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Un phénomène social international, des engagements et des politiques nouvelles (Françoise Brié, directrice de L'ESCALE) Dans cet exposé, je ferai l analyse et l état des lieux des violences et de leur contexte puis une description de l évolution des politiques. Enfin, je parlerai des actions engagées sur le plan local et des difficultés rencontrées qui nous ont amenées à l organisation de cette journée. I. Analyse et état des lieux des violences et de leur contexte 1.1. Il s agit d un phénomène international Les violences à l égard des femmes, en particulier conjugales, sont un phénomène universel et de grande ampleur. Selon les pays, 20 à 80% de femmes sont touchées par la violence dans le couple. L étendue de ces violences de genre varie simplement d une région à l autre en fonction : - de l existence ou non d un état de droit, - de l application des normes reconnues en matière de droits fondamentaux - de la présence de conflits armés Les violences peuvent aussi être aggravées par des facteurs socio-culturels (cultures patriarcales, traditions et attitudes discriminatoires) ou religieux, tous les fondamentalismes prônant une soumission des femmes, y compris en France. 1

Le sexisme sévit aussi chez nous et pas seulement chez les autres. Malgré des avancées, il se trouve notamment dans le décalage manifeste entre les grands principes et la réalité. Pour confirmer ces propos, quelques chiffres : Selon l Organisation mondiale de la santé (OMS), environ 70 p. cent des femmes victimes d homicide ont été tuées par leur compagnon. Pour les Européennes âgées de 16 à 44 ans, la violence domestique est la cause principale d invalidité et de mortalité, bien avant les accidents de la route et le cancer 1. En France, les dernières études de l Observatoire de la délinquance montrent que 2 femmes meurent chaque semaine du fait de conjoints ou d ex conjoints. Les enfants exposés aux violences conjugales en sont toujours traumatisés, ils sont parfois aussi visés par les violences physiques. En 2006, dans le cadre de cette enquête, 11 en sont morts. La résolution de cette problématique s impose donc comme un défi majeur pour permettre aux droits fondamentaux de progresser à travers le monde. 1.2. Il s agit aussi d un phénomène social Les différentes enquêtes sur le sujet concluent à l existence des violences conjugales au sein de la quasi-totalité des communautés et des milieux socio-économiques et culturels, du haut en bas de l échelle sociale. 1 Conseil de l Europe ; http://perso.orange.fr/solidaritefemmes/telechargements/lois/projetborvo.pdf 2

Cette transversalité prouve que les violences conjugales doivent être analysées, non pas sur le plan individuel mais bien comme un phénomène sociétal, un «véritable fléau social». Une femme a en effet plus de risques d être battue ou tuée par son conjoint ou son ex-conjoint que par une autre personne. Le domicile est un des endroits parmi les plus dangereux pour les femmes. Un contexte de discrimination et d inégalités Ce fléau existe dans un contexte de discrimination et d inégalités qui favorise les manifestations de violence. Les inégalités concernent entre autres l accès à l éducation, aux ressources et aux prises de décision dans la sphère privée et publique. Elles sont inscrites dans les normes de la société. Et certains conjoints se comportent en propriétaires du corps voire de l'esprit des femmes et ceci est accepté socialement. Tolérance et silence Ce qui est choquant également c est la persistance d une tolérance sociale à l égard des violences faites aux femmes et d une «culture du silence». 2 mécanismes entrent en jeu : Le mécanisme principal de tolérance dans nos sociétés industrielles «avancées» 2, est de considérer les violences conjugales comme une affaire «privée». Est ainsi entretenue la confusion entre les conflits de couples (où n existe ni domination, ni emprise permanente) et les violences conjugales. 2 (où la violence est en principe interdite et l égalité juridique acquise) 3

Le deuxième mécanisme est celui d une inversion des rôles. Ceci est particulièrement vrai pour les violences se déroulant dans la sphère privée. Les victimes sont rendues responsables et culpabilisées. C est ce que fait l auteur de violences en permanence (elle m énerve, elle me provoque, elle sait me faire sortir de mes gonds). Mais c est aussi ce que fait l ensemble de la société en psychologisant et en individualisant la situation : - Du côté de la femme : pourquoi ne part-elle pas? Elle aime ça, elle est masochiste. - Du côté de l agresseur : il est «excusé», soit parce qu il se comporte normalement dans la vie sociale, soit on le considère comme malade, ou anormal : c est un homme qui souffre, il faut le soigner, c est la faute de l alcoolisme, du chômage, etc. Tout ceci sert de protection aux agresseurs. Et l impunité les conforte dans leur sentiment de domination. Pour les violences conjugales, qui sont une forme de délinquance, l intervention publique doit exister. Cette discrimination, cette tolérance, ce silence ont les effets suivants 1. Un manque de données, qui a longtemps permis d occulter cette violence et donc de prendre des mesures pour la protection des femmes victimes. 2. l absence de définition commune des violences conjugales 3. Les difficultés pour les femmes à les dénoncer Pour illustrer ces 3 points, je citerai les exemples suivants : 4

Beaucoup moins d enquêtes scientifiques ont été réalisées en France en comparaison des pays anglo-saxons. Il faudra attendre l enquête ENVEFF, publiée officiellement en 2003, pour que soit reconnue l ampleur des violences 3. En 2006, le Centre de recherches économiques, sociologiques et de gestion, estime le coût lié aux violences conjugales à plus d'un milliard d'euros par an. Beaucoup reste encore à réaliser en ce domaine. Dans la police, on parle encore de «différend familial», les «coups et blessures» étant habituellement réservés au domaine public. Sur ce point les choses évoluent, mais lentement. Juridiquement il n y a pas de délit spécifique, contrairement à la Suède 4 ou l Espagne. Le caractère répétitif des violences n est pas vraiment pris en compte. Les femmes hésitent à porter plainte (environ 12% dans l enquête ENVEFF), par peur des représailles ou par méconnaissance de leurs droits. S agissant d une dénonciation d un membre de la famille, les femmes ont aussi l impression de manquer de respect à l égard de la famille et surtout au père de leurs enfants. Une emprise s installe donc progressivement, d autant qu elle touche au domaine de l intime. Contrairement à ce qui se passe si un voisin les avait frappées, elles ne portent pas plainte à la «première claque». 3 Natacha Chetcuti et Maryse Jaspard ; Violences envers les femmes «trois pas en avant, deux pas en arrière», L Harmattan, 2007 4 répétition de certaines infractions (infractions contre la vie et la santé, violation du domicile, infractions sexuelles) par une personne ayant ou ayant eu un lien avec la victime, qualifiée de «violation grossière de l'intégrité» 5

Celles qui tentent de le faire ne se sentent pas encore suffisamment encouragées et protégées. Malgré des évolutions, les accueils dans les services de police, de justice, de santé ne leur sont pas toujours favorables. Par ailleurs il est difficile de constituer des preuves autres que des certificats médicaux, et ceux-ci ne sont pas toujours réalisés de façon adéquate. Des formations et des partenariats se construisent mais leur impact est encore loin d avoir transformé profondément les pratiques. Tout ceci explique la persistance des violences, leur taux si élevé et le déni de leurs conséquences. Pour n en citer qu une, l OMS a ainsi calculé que les femmes perdent entre une à quatre années de vie en bonne santé. II. En ce qui concerne les engagements internationaux et nationaux Les associations de défense des droits des femmes ont partout été les premières à dénoncer les violences. Elles gèrent en France, accueils et hébergements spécialisés. Elles interpellent les pouvoirs publics et élaborent des propositions. Elles sont à l origine de la célébration du 25 novembre, journée internationale contre les violences faites aux femmes. Depuis 15 ans, les Etats et les institutions ont partout pris des engagements en faveur de politiques publiques, affirmant que les droits des femmes sont une part fondamentale de tous les droits humains. 6

Au niveau international, depuis la conférence des Nations Unies de Vienne en 1993, ces droits doivent être protégés non seulement dans la vie publique mais aussi dans la sphère privée. Cette position a été confirmée lors de la conférence de Pékin, laquelle constitue la base des engagements du gouvernement français. Selon la recommandation 19 du comité sur l élimination de toutes les formes de discrimination à l égard des femmes (CEDAW/CEDEF), les Etats peuvent être tenus responsables. Il est donc de leur devoir de prévenir, d enquêter, de protéger, de punir et de réparer. Début 2008, à Genève, la France sera auditionnée par ce comité. Le Conseil de l Europe et le Parlement européen ont produit de nombreux textes, qui tous rappellent l origine des violences dans les rapports de force inégaux entre hommes et femmes et les discriminations. Leur politique s appuie par exemple sur le projet DAPHNE et une nouvelle campagne lancée en 2006 par le Conseil de l Europe (dans le dossier remis à l accueil) Cette institution reconnaît que les Etats ne satisfont pas à toutes leurs obligations et demande un engagement fort sur le plan des politiques nationales. Les principaux efforts devront porter sur : - les ressources pour les victimes et les services adaptés, - le recensement des actes de violence, - leur traitement par la justice et l évaluation des mesures prises, la sanction des auteurs et leur traitement - les actions de sensibilisation, 7

En France 5 : Sur le plan légal : Depuis 1990, le viol entre époux est reconnu. En 1994, entre en vigueur un article du code pénal, qui fait de la qualité de conjoint ou de concubin de la victime, soit un élément constitutif, soit une circonstance aggravante des infractions de violences. Les poursuites pénales peuvent être entreprises par le procureur même en cas de retrait de la plainte. Ceci était rarement appliqué dans les années 90. Depuis 2004, le plan de lutte contre les violences, adopté en Conseil des Ministres sous l impulsion de la Ministre de l Egalité Professionnelle et de la Parité, a permis de produire au moins cinq changements: Ils concernent 2 lois principales et des documents d orientation : 1. la loi du 26 mai 2004 relative au divorce : elle permet la saisine du JAF pour statuer sur la résidence séparée avant toute procédure de divorce. La jouissance du domicile conjugal doit être attribuée à la victime. On verra cet après-midi ce qu il en est dans la pratique en France. (L éloignement de l agresseur et l interdiction d approcher, immédiatement après les faits sont beaucoup plus contraignants en Autriche et en Allemagne : les forces de l'ordre peuvent les imposer, avant toute décision de justice. En Espagne ces mesures sont prononcées par le juge des violences de genre.) 5 Sénat n 95 Session ordinaire de 2004-2005. Proposition de loi relative à la lutte contre les violences au sein des couples http://perso.orange.fr/solidaritefemmes/telechargements/lois/projetborvo.pdf 8

2. la loi du 4 avril 2006, rapportée à l Assemblée Nationale par Mr Guy Geoffroy, a renforcé les réponses pénales. Elle a ainsi inclus les ex-conjoints dans les circonstances aggravantes, porté l âge légal du mariage pour les filles à 18 ans, pris des mesures contre les mariages forcés. Elle a conduit à introduire un contrôle judiciaire avec l éviction éventuelle du conjoint violent durant une procédure. En ce qui concerne les documents d orientation, citons en 2005: 3. Le «Guide de l Action Publique» portant sur les procédures judiciaires et de police. Il est piloté par le Ministère de la Justice, en concertation avec les associations. Il circonscrit la médiation pénale et recommande des «bonnes pratiques». 4. Le rapport Korsak-Léger sur l hébergement et le relogement des femmes victimes de violences. Il recommande un rapprochement entre les associations, les élus et les bailleurs pour élaborer des protocoles d engagements quantitatifs. 5. Le plan «genre et violences» élaboré au Ministère de la Santé. Enfin, des campagnes de communication ont été lancées, la plateforme téléphonique nationale gérée par la FNSF s est transformée en numéro unique le 3919. Un nouveau Plan de lutte contre les violences envers les femmes est prévu pour la période 2008-2010 6. 6 Audition de Valérie Létard devant la délégation aux droits des femmes au Sénat. 02/10/07 http://www.travail-solidarite.gouv.fr/http:/www.travail-solidarite.gouv.fr/actualite-presse/discours/auditionvalerie-letard-devant-delegation-aux-droits-femmes-au-senat-02-10-07-6406.html 9

On observe donc une amélioration sur le plan des lois et des orientations politiques. Après l Europe et le national, quelques actions sur le plan local Des commissions départementales de lutte contre les violences sont animées sous l autorité des préfets par les déléguées aux droits des femmes. Des partenariats existent dans différents domaines : Dans le 92, un dispositif départemental animé par 4 associations et comprenant une écoute téléphonique et des permanences d accueil a été mis en place : FVV 92. (Il est cité comme action exemplaire dans une brochure du Ministère de la Justice édité en 2006 (Guide des associations). Une convention entre les associations membres de la FNSF, du CNIDFF et le préfet devrait aussi être signée avant la fin de cette année. De nombreux dispositifs ont été mis en place autour du Relais de Sénart dans le domaine de la santé, avec les travailleurs sociaux des municipalités, pour renforcer l accès au logement. III. Application Cependant dans notre pratique quotidienne auprès des femmes victimes de violences, nous remarquons un contraste d une part, entre les plans d actions, les recommandations des pouvoirs publics et d autre part, la situation concrète sur le terrain. J ai déjà cité quelques exemples précédemment. 10

Au fur et à mesure que les femmes victimes parlent et sollicitent professionnels et institutions, la demande d aide et d accueil augmente régulièrement. Il devrait y avoir donc une montée en charge de tous les dispositifs et une meilleure articulation des acteurs. Mais c est encore loin d être le cas. Sur le plan judiciaire - Les plaintes sont encore majoritairement classées sans suite ou renvoyées en médiation. Cela signifie que les victimes sont considérées comme également responsables, ce qui entretient la confusion et l impunité. Les condamnations à de la prison ferme ou même des sursis avec mise à l épreuve sont très rares. Sur le plan du logement, sujet qui nous intéresse aujourd hui, beaucoup d associations signalent une régression: Pourtant si toutes les femmes ont besoin d un accueil et d un accompagnement, elles n ont pas toutes besoin d être hébergées, cet aspect important sera développé plus tard dans la journée. En 2006, L Escale a ainsi suivi 335 femmes. La capacité d hébergement du relais de Sénart est passée de 68 à 82 places en 2006, celle de l Escale de 25 à 40 places en 2005, avec l appui du département 92 et de la DDASS. Malgré cette augmentation du nombre de places d hébergement, le nombre de femmes qui peuvent être mises en protection diminue. Celles qui sont prêtes à partir ne trouvent en effet pas de logement définitif. La durée moyenne d hébergement dans les différents dispositifs, reste presque le 11

double du souhaitable. A l Escale, 11 femmes sont actuellement prêtes au relogement. L attribution de logements sociaux, en particulier pour les femmes sortantes d hébergement reste trop rare. Les femmes victimes de violence, bien qu inscrites comme public prioritaire dans les PDALPD par exemple, y ont peu accès. Pourtant, selon la loi du 3 janvier 1977 concernant l'indemnisation des victimes d'infractions pénales, elles ont droit à la réparation des dommages qu'elles ont subis. L hébergement, quand c est nécessaire, et l accès au logement font partie de cette réparation. La crise du logement est générale, les publics prioritaires semblent tous en concurrence les uns avec les autres. Mais il s agit d analyser ensemble des facteurs qui, en se combinant, peuvent constituer une discrimination à l accès au logement et au relogement après hébergement, en raison des violences, de la situation familiale, du sexe et de l origine. Représentations des femmes victimes de violence - Les violences induisent des représentations qui font peser sur les victimes tout le poids de la problématique sociale (responsabilité des troubles provoqués par l agresseur, culpabilité, nous en avons déjà parlé). Ces représentations donnent une image négative de la femme «battue»: elle est suspectée d accepter la violence, de ne pas empêcher les «troubles de voisinage» et par conséquence supposée être dans l incapacité de se défendre, de se protéger et donc de gérer une famille. 12

- Mono parentalité, isolement et situation économique Par ailleurs, comme le dit JC Kauffman (1999) «les personnes vivant seules et autres familles monoparentales ne bénéficient que d une légitimité de surface». 7 Or, les femmes forment la majorité des familles monoparentales, des emplois à temps partiel (83%) et des emplois aidés ou en CDD (60%). Les femmes victimes de violences bénéficient d un réseau social et familial moindre, voire absent lorsqu elles sont issues de l immigration. Leur isolement est le produit des violences et de l hostilité de leur famille vis-à-vis de la séparation. C est surtout cet isolement qui fait qu elles sont plus nombreuses dans les hébergements. - Enfin, et ceci est important, leur capacité à rebondir et prendre leur vie en main est sous-estimée, le travail d accompagnement et de reconstruction des associations n est pas suffisamment connu ou reconnu. Ce tableau à la fois international, national et local des violences et des difficultés auxquelles sont confrontées les femmes n est pas exhaustif. Mais la question du logement, élément essentiel de réparation, de protection et de sécurité des femmes, mobilise continuellement les équipes. Environ 500 places d hébergement spécifiques pour les femmes victimes de violences existent en Ile de France. Le même nombre de logements par an, suffirait à assurer une rotation satisfaisante de ces centres et pour les femmes accueillies en externe. Cet objectif est réalisable. 7 Jaspard Chetcuti violences envers les femmes p 146 13

Je laisse maintenant la parole aux autres oratrices, pour développer d autres points autour du sujet qui nous réunit aujourd hui. 14