Évaluations des capacités des ONG humanitaires : répondent-elles à leur objectif? Résume Juin 2015
REMERCIEMENTS ICVA remercie ses membres, son bureau et les partenaires de leurs cotisations, financements ainsi que de leurs contributions et de leur soutien en nature. Thomas Lewinsky, 22 mai 2015 www.lewinskyconsulting.com 2
RÉSUMÉ Cette étude, mandatée par l équipe de travail sur le financement humanitaire de l IASC, dresse un panorama des multiples outils et méthodologies d évaluation des capacités des partenaires (PCA) employés actuellement par divers bailleurs de fonds, multilatéraux et bilatéraux, ainsi que les ONGI 1 dans le but d approuver l aptitude des ONG potentielles à recevoir et à gérer des fonds humanitaires dans différents contextes. L étude vise à enrichir les discussions sur la politique entre les bailleurs de fonds et les ONG, afin de mettre en place de bonnes pratiques minimales reconnues pour évaluer les capacités des partenaires dans différentes situations humanitaires. Ces bonnes pratiques doivent être en mesure de parvenir à un équilibre entre d une part le besoin de contrôle préalable, de gestion du risque et de redevabilité, et d autre part les capacités de transformation des ONG, en vue de contribuer à une évolution durable de la situation (surtout les ONG nationales) dans leur propre pays. Les donateurs réalisent une PCA afin de mener une évaluation comparable et objective de la capacité et de la fiabilité d un partenaire potentiel à gérer les financements pour des interventions de programme approuvées. Les PCA visent également à établir des garanties de redevabilité suffisantes pour orienter les transferts de ressources et les modalités opérationnelles qui en découleront. Les ONG sont conscientes du besoin pour les donateurs de respecter des critères internes et externes de redevabilité et de s assurer que les fonds sont réellement utilisés efficacement pour atteindre les objectifs humanitaires définis. Toutefois, la diversité des évaluations actuelles, le niveau de précision recherché et les contraintes de temps auxquels les ONG sont soumises, sans oublier la surcharge administrative des bailleurs de fonds eux-mêmes, mobilisent déjà les rares ressources disponibles. La précision recherchée dans les évaluations peut disqualifier des partenaires de mise en œuvre tout aussi importants mais qui ne disposent pas de vastes systèmes de gestion et de contrôle. Qui plus est, les critères utilisés par les différents donateurs se chevauchent régulièrement et peuvent manquer de pertinence pour le partenaire ou le contexte en question. Les évaluations des capacités des partenaires répondent-elles vraiment aux bonnes ou aux questions les plus essentielles concernant la capacité d exécution effective d une ONG dans un contexte humanitaire donné? Les processus de PCA représentés dans cette étude semblent être devenus de plus en plus exigeants au cours des dernières années. En effet, le nombre important de questions posées aux ONG rend la procédure longue et nécessite un investissement conséquent en temps et en ressources par toutes les parties 2. En outre, les PCA sont souvent précédées de nombreux critères de contrôle préalable qui s ajoutent aux critères d évaluation des ONG. Bien qu il existe une série de motifs rationnels qui explique une telle évolution de ces processus, notamment l importance majeure de la redevabilité par la plupart des bailleurs de fonds et des donateurs d origine, elle se traduit par des lourdeurs administratives de plus en plus contraignantes pour les ONG. Ceci est particulièrement 1 L acronyme «ONGI» employé dans cette étude peut revêtir le sens de donateur pour une ONG nationale ou un organisme de mise en œuvre à part entière. L acronyme «ONGN» a le sens d ONG nationale dans un contexte donné. L acronyme générique «ONG» est utilisé pour désigner les deux types d organisation, qu elle soit internationale ou nationale. L expression «bailleur de fonds» est réservée aux organismes décideurs chargés d attribuer des fonds à une ONG bénéficiaire et peut désigner le donateur d origine ou une agence chargée de repartir les fonds pour le compte d un donateur. 2 C est notamment le cas des différents financements communs répertoriés dans cette étude (p. ex. : les fonds de financement commun pour les pays au Pakistan). 3
vrai pour les ONGN qui, souvent, s intéressent à des communautés clés, y ont accès et disposent de capacités locales pour mener une action humanitaire efficace. Pour de nombreuses ONG, les processus de PCA semblent opaques et difficiles à préparer. En outre, elles ignorent comment les informations peuvent être utilisées par le bailleur en question ou si les informations sensibles seront transmises à d autres bailleurs. Le consultant de cette étude a également constaté qu il était difficile d accéder aux PCA sur les sites Web des donateurs, y compris les lignes directrices pour aider les candidats à se préparer aux processus de dépôt des dossiers, ce qui peut limiter l efficacité des processus de PCA en tant qu outil commun d évaluation des capacités et de dialogue en vue d un partenariat. Même si les PCA et, plus largement, les procédures de contrôle préalable auxquelles elles se rapportent, deviennent les garants d une gestion de qualité, selon cette étude, il n existe aucune corrélation clairement établie entre les évaluations approfondies des partenaires et une amélioration de la qualité des prestations des ONG approuvées. De même, aucun lien évident n a été déterminé entre les montants du financement des donateurs impliqués et le degré de surveillance de l ONG en question, ce qui indique que l ampleur des procédures d évaluation utilisées n est pas toujours proportionnelle aux montants réels des fonds investis. La plupart des travaux de PCA et de contrôle préalable actuels semblent reposer sur la volonté du bailleur de fonds de limiter le risque et d établir une redevabilité totale des ressources attribuées aux principaux donateurs. De nombreuses personnes interrogées durant l enquête ont estimé que les indicateurs de redevabilité financière débouchent sur des travaux de PCA et de contrôle préalable moins centrés sur les prestations de l ONG en question vis-à-vis du programme établi. En outre, bien que de nombreux donateurs déclarent vouloir investir dans des zones à risque (à condition que le risque soit bien géré), les dépositaires des fonds, y compris les agences de l ONU et les ONGI, semblent partir du principe qu elles doivent administrer les fonds plus rigoureusement en raison des exigences de redevabilité des donateurs d origine. L étude révèle des exemples de bonnes pratiques où les bailleurs de fonds se réunissaient pour débattre des questions liées à la gestion du risque dans certaines zones spécifiques. Cette démarche a encouragé le dialogue sur ce que recouvre la notion de risque, sa gestion et la manière de mieux coordonner son évaluation entre les bailleurs. L étude souligne le peu d adhésion que rencontre l harmonisation accrue des procédures des PCA si celle-ci devait se traduire par une série de normes sur l ensemble du secteur. La plupart des personnes interrogées craignaient que l harmonisation n ajoute plus de rigidité que d efficacité aux procédures en place, et que les intérêts et les missions de l agence se transforment en listes de critères encore plus longues. De plus, l extrême disparité des contextes humanitaires nationaux ne tirerait aucun profit d une approche standardisée et pourrait même limiter l efficacité des évaluations des partenaires. Cependant, la volonté de simplifier les procédures d évaluation actuelles a suscité un réel intérêt, et tous semblaient d accord sur le fait que de nombreux outils de PCA utilisés actuellement devaient mieux prendre en compte les particularités des ONG pour éviter les évaluations standards et communes à toutes. Par exemple, les ONGN travaillent à une plus petite échelle, alors qu elles sont souvent évaluées de la même manière qu une ONGI dont le champ d action est plus large. 4
L étude indique que l accent mis sur les systèmes financiers et comptables, ainsi que sur les capacités de gestion et d audit, bien qu essentiel, risque de reléguer au second plan des domaines d évaluation tout aussi importants tels que les perspectives de partenariats à long terme pour obtenir un changement de fond allant bien au-delà de la prestation de service de transaction. In fine, cette orientation peut cantonner les ONG à un rôle de soustraitants, de risque à gérer ou simplement de partenaires de transaction. Les défenseurs d une autre approche des partenariats 3 avancent qu en réalité, les organisations évoluent le plus souvent dans des contextes imprévisibles et confus, où règne une certaine complexité et où la situation évolue rapidement. Dans ce cas, l attention doit être portée sur la manière de soutenir les organisations locales de manière à provoquer un changement de fond, au lieu de les considérer comme des agents de gestion qui mettent en œuvre des plans bien structurés pour le compte d investisseurs externes. Les partisans de ce point de vue affirment en outre que la mise en place de nombreuses méthodes de vérification mène rarement à de meilleurs résultats, au-delà de la simple documentation de l attribution des fonds sur le plan opérationnel et leur enregistrement par la suite. L étude a rencontré plusieurs exemples de bonnes pratiques novatrices décrites dans le rapport principal. Elles proposent des approches alternatives du mode d évaluation des partenaires par les bailleurs de fonds, de l intégration de la gestion du risque dans les évaluations, et de la recherche de critères d évaluation des partenaires harmonisés. Parmi les bonnes pratiques figure l exemple d un nouveau financement commun mis en place par l Union européenne, qui a sciemment réduit les critères d évaluation des partenaires pour raccourcir le délai de traitement des dossiers et accélérer la mise à disposition des fonds. Enfin, une initiative collective d ONGI, toujours en phase de lancement, vise à transférer les fonds et leur gestion entièrement à un consortium d ONG, selon une série de critères d évaluation à définir par les ONGN elles-mêmes. L étude formule une série de recommandations adressées tout particulièrement à l équipe de travail sur le financement humanitaire de l IASC afin de l aider à définir les thèmes prioritaires à mettre à l ordre du jour des prochaines consultations sur les politiques entre ONG, agences de l ONU et donateurs bilatéraux et de rendre les PCA plus adaptées. Recommandations Recommandation (1) Afin de diminuer les barrières à l entrée de certaines ONGN, les agences de financement doivent simplifier les PCA et les procédures de contrôle préalable actuelles et les proposer sous forme de «bonnes pratiques minimales» pour mieux les adapter aux spécificités des ONGN en fonction des différents contextes nationaux, où les opérations sont de plus petite échelle et les systèmes d organisation moins développés. Recommandation (2) Aux fins de transparence et d une participation large aux processus de PCA pour les ONGN, les bailleurs de fonds et les agences de financement doivent rendre les procédures plus accessibles sur leur site Web. Ceci peut prendre la forme d une simple illustration graphique, d une vue d ensemble des processus et d une foire aux questions, dans un souci délibéré par les bailleurs de fonds de mieux servir les ONGN qu ils aident. 3 Root Change: New Directions in Local Capacity Development: Embracing a Systems Perspective, USAID, novembre 2013 5
Recommandation (3) Les bailleurs de fonds doivent redoubler d effort pour instaurer une communication et un dialogue réguliers avec les partenaires potentiels à l échelle du pays sur les éléments évalués, les raisons et l utilisation des informations. Cette mesure peut réduire les malentendus tout en aidant les ONGN à agir dans des domaines clés des capacités et à se préparer à de futures évaluations, ce qui débouche sur des partenariats à long terme. Recommandation (4) L initiative GHD (Good Humanitarian Donorship), les agences de l ONU et les ONGI doivent mener une action concertée pour créer des définitions et des modalités opérationnelles communes pour la gestion du risque dans différentes situations humanitaires. Ceci doit permettre la création de procédures de gestion du risque minimales collectives qui, à terme, pourraient déboucher sur la mise en place d audits communs de bailleurs de fonds afin d améliorer l efficacité et de réduire les coûts de transaction au bénéfice des ONGN chargées de la mise en œuvre. Recommandation (5) Les agences de l ONU et les ONGI agissant à l échelle d un pays doivent régulièrement dialoguer et coordonner les efforts autour des cadres de gestion du risque appliqués, sous l égide de l équipe humanitaire dans le pays, afin de parvenir à un langage et une approche communs de la gestion du risque, et supprimer les superpositions et les chevauchements inutiles. L étude a tenté de mettre à plat un domaine complexe des procédures d évaluation utilisées par un grand nombre de bailleurs de fonds, à différentes fins et sur un large éventail d organisations évoluant dans de nombreux contextes nationaux. C est pourquoi elle court inévitablement le risque de survoler des enjeux complexes portant sur la manière dont les ONG sont évaluées et financées à l échelle mondiale et dans différents cadres politiques. Le sujet des PCA nécessiterait une étude de suivi plus approfondie des pratiques de chaque agence pour permettre des comparaisons plus larges entre elles. Ces études devraient être présentées pour aider à étayer la coordination et les discussions sur la politique futures et à inclure des exemples novateurs d organisation et de gestion collectives des évaluations des partenaires, menées selon une série minimale de critères «acceptables», qui les rendraient adaptées. L HFTT, qui a mandaté cette étude, doit trouver les moyens adéquats de soulever ces questions auprès du public pertinent, qu ils soient donateurs, bailleurs de fonds ou représentants d ONG capables ou prêts à influencer l orientation future des évaluations de partenaires. Ceci peut inclure un dialogue autour des futurs principes en matière de partenariat, de l initiative GHD, la plateforme de dialogue BCAH/ONG, le groupe de travail sur le financement commun et l initiative de financement humanitaire future. 6
7