UNIVERSITE PARIS I PANTHEON-SORBONNE DOCTORAT DE SCIENCE POLITIQUE CARINE DARTIGUEPEYROU



Documents pareils
Réponse de l EBG à la consultation publique concernant le Plan France numérique 2020.

UNION INTERNATIONALE DES TELECOMMUNICATIONS BUREAU DE DEVELOPPEMENT DES TELECOMMUNICATIONS

3 Les premiers résultats des plans d'actions

L IMPACT DES N.T.I.C. DANS LA FORMATION PROFESSIONNELLE DES CADRES DE L INSTITUTION MILITAIRE

Méthode d'organisation de la veille juridique

LA RÉDUCTION DU TEMPS DE TRAVAIL : UNE COMPARAISON DE LA POLITIQUE DES «35 HEURES» AVEC LES POLITIQUES D AUTRES PAYS MEMBRES DE L OCDE

Les GU comme outil pour améliorer l accessibilité et la qualité des services. Alternative aux services publics existants?

VEILLE STRATEGIQUE EN ENTREPRISE. ( communication, Gouvernance et Intelligence Economique) Colloque International UFC Alger Juin 2008

APPLICATION DU SCN A L'EVALUATION DES REVENUS NON DECLARES DES MENAGES

Âge effectif de sortie du marché du travail

Fiche d information 3 OÙ IRA L ARGENT?

N.V. Bourov, I.Yu. Khitarova. ART-INFORMATION Problèmes de stockage et de communication. Matériel didactique

Frais et systèmes nationaux d'aides financières aux étudiants dans l'enseignement supérieur en Europe

Séminaire LIDILEM. vendredi 25 juin 2010 ET LA RECHERCHE ACTUELLE

L IMMIGRATION AU SEIN DE L UE

Étude EcoVadis - Médiation Inter-Entreprises COMPARATIF DE LA PERFORMANCE RSE DES ENTREPRISES FRANCAISES AVEC CELLE DES PAYS DE L OCDE ET DES BRICS

ECONOMIE. DATE: 16 Juin 2011

Principaux partenaires commerciaux de l UE, (Part dans le total des échanges de biens extra-ue, sur la base de la valeur commerciale)

REJOIGNEZ LES MEILLEURS COIFFEURS D'EUROPE SANS PLUS TARDER

REGARDS SUR L ÉDUCATION 2013 : POINTS SAILLANTS POUR LE CANADA

La carte d'achat dans les organisations françaises

LES CARTES À POINTS : POUR UNE MEILLEURE PERCEPTION

NOTE DE SYNTHÈSE DU REM (INFORM)

Sciences de Gestion Spécialité : SYSTÈMES D INFORMATION DE GESTION

Nom. les. autres États. n de l aviation. Organisation. ATConf/6-WP/49 14/2/12. Point 2 : 2.2. Examen de. des accords bilatéraux. consultées.

La question de recherche

Après la crise et si le meilleur était à venir?

LE PROBLÈME DE RECHERCHE ET LA PROBLÉMATIQUE

Introduction. I Étude rapide du réseau - Apprentissage. II Application à la reconnaissance des notes.

CANDIDATURE AUX FONCTIONS DE DIRECTEUR GENERAL DE L ENSAM

Le creusement des inégalités touche plus particulièrement les jeunes et les pauvres

Quels progrès dans le développement des composants icargo?

Nous avons besoin de passeurs

Intervention de M. de Lamotte, président de la section sur l école et son interdépendance avec le marché

Premières estimations pour 2014 Le revenu agricole réel par actif en baisse de 1,7% dans l UE28

Université de Haute Alsace. Domaine. Sciences Humaines et Sociales. MASTER Mention Éducation, Formation, Communication UHA, ULP, Nancy 2

L évolution des indicateurs sur l enfance Identifier des indicateurs centrés sur l enfant pour élaborer les politiques de l enfance¹

Taux de risque de pauvreté ou d exclusion sociale le plus élevé en Bulgarie, le plus faible en République tchèque

Manuel de recherche en sciences sociales

Mesdames et Messieurs,

Extrait du site de l'oseo (ex.anvar) Reste à déterminer les points incontournables

Agricultural Policies in OECD Countries: Monitoring and Evaluation Les politiques agricoles des pays de l OCDE: Suivi et évaluation 2005.

Anticiper pour avoir une innovation d'avance : le leitmotiv de Pierre Jouniaux, entrepreneur du big data!

Association. Principes généraux.

ÉCONOMIE ET GESTION LYCÉES TECHNOLOGIQUE ET PROFESSIONNEL

Le coût du rachat de trimestres pour carrière à l étranger multiplié par 4 au plus tard le 1 er janvier 2011

3-La théorie de Vygotsky Lev S. VYGOTSKY ( )

Les prestations servies dans la zone UE-EEE-Suisse entre 2004 et 2013

Les concepts et définitions utilisés dans l enquête «Chaînes d activité mondiales»

FORMATION RESPONSABLE COMMERCIAL EN AGROBUSINESS TITRE DE NIVEAU II contenu des modules de formation

QUELLE DOIT ÊTRE L AMPLEUR DE LA CONSOLIDATION BUDGÉTAIRE POUR RAMENER LA DETTE À UN NIVEAU PRUDENT?

Stratégie Open Source et Présentation du Centre de recherche et d innovation sur le logiciel libre

Les comptes nationaux et le SEC 2010

La gestion du temps 3e partie: La planification

Etude sur les Maisons des Services Publics en Europe (hors la France)

Contrôle de gestion. Cabinet de conseil. Du conseil à la formation action. La méthode ABC/ABM Le tableau de bord prospectif

Master "Generating Eco Innovation"

Le marché de l assurance de protection juridique en Europe. Octobre 2013

Compte rendu. Ouvrage recensé : par Robert Gagnon

DISPOSITIF D INTERVENTION REGIONALE AIDE À LA MOBILITE ETUDIANTE A L'ETRANGER Année universitaire 2015/2016

CANDIDAT JAPONAIS AU POSTE DE SECRÉTAIRE GÉNÉRAL

FIN-INTER-01 LE CONTEXTE

Kit Demande de Bourse Etude Erasmus

Les clés de l'innovation. Une formation sur mesure pour les adhérents du Pôle Agri Sud-Ouest Innovation

Bourses de mobilité des étudiants et membres du personnel de l UMONS Année académique

Position de l ASTEE sur l innovation en matière de services d eau et de déchets

Mobilité de l enseignement supérieur

à la Consommation dans le monde à fin 2012

MASTER 1 MANAGEMENT PUBLIC ENVIRONNEMENTAL CONTENU DES ENSEIGNEMENTS

Dématérialisation et document numérique (source APROGED)

Epreuve de Sciences économiques et sociales

ACTEURS DE LA DÉFENSE ET FACTEURS DE SÉCURITÉ

Chapitre 1 : Introduction aux bases de données

L apprentissage tout au long de la vie, une perspective européenne.

Le BTS dans la réforme LMD

Relumina. L alternative ECO-Performante aux lampes à vapeur de mercure


Participation des habitants et contrats de ville Quels enjeux? Quelle mise en oeuvre?

Prix du gaz et de l électricité dans l Union européenne en 2011

12. Le système monétaire

p.2 p Exposé des motifs Texte du projet de règlement grand-ducal Commentaire des articles Fiche financière Fiche d'évaluation d'impact p.

Eléments de présentation du projet de socle commun de connaissances, de compétences et de culture par le Conseil supérieur des programmes

Que peut nous apporter une réflexion sur nos désirs?

Actifs des fonds de pension et des fonds de réserve publics

La retraite pour pénibilité

Comment parler de sa pratique pour la faire partager?

DES PAROLES ET DES ACTES : LES 4 MENSONGES DE MONSIEUR LENGLET

FICHE TECHNIQUE : METTRE EN PLACE UNE GPEC

Observation des modalités et performances d'accès à Internet

Grande Loge Féminine de France

Centre d etudes. strategiques de l Afrique. E t a b l i r d e s p a r t e n a r i a t s p o u r l a v e n i r d e l A f r i q u e

Quelle part de leur richesse nationale les pays consacrent-ils à l éducation?

Master recherche Histoire des mondes moderne et contemporain

SOUSCRIPTION DU CONTRAT : TERRITORIALITE

RAPPORT D'EXPERTISE : SYNERGIE GLOBALE DU PROJET POUR LA FRANCE

1950 La Déclaration Schuman

Transcription:

UNIVERSITE PARIS I PANTHEON-SORBONNE DOCTORAT DE SCIENCE POLITIQUE CARINE DARTIGUEPEYROU CONTRIBUTION A L'ETUDE DE LA "SOCIETE DE L'INFORMATION" : LE CAS DE L'EUROPE EN COURS D'ELARGISSEMENT SOUTENANCE DE THESE : 23 OCTOBRE 2003 DIRECTEUR DE THESE : M. CHARLES ZORGBIBE Professeur à l'université de Paris I Panthéon-Sorbonne PRESIDENT DU JURY : M. JACQUES SOPPELSA Président honoraire de l'université de Paris I Panthéon- Sorbonne, professeur de Géopolitique en Sorbonne MEMBRES DU JURY : M. THIERRY GAUDIN Ingénieur général des Mines M. FRANCIS JUTAND Directeur du département Sciences et Technologies de l'information et de la Communication, CNRS M.ARMAND MATTELART Professeur de sciences de la Communication, Université Paris 8

"Etre, c'est d'abord se faire et se trouver", Teilhard de Chardin, Sur le Bonheur A Michel qui m'a fait découvrir une nouvelle dimension de l'altérité A Boris et à tous les jeunes, qu'ils construisent un monde meilleur "Car la seule vérité qui compte pour moi, dira tout véritable européen, c'est celle de me réaliser. De chercher, de trouver et de vivre ma vérité, non celles des autres et non celle que l'etat ou le parti a décidé de m'imposer toute faite. Si je perdais cette liberté fondamentale, alors vraiment ma vie n'aurait plus aucun sens", Denis de Rougemont, Ecrits sur l'europe, tome 2, p.420. PAGE 2

REMERCIEMENTS Cette thèse est l'aboutissement d'un long travail et d'aide de nombreuses personnes dont je ne peux citer la liste exhaustive ici de peur d'en oublier. Au-delà des remerciements adressés à mon directeur de thèse Charles Zorgbibe et à mon ancien professeur Jacques Soppelsa qui m'aura permis de m'inscrire en thèse de science politique, je tiens également à remercier les membres du jury pour leur travail de rapporteur. Certains échanges ou connaissances ont joué un rôle particulier dans la maturation du sujet : Charles Jonscher, David Ronfeldt, Steve Bankes, Bob Anderson, David Gompert, Brian Hall mais aussi et surtout Michel Saloff-Coste. Je tiens à remercier l'ensemble des personnes interviewées et rencontrées qui figurent dans la bibliographie. L'ensemble de la première partie de cette thèse c'est-à-dire l'étude synthétique des grandes tendances du futur a été nourrie grâce aux échanges avec le Stanford Research Institute, le Xerox Park et l'institut du futur (Institute For The Future). La seconde partie de cette thèse a été nourrie en partie grâce à l'expérience acquise auprès de la Direction Générale de la Société de l'information de la Commission européenne, à la participation à de nombreux événements dont "European Information Revolution" avec Erkki Likkanen, Commissaire en charge des Entreprises et de la Société de l'information, et à l'entretien de Robert Verrue, Directeur Général de la Société de l'information à la Commission européenne 1. La troisième partie de cette thèse a été enrichie de l'expérience au sein du cabinet MSC ET ASSOCIES 2 en offrant notamment une expérience opérationnelle des différentes 1 Robert Verrue a quitté son poste de Directeur Général de la Société de l'information en juillet 2002. 2 MSC ET ASSOCIES, cabinet de prospective en Management, Stratégie et Communication spécialisé sur les questions de "société de l'information". PAGE 3

méthodes de scénarios, la participation à l'écriture du livre Les horizons du futur ainsi que la connaissance de Brian Hall et l'introduction de ses travaux en France. Toute cette réflexion prospective s'est également renforçée du fait de la participation aux colloques de prospective de Cerisy et aux rencontres du groupe de prospective des Sciences et des Technologies de l'information et de la Communication (STIC) au CNRS. Je souhaite également remercier tous les lecteurs de la thèse, en particulier Bruno Hérault, qui m'ont permis à la fin de ce travail d'apporter leurs commentaires et leurs suggestions. En particulier, ma famille et mes amis proches qui auront été déterminants dans la finition de ce travail. Cette thèse est donc le résultat de cet environnement foisonnant d'intelligence et de motivation. Toutes les personnes citées ont été fondamentales à ma démarche d analyse et à mon inspiration. Je les en remercie profondément. PAGE 4

SOMMAIRE INTRODUCTION GENERALE, p.7 PREMIERE PARTIE : LES GRANDES TENDANCES DU FUTUR ET LA PLACE DE L'EUROPE Introduction de la première partie, p.41 Chapitre 1 : Les grandes tendances technologiques, p.44 Chapitre 2 : Tendances démographiques et socioéconomiques, p.62 Chapitre 3 : Tendances des systèmes économiques et politiques, p.89 Chapitre 4 : Tendances socioculturelles et changement de valeurs, p.114 Conclusion de la première partie : L'Europe dans la mondialisation, p.137 DEUXIEME PARTIE : PASSAGE DE L'EUROPE A LA "SOCIETE DE L'INFORMATION" Introduction de la seconde partie, p.144 Chapitre 1 : Les politiques en matière de "société de l'information", p.147 Chapitre 2 : Théories du post-industrialisme et approches prospectivistes de la "société de l'information", p.186 Chapitre 3 : Changement de valeurs et nouveau paradigme, p.207 Chapitre 4 : Les valeurs à l'est de l'europe, p.232 PAGE 5

Conclusion de la seconde partie : La "société de l'information" en Europe, p.252 TROISIEME PARTIE : IMPACTS DE L'ELARGISSEMENT ET DE LA POLITIQUE EN MATIERE DE "SOCIETE DE L'INFORMATION" SUR L'AVENIR DE L EUROPE Introduction aux scénarios choisis, définitions et méthodes de prospective, p.259 Chapitre 1 : L'élargissement en Europe, p.261 Chapitre 2 : Vision sur l'avenir de l'europe- variations sur scénarios, p.288 Chapitre 3 : Risques exogènes et impacts endogènes de la politique de la "société de l'information" en Europe- scénarios noirs, p.315 Chapitre 4 : Un projet politique pour l'europe, p.347 Conclusion de la troisième partie : Pour une Europe de la connaissance, p.368 CONCLUSION FINALE, p.373 BIBLIOGRAPHIE, p.390 TABLES DES MATIERES, p.433 ANNEXES, p.440 RESUMES ET MOTS CLES PAGE 6

INTRODUCTION GENERALE 'Il s'agit donc ici de se demander comment, et plus particulièrement s'il est tout de même possible, malgré l'absence indéniable de ce point fixe qu'archimède cherchait, de se sortir, au sens le plus large du terme, du cadre du monde en tirant sur ses propres cheveux et de le voir ensuite de l'extérieur "avec des yeux nouveaux"', Paul Watzlawick, Les cheveux du baron de Munchhausen, p.174. "La vocation de l Europe dans le contexte de la civilisation actuelle- et, ainsi l idée fondamentale d unification- ne doit pas résider, comme nous le voyons actuellement, dans quelque chose de nouveau, d inédit. Elle peut être tirée simplement d une nouvelle lecture de livres européens très anciens, d une nouvelle façon d interpréter leur signification". Vaclav Havel, Pour une politique post-moderne. 'La grande dichotomie qui a marqué la Modernité reposait sur la distinction entre le corps et l esprit. L époque Post-moderne, en revanche, semble marquée par une "trichotomie", en ayant intégré la dimension technologique, la machine, au corps et à l esprit'. Joël de Rosnay, "Une vision du futur", Sociétés, n 59, 1998/1. SECTION 1 : INTRODUCTION AU THEME ET HYPOTHESES DE DEPART Cette thèse part de ce que le futur de l Europe ne s'ancre plus seulement sur l histoire politique de ces derniers siècles mais sur les tendances mondiales qui se manifestent à travers les changements profonds technologiques et autres, en particulier ceux de la PAGE 7

"révolution de l information" 3. Alors que dans les années 1970 et 1980, l'occident connaissait une révolution informatique et une accélération sans précédent du progrès technologique, l'urss, quant à elle, devenait de plus en plus dépendante des importations de machines étrangères et des transferts de technologies pour les industries de pointe. Les pays d Europe centrale et orientale ne se sont pas effondrés seulement du fait de leurs systèmes d économie socialiste et centralisée ou du fait du poids excessif de leur industrie militaire. Leur effondrement est également dû à leur isolement et à la nature fermée de leur économie qui les a tenus à l écart de l'impact sociétal des progrès technologiques et de la révolution de l information. Pour Manuel Castells, "le nœud de la crise technologique de l'union soviétique doit être cherché dans la logique fondamentale du système étatiste : priorité écrasante donnée à la puissance militaire ; contrôle politico-idéologique de l'information ; centralisation bureaucratique de l'économie planifiée; isolement du reste du monde ; incapacité à moderniser certains segments de l'économie sans modifier tout le système" 4. L'effondrement de l'urss est la manifestation des limites d'un étatisme industriel poussé à outrance, de son incapacité à renouveler en permanence l'information et les technologies, et plus que tout, à inventer une "légitimité identitaire" 5. Ce qui rend cette mutation véritablement révolutionnaire ne se trouve pas dans le changement politique et économique, symbolisé par le passage de l économie planifiée à l économie de marché, mais dans le changement des systèmes politiques et économiques qui, beaucoup plus profond, sous-tend cette mutation. Au cœur de ces évolutions, le "système mère" (expression inspirée de David Ronfeldt qui parle des réseaux en tant que "mère de toutes les organisations sociales") ou mère des nœuds (jeu de mots entre le mot "mère" et le "réseau de nœuds" décrit par Manuel Castells) qui nourrit, telle la matrice, et accompagne les systèmes politiques et économiques dans leurs changements. 3 Définie plus loin en introduction. 4 Castells Manuel, L'Ere de l'information, tome 3 Fin de millénaire, Fayard, 1998, Trad. 1999, p. 53. 5 Idem, Castells Manuel, p. 86. PAGE 8

Il est probable qu'en partie, l Europe ne reconnaîsse pas l'opportunité que présente la construction d'une société de la connaissance. Or, c'est justement le passage à des systèmes sociaux et économiques fondés sur les investissements de connaissance qui pourrait faciliter l'intégration européenne et l'élargissement aux nouveaux pays adhérents. Pour Ignacio Ramonet, les blocages des sociétés européennes sont indiscutablement culturels et il ajoute : "le vrai problème est d'opérer, dans une société traumatisée par le rythme de l'innovation, le déblocage de l'intelligence socio-économique, c'est-à-dire des problèmes culturels au sens large. Or, pour amorcer ce déblocage, il faut sans doute reprendre, avec un regard critique, le fil de la construction des principaux paramètres culturels, et reconsidérer l'édification de la modernité en Europe" 6. L Europe ne pourra s approprier cette mutation qu'en s'engageant dans une conscientisation de "l autre" c est-à-dire en formulant une philosophie de l altérité, en dépassant son système actuel de valeurs et en inventant de nouveaux modes de communication basés sur la compréhension profonde, peut-être même ontologique, de l homme. Il s'agit là d'une grande ambition, d'un grand défi pour cette Europe dont les institutions sont particulièrement remises en cause : restaurer les perspectives, réinstaller l'initiative, l'innovation, la créativité, le plaisir, la citoyenneté. Plus que jamais nous avons besoin de "désir d Europe" 7. SECTION 2 : INTRODUCTION ET DELIMITATION DU SUJET Introduction au sujet 6 Ramonet Ignacio, Géopolitique du chaos, Editions Galilée, 1997, p. 128. 7 Pour reprendre l expression de Lejeune Claire, «De la citoyenneté poétique à la citoyenneté européenne», Cellule de prospective de la Commission européenne, Thomas Jansen (sous la direction de), Réflexions sur l identité européenne, 1999.. PAGE 9

L'hypothèse de départ de cette thèse est que le passage à la "société de l'information" et l'élargissement aux pays d'europe centrale et orientale de l'union européenne constituent deux des plus grands enjeux des vingt ans à venir pour l'europe. Cette thèse n'est pas destinée à justifier ces deux axes par rapport à d'autres axes potentiels mais à analyser l'impact de ces deux chantiers sur l'europe. Ne couvent-ils pas en eux les germes d'une profonde "révolution"? Et, si oui, quel type de révolution? Les tendances du futur montrent la nécessité pour l'europe de se positionner dans un environnement mondial, lui-même en profonde mutation. Quelle est la position de l'europe dans ces changements? Quelles sont les implications pour la compétitivité européenne? Le passage de l Europe à l ère informationnelle, plus souvent appelée "société de l information" ou "économie de la connaissance" sera mise en évidence ainsi que le lien, si lien il y a, avec l'élargissement de l'union européenne à l Est de l'europe. Quelle est la politique européenne en matière de "société de l'information" et d'"économie de la connaissance"? En quoi se distingue-t-elle des autres politiques de la Triade (USA, Japon, Europe)? Dans ce contexte, l'élargissement aux pays d'europe centrale et orientale constitue-t-il un atout ou un frein? Enfin, la crise de la gouvernance et les freins à la construction d'un projet politique européen ont-ils un lien avec la "révolution de l'information"? Sont-ils le résultat de crises conjoncturelles ou sporadiques ou remettent-ils en cause la nature profonde du changement? Comment caractériser ce changement? Délimitation du sujet La limitation du sujet réside dans le manque de recul dû au caractère relativement récent du domaine d étude. La "révolution de l information" est en cours. Si l on peut analyser les fondements d'un changement de paradigme, il est encore trop tôt pour en mesurer tout l impact socio-économique. Cependant, du fait de travaux de recherche conséquents tels que ceux du sociologue Manuel Castells de l université de Berkeley, PAGE 10

les premières études académiques quant à l impact social des technologies de l information et de la communication sont publiées. Nous avons limité notre sujet au domaine de la science politique plus particulièrement à la politique économique. Le sujet est traité en analysant les facteurs de changement mais également en donnant une place importante aux acteurs du changement que nous avons définis comme la "triade des acteurs" 8 (entreprises, Etats, société civile). Ce travail ne se concentre pas sur la politique institutionnelle et sur les institutions politiques telles que la Commission européenne, ni à l'étude de la polis définie par Hannah Arendt comme les "formes d'organisation de la vie commune des hommes" au sein de la cité 9. La politique institutionnelle fait l'objet de nombreuses thèses et constitue en tant que telle un sujet de taille. La formule de Raymond Aron précise le champ du politique. La politique sera étudiée dans cette thèse à la fois en tant que policy c'est-à-dire en tant que "programme d'action ou une action elle-même d'un individu, d'un groupe ou d'un gouvernement" à travers notamment la politique européenne en matière de "société de l'information" mais aussi en tant que politics c'est-à-dire en tant que "domaine dans lequel rivalisent ou s'opposent les politiques diverses", à travers une étude de l'évolution des relations internationales et une étude comparée des politiques de l'europe, des Etats- Unis et du Japon en matière de "société de l'information" 10. L élargissement de l Europe constitue une "nécessité historique" pour reprendre l expression de Vaclav Havel. L Europe est ici comprise en terme de "grande Europe" élargie aux pays d'europe centrale (Hongrie, Slovénie, République tchèque, Pologne). La question des autres pays d'europe centrale et orientale et celle de la Russie est incorporée dans les scénarios. L'objectif d ensemble est de mettre en évidence les opportunités et les risques que constituent les pays d'europe centrale et orientale pour l Europe dans la "révolution de l information", mais non pas de se focaliser sur les différences entre pays d'europe centrale et orientale quant à leur adhésion. 8 Définition proposée partie I, chapitre 3 de cette thèse. 9 Arendt Hannah, Qu'est-ce que la politique?, Editions du Seuil, 1950, Trad.1995, p. 54. 10 Aron Raymond, Démocratie et totalitarisme, Gallimard, 1965, p. 22. PAGE 11

L impact socio-économique des technologies de l information et de la communication fait l'objet de cette thèse. Les grandes tendances des inventions scientifiques et technologiques seront décrites mais ne pourront être approfondies. L'ensemble de l'impact de ces technologies en terme de sécurité ne peut être analysé, et ce, malgré les événements du 11 septembre et les conséquences en matière de politiques publiques européennes. Les enjeux militaires et de défense sont volontairement évacués. Nous traiterons dans cette thèse de l'origine et de la naissance d'internet mais nous n'analyserons pas les questions militaires qui font l'objet de nombreuses études spécialisées. Du fait du caractère évolutif du sujet, des méthodes de prospective de type exploratoires (développement de la vision) c est-à-dire partant des tendances passées et présentes et conduisant à des futurs vraisemblables ont été retenues. Les scénarios d anticipation ou normatifs construits à partir d images alternatives du futur, qui sont conçus de manière rétroprojective, n ont pas été utilisés pour cet exercice. L étude des tendances et des recherches en prospective qui existaient jusqu alors a fait l'objet d'une sélection. Pour la plupart, elles s étendent jusqu à 2010-2020 pour les scénarios de l Europe, 2050 pour les grandes tendances du futur et exceptionnellement à la fin du XXIème siècle pour certaines études systémiques telles que Prospective 2100 ou le Projet Millenium. L'étude des enjeux politiques de l'europe étant au cœur du sujet, le terme d'essai géopolitique et prospectif semble caractériser le mieux cette étude. Ce travail s'inscrit dans une approche systémique définie un peu plus loin dans l'introduction. Un certain nombre de recherches de type structuraliste telles que la grille de l'évolution de Michel Saloff-Coste et la grille de valeurs de Brian Hall ont été approfondies. Les méthodes sont décrites plus loin. Enfin, la notion de "compétitivité européenne" est utilisée au sens large du terme et fait appel autant que possible à une comparaison avec les Etats-Unis et le Japon. Ce travail tente de prendre en compte des facteurs perçus comme importants plutôt que de concentrer l'étude sur un ensemble non exhaustif de facteurs concurrentiels. Contrairement à Michael Porter, cette étude ne se limite pas aux avantages PAGE 12

concurrentiels des "nations" mais à ceux de l'europe dans son ensemble. A plusieurs reprises l'europe sera comparée au sein de la Triade. Kenichi Ohmae est le premier à avoir déployé le terme poétique et ronsardien 11 de "triade" pour un usage économique. C est en 1985 qu il publie La triade, émergence d une stratégie mondiale de l entreprise et démontre comment une entreprise devient une "puissance triadienne" en en listant les avantages 12. Il inclut alors dans la triade, les Etats-Unis, la Communauté européenne et le Japon. Ce terme de triade est retenu pour sa simplicité d'usage qui permet de positionner l Europe en matière de compétitivité. SECTION 3 : DEFINITION DES CONCEPTS Définition de "société de l information" Le terme de "société de l'information" est retenu dans le titre de cette thèse parce qu'il est le plus souvent et communément employé à la fois au Japon, aux Etats-Unis et en Europe. Le terme "société de l information" serait apparu dans les années 1960 au Japon sous le nom de "Joho Shakai" 13. Le sociologue américain Daniel Bell est reconnu comme l un des premiers à avoir étudié en profondeur la "société de l'information" qu'il appelle "société post-industrielle" dans le courant des années 1970. De son point de vue, les matériaux bruts constituaient le cœur technologique de la société agricole tandis que l énergie représentait celui de la société industrielle. A présent, l information devient le cœur technologique de la société post-industrielle. Les tendances de cette rupture se trouvent dans "la croissance des métiers liés à l information et à la technologie, l importance croissante de la connaissance, de la transmission et de l analyse de 11 «Au nombre de trois», Ronsard, 1564, cité dans Dubois Jean, Mitterand Henri, Dauzat Albert, Dictionnaire étymologique, Larousse, 2001, p. 781. 12 Ohmae Kenichi, La triade, émergence d uns stratégie mondiale de l entreprise, Flammarion, 1985 pour la traduction française, p. 249. 13 "Regards prospectifs sur le Japon", Futuribles, numéro 216, janvier 1997, p. 48. PAGE 13

l information ainsi que dans l accroissement de l usage des technologies dans la prise de décision" 14. En 1978, deux experts Simon Nora et Alain Minc sont à l'origine d'une des premières réflexions françaises sur l'informatisation de la société qui deviendra œuvre de référence dans le monde. Cette étude donnera lieu au Minitel, une des premières expériences technologiques pilotes annonciatrices du futur Internet et du développement des technologies de l'information et de la communication. Le concept de "société de l'information" est rendu populaire par les livres d'alvin Toffler, notamment The Future Shock (Le choc du futur, 1970) et The Third Wave (La Troisième vague, 1980) qui mettent en scène le passage de la société agraire à la société industrielle et celui de la société industrielle à la "société de l'information", et sont des best-sellers vendus à plus de cinq millions d'exemplaires. Le concept est alors largement repris par les politiques publiques occidentales. Tout d'abord au Japon alors en pleine expansion et en passe de devenir un modèle de développement. Au début des années 1970, le MITI, ministère du commerce international et de l'industrie, travaille sur un plan de développement pour faire du Japon le leader de la société de l'information d'ici l'an 2000 15. Ensuite, le concept de "société de l'information" est repris par l'administration américaine qui va en faire un des concepts fer de lance de sa politique des années 1980. Au nom de la "société de l'information", Reagan finance massivement les technologies de l'information et de la communication sous couvert d'enjeux de défense mais avec des retombées économiques pour le secteur privé qui permettent de fait aux Etats-Unis de prendre le leadership dans les secteurs clés de la "société de l'information" : logiciels, bases de données, fabrication de puces, micro-informatique et contenus médiatiques. Le concept de "société de l'information" va être théorisé et devenir une véritable stratégie politique américaine explicite avec Al Gore sous l'administration Clinton 16. 14 Bell Daniel, The coming of Post-Industrial Society, a Venture in Social Forecasting, Basic Books, New York, 1973, préface de 1999, p. xviii,. 15 Mattelart Armand, Histoire de la société de l'information, La Découverte, 2001, p.80. 16 Hart David M., "Managing Technology Policy at the White House", Harvard University, Politics Research Group, 1997. PAGE 14

Dans les années 1990, la Communauté Européenne, alors sous la présidence de Jacques Delors, s'engage dans une réflexion stratégique sur les enjeux de la "société de l'information". C'est le Livre Blanc sur La croissance, la compétitivité et l'emploi (1993) qui établit la "société de l'information" comme priorité de l'union européenne. Pour Martin Bangemann, alors responsable des Affaires industrielles et des Technologies de l'information et de la communication, "information et communication sont les mots clés des développements technologiques, économiques et sociaux qui peuvent être décrits comme une "nouvelle révolution industrielle. La société de l'information est une société trans-frontalière; une société globale ( )" 17. Nous reviendrons en détail sur la politique européenne en matière de "société de l'information" dans le chapitre I de la seconde partie. Parallèlement, à ces développements politiques et économiques du concept de "société de l'information", un certain nombre de chercheurs s'empare du concept pour en explorer les fondements potentiels et en faire la critique. Cet approfondissement du concept donne lieu à une véritable explosion des synonymes. Certains parlent d'"économie digitale" (Digital Economy) ou de "changement de paradigme" (Paradigm Shift) comme Don Tapscott, d'"économie cognitive" comme Thierry Gaudin, "société spectacle" comme Guy Debord, "société de création-communication" comme Michel Saloff-Coste, et de "société en réseaux" comme Manuel Castells. Certains analystes comme Leo Scheer (Pour en finir avec la société de l'information) sont très sceptiques quant à l'existence présente ou future d'une "société de l'information" et ne voient pas de rupture majeure avec la société industrielle. D'autres considèrent que ce que l'on entend par "société de l'information" n'est qu'une accélération de la société industrielle et préfèrent parler de "société hyper-industrielle". Enfin, il y a convergence chez un certain nombre d'analystes qui considère que l'on est en train de vivre une véritable mutation. Mais la manière dont ces ruptures et mutations sont envisagées diffère selon les auteurs et les arguments technologiques, économiques, politiques, sociologiques, épistémologiques se mêlent pour constituer des théories très singulières et difficilement rapportables les unes aux autres. 17 Bangemann Martin, The EU Committee of the American Chamber of Commerce in Belgium, EU Information Society Guide, 1996/1997. PAGE 15

Que voulons-nous dire le plus couramment en employant le terme de "société de l'information"? Le terme "société" fait référence à un système social, économique et politique représentant une communauté humaine. En y adjoignant le qualificatif "de l'information", on signifie une société différente de la "société agraire" ou de la "société industrielle" telles qu'elles sont très souvent nommées mettant ainsi l'emphase sur l'activité économique dominante. Les indicateurs de mesure de cette dominance varient selon le type d'activité. Une économie agraire repose sur une part importante de maind'œuvre agricole et sur une conquête de territoire. L'économie industrielle se caractérise par une conquête d'actifs industriels et repose sur une main d'œuvre d'ingénieurs, d'ouvriers et de robots. Dans une "société de l'information", la création de valeur se ferait par le transfert et la communication d'information. Les hommes ne manipuleraient plus des biens matériels mais des données conceptuelles ou digitales. Ce serait une société où l'immatériel aurait une part dominante dans l'activité de chacun. Les réseaux de communication et les applications multimédias interactives forment l'assise de cette transformation des rapports économiques et sociaux existants. La "société de l'information" se traduirait alors par un nouveau modèle d'organisation et de relations sociales, comme la révolution industrielle a transformé les sociétés agricoles. Contrairement aux autres changements technologiques, le développement et la diffusion rapide des technologies de l'information et de la communication, ainsi que l'émergence des applications multimédias interactives, peuvent toucher tous les secteurs économiques, l'organisation sociale et professionnelle, les services publics, les activités culturelles et sociales. Le concept de "société mondiale de l'information", défini par l'ocde et le G7, renvoie à celui d'"infrastructure mondiale de l'information", plus spécifiquement utilisé par les Etats-Unis. Ces concepts sont porteurs de deux visions différentes. Certains voient dans le développement de l'"infrastructure mondiale de l'information" (infrastructure physique, services et politique) l'annonce d'une "société mondiale de l'information". D'autres emploient le concept d'"infrastructure mondiale de l'information" pour mettre l'accent sur l'aspect technologique et économique du développement. Le terme "société PAGE 16

mondiale de l'information" est utilisé pour renforcer la dimension sociétale. Le tableau dressé ci-dessous propose une classification des composantes des concepts de la "société mondiale de l'information" et de l'"infrastructure mondiale de l'information" tels qu'ils sont définis par l'ocde 18. Les composantes de la "société mondiale de l'information" et de "l'infrastructure mondiale de l'information" Les équipements de communications (commutateurs, technologies de transmission) Informatique Logiciels Normes Les terminaux connectés aux réseaux et permettant aux utilisateurs d'accéder aux services intégrés Les services (c'est-à-dire l'information, le commerce électronique, les applications et le contenu) offerts sur ces réseaux Les logiciels et interfaces associant les équipements, les terminaux et les applications Le développement de la "société de l'information" se mesure en terme de convergence des technologies, des infrastructures, et au niveau du contenu, des applications et des services. L'économie des technologies de l'information et de la communication se compose à travers trois grandes industries représentées dans le graphique ci-dessous à partir des données Devotech 19. 18 OCDE, Vers une société mondiale de l'information, 1997, p.10. 19 Devotech "Développement d'un environnement multimédia en Europe", OCDE, Vers une société mondiale de l'information, 1997, p.18. PAGE 17

Les grandes industries représentatives de la "société de l'information" INDUSTRIE INFORMATIQUE Ordinateurs Logiciels Interfaces INDUSTRIE DES COMMUNICATIONS RTPC Réseaux cablés Réseaux satellites Radiodiffusion Réseaux mobiles INDUSTRIE DU CONTENU Bases de données Services d'information Produits audiovisuels Films Musique Photographie Si tout concourt à une évolution vers une société de plus en plus marquée par l influence des nouvelles technologies de l information et de la communication, celle-ci devrait s orienter vers une "société de la connaissance" et non de l information. C est là une différence de taille. L objectif ne doit pas se réduire à un brassage plus grand de l information mais à une plus grande et profonde connaissance des phénomènes socioéconomiques ainsi qu à une intégration socioculturelle des technologies. C'est pourquoi, cette thèse cherchera à montrer l'importance de construire une "Europe de la connaissance" plutôt que de se limiter à une "société de l'information". D'ailleurs, l'ocde utilise le terme "d'économie basée sur la connaissance" (Knowledge- Based Economy) depuis 2000. Comme nous le verrons, les Etats-Unis préfèrent le terme "d'économie digitale" (Digital Economy). Ces notions d'"économie basée sur la connaissance" et d'"économie digitale" mettent l'accent sur les biens de production et de services liés aux technologies de l'information et de la communication. Elles seront développées dans le chapitre III de la première partie. Dans un certain nombre de cas, notamment quand le volet économique de la "société de l'information" sera étudié, nous parlerons "d'économie de la connaissance". Ce terme est également celui retenu par l'union européenne qui s'est fixée l'ambition, au Sommet de Lisbonne en mars 2000, "de devenir l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du PAGE 18

monde" 20. La politique de l'union européenne en matière de la "société de l'information" sera traitée au chapitre I de la seconde partie. On peut trouver des éclairages sur le terme de connaissance chez Platon. Ce dernier oppose la connaissance à l'opinion (doxa), qui repose sur une vision de l'extériorité des faits et des sentiments, sur le monde visible. Rappelons que pour Platon, "premier théoricien de la connaissance" 21, l'homme recherche la nature véritable des choses et des êtres ; l'idée, c'est-à-dire ce que les Dieux ont voulu. Il y a bien là une aspiration au progrès et à l'élévation vers une liberté, voire même une liberté existentielle. Ce terme s'inscrit donc dans l'émergence d'un changement de paradigme, changement de paradigme qui sera analysé sous divers angles dans cette thèse. Comme nous le verrons, ce changement n'est visible qu'à ceux qui conscientisent leurs valeurs c'est-à-dire qui changent de perspective (sortent de la caverne) et regardent par delà les ombres. D'un point de vue plus pragmatique, la connaissance se définit comme la capacité à se mouvoir dans différents champs de représentation, d'y capter, intégrer et diffuser des informations. La connaissance résulte du processus de transformation et de création d'informations. Elle implique l'apprentissage d'un libre arbitre qui permette de transformer et intégrer les informations de façon libre, consciente et indépendante. L'expression de "société de l'information" est à présent très largement utilisée dans le monde occidental. Il s agit d une version courante et simplifiée. Elle dénote plutôt une tendance qu un fait accompli. Le terme définit une "société plus centrée sur l information" 22. Dans le domaine des affaires politiques, et ce depuis les années 1970, la "société de l information porte en elle une vision de l avenir et du XXIème siècle" 23. 20 "Une société de l'information pour tous", rapport d'avancement pour le Conseil européen extraordinaire consacré à l'emploi, aux réformes économiques et à la cohésion sociale-vers une Europe fondée sur l'innovation et le savoir", Lisbonne, les 23 et 24 mars 2000. 21 Lavroff Dmitri Georges, Les grandes étapes de la pensée politique, Dalloz, seconde édition, 1999, p. 47. 22 Kuper Adam et Kuper Jessica (editors), The Social Science Encyclopedia, 1996, p. 410. 23 Idem, Kuper Adam et Kuper Jessica. PAGE 19

Toutefois la notion qui décrit peut-être le mieux la situation actuelle est celle proposée par Manuel Castells qui parle "d ère de l information" 24. Nous sommes bien dans une ère et non pas encore dans une société. Les technologies de l information et de la communication (TIC) révolutionnent nos économies mais la "société de l information" n est pas encore en tant que telle érigée et se limite à ce jour à une tendance. Ces notions seront analysées en deuxième partie de cette thèse. Le terme "révolution de l'information" dénote également bien le caractère de rupture. Il porte, en lui, le manque de transparence, de clarté et la confusion de tous ou de la plupart des citoyens. Le terme "révolution" est approprié au sens où il caractérise la nature profonde et violente (déchirante) du changement, la révolution se définissant comme une transformation délibérée, rapide, brutale et radicale d une société. L'expression "révolution technologique" désigne l accélération des changements intervenus dans la connaissance scientifique et les applications qui en dérivent 25. D'ailleurs, Siegmund Newmann a mis en évidence qu une révolution se prépare au cours d une longue période, et qu en cela, elle représente aussi une "accélération du processus évolutif". Ainsi une révolution est la résultante d un "ordre de rupture" mais également de "continuité" 26. En cela, le terme "révolution" est séduisant mais ne sera utilisé que pour insister sur les caractères de rupture dans le processus du passage à la "société de l information". Définition de "l'europe en cours d'élargissement" L'Europe est ici comprise en tant que continent culturel, dans son caractère évolutif dont font partie l'élargissement et l'intégration. L'expression la plus souvent retenue sera celle de "l'avenir de l'europe". Le terme "Union européenne" sera utilisé pour caractériser la 24 Castells Manuel, L'ère de l'information, trois tomes, Fayard, 1998, Trad.1999. 25 Hermet Guy, Badie Bertrand, Birnbaum Pierre, Braud Philippe, Dictionnaire de la science politique et des institutions politiques, p. 251. 26 Neumann Siegmund cité par Chazel François, «Les ruptures révolutionnaires». Grawitz Madeleine et Leca Jean (sous la direction de), Traité de science politique, volume 2 Les régimes politiques contemporains, 1985. PAGE 20