LES JEUNES ADULTES QUÉBÉCOIS ET LE CRÉDIT Résultats préliminaires 1 Présentés en conférence de presse, à Montréal, le 22 novembre 2004 à l occasion du lancement de la campagne «Je suis dans la marge jusqu au cou», menée par les associations de consommateurs du Québec Marie J. Lachance 2, Pierre Beaudoin et Jean Robitaille Professeurs en sciences de la consommation Département d économie agroalimentaire et des sciences de la consommation Université Laval Recherche financée par la Fondation Claude-Masse. Introduction Le rôle que jouent les jeunes dans l univers de la consommation est d une très grande importance si l on en juge par les sommes considérables qu ils consacrent à la consommation de biens et services ainsi que l intérêt que leur portent les spécialistes du marketing. Comme tout rôle social, le rôle de consommateur implique l atteinte d une performance et suppose une notion de compétence dans l exercice des activités pertinentes. Or, les études sur les compétences ou les habiletés à consommer des jeunes sont peu nombreuses et les auteurs sont unanimes à les décrire comme vulnérables, voire incompétents. C est dans cette perspective que nous nous sommes questionnés sur les jeunes adultes et le crédit. Connaissances, attitude face au crédit, pratiques et endettement sont les principaux aspects qui ont été évalués dans le cadre d une recherche menée dans l ensemble du Québec en juin 2004. Le questionnaire, d une durée de 12 minutes environ, a été administré au téléphone par une firme spécialisée, à un échantillon de jeunes adultes québécois de langue française 3. Profil des sujets L échantillon est composé de 980 sujets âgés entre 18 et 29 ans (âge moyen de 24,1 ans), dont 55,7% de femmes. Le nombre moyen d années de scolarité est de 14,2 ans. Parmi les personnes interrogées, 36,7% vivent en couple avec ou sans enfants et 26,7% avec des colocataires; 19,3% vivent seuls et 14,5% avec leurs parents. Près de 90% n ont aucun enfant à charge. En 2003, 36,6% travaillaient à temps complet et 16,2% étudiaient à temps complet comme seule occupation; 36,5% cumulaient les deux occupations selon des proportions variables. Un peu plus de 95% des sujets ont déclaré un revenu pour 2003. Ceux-ci ont déclaré un revenu personnel moyen de 20 908$ (20 580$ pour l échantillon total) et un revenu moyen pour
2 leur ménage de 30 018$ (29 643$ pour l échantillon total). Pour ceux qui ont rapporté avoir travaillé en 2003 (80%), le revenu personnel moyen s élevait à 23 074$ et celui du ménage à 32 786$. Connaissances dans le domaine du crédit Neuf questions ont été posées dans le but de vérifier si les sujets possédaient un niveau de connaissances minimal dans le domaine du crédit. La note moyenne obtenue pour l ensemble du groupe est de 49,6%. Le tableau 1 présente les résultats obtenus à chacune des questions. Par ailleurs, près de 30% des sujets qui disposent d une marge ou d au moins une carte de crédit ne connaissent pas le taux d intérêt annuel de la carte qu ils utilisent le plus souvent ou de leur marge de crédit. Tableau 1. Résultats aux items portant sur les connaissances en matière de crédit Questions Réussite % Échec % 1. Lorsqu un consommateur déclare le vol de sa carte de crédit aussitôt que possible, sa responsabilité se limite à payer un maximum de 50$ sur le total des achats effectués après le vol. V 30,6 69,4 2. Endosser quelqu un pour un prêt réduit votre capacité d emprunt ou de crédit et ce, même si cette personne fait ses paiements correctement. V 33,0 67,0 3. Lorsqu on paye le montant minimum dû indiqué sur le relevé mensuel d une carte de crédit avant la date d échéance, aucuns frais d intérêt ne sont facturés. F 4. Les institutions financières ont le droit de consulter notre dossier de crédit sans notre consentement. F 5. Si vous avez une carte de crédit avec votre conjoint-e qui est détenteur-trice principal, vous serez tenu entièrement responsable de payer le compte à sa place si il-elle ne le fait pas. V 6. Lorsqu on emprunte auprès d une banque ou d une caisse, l assurance-vie et invalidité est obligatoire pour couvrir le prêt. F 7. Quand on utilise une carte de crédit pour retirer de l argent comptant (avance de fonds), des intérêts sont automatiquement chargés à partir du jour du retrait. V 53,7 46,3 54,3 45,7 55,9 44,1 56,2 43,8 57,4 42,6 8. Un prêt personnel est remboursable avant échéance, sans aucune pénalité. V 58,3 41,7 9. En général, les taux d intérêt des cartes de crédit sont plus élevés que ceux des prêts personnels ou des marges de crédit. V 74,8 25,2 Selon les analyses préliminaires (régressions multiples), les sujets qui sont les plus performants au plan des connaissances sont ceux qui sont plus susceptibles de : déclarer les revenus personnels les plus élevés; cumuler les expériences avec le crédit c est-à-dire de : détenir un plus grand nombre de cartes de crédit;
3 rapporter un plus grand nombre de dettes différentes; présenter une attitude plus favorable à l égard du crédit et de l endettement; se percevoir comme très compétents en matière de finances personnelles. Les variables âge, sexe et nombre d années de scolarité, le fait de rapporter faire un budget ou mettre régulièrement de l argent de côté, ainsi que le niveau d endettement à la consommation ne sont pas reliés aux connaissances dans le domaine du crédit. L attitude face au crédit et à l endettement Différentes questions visaient à évaluer l attitude des jeunes adultes face au crédit et à l endettement. Les résultats montrent que le groupe tend, en général, à être partagé face à cette question. Ainsi, parmi d autres résultats, 48,9% croient qu il est normal aujourd hui d avoir des dettes et 41,8% qu il ne faut pas avoir peur d utiliser le crédit. Un peu moins de 40% sont d ailleurs d avis qu il y a plus d avantages que d inconvénients à utiliser le crédit. À l autre extrémité, 36,8% sont d accord pour dire que le crédit est synonyme de problèmes et 43% ne sont pas d accord avec l idée que «De nos jours, utiliser le crédit est une nécessité.» Un aspect rallie toutefois les répondants : 84% sont en désaccord avec l énoncé à l effet qu avec le crédit, il ne sert à rien d économiser pour acheter des biens ou services. À ce stade, les analyses (régressions multiples) suggèrent que l attitude face au crédit et à l endettement est susceptible d être plus favorable chez les jeunes adultes qui : sont plus scolarisés; n ont pas d enfant à charge; disposent d une marge de crédit; détiennent plusieurs cartes de crédit; ont rapporté un plus grand nombre de dettes différentes; ont de meilleures connaissances en matière de crédit. Pratiques et perceptions La grande majorité des personnes interrogées (82,6%) sont d accord pour dire qu elles savent combien il leur en coûte pour vivre et 57,0% sont en accord avec l énoncé : «Je fais régulièrement un budget». De plus, 67,6% sont plutôt ou totalement d accord pour dire qu elles mettent régulièrement de l argent de côté. Près de 30% des sujets sont d avis que posséder une carte de crédit les porte à dépenser plus. Respectivement 22,4% et 14,4% déclarent utiliser leurs cartes de crédit bancaires et de magasins ou de pétrolières le plus souvent possible. Près de 69% de l échantillon sont en accord avec l affirmation selon laquelle ils payent toujours le solde entier de leur carte de crédit avant l échéance.
4 Bien que 50,5% des participants se perçoivent comme très compétents en matière de finances personnelles c est, par ailleurs, 20,7% qui ne sont pas d accord avec l énoncé. Toutefois, 41,1% sont d avis que les gens de leur âge sont peu compétents en cette matière. Apprentissages Les parents et les amis sont perçus comme de grands utilisateurs du crédit pour respectivement 28,0% et 38,4% des personnes interrogées. La source d apprentissage principale en matière de finances personnelles la plus fréquemment rapportée est la famille (pour 37,8% des sujets), suivie par l expérience personnelle (25,4%) et les cours suivis à l école ou ailleurs (13,1%). Les médias, les amis et les conseillers financiers ne sont mentionnés que par 5 à 6,5% des sujets. Les conjoints ferment la marche avec 2,7%. Endettement Pour l ensemble de l échantillon, l endettement total moyen s élève à 14 018$ incluant l hypothèque et les prêts étudiants. La dette moyenne sans l hypothèque mais incluant les prêts étudiants est de 6 575$. Lorsqu on exclut ces deux catégories, la dette à la consommation moyenne s élève à 3 676$ par personne. Celle-ci comprend les soldes impayés sur cartes de crédit, les avances de fonds non remboursées sur carte ou sur marge de crédit, les prêts pour achat ou location de véhicules, pour meubles ou électroménagers, les emprunts à un ami/un proche, les prêts consolidés et les prêts d autres sources (ex. : prêteurs sur gages) ou à d autres fins. Parmi l ensemble des sujets, 76% ont rapporté avoir, au moment du sondage, une dette quelconque. La dette totale moyenne de ce groupe est de 17 705$ et la dette moyenne excluant l hypothèque de 9 201$. Leur dette à la consommation (excluant l hypothèque et les prêts étudiants) s élève en moyenne à 5 814$. Selon les analyses préliminaires (régressions multiples), toutes choses étant égales par ailleurs, les sujets qui présentent le plus haut niveau de dette à la consommation sont plus susceptibles d être ceux qui : ont un revenu personnel plus élevé; ont au moins un enfant à charge; disposent d une marge de crédit; détiennent plusieurs cartes de crédit; déclarent faire un budget; déclarent ne pas mettre régulièrement d argent de côté. Le niveau d endettement à la consommation ne semble pas affecté par le sexe, l âge ou le nombre d années de scolarité, ni par le fait de vivre en couple ou non; de travailler ou non. L attitude face au crédit ne semble pas non plus associée au niveau d endettement à la consommation. Le ratio d endettement à la consommation indique la proportion du revenu annuel représenté par la dette à la consommation. Le tableau 2 montre que ce ratio décroît à mesure que le revenu s élève.
5 Tableau 2. Ratios de la dette à la consommation pour les sujets ayant rapporté au moins une dette Catégorie de revenus N (n=609) Dette à la consommation moyenne Revenu annuel moyen Ratio moyen a 1-5 000$ 52 3 605$ 3 105$ 2,95 b 5001-10 000$ 82 3 506$ 8 501$ 0,46 10 001-20 000$ 182 4 757$ 15 888$ 0,29 20 001-30 000$ 125 6 284$ 26 182$ 0,24 30 001-40 000$ 97 7 517$ 35 881$ 0,21 40 001-60 000$ 57 9 753$ 47 607$ 0,20 60 001-92 000$ 14 9 743$ 71 214$ 0,13 a Dette à la consommation divisée par le revenu annuel. b Le ratio de cette catégorie de revenus est biaisé à la hausse. En effet, la capacité de certains sujets de ce groupe à obtenir du crédit dépasse largement la valeur de leur revenu (ex. : revenu d un emploi d été de 5000$ et prêt auto de 18 000$ endossé par un parent). Il faut donc éviter de généraliser ce ratio à l ensemble des sujets de cette catégorie. De plus, dans ce cas précis, le ratio ne correspond pas à la dette moyenne divisée par le revenu moyen en raison de la forte hétérogénéité des ratios individuels dans cette catégorie. Dans l ensemble de l échantillon, près de 75% des sujets détiennent au moins une carte de crédit personnelle ou conjointe, avec une moyenne de 1,9 cartes par détenteur-trice (1,5 pour l échantillon total) et 37,0% disposent d une marge de crédit personnelle ou conjointe. Chez le groupe de sujets ayant déclaré une dette quelconque, le nombre moyen de dettes différentes est de 2,2. Le tableau 3 présente les détails pour chaque type de dette. Tableau 3. Type et montant moyen des différentes dettes Type de dette % de l échantillon total (n=980) % de ceux ayant déclaré une dette à la consommation (n=619) Montant moyen a Prêt étudiant 39,9 44,1 7 486$ Solde dû sur carte de crédit 34,7 54,6 1 119$ Dette sur marge de crédit 15,9 25,2 4 220$ Prêt achat/location véhicule 20,6 32,1 9 436$ Prêt meubles/électroménagers 13,5 20,8 1 385$ Prêt d un proche 13,2 20,5 2 370$
6 Prêt hypothécaire 8,8 10,7 88 644$ Autres 6,5 10,4 3 455$ a Pour ceux ayant déclaré ce type de dette. Conclusions préliminaires Considérant que la grande majorité des jeunes adultes de l échantillon utilise déjà la carte de crédit ou a contracté un ou des emprunts, on ne peut que déplorer que leur niveau de connaissances minimales en matière de crédit soit faible. Leur endettement à la consommation apparaît relativement élevé considérant qu il ne comprend pas les prêts étudiants ni l hypothèque, et que le ratio est calculé sur la base du revenu brut et non du revenu net. À la lumière de ce ratio, l endettement des jeunes qui rapportent les plus faibles revenus apparaît plus inquiétant. Ces derniers sont aussi moins connaissants, ce qui rend leur situation plus préoccupante encore. On note avec satisfaction que la majorité déclare faire un budget, mettre régulièrement de l argent de côté et payer le solde de leurs cartes de crédit avant l échéance. On ne connaît toutefois pas la nature et la fréquence de ce budget, ni à quelles fins sont destinées ces «économies» : prévention, investissement, paiement de dettes ou consommation différée? Côté apprentissage, la famille devrait être soutenue en matière d éducation/d information au crédit puisqu elle semble la source la plus importante de connaissances en matière de finances personnelles. De plus, les jeunes profiteraient certainement de cours sur le sujet qui seraient dispensés à l école puisque celle-ci les rejoint de manière particulière en raison du nombre d heures qu ils y passent. Sans dénigrer la valeur de l expérience personnelle, l apprentissage des choses du crédit «sur le tas» nous apparaît être un moyen trop répandu considérant les conséquences négatives, non seulement économiques, que des essais-erreurs peuvent générer. Considérant l influence réelle des pairs sur le comportement de consommation des jeunes et le fait que près de 40% des sujets constatent que leurs amis sont de grands utilisateurs du crédit, on peut se questionner sur la possible banalisation du crédit dans leur environnement immédiat. Cette étude fournit des données utiles qui sont rarement disponibles: la nature et le niveau de chacune des dettes pour des jeunes Québécois de cette catégorie d âge. Elle aide à documenter la question de la compétence des jeunes consommateurs québécois. Elle permet aussi de mettre à jour des études effectuées par l Office de la protection du consommateur il y a plus de 10 ans et de confirmer que, dans l ensemble, l utilisation du crédit et l endettement chez les Québécois de 18 à 29 ans ont augmenté.
7 1 Résultats au 16 novembre 2004. Le rapport final de cette étude sera disponible vers la fin du mois de janvier 2005. 2 Courriel : marie.lachance@eac.ulaval.ca Tél. : (418) 656-2131 poste 3477 3 Municipalités de zones urbaines. Erreur d échantillonnage estimée à 3,1% à une intervalle de confiance de 95% (19 fois sur 20).