Note de recommandation Médecins du Monde Concertation sur la Réforme de l Asile Octobre 2013 Introduction Cette note de contribution est rédigée dans le cadre de la concertation sur la Réforme de l Asile, dont Valérie LETARD, Sénatrice et Jean-Louis TOURAINE, Député, président le Comité de Concertation. Dans le cadre l atelier 3, «Hébergement des Demandeurs d Asile», il a été demandé à MdM de réaliser et de partager une note de recommandations sur : - La prise en charge des problèmes de santé des demandeurs d asile ; - La répartition des demandeurs d asile sur le territoire. En préalable, nous souhaitons tout d abord rappeler les liens essentiels qu il existe entre accès à la santé, accès aux soins et accès aux droits et partager la définition de la santé de l OMS : «La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité». Points essentiels issus du rapport de l Observatoire de l accès aux soins 2013 - Sur l ensemble des 24 286 patients reçus dans les Centres d Accueil, de Soins et d Orientation (CASO) de MdM, 1 732 personnes (7,1%) ont une procédure de demande d asile en cours (recours compris) ; - Malgré leur droit d accéder à un CADA, 28% vivent dans un logement précaire et 16 % sont sans domicile ; - Seuls 11% des demandeurs d asile ayant consulté disposent d une couverture maladie ; - Les demandeurs d asile accusent un retard et un renoncement aux soins plus fréquent que les autres patients ; - Les demandeurs d asile souffrent beaucoup plus fréquemment de troubles psychologiques. 1
Prise en compte des problèmes de santé des demandeurs d asile 1. Principes 1.1. L habitat, déterminant de la santé, de l accès aux soins et aux droits L accès à un hébergement ou à un logement adapté conditionne l ensemble de la prise en charge des personnes. L habitat est un déterminant essentiel de la santé et dans le cas des Demandeur d Asile (DA), il influence considérablement la qualité de la procédure, notamment pour la phase d écriture du récit et de préparation à l entretien. En conséquence, nous estimons nécessaire : - Que l ensemble des DA quel que soit leur statut aient accès à un hébergement spécifique en CADA jusqu à la fin de la procédure (après la CNDA) ; - Que le nombre de places en CADA soit en adéquation avec les besoins recensés ; - Que soient renforcés les moyens humains dans les CADA. Ni la vie à la rue ni l hébergement à l hôtel ne sont adaptés. En cas de saturation du dispositif CADA, il est nécessaire d ouvrir des lieux dédiés et adaptés aux situations des personnes : CADA ou solution alternatives comme l habitat autonome, les centres de transit, CHU Asile mais toujours avec un accompagnement juridique et une prise en charge médico-psycho-sociale quel que soit le type d habitat. 1.2. Problèmes de santé spécifiques aux demandeurs d asile Les problèmes de santé qui affectent les DA sont des problèmes classiques de la médecine générale avec des troubles psychologiques majorés en lien avec les traumatismes liés aux raisons qui ont poussé au départ du pays d origine, à ceux vécus durant le parcours migratoire ou encore ceux liés au déracinement et à un nouvel environnement culturel. Problèmes de santé mentale Une souffrance psychique qui peut être liée : A la rupture avec le pays d origine : isolement, perte de repères, nouvelles pratiques liées au changement d environnement culturel comme : la consommation d alcool et le développement de comportements addictifs, le fonctionnement et la place de chacun au sein du couple qui peuvent mener à des souffrances et/ou à des violences 2
A la procédure d asile : - Qui crée une incertitude quant à l avenir des personnes et un manque de projection qui peut mener à des symptômes dépressifs ; - Qui crée une dépendance financière et une inactivité qui peuvent être sources de souffrance psychique. Des syndromes post traumatiques Ils sont le plus souvent liés aux violences subies dans le pays d origine ou sur le parcours migratoire. Ces syndromes peuvent se traduire par des angoisses, des cauchemars, des tétanies, des scarifications Problèmes de santé somatiques Ils peuvent être liés à des conditions de vie dégradées, à des maladies chroniques ou à des maladies graves. Certains problèmes de santé peuvent également résulter d une somatisation des souffrances psychologiques des personnes. 1.3. Prise en charge spécifique Les symptômes de ces problèmes de santé, à la fois somatiques et psychiques, peuvent apparaître à tout moment de la prise en charge proposée aux DA. Dans le cas de décompensations psychiques par exemple, celles-ci apparaîtront le plus souvent une fois que la personne est stabilisée. Dans le cas de PTSD, l écriture du récit, qui est toujours une épreuve difficile, pourra faire ressortir et revivre des évènements traumatisants vécus par la personne. Considérant ces éléments, il ne suffit pas d évaluer la situation de la personne au début de la procédure ou de la prise en charge mais il faut être en mesure de repérer les symptômes tout au long de celles-ci. Il est également nécessaire de mettre en place des systèmes de soins préventifs adaptés à la spécificité de ces patients et de ne pas se limiter à des volets curatifs. Une fois repérés les symptômes, qu il s agisse de problèmes de santé somatiques ou psychiques, les personnes doivent avoir accès à des dispositifs de prise en charge adaptés. Toute identification des problèmes de santé sans accès effectif à des dispositifs de prise en charge dans le cadre du droit commun proposant des services adaptés est à proscrire. Dans le cadre d une prise en charge adaptée aux demandeurs d asile, il est nécessaire de développer : - Le recours à l interprétariat professionnel 1 - La prise en compte des déterminants socio-culturels et religieux 1 Notons à ce sujet le service d interprétariat accessible aux Médecins Généralistes libéraux à Strasbourg. Dispositif au début limité aux Praticiens hospitaliers qui a ensuite été étendu aux MG, il est co-financé par : la ville, le CG, l ARS et la DAIC (Direction de l Accueil, de l Intégration et de la Citoyenneté, qui dépend du Ministère de L intérieur). En termes de fonctionnement, il faut réserver le créneau à l avance pour que l interprète se déplace au cabinet du MG. 3
La mise en place de cellules de médiation culturelle dans les dispositifs de droit commun est à ce titre un dispositif intéressant permettant de contourner la barrière de la langue, de prendre en compte le contexte culturel des personnes, et d améliorer la qualité de la prise en charge médicale (anamnèse, adhésion au traitement ). Cette prise en charge doit pouvoir se prolonger même après l obtention d un statut de réfugié ou d un rejet de demande d asile. Dans ce dernier cas, la non reconnaissance du statut de réfugié s accompagne d une non reconnaissance du statut de victime, ce qui est source de souffrance psychique, voir motif de décompensation. Enfin, dès le début et tout au long de la procédure, les DA devraient avoir la possibilité de formuler une demande de Droit Au Séjour pour Etrangers Malades (DASEM) dès lors que les critères médicaux sont remplis. Il est alors nécessaire d organiser une continuité de la prise en charge tant que la réponse de la Préfecture n a pas été reçue. Comme nous le verrons, la spécificité de la prise en charge de ce public implique une spécificité dans la formation des acteurs (la prise en charge du psycho trauma exige par exemple une pratique clinique particulière). 2. Prise en charge proposée dans les CADA 2.1. Repérage et prise en charge des problèmes de santé dans les CADA Le volet médical est trop absent des CADA et trop souvent, ces structures doivent solliciter les associations pour permettre l accès à des soins de santé aux personnes accueillies. La prise en compte des problèmes de santé n est pas assez systématique dans les CADA, trop dépendante des personnes ou des structures concernées. Il est nécessaire de sensibiliser / former les travailleurs sociaux au repérage des problèmes de santé et aux dispositifs d accès aux soins et aux droits accessibles au DA. Comme expliqué précédemment, le repérage des problèmes de santé doit être possible tout au long de la prise en charge. L accompagnement des personnes doit être réalisé à proximité directe du lieu d hébergement/logement. 4
2.2. Articulation des CADA avec le droit commun Si le personnel des CADA doit être en mesure de repérer les problèmes de santé et d orienter les personnes, il faut également que les dispositifs de droit commun soient adaptés à les recevoir et à traiter leurs problèmes de santé spécifiques : recours à l interprétariat et à des médiateurs culturels, formation spécifique au psycho-trauma Pour s assurer que le droit commun soit en mesure de répondre aux besoins des DA, des financements supplémentaires doivent être accordés, soit en octroyant des ETP de médicoparamédicaux au sein des CADA, soit par des financements spécifiques fléchés aux dispositifs de droit commun de référence situés à proximité des CADA. Dans le cadre d une planification territoriale, les besoins des DA en termes d hébergement logement, d accompagnement et d accès aux soins doivent être pris en compte dans les Plan Départementaux d Accueil, Hébergement, Insertion (PDAHI) mais aussi dans les Programmes Régionaux d Accès à la Prévention et aux Soins (PRAPS). Dans cette optique, un travail de diagnostic et de suivi interministériel est incontournable. Enfin, pour permettre un accès effectif aux dispositifs de santé de droit commun, les structures de santé doivent être à proximité des lieux de vie des personnes. Dans le cas contraire, des bons de transport ou des Véhicules de Transport Léger (VTL) pour le suivi médical doivent être mis en place. 3. Prise en charge des personnes hors CADA (HUDA, à la rue, chez un tiers) Considérant que la vie à la rue est pathogène et qu elle limite l accès aux soins et aux droits, en cas de non hébergement des personnes, un certain nombre de dispositifs doivent être mis en place pour assurer une prise en charge médico-psycho-sociale et un accompagnement juridique. 3.1. L accès à la santé doit être garanti. Dans le cas où les dispositifs d hébergement sont saturés, la couverture des besoins fondamentaux des personnes doit être assurée quelle que soit la situation d hébergement : accès à l eau, à la nourriture, à l hygiène 3.2. L accès à un accompagnement global doit être garanti Des dispositifs d aller-vers et hors les murs doivent être mis en place pour répondre aux besoins de santé et d accès aux soins des personnes : Permanence d Accès aux Soins de Santé mobiles (PASS Mobiles), Equipe Mobile Psychiatrie Précarité Interculturelles (EMPP Interculturelle), Protection Maternelle et Infantile, équipes du 115 Pour renforcer l accès à la procédure d asile, il est nécessaire que le personnel de l OFII se déplace vers les personnes non hébergées, à la rue ou en habitat précaire. Cette démarche d aller-vers est souvent mise en place lors des expulsions de squat et de campements mais elle devrait être étendue et intégrée plus largement au fonctionnement de l OFII quand la situation l exige. Il pourrait également être envisagé de mettre en place des équipes des CADA hors-les-murs pour accompagner les demandeurs d asile à la rue ou en habitat précaire. 5
4. Recommandations sur la répartition territoriale 4.1. Critères et délais d accès aux CADA : principe d information/orientation le plus rapide possible Les DA doivent obtenir une information éclairée la plus rapide possible (sous 15 jours), à la fois écrite et orale, dans la langue de la personne : sur les délais d attente, les paliers éventuels, la priorisation des publics Ceci afin de prévenir l anxiété, les frustrations et les incompréhensions. En cas de saturation des dispositifs CADA, des solutions alternatives d hébergement/logement doivent être proposées. 4.2. Prise en compte de la variété des publics et des caractéristiques des personnes pour proposer un hébergement / logement adapté : - vie privée de la personne, composition familiale et respect de l unité familiale. Dans ce cadre, une attention particulière doit être donnée aux jeunes majeurs qui devraient pouvoir rester avec leur famille. - prise en compte de problèmes de santé dans la proposition d hébergement-logement (mobilité réduite, handicap, maladie chronique, maladie grave, proximité d un lieu de soin si besoin) Pour répondre à la variété des besoins et des situations, des modes d hébergement/logement variés doivent être envisagés : logement dans le diffus, habitat autonome, centre temporaire d hébergement Dans tous les cas, quel que soit le mode d habitat, une prise en charge médicopsycho-sociale et un accompagnement juridique doivent être accessibles à proximité des lieux de vie. 4.3 Possibilité de solution d habitat chez un tiers Afin de respecter les attaches éventuelles des DA dans le territoire sur lequel ils se trouvent, ils doivent avoir la possibilité de refuser une place en CADA sans en être sanctionnés. Dans le cadre d un hébergement auto-organisé (chez un tiers), les DA doivent percevoir une allocation de subsistance (ASM ou ATA) pour subvenir à leurs besoins essentiels (nourriture, transports ). En termes budgétaires, l hébergement chez un tiers accompagné du versement d une ATA reste moins couteux qu une prise en charge en HUDA (hôtel + ATA). Comme dans toutes situations d habitat, les personnes hébergées chez un tiers doivent avoir accès à un accompagnement global : médico-psycho-social et juridique. Etant donné que les solutions d hébergement chez un tiers peuvent parfois être difficiles sur du long terme, les personnes doivent avoir la possibilité de réintégrer le DNA, selon les conditions qui leur sont proposées. Direction des Missions France, le 14/10/2013 6