LE RÈGLEMENT du 20 Thermidor an VI et les premiers insignes de grades des Officiers généraux. --------------------- Le règlement du 20 thermidor an IV (7 août 1798) tient une place importante dans l'histoire des insignes de grades des officiers généraux, puisque c'est à lui que ceux-ci doivent les "feuilles de chêne", qui sont devenues leur attribut particulier depuis le Directoire et qu'ils ont conservées, au moins sur leurs képis, jusqu'à nos jours. Si les spécialistes connaissent bien les dispositions de ce texte, ils en ignorent le plus souvent la véritable origine, les rapportant à un prétendu "règlement de l'an VII". C'est ainsi, par exemple, que le dénommé Georges Six ("Georges Six, Les Généraux de la Révolution et de l'empire, Paris, Bordas Editions, 1948"), dans un chapitre qu'il a consacré aux uniformes et insignes de grades des généraux de la Révolution et de l'empire. Quelques pages plus loin, il est vrai, il écrit : << Ce décret dit de l'an VII, qui est probablement le même que celui du 20 thermidor an VI, visé par une décision du 27 messidor an VIII - et qui ne figure pas au Journal militaire...>>. Bien d'autres historiens contemporains et non des moindres, ont pareillement attribué à ce "règlement de l'an VII" les dispositions du règlement du 20 thermidor an VI. Publications et édition. - Si ce règlement est à ce point méconnu, c'est avant tout, comme l'a constaté Georges Six, parce qu'il n'a pas été publié dans le Journal militaire. Mais M. B.-C. Gournay, éditeur de ce périodique, conscient des omissions qu'il avait faites au cours de la publication de ses premiers tomes, les a réparées en publiant de l'an VIII à l'an XIII, en sept parties, un Supplément à la collection du Journal militaire contenant tout ce qui peut avoir été omis dans cet ouvrage, depuis et y compris le mois de juillet 1789 jusqu'à la fin de l'an X (Ce supplément n'accompagne pas dans toutes les bibliothèques la collection du Journal militaire). Dans la 6ème partie, pages 311 à 317, on trouve le texte du "Règlement concernant les uniformes des généraux et officiers des états-majors des armées de la République française" du 20 thermidor an VI, signé par le Ministre de la Guerre, Schérer, mais le texte n'est accompagné d'aucune planche. Une note précise d'ailleurs : "Les planches seules forment un volume, qu'on ne pourrait ajouter à ce Supplément sans en augmenter beaucoup le prix." Ce règlement a été également édité en un fascicule séparé du format 20 x 26 cm. pour le texte qui comporte seize pages. A la dernière page, en-dessous de la signature de Schérer, on trouve l'indication : "De l'imprimerie de Ballard, Imprimerie du Département, rue des Mathurins" mais ni la date du règlement ni celle de l'édition ne figurent nulle part. Toutefois, l'exemplaire de la bibliothèque du Ministère de la Guerre porte sur la page de titres l'inscription au crayon "An VII", faite on ne sait par qui, mais qui explique sans doute la date attribuée partant d'auteurs à ce règlement. Le texte est accompagné de treize planches d'un format total de 25,5 x 69 cm. avec les marges, que quatre pliures permettent d'insérer dans la couverture du fascicule. Les illustrations de ces planches, du format 21 x 46 cm. à l'intérieur du cadre, ont été magnifiquement dessinées par Chailliot et gravées par Godefroy. Les règlements antérieurs sur l'uniforme des généraux. Si l'uniforme des généraux n'a été prescrit dans ses détails que par le Règlement du 2 septembre 1775, dont le Carnet de la Sabretache a publié récemment une reproduction intégrale, le principe d'un "habillement uniforme" et les principales caractéristiques de cet uniforme se trouvaient déjà dans l'ordonnance royale du 1er février 1744.
Le grand Règlement du 1er octobre 1786 s est ensuite occupé, au chapitre X, de l uniforme des officiers généraux, qui a été à nouveau l objet d une décision royale le 14 mai 1788. Au début de la Révolution, avant la chute de la royauté, l uniforme a été modifié par une Instruction provisoire du 1er avril 1791. La Convention, par un décret du 4 avril 1793, posa ensuite le principe d une modification dans les insignes de grades des généraux, puis l Arrêt du 26 prairial an II (14 juin 1794) décrivit l uniforme provisoire des officiers généraux. Enfin, avant le Règlement qui nous occupe, le Directoire s était déjà préoccupé de l uniforme des généraux par l Arrêté du 10 pluviôse an IV (30 janvier 1796). Les broderies de grades de l *Ancien Régime Alors que les officiers des corps de troupes ont porté des épaulettes comme marques distinctives de leurs grades à partir de 1759, les officiers généraux, dès qu ils reçurent un «habillement uniforme», furent distingués des autres officiers comme les uns des autres, par des broderies bordant leurs habits. Sur les manches et les poches, la bordure de broderie était simple pour les maréchaux de camp et double pour les lieutenants généraux, principe de distinction des grades des généraux qui a été conservé jusqu à nos jours sur les képis et les casquettes brodés des officiers généraux. Cette broderie est figurée sur la planche I annexée au Règlement du 2 septembre 1775 qui n en donne pas de description, la qualifiant seulement de «broderie de filés d or passé sans paillettes, clinquants, lames, bouillons en or frisé» : c est la broderie dite «en volutes». L Ordonnance du 1er février 1744 avait déjà prévu que l habit des généraux serait bordé d une «broderie en forme de galon», les manches et les poches portant, suivant le grade, un simple ou un double rang de broderie. Aucune planche n accompagne le texte de cette ordonnance qui indique seulement que la broderie sera «conformément à l échantillon qui restera annexé à la minute de l Ordonnance». Malheureusement, comme c est trop souvent le cas, aucun échantillon n accompagne plus cette minute conservée aux Archives de la Guerre. Il n est cependant pas douteux qu il s agissait déjà de la broderie en volutes, mais dont le modèle n avait pas été figuré dans l Ordonnance, ce qui conduisit à une assez grande fantaisie. Dans une lettre au duc de Choiseul, le 16 octobre 1766, le marquis du Muy signalait que certains officiers généraux ont élargi cette broderie, que d autres en ont diminué la largeur, que d autres enfin l ont enrichie «en y mettant des paillettes, de la frisure et des bouillons» ou en y ajoutant «une baguette qui borde mieux, mais qui n était pas dans le modèle». Si certains généraux avaient dépassé les limites de ces fantaisies et s étaient encore plus écartés du modèle réglementaire, nul doute que le marquis du Muy n aurait pas manqué de le relever. Sur son portrait peint en 1761 par Tischbein le chevalier Le Pelletier, lieutenantgénéral des Armées du Roi porte d ailleurs un habit dont les broderies ne peuvent que se rapporter au modèle de l Ordonnance de 1744. On peut constater qu elles sont du même type général que celles du Règlement de 1775. Par la suite, le Règlement du 1er octobre 1786 a conservé la broderie d or en volutes, dont sa planche II donne un dessin identique à celui de la planche I du Règlement de 1775, puis la Décision du 14 mai 1788 a prescrit que «la broderie du grand uniforme et celle du petit subsisteront telles qu elles ont été réglées», enfin l Instruction provisoire du 1er avril 1791 a précisé que «l habit sera bordé de broderie pareille au dessin prescrit par le Règlement du 1er octobre 1786». Les broderies de branches de chêne. En revanche, dans le Règlement du 20 thermidor an VI, les broderies de l uniforme des officiers généraux sont constituées par des branches de chêne avec leurs fruits. C est d ailleurs par les planches de Challiot et de Godefroy que l on peut en connaître le dessin, car le texte lui-même du règlement n y fait aucune allusion.
On peut se demander cependant si l adoption de ces branches de chêne est bien due à ce règlement et on à un texte antérieur. Jusqu à l Instruction du 1er avril 1791, il est certain que la broderie en volutes a été conservée sur l uniforme des généraux ; de son côté, l Arrêté du 10 pluviôse an IV prescrivait que «l Uniforme des officiers généraux restera tel qu il est aujourd hui». Il ne changeait donc rien à l Arrêté de la Convention Nationale du 26 prairial an II qui décidait qu «il sera attaché sur le collet, les parements et les pattes un ruban façonné en broderie d or le tout conforme au modèle». Malheureusement, dans ce cas encore, aucun modèle, dessin ou échantillon, n accompagne plus la minute de cet Arrêté, conservée aux Archives Nationales (cote : AFII, 224). Ainsi, le document qui aurait permis de connaître en toute certitude la forme et le dessin de ce ruban a disparu. On peut alors se demander s il s agit encore du type de broderie en volutes ou d un ruban déjà brodé de branches de chêne. Si cette hypothèse doit être examinée, c est parce que Malibran, après avoir décrit l uniforme de l arrêté de l an II, ajoute : «Le Musée des Invalides expose l habit de Bonaparte à Marengo qui est conforme à ce type si ce n est que les guirlandes de feuilles de chêne sont réellement brodées sur l habit au lieu d être figurées par un ruban appliqué». Mais cet auteur n apporte ni explication, ni justification de son opinion sur la nature du ruban de l an II. M. Jean Brunon, au contraire, ne doute pas que ce ruban «est directement inspiré par la broderie d or en volutes» des officiers généraux de l ancien régime. Il fonde son opinion sur les portraits de l époque et avant tout sur une photographie des Collections Raoul et Jean Brunon, vieille de plus de cinquante ans, qui représente un habit de général du type 1794-1797, mais dont on ignore malheureusement qui le porta et quel est son actuel propriétaire. Ces arguments sont convaincants et conduisent à admettre que les broderies en volutes ont été conservées jusqu en 1798 et que c est seulement à cette date que les branches de chêne ont fait leur apparition sur l uniforme des généraux. Le responsable et les raisons de cette adoption ne semblent pas connus. Les portraits d époque où, d après M. Jean Brunon, on retrouve la broderie en volutes avec largeurs variables ou réduites même parfois à un mince galon, ne permettent pas de supposer, par ailleurs, que le règlement ait simplement confirmé une mode antérieure. Comme preuve de l usage des feuilles de chêne par certains généraux dès l ancien régime, on a bien invoqué un portrait de Louis-Antoine de Gontaut, duc de Biron (1700-1788), dont l habit et la veste sont brodés de feuilles de chêne. Mais ce portrait, dû à Joseph Désiré Court (1797-1865) n est pas contemporain de son modèle et rien ne prouve qu il ait été exécuté d après une œuvre de l époque. Il ne constitue donc pas un témoignage probant. Les autres marques distinctives de grades des officiers généraux. Le Règlement du 20 thermidor an VI, dans son article 11, dispose que les grades des généraux sont distingués par le dessin de la broderie de l habit, par le baudrier, par l écharpe et le panache. Alors que le Règlement du 1er vendémiaire an XII réservera aux seuls généraux en chef le privilège de porter l épée de commandement et le baudrier, celui de l an VI les attribuait à tous les généraux. L épée était du même modèle pour tous les grades : celle des généraux en chef s en distinguait cependant par une inscription en or sur la lame «Général commandant en chef».
Quant aux baudriers, tous construits sur le même modèle, ils différaient par la couleur et par le dessin de la broderie, identique toutefois pour les généraux de division et de brigade. Le baudrier du général en chef avait un fond blanc avec une bordure rouge, celui du général de division avait un fond rouge brodé sur écarlate et celui du général de brigade était bleu céleste. L écharpe constituait aussi une innovation de ce règlement. En soie bleu céleste pour les généraux de brigade, en soie nacarat pour ceux de division, elle était formée de trois bandes de soie, respectivement nacarat, blanche et bleue pour les généraux en chef. L Arrêté de l an IV, cependant, avait déjà attribué aux généraux une ceinture, bleue de ciel pour ceux de brigade et écarlate pour ceux de division, l une et l autre avec une frange tricolore. La ceinture des généraux en chef était rouge et blanche et ornée d une frange d or.- Le panache sur le chapeau est une création de l'époque révolutionnaire : avec l Arrêté du 26 prairial an II, il était tricolore pour tous les grades. Depuis l origine de la règlementation de l uniforme, d ailleurs, les chapeaux des officiers généraux n ont jamais comporté encore aucun insigne distinctif de grade, bien qu à certaines époques, ils ont pu être garnis d un plumet blanc ou noir. Suivant le Règlement de 1775, les officiers généraux, commandants de régiments ou de corps particuliers, pouvaient en porter l uniforme : à eux seuls était alors permis de mettre un plumet blanc à leu chapeau «pour qu on les puisse distinguer». Cette disposition fut conservée dans le Règlement de 1786 qui autorisait également les officiers généraux, préférant le chapeau uni au chapeau bordé d un galon d or, de le porter avec un plumet blanc. La Décision de 1788 réservait au grand uniforme le chapeau bordé d or et au petit uniforme le chapeau uni garni d un plumet noir. L instruction de 1791, enfin, rappelait la suppression de l usage des chapeaux à plumets blancs ou noirs et affectait au grand uniforme le chapeau uni bordé d un petit galon de soie noire. C est l Arrêté du 10 pluviôse an IV qui, le premier, a utilisé les cours du panache comme marque distinctive supplémentaire des grades des officiers généraux : sur les chapeaux des généraux en chef un panache rouge surmontait trois follettes tricolores, sur ceux des généraux de division le panache était tricolore et les follettes ponceau et sur ceux des généraux de brigade, panache et follettes étaient tricolores. Ces dispositions de couleurs ont déjà été modifiées par le Règlement du 20 thermidor an VI : une aigrette blanche soutenue par un pied bleu, surmontait trois plumes d autruche rouges pour les généraux en chef ; l aigrette était par moitié verticalement blanche et bleue sur des plumes rouges pour les généraux de division ; l aigrette était blanche et rouge sur trois plumes d autruche bleues pour les généraux de brigade. Les mêmes couleurs pour les aigrettes et les plumes ont été conservées par le Règlement du 1er vendémiaire an XII, mais, d après Rousselot, ces volumineux panaches, «très incommodes, surtout par grand vent», ont été rapidement supprimés. Ainsi les nouveaux insignes institués par le Règlement de l an VI pour la distinction des grades des officiers généraux ont eu des fortunes diverses : le baudrier, après avoir été réservé en l an XII aux seuls généraux en chef, n a pas tardé à tomber en désuétude ;
les panaches du chapeau ont bientôt été délaissés, puis supprimés ; le principe en a été partiellement repris ultérieurement avec les plumes blanches pour la distinction des maréchaux et des généraux commandants en chef, les autres généraux portant des chapeaux à plumes noires ; l écharpe, devenue ceinture, a subsisté jusqu à la guerre de 1914, après avoir été supprimée de 1907 à 1911, puis elle a été rétablie en avril 1935 jusqu à la guerre de 1939 ; les broderies de feuilles ou plus exactement de branches de chêne ornent toujours les képis et casquettes des généraux et le principe du double rang de broderies pour les généraux de division, institué en 1744 pour les lieutenants-généraux, a été constamment conservé. C est à cet égard que le Règlement du 20 thermidor an VI présente un tel intérêt pour l histoire des uniformes de l Armée française. Georges DILLEMANN