaires malgré leur confrontation à des réalités économiques qui se font plus fortes. Une ergonomie, des ergonomes Difficile cependant de rester sur cette tendance générale sans chercher à identifier des pratiques ou des représentations différenciées parmi les répondants. Les traitements statistiques nous permettent d aller plus loin en identifiant cinq profils d ergonomes selon qu ils poursuivent des objectifs de santé et/ou de performance dans leurs interventions. Parmi ceux qui déclarent ne poursuivre que des objectifs de santé, nous trouvons : Les «préventeurs», ergonomes qui interviennent le plus souvent pour le compte de Services de Santé au Travail sur des problématiques liées à l hygiène, sécurité et aux conditions de travail. Les «chercheurs» (universitaires ou R&D) qui interviennent plutôt sur la conception de systèmes de commandes et pour lesquels l ergonomie permet d abord de contribuer à faciliter l usage des dispositifs techniques. page 726 Congrès self 2007

Les ergonomes qui déclarent combiner les deux objectifs dans leur pratique sont : Les «indépendants», qui se sentent parfaitement dans leur rôle en le faisant et pensent répondre ainsi aux attentes des opérateurs et de l entreprise. Ce sont plutôt des travailleurs indépendants. Les «sceptiques», qui estiment ne pas avoir (ou très peu) les savoirs et méthodes nécessaires pour poursuivre des objectifs de performance, et ont le sentiment fort de répondre aux attentes de l entreprise mais faible concernant celles des opérateurs. Ce sont plutôt des salariés d entreprises privées. Enfin, des ergonomes déclarent ne poursuivre aucun des deux objectifs, ce sont : Les «IHM». Ce résultat surprenant ouvre de fait une autre question : quels objectifs pensent-ils alors poursuivre? Les normes ISO elles-mêmes stipulent que la conception d interfaces vise plus de compétitivité pour les entreprises, plus de productivité, de qualité du produit et moins de coûts, de contraintes et de gêne pour les utilisateurs (Bastien & Scapin, 2004). Il serait intéressant dans le futur d étudier les motivations de ces ergonomes dans leur pratique. À noter que la typologie des répondants ne fait pas ressortir de catégorie d ergonomes déclarant ne poursuivre que des objectifs de performance. Ces profils mettent en exergue des facteurs autres que la formation pour expliquer la poursuite ou non du double objectif de l ergonomie dans la pratique. Le domaine d intervention se révèle primordial (IHM, santé) ; le statut des intervenants (indépendant, ergonome interne ) semble également jouer sur la pratique. Conclusion Objectifs de l ergonomie, objectifs des ergonomes Cette enquête menée auprès d ergonomes cherchait à comprendre pourquoi l'ergonomie rencontre encore des difficultés à se saisir des questions relatives à la performance globale des entreprises, comme elle le fait pour l amélioration des conditions de travail. Un des facteurs explicatifs peut être trouvé dans les formations dispensées en ergonomie où l'accent est mis sur l'appropriation de la démarche ergonomique, au détriment de connaissances sur la gestion des organisations et de compétences plus entrepreneuriales. Il en découle le sentiment d'être moins légitime en poursuivant des objectifs de performance plutôt que des objectifs de santé, et ce par manque de méthodes et de savoirs s'y afférant. La poursuite d objectifs de santé et/ou de performance apparaît être liée au type d ergonomie pratiquée et au statut de l ergonome. Mais la représentation qu'ont les ergonomes du double objectif de l'ergonomie semble rester trop manichéenne, en ce sens que la performance s'oppose encore aux besoins des opérateurs, et la santé à ceux des gestionnaires. Ces travaux seront enrichis par l analyse de l articulation des objectifs de l ergonomie faite au cours de l instruction d une demande d intervention en situation expérimentale. Congrès self 2007 page 727

Remerciements Je tiens à remercier ici Pascal Savari pour l aide précieuse qu il m a apportée pour traiter statistiquement les données recueillies. Bibliographie Bastien, C., & Scapin, D. (2004). La conception de logiciels interactifs centrée sur l utilisateur : étapes et méthodes. In P. Falzon (Dir.), Ergonomie. Paris, PUF. Breedveld, P., & Dul, J. (2005). The Position and Success of Certified European Ergo-nomists. Rotterdam, RSM Erasmus University. Dul, J., & Neumann, W. P. (2005). Ergonomics contributions to company strategies. In 10th International conference on human aspects of advanced manufacturing: agility and hybrid automation (HAAMAHA 2005). San Diego, USA. Falzon, P., & Mas, L. (2007). Les objectifs de l ergonomie et les objectifs des ergonomes. SELF 2007 "Ergonomie des produits et des services". Saint-Malo, France, 5-7 septembre 2007. Grozdanovic, M. (2001). A framework for research of economic evaluation of ergonomic interventions. Economics and Organization, 1:9, 49-58. Guérin, F., Laville, A., Daniellou, F., Duraffourg, J., et Kerguelen, A. (1997). Comprendre le travail pour le transformer : la pratique de l'ergonomie. Paris, ANACT. Lamonde, F. (2000). L'intervention ergonomique. Un regard sur la pratique professionnelle. Toulouse, Octarès Éditions. Lapeyrière, S. (1990). Pratiques de l ergonomie en entreprise. Résultats de l enquête. Lyon, ANACT. Prunier-Poulmaire,, S. & Gadbois, C. (2005). Quand le questionnaire s impose à l ergonome. In Volkoff S. (Ed.) L ergonomie et les chiffres de la santé au travail. Ressources tensions et pièges, pp. 75-86. Toulouse, Octarès Éditions. Richard, P. (2002). Professionnalisation des ergonomes. Du métier prescrit aux métiers réels. In C. Revest & Y. Schwartz (Dir.), Les évolutions de la prescription, Toulouse, Octarès Editions. Terssac, G. de, & Chabaud, C. (1990). Référentiel opératif commun et fiabilité. In J. Leplat & G. de Terssac (Eds.), Les facteurs humains de la fiabilité dans les systèmes complexes. Toulouse, Octarès Editions. Veyrac, H. (1998). Approche ergonomique des représentations de la tâche par l analyse d utilisations de consignes dans des situations de travail à risques. Thèse de Doctorat, Toulouse, Université Le Mirail. Williams, C.A., & Haslam, R.A. (2006). Ergonomics by non-ergonomists danger, threat or opportunity? In Proceedings of the 16th congress of the International Ergonomics Association. Maastricht, the Netherlands, July.

Les objectifs de l ergonomie et les objectifs des ergonomes Pierre FALZON et Ludivine MAS Laboratoire d Ergonomie, Centre de recherches sur le travail et le développement 41 rue Gay-Lussac, 75005 Paris, France falzon@cnam.fr, ludivine.mas@free.fr L objet de ce texte porte sur les objectifs de l ergonomie et part du constat que leur articulation par les ergonomes est faite le plus souvent au détriment des objectifs de performance, pourtant mis en avant au même titre que les objectifs tournés vers la santé et l amélioration des conditions de travail dans la définition de la discipline par l IEA. Au-delà d une faillite des ergonomes à communiquer sur leur contribution à la performance, cet écart peut s expliquer par une vision étroitement physique de la santé et par une assimilation de la performance à la seule performance des organisations (en occultant celle des opérateurs). Pourtant, en remettant l activité au coeur même de la définition de la performance, l ergonomie peut servir la stratégie de développement des entreprises. Plusieurs pistes sont proposées dans cette perspective. Mots-clés : objectifs de l ergonomie, santé cognitive, performance L ergonomie est la discipline scientifique qui vise la compréhension fondamentale des interactions entre les humains et les autres composantes d un système, et l application de méthodes, de théories et de données pour améliorer le bien-être des personnes et la performance globale des systèmes. (International Ergonomics Association, 2000) Les définitions de l ergonomie mettent en avant deux objectifs fondamentaux : - d'une part le confort et la santé des utilisateurs : il s'agit de prévenir les risques (accidents, maladies), de minimiser la fatigue (liée au métabolisme de l organisme, à la sollicitation des muscles et des articulations, au traitement de l information, à la vigilance), de créer les conditions d un travail satisfaisant ; - d'autre part l'efficacité : l'efficacité pour l'organisation se mesure sous différentes dimensions (productivité, qualité, fiabilité). Cette efficacité est dépendante de l'efficacité humaine : en conséquence, l'ergonome vise à identifier les logiques des opérateurs et à concevoir des systèmes adaptés. Cependant, si ces deux objectifs sont ainsi affirmés dans les définitions, un certain nombre d indices poussent à penser que, dans l esprit des ergonomes, d une part leurs poids respectif est inégal, d autre part leur articulation manque de clarté. Ce texte a pour objectif de décrire certaines de ces difficultés dans la Congrès self 2007 page 729

Ergonomie des produits et des services prise en compte des objectifs de l ergonomie par les ergonomes et d examiner quelques pistes de progression. Un malaise avec les objectifs de performance? Un premier indice en ce sens peut en être trouvé dans l étude récente de Williams et Haslam (2006). Cette étude porte sur divers intervenants dans le champ de l ergonomie physique : préventeurs, fournisseurs de matériels, conseillers en santé/sécurité au travail, ergonomes. 54 intervenants, répartis dans des groupes professionnellement homogènes (une seule profession par groupe) sont amenés à discuter de leur représentation de l ergonomie, sur la base d une liste de 17 thèmes fournis par l expérimentatrice. Ces 17 thèmes incluaient notamment 5 thèmes relatifs aux objectifs de l ergonomie («améliorer le confort, l efficacité, la productivité, la sécurité, la santé»). Un résultat notable est que le groupe des ergonomes, dont la discussion couvre 15 des 17 thèmes, ne mentionne à aucune reprise le thème «objectif de productivité». On rapprochera de ce résultat les réflexions de Hal Hendrick (1996a, 1996b) et Jan Dul sur l insuffisante prise en compte des objectifs de performance par les ergonomes. H. Hendrick (ancien président de l IEA, à l époque président de la Société d ergonomie américaine), posait plusieurs questions : - considérant le potentiel de l ergonomie, comment se fait-il que les organisations, qui ont un besoin crucial d implication des employés, de réduction des coûts et d accroissement de la productivité, ne se précipitent-elles pas à notre porte pour obtenir de l aide ou pour créer des postes d ergonomes bien au delà de notre capacité à les remplir? - pourquoi les agences fédérales ou d état ne font-elles pas en sorte que la législation prenne en considération les facteurs humains et les critères ergonomiques lors de la conception des produits et des environnements de travail? - inversement, comment se fait-il que les organisations et les politiques nous perçoivent fréquemment comme des facteurs de coût additionnel et, de ce fait, d augmentation des coûts de production et donc comme des freins à la productivité de l entreprise? Hendrick avançait plusieurs explications : trop de charlatans et de contreexemples pseudo-ergonomiques, la perception de l ergonomie comme relevant du bon sens, la croyance des ergonomes en l évident bénéfice de leur apport (et donc le manque d effort pour convaincre). C est la quatrième raison avancée par Hendrick qui nous intéresse ici : la faillite des ergonomes à communiquer sur leur contribution à la performance. J. Dul (2003) analyse le positionnement fréquent des ergonomes et les conséquences de ce positionnement. Il décrit ainsi les tendances dominantes (qu il déplore) des interventions ergonomiques : - les ergonomes se focalisent sur la dimension sociale et portent moins d attention à la dimension économique ; page 730 Congrès self 2007

- la visée essentielle des travaux est la minimisation des problèmes plutôt que la maximisation des opportunités ; - les articles publiés manifestent la mise en oeuvre de connaissances opérationnelles, techniques, plus que de savoirs tactiques et stratégiques ; - la communication en direction des gestionnaires et des économistes est faible ou inexistante (J. Dul s est livré à une analyse des articles d ergonomie publiés dans les revues internationales de management et constate leur nombre infinitésimal). En réaction à ces tendances dominantes, Dul et Neumann (2005) développent une argumentation convaincante sur la nécessité pour les ergonomes de s inscrire au sein des stratégies des entreprises. Les ergonomes doivent d une part traduire les buts et stratégies des organisations en termes ergonomiques et traduire les buts de l ergonomie en termes de buts et stratégies des organisations, l objectif étant de construire une situation gagnant-gagnant. Ceci amène les auteurs à une critique forte de la vision coercitive de l ergonomie que peut engendrer l usage de la législation en matière de santé/sécurité au travail. Cette législation est bien entendu bénéfique. Cependant, si les ergonomes ne se positionnent qu en référence à cette législation, il est à craindre qu ils ne soient perçus comme des générateurs de contraintes plutôt que comme des contributeurs stratégiques. Les causes du malaise Le malaise pointé ci-dessus nous semble avoir deux origines. D une part une vision restreinte de la santé, limitée au physique, d autre part une identification du critère de performance aux critères pour l organisation. Ces deux points contribuent à la faiblesse de l articulation entre critères. Une vision physique de la santé Objectifs de l ergonomie, objectifs des ergonomes Nous avons déjà défendu (Falzon, 1996) une vision de la santé ne se limitant pas au physique, incluant une dimension cognitive, en nous fondant sur les propositions de M. de Montmollin (1993). Pour cet auteur, la santé cognitive, c'est d'être compétent, c'est-à-dire de disposer de compétences qui permettent d'être embauché, de réussir, de progresser. Les ignorances, les connaissances approchées et «en mosaïque», peuvent conduire à une «misère cognitive», source éventuellement de misère sociale (p. XXXIX). L'objectif de l'ergonome est donc de proposer une organisation du travail qui permette aux opérateurs le maximum d'efficacité, c'est-à-dire la pleine mise en oeuvre de leurs compétences (p. XL). Cette vision cognitive de la santé, à laquelle nous adhérons, nous semble peu partagée chez les ergonomes. Or, de notre point de vue, devoir composer avec une interface mal conçue, devoir éviter des erreurs trop faciles à commettre et aux conséquences potentiellement lourdes, faire face à des dispositifs incohérents ou malcommodes, c est s exposer à la frustration, à une charge attention- Congrès self 2007 page 731

Ergonomie des produits et des services nelle inutile et fatigante, c est fonctionner en deçà de ce dont on est capable, et donc exposer sa santé. On constate dans un certain nombre de sociétés d ergonomie une tendance au séparatisme des collègues oeuvrant dans le champ des IHM. Or, s il est bien entendu normal que ces collègues développent des conférences propres à leur domaine, ceci ne devrait pas conduire nécessairement à une scission par rapport à la communauté d origine. Une cause de ce décrochage pourrait être une perception inadéquate (ou inexistante) de ce qu est la santé cognitive. Les résultats de l étude de Mas (2007) donnent du crédit à cette hypothèse. Une vision organisationnelle de la performance Si la vision de la santé est souvent posée comme restreinte à la santé physique, la performance est souvent associée aux objectifs de l organisation, ce qui est légitime, mais d elle seule, ce qui l est moins. La performance est en effet aussi un objectif individuel. Qui en effet souhaite être mauvais ou moyen? Personne. Chacun aspire à réussir, à être efficace, pertinent, à produire un travail de qualité. La performance est ainsi une source de satisfaction. A contrario, l idée de Y. Clot (1999) du travail empêché signifie précisément que le désir de faire bien est entravé, et cette entrave génère de l insatisfaction ou du stress. Comme nous l avions noté ailleurs (Falzon, 2004), le slogan classique en ergonomie on est meilleur quand on est mieux, utilisé pour vendre l ergonomie aux gestionnaires et aux dirigeants (slogan qui est exact : le bien-être psychologique est un facteur important de performance, e.g. Wright, Cropanzano, Denney, & Moline, 2002) est réversible : on est mieux quand on est meilleur. Pour résumer, la santé (au sens large où elle est entendue ci-dessus) est une condition de la performance, et la performance est une condition de la santé. L ergonomie au service du développement des organisations Participer à la compétitivité des organisations L étude de prospective technologique et économique commanditée par le Ministère de l Economie, des Finances et de l Industrie, et intitulée «Technologies Clés 2010», souligne les nécessaires orientations que doivent prendre les entreprises françaises pour rester compétitives à l horizon de 5 ans. Il est intéressant d y relever que cette compétitivité passe par une intégration d enjeux, certes économiques, mais également sociaux comme les questions d emploi (création et maintien), ou la gestion des âges. L ergonomie est citée, à ce titre, parmi les «technologies molles de connaissance de l humain» (p. 308) avec la psychologie cognitive et l organisation du travail, comme pouvant participer au sein des systèmes de production à assurer la sécurité des usagers et des opérateurs, à participer à la survie économique et à la fiabilité des organisations et, par la même, à garantir le bon fonctionnement de la société en préservant ses systèmes complexes. Cette étude souligne ainsi que les interactions entre stratégies d entreprises et facteurs humains et sociaux sont au coeur d un développement technologique innovant. page 732 Congrès self 2007

Le rapport du Ministère identifie notamment des enjeux technologiques liés à l emploi, parmi eux figurent : - le développement des compétences, et de façon plus précise, les besoins de formation tout au long de la vie ; - l ergonomie des postes de travail et des interfaces hommes-machines ; - les outils de travail collaboratif. Objectifs de l ergonomie, objectifs des ergonomes Le lien avec l ergonomie devient alors clair. Cette volonté de remettre l humain au coeur des stratégies d entreprise pour atteindre plus de performance (humaine et économique) n est pas sans rappeler le rapprochement déjà effectué (Falzon, 2006) entre ergonomie et environnements capacitants. Inspirés des travaux d Amartya Sen, Prix Nobel d économie en 1998, autour de la notion de capabilités (capabilities), les environnements capacitants proposent une approche préventive (en préservant la santé), universelle (en prenant en compte les différences interindividuelles) et développementale (en encourageant les appren-tissages et le développement cognitif pour gagner en autonomie). Ces environnements doivent favoriser les activités méta-fonctionnelles, notamment par le biais de la conception participative (Falzon, 2006), activités le plus souvent non valorisées dans les entreprises mais qui mènent pourtant à plus de sécurité. Puisque la compétitivité des entreprises passe par l innovation, la créativité et le développement des compétences, tout concourt donc à ce que l ergonomie se mette au service de la stratégie de développement des entreprises en proposant la construction de véritables environnements capacitants. Tout ceci ne va pas sans contradiction. Par exemple, les critères de qualité (donc de performance) pour l opérateur ne sont pas nécessairement identiques aux critères de qualité pour l organisation. Par exemple encore la qualité suppose, dans les discours gestionnaires, une capacité constante d apprentissage des individus ; mais dans le même temps on fait la chasse aux temps inutiles et on décroît l autonomie. Par exemple, enfin, on demande aux opérateurs d être simultanément agents de production et contrôleurs de la qualité de leur travail ; mais dans le même temps, l entreprise contrevient à ses propres normes de fonctionnement : le personnel est en nombre insuffisant, n est pas formé, le rythme de travail est au-delà du prescrit, etc. (Faye, 2007). Pistes pour une approche ergonomique de la performance Le rapport «Technologies Clés 2010» souligne également que le développement technologique passe par un changement socio-organisationnel qui doit bousculer les mentalités et les formes de management actuelles. Nous pensons que sur ce point, les ergonomes peuvent également aider les organisations à amorcer ces changements, même si comme nous l avons souligné précédemment, ils rencontrent jusqu ici des difficultés à communiquer sur le même registre que les gestionnaires. Fatalité? Non, une synergie semble possible à condition que l activité revienne au centre des considérations. Congrès self 2007 page 733

Ergonomie des produits et des services Plusieurs pistes s ouvrent à l ergonomie dans cette perspective. A-La première est celle prônée par Dul et Neumann (2005) et cherche à traduire dans les termes des gestionnaires les résultats issus de l analyse de l activité. Un exemple peut être trouvé dans l approche proposée par Bourgeois et Hubault (2005). A partir d une réflexion menée sur les TMS et leur caractère multifactoriel qui engage bien plus qu une approche santé, une approche gestionnaire, ces auteurs ont développé un modèle qui intègre celui de l activité et celui de la performance telle qu elle est définie par les gestionnaires. Ce modèle vise à repenser «une autre productivité du travail» (p. 26) et à inscrire le modèle de l activité dans «une projection économique de la transformation» (p. 29). Le modèle gestionnaire de la performance repose sur : - la pertinence qui mesure la correspondance entre objectifs (rentabilité du capital, création/maintien dans l emploi, évolution des parts de marché ) et ressources (équipements, formation, organisation du travail ) ; - l efficacité qui consiste à faire répondre les résultats (qualité, quantité, productivité, accidents ) aux objectifs ; - l efficience qui correspond à l engagement des ressources pour atteindre les résultats. Pour Bourgeois et Hubault, l analyse de l activité peut produire des indicateurs de performance et agir sur les trois niveaux d évaluation de la performance par les gestionnaires. - la pertinence se redéfinit alors dans le conflit de logiques entre la logique technico-organisationnelle (la tâche, «ce qu on demande») et la logique du vivant («ce que ça demande») ; - l efficience tient de la capacité de l opérateur à trouver les compromis opératoires pour gérer ce conflit de logiques (régulations «ce que l on fait», et modes opératoires «ce qu on peut en voir») ; - l efficacité du système («ce que ça fait») est alors appréhendée en terme de performance économique pour l entreprise et humaine pour l opérateur : ce sont les indicateurs de résultats. Pour les auteurs, faire reconnaître l activité comme une ressource et non plus un coût, passe par une argumentation économique des ergonomes dont ceux-ci ne peuvent plus se passer : «L avenir de l ergonomie peut-il vraiment se penser à distance trop grande des questions économiques qu elle rencontre et qu elle pose?» (p. 33). Bonnin et Bedr (2001) ont proposé une approche très similaire à celle-ci. B La seconde piste consiste à mettre à jour, dans les dispositifs techniques ou les pratiques de management, les éléments qui conduisent à entraver l activité, et se traduisent donc par une contre-performance humaine. Ceci renvoie en premier lieu à l idée d activité empêchée évoquée plus haut et entendue ici sous l angle d une performance ne satisfaisant pas aux exigences de qualité, d efficacité ou d efficience que se donne l opérateur lui-même. L idée d activité empêchée n est souvent avancée que sous l angle de la pénibilité page 734 Congrès self 2007

Objectifs de l ergonomie, objectifs des ergonomes qu elle engendre. Ce sont les conséquences négatives sur le plan de la performance qui sont pointées ici. A noter que la levée des empêchements n est absolument pas une idée neuve en ergonomie. Dès son origine, dans son effort pour contribuer à la conception de systèmes compréhensibles, faciles à utiliser, débarrassés de potentialités d erreurs, l ergonomie a visé à favoriser un usage efficace et efficient des systèmes. Le fait qu une tâche soit difficile n est pas en soi critiquable, dès lors d une part que la tâche est faisable, d autre part que ne subsistent que les difficultés utiles, celles qui sont consubstantielles à la tâche, pas celles qui sont ajoutées par des systèmes (outils ou organisations) inadaptés (Falzon, 2005). Ceci renvoie en second lieu à l identification des migrations organisationnelles qui conduisent à ce que les contraintes s accumulent et à ce que les organisations en viennent à fonctionner en dehors des enveloppes de normalité qu elles s étaient elles-mêmes fixées. L idée de migration organisationnelle trouve son origine dans les travaux de Rasmussen (1997). Celui-ci part d un constat : au cours du temps, tout système socio-technique tend à dériver vers la violation des règles mises en place au moment de sa création. Selon Rasmussen, cette dérive vers les violations provient d une tendance générale à un accroissement de la performance globale du système et à la recherche de plus d avantages individuels. On peut mettre en place des barrières de défense, rendre impossibles certaines actions, édicter des règles et des procédures, mais les pressions du réel tendront à pousser les individus à outrepasser ces barrières ou à les transformer. Le management essaiera d atteindre une performance plus élevée à moindre coût, avec moins de moyens, avec un équipement défaillant, absent ou obsolète, avec moins de personnel ou un personnel moins formé ou qualifié. Les pratiques des opérateurs évolueront en conséquence, de façon à faire face aux transgressions du management. Au final, on obtiendra un fonctionnement illégal-normal. L ergonomie, par son approche au plus prés des situations réelles, est dans une position idéale pour identifier ces dérives organisationnelles et leurs conséquences néfastes sur la performance. Les travaux déjà cités d H. Faye (2007), dans le contexte de la production industrielle, en fournissent des exemples clairs. C La troisième piste consiste, inversement, à mettre en évidence et à encourager les activités qui contribuent à la performance des organisations. Ceci peut prendre diverses formes. D une part, l observation amène fréquemment les ergonomes à constater des contributions spontanées à la performance, très souvent inconnues de la hiérarchie, bricolées par des opérateurs de tous niveaux, et visant une meilleure qualité, un résultat plus sûr, plus durable, etc. (Falzon, 1994) : élaboration d outils mieux adaptés à la tâche, création de procédures, invention d usages, notamment. L identification de ces contributions, leur valorisation, la description des conditions favorables à leur développement font partie des contributions positives de l ergonomie à la performance globale des organisations. D autre part, l analyse du travail peut démontrer les bénéfices cachés de certaines activités. On prendra ici l exemple de l étude de Mollo (2006 ; Mollo & Congrès self 2007 page 735

Ergonomie des produits et des services Falzon 2007). L auteur décrit le fonctionnement d un comité de concertation pluridisciplinaire. Ce comité rassemble des cancérologues spécialistes, réunis pour examiner des cas difficiles. Elle montre comment ces réunions, censées avoir un apport purement fonctionnel aider la prise de décision thérapeutiquejouent un rôle crucial pour l homogénéisation des pratiques et la détermination des solutions acceptables pour soi, acceptables de la part des autres et inacceptables de quiconque. Ces réunions contribuent ainsi à la fiabilité des décisions et à l apprentissage organisationnel. Or, le paradoxe est qu elles ne sont pas financées, puisque ne correspondant à aucun acte médical. Dans ces conditions, en dépit de leur importance, elles ont tendance à se dérouler dans des conditions de pression temporelle forte. L étude apporte un argument déterminant à une valorisation économique de ces pratiques. Enfin, l intervention elle-même peut être une démonstration des bénéfices d une meilleure implication des acteurs à la détermination des solutions techniques ou organisationnelles. La recherche-action réalisée par Petit (2005) en constitue un bon exemple. Intervenant dans une mutuelle nationale postérieurement à une réorganisation ratée, il met en place une démarche participative permettant aux acteurs de définir collaborativement une nouvelle organisation et de la tester. Au cours de ce processus, les acteurs apprennent, modifient leurs points de vue et inventent. Les interventions ergonomiques peuvent ainsi être vues, au moins parfois, comme des sessions de formation pour les organisations : l intervention est un exercice pratique, la démonstration d une méthode et de ses bénéfices. Conclusion Comme le soulignent Dul et Neumann (2005), il est nécessaire de changer de paradigme de sorte que l ergonomie soit perçue comme un besoin (a need) et non plus une obligation (a must). La remarque de Campbell (1993), sous l angle de la sécurité, va dans le même sens : «La sécurité n est pas rentable. La production l est, mais la production sécurisée l est encore plus!». Ce texte est un plaidoyer pour une réflexion de l ergonomie sur ses propres objectifs et sur leur articulation. Les ergonomes doivent, eux-mêmes, revisiter leurs objectifs propres et défendent une articulation de leurs objectifs auprès des organisations, sans quoi l ergonomie est vouée à disparaître Cette réflexion a donc un caractère vital pour la discipline et sa pérennité (Grozdanovic, 2001). C est cette préoccupation qui a dicté la réalisation de l enquête de Mas (2007), dont les résultats confirment, en les précisant, les éléments présentés ici. page 736 Congrès self 2007

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