«Berlin, hier et aujourd hui Un exemple de réconciliation»



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Transcription:

«Berlin, hier et aujourd hui Un exemple de réconciliation» par Stephan Martens Recteur de l académie de la Guadeloupe Conférence Mercredi 21 octobre 2013 MGEN section Guadeloupe Madame la Directrice de la MGEN, Monsieur le Président de la section départementale de la MGEN, Monsieur le vice-président, Madame la responsable du club des retraités, Mesdames et Messieurs les membres du club, Madame Blanche Barbat, qui nous a sollicités, Bonjour, Guten Tag, Buongiorno, permettez-moi tout d abord de remercier Madame Josy-Anne Arekian, ma directrice de cabinet, pour ses mots introductifs, ainsi que Monsieur Jérôme Pelé, son assistant, qui assure la «logistique». Je me propose de vous tracer une «petite» histoire de Berlin petite, car nous ne disposons pas de beaucoup de temps de 1945, «heure zéro» pour la capitale allemande, jusqu à nos jours avec l essor impressionnant de cette ville, au point que certains journalistes ont parlé de l avènement de la «République de Berlin». Rappel du contexte historique : à la fin de la Seconde Guerre mondiale, le peuple allemand avait atteint un degré d épuisement et de désarroi sans précédent dans son histoire. 3 millions de civils et 4 millions de soldats sont morts, des millions de soldats sont prisonniers. La plupart des grandes villes allemandes sont détruites à plus de 50 %. On parle de Trümmerlandschaft : paysages de ruines et les Trümmerfrauen (femmes des décombres / des ruines), particulièrement valeureuses à Berlin (détruite à 80 %), vont dégager plus de 400 millions de mètres cube de débris. 7,5 millions d Allemands se retrouvent sans possibilité de logement. 20 % de sites de production, 40 % des infrastructures de communication, 50 % des écoles sont détruits. Par dessus tout, il y avait le poids de la culpabilité : la dictature nazie avait plongé l Europe et le monde dans un conflit mondial effroyable, avec la mort de 55 millions d hommes entre 1939 et 1945. 6 millions de Juifs et 1 million de Tsiganes ont été assassinés dans les camps d extermination. Les Alliés (Américains, Soviétiques, Britanniques et Français) veulent

«punir» l Allemagne, en démembrer l épicentre (la Prusse) et décident ainsi d occuper le pays et Berlin en se partageant 4 zones d occupation. Mais très vite, l Allemagne devient, sous le signe de la guerre froide, un champ clos où s affrontent les Etats-Unis et l Union Soviétique. Naissent alors la République fédérale d Allemagne (RFA), à l Ouest, et la République démocratique allemande (RDA), à l Est. Berlin Ouest est sous contrôle américain, britannique et français, Berlin Est est sous contrôle soviétique. Plus ou moins libre, plus ou moins unie, la ville était en outre plus qu une ville. C était aussi le symbole de l Allemagne, ou plutôt de l Allemagne passée et peut-être de l Allemagne à venir. Cette capitale qui n en était plus une (bien que la RDA eût illégalement fait de Berlin sa capitale), cette ville occupée, c était l Allemagne abaissée et divisée. Mais aussi pour ceux qui voulaient y croire, la promesse de l unité allemande, «Die deutsche Hauptstadt im Wartestand», comme le disait le chancelier Willy Brandt, la capitale de l Allemagne en attente, la future capitale de la future Allemagne. Le Mur à la fois écarte et rapproche les deux Allemagnes, cimente la division et marque le point de départ des relations interallemandes et d une politique du rapprochement, des petits pas, de l apaisement jusqu à la «chute» du Mur le 9 novembre 1989. Le Mur de Berlin. De 1949 à 1961, date de la construction du Mur, près de 2,7 millions de personnes fuient la RDA, attirés par le «miracle» économique ouest-allemand et la liberté. Le 13 août 1961, le régime est-allemand décide d arrêter définitivement l hémorragie humaine : le «Mur», qui cimente la partition pour 28 ans, interrompt du jour au lendemain toutes les liaisons routières vers l Ouest. Si les Berlinois, touchés dans leur vie ou dans leurs amitiés, réagissent avec colère ou avec désespoir à la construction du Mur, les pays occidentaux ne réagissent pas. Personne ne pensé mourir pour Berlin! Le Mur va traverser la ville et la frontière avec la RFA devient un «couloir de la mort». Jusqu à la chute du Mur, plus de 1 250 personnes ont trouvé la mort en tentant de traverser la frontière entre la RDA et la RFA, dont 136 furent tués près du Mur : la mort de Peter Fechter (âgé de 18 ans), le 17 août 1962, va frapper les opinions publiques allemande et mondiale : les gardes frontières est-allemands, après lui avoir tiré dessus, le laisseront se vider de son sang après une agonie de 45 minutes. Il n empêche que 235 000 citoyens est-allemands réussiront à fuir la RDA entre 1961 et 1989. Ce que les Allemands de l Est et de l Ouest n osaient imaginer se passe vraiment : sous la pression de la population, la RDA ouvre les postes frontères vers l Ouest dans la nuit du 9 novembre. Une nuit qui est entrée dans l histoire : quelques heures ont suffi pour changer la marche du monde. Peu après les premières dépêches sur l ouverture de la frontière, un nombre croissant de Berlinois afflue vers les postes frontières. Les gardes frontières est-allemands les ouvrent, sans en avoir expressément reçu l ordre. Des citoyens de l Est et de l Ouest qui ne se connaissent pas s embrassent en riant et en pleurant. Les gens danseront sur le Mur jusqu au petit matin. L Allemagne entière pleure de joie. Cet aboutisssment a été rendu possible par une révolution de «velours» de plusieurs mois, voire années : les réformes du président Mikhaïl Gorbatchev et les mouvements de démocratisation en Hongrie et en Tchécoslovaquie. Mais aussi par le soutien des Américains aux Allemands de l Ouest : «Ich bin ein Berliner» s exclamait John F. Kennedy devant le Mur, en 1963. «M. Gorbatchev, ouvrez cette porte! M. Gorbatchev,

abattez ce Mur!», déclarait Ronald Reagan face à ce Mur, en 1987. Grâce aussi, et d abord, à la volonté des Allemands eux-mêmes de se «retrouver». En dehors du conflit idéologique et de la guerre froide, les Allemands de l Est et de l Ouest étaient des «frères», personne n oublie que ce sont des millions de familles qui ont été séparées malgré elles. L intérêt des dirigeants allemands était donc de toujours apaiser les tensions dans l espoir qu un jour un contexte favorable leur permette d envisager une réunification. Ce contexte favorable, c est l avènement à la tête de l Union Soviétique de M. Gorbatchev. Le chancelier Helmut Kohl («père» de la réunification en 1990) comprit que dame Fortune lui souriait lors d une douce soirée de juin 1989 : à Bonn, assis sur un muret au bord du Rhin, à côté de M. Gorbatchev. Il raconte l épisode dans ses Mémoires. Il est plus de minuit, les deux hommes s entretiennent seuls, juste accompagnés d un interprète. Le chancelier dit à son invité : «Regardez ce fleuve. Il symbolise l Histoire, elle n est pas statique. Vous pouvez contrarier un barrage. Mais l eau va se répandre sur les rives et trouvera un autre moyen de gagner la mer. Il en va de même de l unité allemande et de l unité europénne». A la grande surprise de H. Kohl, le Russe l écoute et ne trouve ensuite rien à lui objecter. De cet aparté inouï pour l époque, H. Kohl en tirera la conclusion que l homme fort de Moscou devait être aidé dans sa volonté de réformer l Union Soviétique et qu il était prêt, le moment venu, à laisser les Allemands déterminer eux-mêmes leur destin Comme H. Kohl l avait prédit, l eau du fleuve avait fini par déborder le barrage. Et M. Gorbatchev ne fit rien pour l empêcher. Le 3 octobre 1990, même pas un an après la chute du Mur, l Allemagne fête sa réunification! Après le Mur D abord, que reste-t-il de ce Mur de la «honte»? Depuis sa chute, le Mur, d abord symbole de l oppression, est devenu l emblème d un combat non violent pour la liberté. Il représente aussi l échec du communisme. Tout de suite après le 9 novembre 1989, un trafic florissant de morceaux du Mur voit le jour. Le Mur de Berlin devient même la marchandise la plus exportée de ce qui subsiste de la RDA. 95 % de l ancienne muraille sont désormais détruits, seul 1,5 km du Mur sont réparis à divers endroits de la ville de Berlin. Les autres segments reposent aujourd hui dans le monde entier. On peut contempler de nombreux bouts du Mur dans différents lieux et musées à New York, à Londres, au Vatican, au Guatemala, en Australie, en Afrique du Sud ou encore en Corée du Sud où il trône sur le «Berliner Platz», à la frontière de la Corée du Nord communiste, comme une anticipation de la chute! Plus sobrement, des tonnes du Mur ont été réduites en fragments de roche de 6,5 millimètres destinés à être utilisés comme matériau de soubassement pour la reconstruction de routes : c est ainsi que le Mur comme un dernier triomphe contre la volonté des dirigeants est-allemands gît sous forme de gravillons en dessous du réseau ferroviaire qui relie les anciennes et les nouvelles régions du pays. Au-delà, Berlin (redevenue capitale en 1999) est devenue une ville vivante, créative. Berlin est dans le vent, capitale des noctambules et des fêtards. Avec 3,4 millions d habitants, c est la plus grande ville de l Union européenne, après Londres. La culture y tient une place essentielle (Berlin a été totalement «desindustrialisée» après la Seconde guerre mondiale). Dans aucune autre métropole il n y a davantage de manifestations. Des personnes de 190 nationalités vivent dans la capitale allemande. La plus grande fête organisée en Allemagne pour fêter le nouveau millénaire, le 31 décembre 1999, se déroule naturellement à Berlin : plus de 2 millions de personnes venues d Allemagne

et du monde entier se réunissent à la Porte de Brandebourg pour acceuillir le XXI e siècle. En 2006, l Allemagne organise les championnats du monde de football. Elle ne sera pas championne, mais le pays tout entier est en fête : les Allemands n organisent pas seulement des championnats parfaits, ils s amusent aussi dans les villes, devant la Porte de Brandebourg surtout, avec une convivialité chaleureuse qui surprend beaucoup d étrangers. Alors, vive l Allemagne? D emblée, l économiste et essayiste Alain Minc le reconnaît : son histoire familiale «Quatre grands parents engloutis dans l Holocauste» ne le conduisait pas naturellement à faire l éloge de l Allemagne. C est pourtant chose faite dans un petit livre (Vive l Allemagne!, Grasset, 2013) où l auteur écrit comme s il rendait les armes devant l icroyable retour d une démocratie exemplaire dans un pays qui, il n y a finalement pas si longtemps, s abandonnait aux pires barbaries. Passé et réconciliation. Il faut se rappeler que pour de nombreux Allemands, le 9 novembre est une date «fatidique», parce que toute une série d événements représentant de garnds tournants se sont déroulés ce jour-là. La première République allemande a été proclamée à Berlin le 9 novembre 1918. Vingt ans plus tard, toujours le 9 novembre, la dictature nazie entama avec les pogromes de novembre sa persécution ouverte des Juifs en Allemagne. Le 9 novembre 1989, enfin, le jour où tombe le Mur de Berlin, qui marque le moment le plus heureux de l histoire allemande. Pour en arriver à ce jour «heureux», les Allemands ont du se confronter sérieusement à leur passé. La divison de l Allemagne et de Berlin était la conséquence directe de douze années de dictature nationale-socialiste. L Allemagne nazie avait entraîné l Europe dans la guerre et assassiné des millions d êtres humains. Les Allemands ont du mener un travail de mémoire approfondi, faire preuve de patience afin de se rapprocher de l Etat d Israël, de s ouvrir vers les pays d Europe centrale et orientale, en vue de tendre la main, pour tenter, moins de se faire pardonner, que de normaliser les relations. La réconciliation avec tous les pays qui ont souffert de la domination et de l oppression allemandes a été le produit d un processus extrêmement long et qui a exigé, de la part des Allemands, la reconnaissance du caractère unique de la Shoah. De même, il a fallu reconnaître que la responsabilité historique et morale est au cœur de l identité de l Etat allemand. L Allemagne nation mémorielle par excellence! Et Berlin est au cœur de ce travail de mémoire. Aujourd hui, il ne subsiste plus grandchose du Berlin dans lequel on découvrait (surtout dans la partie orientale) à tous les coins de rue les blessures de la Seconde Guerre mondiale et les nouvelles façades peintes ne portent plus les traces des salves des mitrailleuses! En revanche, de nombreux lieux de commémoration et sites mémoriels ont été érigés et s inscrivent désormais dans l urbanisme du centre ville de Berlin : il s agit, notamment, de l impressionnant Mémorial de l Holocauste aux Juifs d Europe assassinés (avec ses 2700 stèles, entre le Potsdamer Platz et la Porte de Brandebourg), du centre de documentation «Topographie de la Terreur», à l emplacement de l ancien siège central de la SS et de la Gestapo, ou encore du Nouveau musée juif. La nouvelle capitale est devenue le laboratoire actif d une mémoire tragique et multiple car si la culpabilité due aux atrocités nazies ne s est en rien estompée, derrière elle, le passé de la RDA interroge : l histoire qui aujourd hui pose problème n est plus seulement celle du nazisme, mais aussi celle de la «seconde dictature allemande», perçue à la fois

comme objet de rejet, comme énigme à élucider, comme histoire à assumer. Ainsi, un organisme fédéral conserve les archives de la Stasi, la police secrète de la RDA et les met à la dispostion de personnes privées, d institutions et du public dans un cadre réglementaire strict bien sûr. N oublions pas que des milliers de couples, de ménages, se sont déchirés après l ouverture des archives, on découvrit que des maris espionnaient leurs épouses et que la Stasi avait même réussi à recruter des adolescents pour espionner leurs parents. Quels sens pour la Guadeloupe? Les années 1990 sont largement marquées par l impact économique et social de la réunification et de la reconstruction de l ex-rda. L Etat allemand a adopté un «Pacte de solidarité» pour compenser les différences issues de 40 ans de partition. Une taxe de «solidarité» existe depuis 1991, c est un impôt supplémentaire affecté à la reconstruction de l ex-rda. Car il a fallu assainir tout l environnement et tout reconstruire : routes, chemins de fer, appareil industriel, logements. Les transferts publics nets vers les nouvelles régions de l Est sont, depuis 1991, en moyenne annuelle, d environ 70 milliards d euros (le tiers du budget fédéral, 4 % du PIB annuellement). Dans le monde entier, il n existe pas de programme d aide plus vaste que celui de l aide à la reconstruction de l ex-rda. Mais on on estime qu une bonne dizaine d années seront encore nécessaires pour que le niveau de vie représente 70 % à 80 % de celui de l Allemagne de l Ouest! Plus grave : un Mur dans les «têtes» subsiste. Les mentalités, voire les modes de vie, ne sont pas les mêmes d Est en Ouest. L arrogance des Allemands de l Ouest, au début des années 1990, vis-à-vis de leurs compatriotes de l Est, a laissé des traces. Le processus d unification allemand n est donc pas un passé achevé dont la fin serait marquée par la chute du Mur, mais plutôt une tâche continuelle. L on voit, à travers l unification «berlinoise», que même à l intérieur d un pays, supprimer l écart économique et surtout intégrer les membres d une société est une tâche difficile et qui prend beaucoup de temps. Quelles leçons peut-on en tirer de cette réconciliation germano-allemande et entre Allemands et peuples qui ont souffert sous le joug nazi, pour la Guadeloupe? Si un antagonisme latent entre développement économique et affirmation identitaire divise la population gaudeloupéenne, il faut bien envisager désormais des rapports nouveaux entre descendants d esclaves et descendants de colons, leurs destins étant forcément liés. Il s agit, bien sûr, de commencer par «dépassionner» les débats sur le passé. On ne viendra jamais au bout d un passé, quel qu il soit, mais il faut l étudier de manière critique, afin de mieux l accepter, l appréhender et l assumer. Le devoir de mémoire n apaise pas le malaise à l égard de l histoire et de l oubli. Il faut travailler sur le passé, et seule la connaissance historique permet de ne pas banaliser le passé. S il existe des problèmes propres aux Guadeloupéens et que les souffrances dues à la traite des Noirs et à l esclavage sont encore réelles se traduisant le plus souvent par des clivages socio-économiques qui perdurent, il faut aussi aller de l avant en vue de construire ensemble l avenir. Il est nécessaire de s engager dans un processus long, de franchir un certain nombre d étapes : reconnaître d abord les inconvénients de vivre dans les rancoeurs du passé ; reconnaître les fautes et les crimes commis par les oppresseurs et bourreaux d antan, car si aujourd hui personne ne doit plus se sentir responsable, il s agit bien de transmettre aux générations futures le sentiment d une responsabilité morale. Pour mener à bien un processus de réconciliation, il faut également que le pardon

soit combiné à l exigence de vérité et il faut reconnaître des intérêts communs en vue de bâtir un projet concret porté par les acteurs politiques et les membres de la société civile. Il faut aussi trouver des symboles forts, il faut découvrir des lieux de mémoire qui interpellent nous l avons vu pour Berlin le «Mémorial Acte» (Centre caribéen d expression et de mémoires de la traite et de l esclavage) en construction en Guadeloupe pourra bien incarner l idée d un passé houleux, tragique, mais partagé. Conclusion. Aller de l avant a été une nécessité pour les Berlinois (et les Allemands en général) : ni refouler, ni ruminer, telle a été la donne pendant plus d un demi-siècle pour ne pas tomber dans une névrose paralysante et pour, bien au contraire, se réconcilier avec les voisins et avec eux-mêmes! Aller de l avant est une nécessité pour la société guadeloupéenne et, pour cela, il faut également «s ouvrir» aux autres, à d autres vécus, à d autres expériences. Cette «ouverture» permet justement de dépasser une mémoire «pathologique», pour se projeter plus en avant. Il ne s agit pas de relativiser le passé de l esclavage, mais en ayant conscience que dans d autres parties du monde se sont déroulés, et se déroulent hélas toujours, des drames et des événements tragiques, on peut trouver des voies de sortie qui permettent de construire un «vivre ensemble» apaisé. Sans avoir la prétention de vouloir donner des leçons d histoire, j espère que ma «petite» histoire de Berlin aura permis de faire avancer, un tout petit au moins, votre réflexion sur le passé, la mémoire et l avenir de nos sociétés celle de la Guadeloupe en premier lieu. Merci pour votre attention. Stephan Martens